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Conséquences d'un nationalisme exacerbé

Carl Desjardins, Viernes, Diciembre 6, 2002 - 01:42

Dario Lopreno

Si cette situation terrorise certains xénophobes angoissés à l'idée de perdre « notre » identité, c'est à nous d'essayer de gagner cette bataille et de montrer combien la notion d'identité nationale est et a toujours été une redoutable arme purement idéologique dans les mains de l'Etat des privilégiés.

- Par Dario Lopreno

L'exemple de la Suisse

La politique des étrangers en Suisse consiste en un réel soft-apartheid qui se fonde sur la diversité des permis de travail - plus précisément des 8 permis de travail différents auxquels s' ajoutent un certain nombre de sous-catégories ainsi que les clandestins - divisant les travailleurs en autant de groupes correspondant à des durées de séjour différentes, à des droits sociaux différents, à des droits professionnels différents, à des différences au niveau du regroupement familial, à des différences en matière de scolarisation des enfants, à des droits fiscaux différents, etc. Cela concerne 1 527 000 étrangers, clandestins non compris (ces derniers étant entre « 150 000 » et « quelques centaines de milliers » selon les sources), soit le 21.3% de la population de la Suisse, ce qui, malgré les apparences, n'est pas un pourcentage élevé, compte tenu de la difficulté de se naturaliser.

Quant au domaine de l'asile, en 2000, il compte 98'480 personnes (soit le 1.5% de la population), dont 32'114 admissions provisoires (qui ne sont pas comptées dans le domaine de l'asile en France, par exemple, ce qui réduirait le domaine de l'asile à 0.9% de la population de la Suisse). Parmi ces 98480 personnes, 27'500 sont en recours dont 90% vont être déboutées et renvoyées, selon les statistiques de la Commission fédérale de recours en matière d'asile.

L'unification des politiques de l'asile et de l'immigration par la répression des clandestins

Sur les points essentiels de la nouvelle Loi sur les étrangers , les auteurs du projet de LEtr sont en parfaite convergence avec la politique de l'Union européenne qui considère qu'il faut « pour les domaines distincts, mais étroitement liés, de l'asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune » . Ils font ainsi de l'asile et de l'immigration un seul domaine de facto et une seule politique, tout en laissant exister deux champs juridiques séparés (asile et immigration), afin de respecter formellement la Convention de Genève et de préserver une vitrine humanitaire.

La fusion de ces deux politiques s'opère par le volet commun de la clandestinité. En effet, tout repose ici sur une intersection entre les deux domaines : d'un côté, les requérants d'asile, avant d'être tels, sont des sans-papiers (clandestins) et, d'un autre côté, les immigrants extra-communautaires - à l'exception des quelques autorisés - et les illégaux de l'Union Européenne (UE) sont des clandestins. Dans la pratique, cette politique signifie le triomphe des discours contre les clandestins qui abuseraient de notre économie en tant que réfugiés économiques, en tant que migrants économiques ou en tant que migrants cachés sous les traits du demandeur d'asile .

Tout cela explique pourquoi la LEtr, comme les réglementations européennes, s'attaque très durement aux frontières aériennes, les aéroports étant les seules zones frontières qui peuvent pratiquement être bouclées à l'égard des « illégaux ». La LEtr reprend ici l'accord de Trevi de 1982, signé entre les principaux Etats de l'UE, ainsi que la Convention d'application de l'accord de Schengen, de 1990, qui imposent une lourde pénalisation financière des compagnies aériennes ayant laissé venir un voyageur en situation irrégulière. Si la mesure est effectivement appliquée, cela contraindra les employés des agences de voyages et des compagnies aériennes, en Suisse comme à l'étranger, à exercer des contrôles policiers au moment de la vente des billets, faute de quoi la compagnie devra payer jusqu'à 30'000 Francs par cas avec la nouvelle LEtr . En clair, cela permettra de barrer les frontières aériennes aux requérants d'asile.

Toujours sur la question des clandestins, la LEtr autorise la communication de données à des Etats étrangers ou à des organisations internationales « pour lutter contre les actes punissables commis dans le domaine des étrangers ». Or Europol, la super-police européenne dotée par ailleurs d'une immunité totale similaire à celle des diplomates et donc très peu contrôlable y compris du point de vue de ses collaborations avec des polices extra-UE, est une organisation internationale, comme l'est du reste aussi la police Interpol. Evidemment, en ce qui concerne la transmission de données à des Etats tiers, cette disposition est accompagnée de la formule d'usage, se voulant rassurante mais strictement incontrôlable, « sauf si la personne est menacée dans l'Etat en question ».

La chasse aux clandestins en collaboration avec l'UE est tellement développée, que la LEtr instituerait des mesures de détention contre les clandestins pris par des sbires helvétiques en flagrant délit de sortie de Suisse avec tentative d'entrée illégale sur le territoire national d'un Etat voisin (sic !). Cette chasse est renforcée par la multitude d'accords « de réadmission » (d'expulsion), conclus par la Suisse avec 20 pays dont 18 européens, y compris tous les pays limitrophes .

