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Un putsch à l'Américainehertz, Wednesday, November 27, 2002 - 14:46
Hertz
Tout a commencé bien avant les magouilles du scrutin de novembre 2000.... Tout a commencé bien avant les magouilles du scrutin de novembre 2000, pendant l'été 1999, et ce à l'instigation d'un membre honoraire de la Confrérie des Crétins d'Hommes blancs, Katherine Harris. Il se trouve que cette dame était tout à la fois codirectrice de campagne de George W Bush et haut fonctionnaire responsable de l'organisation des élections en Floride, et c'est à ce dernier titre qu'elle fit verser quatre millions de dollars à Database Technologies afin que cette entreprise d'informatique passe au peigne fin la totalité des registres électoraux de l'État pour en éliminer tous les électeurs " soupçonnés " d'avoir un casier judiciaire. Cette vertueuse chasse à la délinquance reçut la bénédiction du gouverneur de Floride, qui n'est autre que le frère de George W., Jeb Bush. Il faut dire que l'épouse de Jeb Bush avait jadis été interceptée par la police des frontières pour tentative d'importation illégale de bijoux (valeur 19 000 $) aux États-Unis, ce qui en fait elle aussi une ancienne délinquante. Mais quoi, on est en Amérique, un pays où il n'est pas question de s'en prendre aux coupables de délits s'ils sont riches ou mariés à un membre au pouvoir de la famille Bush. La législation de l'État de Floride suspend le droit de vote des anciens délinquants. Il se trouve malheureusement (et je ne mettrai certainement pas en cause l'équité raciale des institutions judiciaires de la Floride) que 31 % des hommes afroaméricains de cet État sont ainsi dans l'impossibilité de voter à cause d'une infraction quelconque enregistrée sur leur casier judiciaire. Harris et Bush savaient donc parfaitement qu'éliminer les anciens délinquants des registres électoraux permettrait de tenir à l'écart des urnes des milliers de citoyens noirs. Les Noirs de Floride, dans leur écrasante majorité, votent démocrate, et A1 Gore obtint les voix de 90 % d'entre eux le 7 novembre 2000. Je corrige : les voix des 90 % de ceux qui furent autorisés à voter. Dans le cadre de ce qu'on ne saurait décrire autrement que comme une fraude massive organisée par les autorités de l'État de Floride, non seulement Bush, Harris et compagnie ont éliminé des registres électoraux des milliers d'ex-délinquants noirs, mais ils ont empêché de voter des milliers de citoyens afro-américains au casier judiciaire entièrement vierge, en plus de quelques autres milliers d'électeurs qui ne s'étaient rendus coupables que d'infractions tout à fait mineures. Comment ont-ils procédé ? Katherine Harris demanda à Database - une entreprise fortement liée au Parti républicain - d'adopter les critères les plus larges possibles dans sa chasse aux " mauvais " électeurs. On pouvait introduire dans la liste noire toutes les personnes portant des noms " ressemblant " à ceux de criminels avérés. Même chose pour les personnes ayant la même date de naissance ou un numéro de sécurité sociale similaire. Il suffisait de pouvoir recouper 80 % de l'information pertinente pour invalider un électeur. Même pour une entreprise favorable à Bush, ces instructions dépassaient les bornes de l'acceptable. Elles impliquaient que des milliers d'électeurs parfaitement légitimes pouvaient se voir barrer la voie des urnes le 7 novembre 2000 pour la seule raison que leur nom ressemblait à celui de quelqu'un d'autre ou qu'ils étaient nés le même jour qu'un braqueur de banque. Marlene Thorogood, directrice de projet de Database, envoya un mail à Emmett " Bucky " Mitchell, responsable du service juridique du bureau de Katherine Harris, en lui signalant que, " malheureusement, ce type de programmation risquait de multiplier les positifs douteux ", à savoir les identifications erronées. Pas de quoi s'affoler, répondit ce brave vieux Bucky : " Il est clair que nous préférons inclure une certaine quantité de noms non fiables à 100 % et laisser aux contrôleurs [les fonctionnaires du comté chargés de superviser le scrutin] le loisir de trancher en dernière instance, plutôt que de laisser passer des candidats à l'élimination. " Database se conforma donc aux instructions. Le résultat ne se fit guère attendre: 173 000 électeurs furent définitivement effacés des registres électoraux de la Floride. Dans le plus gros comté de l'État, Miami-Dade, 66 % des électeurs ainsi éliminés étaient noirs. Dans le comté de Tampa, ce chiffre était de 54 %. Mais Harris et ses sbires ne s'en tinrent pas là. Huit mille autres citoyens furent également soumis à ce nettoyage électoral en vertu d'une liste frauduleuse fournie à Database par un autre État sous prétexte qu'il s'agissait là aussi d'anciens délinquants qui avaient déménagé en Floride depuis leurs méfaits. Sauf que les délinquants en question avaient tous dûment purgé leur peine et jouissaient à nouveau pleinement de tous leurs droits civiques, droit de vote inclus. Sans compter ceux qui ne s'étaient rendus coupables que d'infractions insignifiantes, du type stationnement illégal ou déversement d'ordures sur la voie publique. Et quel est l'État qui avait donné ce généreux coup de main à Jeb et George en leur faisant passer cette liste bidon ? Le Texas. Notons que cet épisode absolument scandaleux fut totalement ignoré par les médias américains. Seule la BBC prit la peine d'effectuer une enquête approfondie et de diffuser un reportage de quinze minutes à une heure de forte audience, révélant tous les détails les plus sordides de cette magouille et en attribuant clairement la responsabilité au gouverneur Jeb Bush. Il est tout de même affligeant de constater qu'il faut aller chercher de l'autre côté de l'Atlantique pour savoir la vérité sur nos propres élections. (Le Los Angeles Times et le Washington Postfinirent par reprendre ces informations, mais personne n'y prêta guère attention.) Cette atteinte au droit de vote des minorités prit une telle proportion qu'elle en vint à affecter même des gens comme Linda Howell. Linda reçut une lettre l'informant que, vu le contenu de son casier judiciaire, ce n'était pas la peine qu'elle se présente au bureau de vote le 7 novembre 2000 : on ne la laisserait pas déposer son bulletin. Le problème, c'est que non seulement le casier judiciaire de Linda Howell était parfaitement vierge, mais que, en outre, cette dame était contrôleur officiel du scrutin pour le comté de Madison! Avec l'aide d'autres fonctionnaires locaux, elle essaya donc de faire mettre un peu d'ordre dans ce chaos, mais leur requête fut obstinément ignorée. On leur répondit que tous les citoyens qui contestaient leur élimination des registres électoraux devaient soumettre leurs empreintes digitales à l'examen des autorités, qui détermineraient alors s'ils avaient ou non des antécédents pénaux. Le jour du scrutin, les Noirs de Floride se présentèrent en masse devant les bureaux de vote, où nombre d'entre eux se virent signifier sèchement qu'ils feraient mieux de rentrer chez eux. Dans certaines circonscriptions des quartiers pauvres, les bureaux de vote étaient bourrés de policiers afin d'empêcher tous les " délinquants " de la liste de Katherine et Jeb de déposer leur bulletin. Des centaines de citoyens parfaitement respectueux de la loi et désireux d'exercer leur droit de vote, surtout dans les quartiers noirs et hispaniques, furent renvoyés sans ménagement dans leurs pénates et même menacés d'arrestation s'ils osaient protester. George W. Bush devait officiellement l'emporter par une marge de 537 voix en Floride. Peut-on faire l'hypothèse que les milliers d'électeurs noirs ou hispaniques éliminés des registres électoraux auraient fait la différence en faveur de Al Gore ? Sans aucun doute. Le soir du 7 novembre, après la clôture des urnes, la question du décompte des voix en Floride donna lieu aux interprétations les plus contradictoires. Finalement, le responsable de la couverture des élections pour la chaîne d'information Fox News décida de trancher dans le vif : il fit diffuser un flash annonçant que Bush l'avait emporté en Floride et