La chasse aux clandestins est parachevée enfin par la Loi sur les mesures de contraintes du milieu des années '90, qui permet d'emprisonner un illégal, un requérant d'asile ou une personne en instance d'expulsion s'il refuse de collaborer avec les autorités, s' il enfreint les lois auxquelles il est soumis, s'il est soupçonné de vouloir se soustraire à son refoulement (détention administrative). La détention devrait être de 3 mois, prolongeable jusqu'à 9 mois voire 12. Les abus dans ce domaine ont été légion dès l'entrée en vigueur de la loi . Il y a presque deux ans ces abus ont coûté la vie à un Palestinien tué, à Zurich, au cours de son expulsion par la police, « pieds et poings liés, la tête recouverte d'un casque de moto, un sparadrap sur la bouche ». Dernièrement, ces bus ont coûté la vie à un requérant d'asile nigérian en Valais, au cours de son expulsion également par la police.

Ces privations de liberté sans qu'il y ait eu nécessairement condamnation préalable, sont doublées par la nouvelle Ordonnance sur l'exploitation des centres d'enregistrements des requérants d'asile (CERA), prochainement en vigueur, officialisant leur statut de centres civils non carcéraux fonctionnant comme des centres carcéraux sans qu' il n'y ait eu quelque délit que ce soit (à moins que le dépôt d'une demande d'asile ne soit un délit. ce que la loi ne dit pas).

Ce vaste dispositif répressif est peaufiné par le projet de mise en place de régimes punitifs (restrictions d'assistance financière) ou même de centres de semi-enfermement punitif (restriction d'assistance financière et de liberté), simplement pour « mauvaise conduite » des requérants d'asile à l'assistance. Cela a été proposé par Argovie au Parlement fédéral (le Conseil des Etats s'est exprimé favorablement deux fois) et ont été appliquées notamment à Bienne, à Berne et à Zurich.

Enfin ce train de mesures de privations de liberté sans délit préalable est complété par des propositions de restriction du droit de recours des requérants d'asile et d'accélération des expulsions vers des pays dits « tiers », mesures réclamées par des députés radicaux aux Etats en été 2000. En même temps, les mêmes députés radicaux du même Conseil des Etats demandaient et obtenaient que les ingénieurs étrangers formés en Suisse et les étrangers ayant terminé un doctorat en Suisse obtiennent, sur simple demande, un permis d'établissement à la fin de leurs études...

La tentative de rendre la Suisse « moins attractive » pour les réfugiés

Depuis 1990 a été introduit le système du « compte de sûreté » pour les requérants d'asile. Il consiste en un prélèvement obligatoire d' une taxe de 10% sur tout salaire de requérant qui travaille, versée sur un compte dit de sûreté, pour couvrir les frais de renvoi de la personne concernée le cas échéant. En 1998, il y avait 53 000 comptes de ce type, pour un capital de 250 millions de Francs. Berne reconnaissait que des comptes pour un montant de 14 millions de Francs, appartenant à quelque 17 000 requérants, étaient alors sans propriétaire, chiffre qui ne peut qu'avoir augmenté depuis. De plus, selon la même enquête de l'Office fédéral des réfugiés qui prouve son incapacité à gérer ce type de pratique légale arbitraire, des dizaines de millions de Francs ont été détournés de ces fonds par des employeurs.

Depuis 2000, le travail n'est accessible aux requérants que selon une politique au mérite : seul a le droit de travailler celui qui, par sa conduite (sur le plan strictement disciplinaire et de la collaboration avec les autorités), mérite d'obtenir un emploi. Les autres sont, officiellement, condamnés à l'inactivité. qui leur sera de toute façon reprochée ensuite, le but étant clairement de les « mettre » à charge de l'assistance afin d'en faire des indésirables. Concrètement, cela signifie non seulement des relations, entre le requérant et l'assistante sociale, répressives et humiliantes, mais aussi un encouragement au travail clandestin. qui sera durement puni par une pénalité sur l'assistance, ce qui évidemment poussera le requérant à travailler d'avantage clandestinement, etc.

Enfin, l'un des éléments les plus graves de ce dispositif de rejet est le fait que, depuis plusieurs années, l'assistance sociale garantie aux requérants d'asile est devenue largement inférieure à celle des Suisses et des résidents. A l'heure actuelle cette infériorité se chiffre à 60% pour une personne seule et à 52% pour 5 personnes dont 3 enfants, et cela pour le canton de Genève qui, malgré la dureté de ses autorités , n'est pas le pire à cet égard. A cela s'ajoute la multiplication du nombre de « dossiers » par assistante sociale, qui devient tellement hallucinant que cette dernière ne peut que gérer l'état de fait sans aucun moyen de pouvoir l'améliorer.