qu'il avait donc gagné les élections. C'est donc Fox News qui proclama formellement la victoire de Bush. Mais à Tallahassee, capitale de la Floride, le décompte des voix n'était pas terminé et l'agence Associated Press déclara que toute conclusion définitive était prématurée et que Fox s'était avancé sans aucune preuve. Les autres médias ne l'entendirent pas de cette oreille. Effrayés à l'idée de passer à côté d'un scoop, ils se précipitèrent tous tête baissée dans le sillage de Fox News, alors même que leurs envoyés spéciaux sur le terrain émettaient les mêmes doutes qu'Associated Press. Mais qu'a-t-on besoin de l'avis d'envoyés spéciaux, quand il suffit de suivre les instructions du patron ? Le patron, en l'occurrence, n'étant autre que John Ellis, responsable de la couverture des élections pour Fox News. Et qui est au juste John Ellis ? Rien de moins que le cousin germain de George W. et Jeb Bush. Une fois qu'Ellis a annoncé le prétendu résultat et que tout le monde lui a emboîté le pas, il n'y avait plus moyen de revenir en arrière - et rien ne s'est révélé psychologiquement plus néfaste pour les espoirs de victoire de Gore que l'image qu'il a été alors contraint de donner, celle d'un mauvais joueur qui exige qu'on recompte les voix, renie son propre aveu de défaite et lance ses avocats dans une obscure bataille procédurière. Et pourtant, le fait est que pendant toutes ces péripéties Gore avait plus de voix que Bush, mais les médias ont complètement occulté ce fait indiscutable. S'il y a un moment de cette soirée électorale que je n'oublierai jamais, c'est celui où, quelques heures avant la manoeuvre d'Ellis, alors que les projections des médias attribuaient correc-tement - la victoire en Floride à Gore, les caméras filmèrent une chambre d'hôtel quelque part au Texas. Ses occupants étaient George W. Bush, son père l'ex-président Bush et sa mère Barbara. Bush père arborait une sérénité imperturbable, alors même que la défaite semblait assurée. Un journaliste demanda à Bush fils ce qu'il pensait du résultat. " Je ne... je ne me reconnais pas du tout battu en Floride ", bégaya junior. " Je sais que vous avez des projections, mais le décompte des voix n'est pas terminé... Les médias ont tiré des conclusions tout à fait prématurées, mais les gens qui comptent les voix, ça suggère quelque chose de tout à fait différent, alors... " C'était un des moments les plus étranges de cette folle nuit d'élection. Avec leur sourire parfaitement détendu, les Bush avaient l'air d'une famille de chats qui vient d'engloutir une volée de canaris - comme s'ils savaient quelque chose que nous ne savions pas. C'était bien le cas. Ils savaient que Jeb et Katherine avaient fait leur boulot plusieurs mois auparavant. Ils savaient que le cousin John occupait un terrain stratégique à Fox News. Et si rien de tout ça ne marchait, on pouvait toujours compter sur les potes de Papa à la Cour suprême. Comme nous le savons tous désormais, c'est exactement ce qui s'est passé. Les forces de l'Empire ont contre-attaqué, et elles l'ont fait sans aucune pitié. Alors que Gore se concentrait bêtement sur le recompte des voix dans une poignée de comtés, l'équipe de Bush s'occupait du gros lot : les bulletins des électeurs d'outre-mer. Une bonne partie d'entre eux exprimait les voix des militaires, qui votent majoritairement républicain. Ce sont elles qui devaient donner à Bush l'avantage final que l'invalidation du vote de milliers de Noirs et de grands-mères juives n'avait pas réussi à lui procurer. Gore en était bien conscient et s'efforça d'obtenir la garantie que ces bulletins subissent un contrôle rigoureux avant de pouvoir être validés. Certes, cela contredisait en partie ses déclarations selon lesquelles " chaque voix devait être comptée ", mais restait conforme à la législation de l'État de Floride, qui stipule très clairement que les suffrages des électeurs d'outremer ne peuvent être pris en compte que si ces derniers ont effectué leur vote au plus tard le jour même du scrutin, et si leurs bulletins ont été postés et oblitérés ce même jour. Or, alors même que James Baker proclamait solennellement qu'" il n'est pas juste de changer les règles et les critères régissant le décompte des bulletins après qu'un des candidats s'est rendu compte que c'est la seule façon pour lui d'obtenir les voix qui lui manquent ", c'est exactement ce que lui et ses amis républicains entreprirent de faire. Une enquête du New York Times datée de juillet 2001 démontre que, sur les 2 490 bulletins d'outre-mer qui finirent par être validés, 680 avaient été considérés comme plus que douteux. Bush obtint quatre voix sur cinq dans l'électorat d'outremer. Dans ces circonstances, cela signifie que 544 des suffrages obtenus par le candidat républicain auraient dû être invalidés. Vous saisissez le truc ? Les 537 voix qui ont assuré la victoire de Bush se réduisent en fait dans ce cas à un résultat négatif moins sept voix. Mais comment tous ces bulletins ont-ils fini par être additionnés en faveur de Bush ? À quelques heures du début du scrutin, les responsables de campagne de Bush étaient passés à l'attaque. La première chose à faire était de faire rentrer le maximum de bulletins d'outre-mer. Les activistes républicains bombardèrent de mails les bâtiments de la US Navy en les suppliant de se mettre aussitôt à la chasse aux bulletins égarés. Ils allèrent même jusqu'à appeler le secrétaire à la Défense de Clinton, William S. Cohen (un républicain), pour lui demander de faire pression en ce sens sur les bases et détachements militaires américains à l'étranger. Cohen refusa de s'exécuter, mais cela ne changea rien au résultat: des milliers de bulletins d'outre-mer débarquèrent en Floride, et parmi eux un certain nombre qui n'avaient été contresignés qu'après le jour du scrutin. Il ne restait plus qu'à s'assurer que la majeure partie de ces suffrages aille à W Et c'est là que commence la véritable escroquerie. Toujours d'après le New York Times, Katherine Harris avait prévu d'envoyer à toutes les commissions de vérification des suffrages des instructions détaillées concernant la procédure à employer pour compter les bulletins d'outre-mer. Conformément à la législation de l'État de Floride, ces instructions précisaient entre autres que lesdits bulletins devaient tous être " contresignés, oblitérés et postés " au plus tard le jour même du scrutin. Quand il commença à être clair que l'avance de son ami George diminuait à vue d'oeil, elle décida de ne plus envoyer ces instructions et de les remplacer par une note stipulant que les bulletins d'outre-mer " n'avaient pas besoin d'être obligatoirement oblitérés à la date du scrutin ou dans les jours le précédant ". Tiens donc... Qu'est-ce qui a bien pu la faire changer d'avis - et contredire la législation en vigueur ? Nous ne le saurons sans doute jamais, vu que toutes les archives informatiques de cette manoeuvre ont été mystérieusement effacées - ce qui contrevient aussi probablement aux lois de l'État de Floride. Ce n'est que plusieurs mois plus tard que Katherine Harris a laissé la presse inspecter le contenu de ses disques durs, non sans les avoir fait " réviser " préalablement par son propre spécialiste en informatique. Et voilà une femme qui ambitionne d'être candidate au Congrès. On se demande parfois si ces gens connaissent une limite à l'indécence. Avec la bénédiction de Harris, les républicains lancèrent une campagne frénétique en faveur de l'adoption de critères de validation des bulletins d'outre-mer aussi peu regardants que possible. Concrètement, cela se traduisit par le fait qu'en Floride le principe d'" égale représentation " fut interprété différemment en fonction des comtés. Ce qui explique sans doute que dans les comtés où Gore l'a emporté, on compte seulement 20 % de bulletins d'outre-mer mal oblitérés, tandis que dans les comtés favorables à Bush, cette proportion s'élève à 60 %. Quand les démocrates protestèrent en exigeant que les bulletins douteux soient invalidés, les républicains lancèrent une campagne de propagande agressive suggérant que leurs adversaires essayaient de porter