Parallèlement à cela, le nouveau système en place commet des actes pseudo-humanitaires spectaculaires, afin de gommer sa barbarie. C'est, par exemple, le cas de certaines opérations d'envergure comme l'«Action humanitaire 2000 », par laquelle 13'000 demandeurs d'asile et étrangers non expulsables peuvent obtenir le droit de rester en Suisse. Or non seulement il s'agit de personnes non expulsables, mais en outre il est clair que cette action « humanitaire » est un simple cache-sexe de la violence de la politique d'asile et de clandestins. En effet, la diminution des requérants admis en Suisse et l'expulsion des Kosovars ont été bien plus importantes, quantitativement, que l' apport total de l'action « humanitaire » en question.

Pour la libre circulation totale des personnes

Il est indispensable de sortir du carcan idéologique que la droite a réussi à imposer à toutes les oppositions politiques en s'attaquant à la politique d'immigration et à la politique d'asile de manière répétée, en faisant admettre très largement des fantasmes xénophobes que sont :
- le requérant d'asile criminel; l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, censée défendre les intérêts des requérants et réfugiés, a même intitulé ainsi une triste étude sur la question ,
- le salarié-concurrent-étranger ou le clandestin coupable de dumping, fantasmes occupant trop souvent les esprits des syndicalistes et les articles de leurs journaux,
- l'efficacité de la politique de régulation des flux migratoires, régulation à laquelle croient la gauche, le mouvement syndical et bien des ouvres d'entraide, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause les deux piliers du soft-apartheid helvétique : les différents permis pour étrangers et l'Ordonnance limitant la main-d'ouvre étrangère.

Contre cette politique, il est nécessaire de défendre l'idée un logement décent, un salaire décent, une autorisation d'établissement, le droit de vote et le droit à l'assistance pour quiconque travaille en Suisse, quel que soit son taux d'occupation, droit à octroyer après une très brève période de séjour dans le pays. En même temps, nous devons lutter pour la légalisation immédiate de tous les sans-papiers. Nous savons que cette revendication n'est pas un but en soi. Nous savons que les légalisations des sans-papiers en Italie, en France, en Espagne ou en Belgique n'ont rien résolu sur le plan politique. D'une part, leurs normes étaient à chaque fois tellement restrictives, qu'elles étaient inaccessibles à une masse de personnes concernées. D'autre part, à peine appliquées, des nouveaux sans-papiers sont générés. C'est exactement pour cela qu'une campagne pour la légalisation des sans-papiers doit non seulement demander des normes de procédure claires et larges, mais elle doit aussi s'appuyer sur la revendication plus générale mentionnée ci-dessus.

La conséquence de ces prises de position est la défense des principes du droit à la libre circulation des personnes sans restriction et son corollaire l'ouverture des frontières, en tant que droits démocratiques fondamentaux. A l'unanimité, la droite et la social-démocratie helvétiques ont, à raison, condamné les dictatures staliniennes qui empêchaient la pratique de ce droit fondamental. Pourtant elles l'ont nié et le nient aux étrangers de Suisse, à l'époque comme aujourd'hui. La « libre circulation » de la LEtr et des bilatérales avec l'UE n'est pas un respect du droit démocratique à la liberté de déplacement. Ce n'est qu'un privilège accordé soit au riche (machine à sous pour le fisc), soit au très qualifié ou à celui qui a été coopté par un employeur (tous deux machines à sous pour le patronat) pour se faire attribuer un poste de travail, un logement, une plus ou moins grande autosuffisance financière et pour se voir contraint de s'assimiler, de singer le Suisse.

Tant que les banques suisses restent grand ouvertes à tout capital immigrant (à la fin des années '90, 30% de l'argent placé sur un compte en banque dans le monde est dans une banque suisse, selon la revue zurichoise Bilanz), nous ne pouvons accepter la moindre limitation à l'immigration. Et si un jour la Suisse n'était plus la caverne d'Ali Baba de la planète, alors la question ne se poserait toujours pas de savoir s'il faut ou non accepter « la misère du monde entier » en Suisse. Car, comme l'écrit la revue Esprit, « dans toute société, seule une faible minorité d'individus choisit le déracinement pour un profit hypothétique, même dans le cas où le différentiel de niveau de vie est considérable. Seules les situations où la survie est elle-même en jeu, les cas de famines graves ou de guerre civile, peuvent provoquer de véritables exodes » . Or, ces situations ne devraient-elles pas être réglées sur le plan de l'aide internationale massive sans intérêt financier ni militaire ?

Il est, par ailleurs, clair aujourd'hui que les pays riches ont un besoin important d'immigration, s'ils veulent maintenir leur population à un niveau d'âge humainement raisonnable, à moins d'envoyer tout le monde au travail jusqu'à la mort. Si cette situation terrorise certains xénophobes angoissés à l'idée de perdre « notre » identité, c'est à nous d'essayer de gagner cette bataille et de montrer combien la notion d'identité nationale est et a toujours été une redoutable arme purement idéologique dans les mains de l'Etat des privilégiés.

- Publié dans le courriel d'ATTAC



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