préjudice aux hommes et aux femmes qui risquaient leur vie sous les drapeaux. Un conseiller municipal républicain de Naples, en Floride, alla même jusqu'à déclarer que " quand nos soldats se font canarder, les balles ou les bombes terroristes qu'on leur balance ne sont pas oblitérées au bureau de poste le plus proche ". Le congressiste républicain Steve Buyer, de l'Indiana, réussit même à obtenir (peut-être illégalement) les numéros de téléphone et les adresses électroniques de toute une série de militaires pour pouvoir recueillir les plaintes de ceux dont le suffrage avait été invalidé afin de susciter la sympathie du public envers " nos combattants et nos combattantes ". Le vainqueur du Golfe en personne, le général Norman Schwarzkopf, se mit de la partie en déclarant sa profonde amertume de voir les démocrates harceler les électeurs en uniforme. Bien entendu, les poules mouillées qui dirigent le parti démocrate se laissèrent facilement intimider et déclarèrent forfait. Le candidat démocrate à la vice-présidence, Joe Lieberman, expliqua à la presse qu'il était ridicule de faire toute une histoire sous prétexte que quelques centaines de bulletins d'outre-mer n'étaient pas dûment oblitérés. Lieberman, comme tant d'autres représentants de cette " nouvelle race " de démocrates, aurait mieux fait de se battre au nom des principes au lieu de se soucier uniquement de son image. À l'occasion de son enquête, le New York Times constata en effet les irrégularités suivantes X Dans le cas de 344 bulletins, on ne possédait aucune preuve que le vote ait été effectué au plus tard le jour du scrutin. X 183 bulletins d'" outre-mer " avaient été affranchis et oblitérés sur le territoire des États-Unis. X Dans le cas de 96 bulletins, on n'avait aucun témoignage fiable de leur provenance et de leur validité. X 169 bulletins appartenaient à des électeurs inconnus des registres électoraux, avaient voyagé dans des enveloppes mal contresignées ou venaient d'individus qui n'avaient pas demandé à obtenir un bulletin de vote. X 5 bulletins étaient arrivés en Floride après la date limite du 17 novembre 2000. X 19 électeurs d'outre-mer avaient voté deux fois chacun, et leurs bulletins avaient été validés à chaque fois. Tous ces suffrages contrevenaient donc à la législation de l'État de Floride, et pourtant ils furent validés. Faut-il que je le crie encore plus fort ? Bush n a pas gagné les élections! C est Gore qui l a emporté !Et cela n'a rien à voir avec des problèmes de poinçonnage des bulletins, ni avec la violation sans vergogne du droit de vote des électeurs afro-américains. Il s'agit purement et simplement d'une magouille parfaitement illégale, dont on peut sans peine consulter les preuves flagrantes sur place, à Tallahassee, et qui était explicitement destinée à favoriser l'élection de Bush. Le matin du samedi 9 décembre 2000, la Cour suprême des États-Unis fut informée que le nouveau décompte des voix en Floride, malgré toutes les manigances des partisans de Bush, semblait de plus en plus favorable à Gore. Vers deux heures de l'après-midi, un pointage officieux ne donnait plus à Bush " qu'un avantage de 66 voix, et Gore continu[ait] à progresser ", comme l'annonça un journaliste tout excité. Il était essentiel pour Bush que les mots " Al Gore en tête du scrutin " ne soient jamais prononcés sur une chaîne de télévision américaine. Il n'y avait plus de temps à perdre, et on ne perdit pas de temps. À 14 h 45, la Cour suprême fit suspendre le décompte des suffrages. On comptait entre autres parmi les magistrats siégeant au sein de cette auguste institution Sandra Day O'Connor, nommée par Ronald Reagan, et William Rehnquist, nommé par Richard Nixon, tous deux âgés de plus de soixante-dix ans, et tous deux fort désireux de prendre leur retraite sous une administration républicaine, afin d'être certains d'être remplacés par des juges non moins conservateurs qu'eux. Le soir de l'élection, on put entendre Sandra O'Connor se plaindre lors d'une réception à Georgetown qu'elle ne pouvait pas se permettre d'attendre quatre ou huit ans de plus. Bush junior était son seul espoir de partir en retraite en Arizona en toute sérénité. Par ailleurs, deux autres juges aux vues ultra-conservatrices avaient des accointances pour le moins discutables avec le candidat républicain. Ainsi, non seulement l'épouse du juge Clarence Thomas, Virginia Lamp Thomas, travaillait à la Heritage Foundation, une institution conservatrice de premier plan, mais elle venait d'être embauchée par George W. Bush pour l'aider à recruter les membres de sa future administration. Quant à Eugene Scalia, le fils du juge Antonin Scalia, il était avocat dans le cabinet Gibson, Dunn & Scrutcher, qui représentait les intérêts de Bush... auprès de la Cour suprême ! Mais ni Thomas ni Scalia n'estimèrent qu'il y avait là un quelconque conflit d'intérêts et tous deux refusèrent de s'abstenir d'intervenir en la matière. De fait, quand la Cour suprême émit son verdict, c'est Scalia en personne qui expliqua sans sourciller pourquoi le décompte des voix devait être interrompu: " J'estime que le décompte de suffrages dont la validité est juridiquement discutable entraîne un dommage irréparable pour le plaignant [Bush] et pour le pays en projetant une ombre sur ce qu'il déclare être la légitimité de son élection. " En d'autres termes, si on recompte toutes les voix et qu'elles finissent par donner la victoire à Gore, cela risque de handicaper Bush une fois qu'il sera investi dans ses fonctions de " président ". Tu l'as dit, bouffi : si jamais le nouveau décompte des voix prouvait que c'était Gore qui l'avait emporté, il est probable que la présidence aurait reposé sur un matelas de légitimité passablement déplumé. Pour émettre leur verdict et justifier la fraude, les magistrats de la Cour suprême s'appuyèrent sur la même clause du 14e amendement dite " d'égale protection ", qu'ils avaient systématiquement refusé de faire valoir quand des plaignants noirs s'en réclamaient pour mettre en cause des cas de discrimination raciale. D'après eux, étant donné que les méthodes de comptage variaient en fonction des circonscriptions, cela signifiait que tous les électeurs n'étaient pas traités de la même manière et que leurs droits étaient ainsi violés (seule une minorité de juges fit remarquer que le matériel obsolète qui équipait de façon disproportionnée les circonscriptions électorales des quartiers pauvres habités par les minorités ethniques en Floride représentait un cas d'inégalité de traitement beaucoup plus grave). La presse ne fit qu'ajouter à la confusion générale en procédant à son propre décompte des voix. C'est ainsi qu'on vit le Miami Herald titrer comme suit : " La vérification manuelle des bulletins n'aurait pas modifié l'avantage de Bush. " Sauf que si on lisait l'article en question de plus près, on tombait sur le paragraphe suivant: " L'avantage de Bush se serait dissipé si on avait recompté les voix en suivant les critères extrêmement restrictifs que certains républicains défendaient [...]. L'enquête montre que le résultat aurait été différent si toutes les commissions de contrôle de tous les comtés avaient vérifié le contenu de toutes les urnes [...] [En vertu] des critères les plus inclusifs [à savoir des critères qui auraient cherché à refléter la volonté authentique de TOUS les électeurs], Gore aurait gagné avec un avantage de 399 voix [...]. Si on avait éliminé les bulletins qui [suggéraient] soit une erreur de la part de l'électeur, soit un dysfonctionnement de la machine à voter [...] Gore l'aurait emporté par 299 voix. " J'ai voté pour Ralph Nader et pas pour Al Gore, mais je suppose que tout individu doté d'un sens minimal de l'équité en aurait conclu que la volonté des électeurs de la Floride s'était clairement exprimée en faveur du candidat démocrate. Que ce soit en raison du blocage du décompte des voix ou de l'exclusion de milliers d'électeurs noirs, il est clair que le résultat du scrutin a été perverti de façon frauduleuse. (Mike contre-attaque, Mike Moore, La Découverte, 2002)
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