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L'ÉTAT ET LA CONTRE-RÉVOLUTION

calvaire01, Wednesday, November 13, 2002 - 19:11

Paul Tariat et Luc deClass

Avant tout chose, il est primordial de comprendre que l'état est toujours le produit naturellement social de la lutte de classes et la raison en est très simple : tout procès d'exploitation a nécessairement besoin d'être régulé autoritairement par des institutions juridiques et idéologiques afin d'articuler les contradictions avec le moins de frictions possibles et d'absorber les conflits qui ne manqueront pas de surgir.

Bonjour à tous et toutes,

voici le deuxième texte de la revue "Tremblement de
Tête" : L'État et la contre-révolution. Ce texte peut
également servir de contribution pour un débat sur
l'activisme (à chacun et chacune d'en juger). Pour ce
qui est de la revue, elle paraîtra en décembre pour
ceux et celles que ça intéresse.

F. Reich

L'ÉTAT ET LA CONTRE-RÉVOLUTION

Par Paul Tariat et Luc deClass

Historiquement, le capitalisme est le seul mode de production qui ait abstrait les relations sociales singulières dans un concept unificateur et totalisant, celui de travail, dont la base matérielle est la production de valeurs. Toutefois, pour incarner réellement cette subsomption du Capital(1), il était plus que nécessaire de disposer de structures(2) rendant effectifs ce mode de production. Le procès d'exploitation capitaliste avait et a toujours besoin d'une organisation du travail permettant l'extraction de la plus-value, mais pour se réguler comme mode production contradictoire, il a dû et doit encore disposer de moyens institutionnels qui le fondent politiquement et le légitiment moralement contre toutes les éventualités qui font obstacles à son développement.

Avant tout chose, il est primordial de comprendre que l'état est toujours le produit naturellement social de la lutte de classes(3) et la raison en est très simple : tout procès d'exploitation a nécessairement besoin d'être régulé autoritairement par des institutions juridiques et idéologiques afin d'articuler les contradictions avec le moins de frictions possibles et d'absorber les conflits qui ne manqueront pas de surgir. En ce qui nous concerne, dans le mode de production capitaliste, l'état est principalement un ensemble hiérarchisé d'appareils d'état et d'appareils civils(4) qui planifient, organisent et administrent la conquête de territoires par le pillage des ressources naturelles et humaines (Impérialisme) et la construction d'infrastructure permettant le développement d'un capitalisme national (Industrialisation). Ces institutions sont d'un côté,la surveillance policière et la répression des mouvements prolétariens de contestation et de l'autre, la représentation politique de la "société civile" par la constitution de lois, droits et devoirs au nom des Citoyens et Citoyennes; bref, la Guerre et le Contrôle sur tous les fronts.

Il y a cependant une contradiction majeure entre le Capital et l'état impossible à dépasser : le trou noir bureaucratique où s'engouffre une partie non-négligeable de la plus-value et qui contribue à la baisse tendancielle du taux de profits. De prime abord, la bureaucratie étatique n'est pas une force productive de valeurs mais une force régulatrice du mode de production capitaliste et comme force sociale de régulation, elle a toujours besoin de sommes immenses de financement qui disparaissent dans le néant de la sécurité et de la corruption. Polices et armées sont indispensables au maintient de l'exploitation, mais en revanche, elles sont d'incontournables grains de sables dans la fluidité de la valorisation du Capital. C'est pourquoi la classe capitaliste ne voit jamais d'un bon œil l'expansion des bureaucraties sur les secteurs importants de la production (énergie, matière première, industrie, transport...); tout autant qu'elle se méfie de la corruption mafieuse et militaire qui gangrène la circulation mondiale des capitaux. Ce qui revient à dire que l'état sera appelé à prendre en charge (Nationalisation) ou à abandonne (Privatisation) des pans entiers de l'infrastructure productive qu'en raison directe de la santé ou non de l'économie qu'il régule.

En sommes, l'état ne peut disparaître sans que disparaissent à son tour la lutte de classes, mais inversement le Capital ne peut disparaître sans que disparaisse du même coup l'ensemble des dispositifs institutionnels de l'état. Voilà pourquoi le discours économiste qui fait la promotion d'une révolution par la conquête de l'état est voué à échouer dans la "Dictature sur le prolétariat" (Marxisme-léninisme), de la même façon que le discours opposé qui mets au centre de sa révolution la destruction de l'état à des chances de se terminer dans l'impossible "Autogestion du travail" (Anarchisme). Par conséquent, pour remettre les pendules de la théorie révolutionnaire à l'heure, invitons le monstre bureaucratique à s'allonger sur la table de dissection critique afin d'étudier d'un peu plus près son anatomie répugnante de massacres par centaines et d'assassinat par milliers.

L'ÉTAT DANS LA SOCIÉTÉ CAPITALISTE

Nous savons déjà que l'état est un concept qui s'incarne dans la réalité comme la mise en place de dispositifs institutionnels qui occupent un espace précis dépendant des nécessités du Capital lui-même, de sa circulation des capitaux et de son organisation du travail. Nous allons voir aussi que cette espace est toujours situé entre les deux pôles de la lutte de classes, dans ce que nous définissons comme l'univers social et institutionnel de l'inter-classes et que d'autres définissent comme une superstructure bureaucratique. Mais peu importe la terminologie avancée, la logique régulatrice de l'état reste invariablement la même d'un bout à l'autre de la
hiérarchie sociale qu'il construit.

Pour commencer, le principe d'état implique toujours une division à l'intérieur des rapports sociaux contradictoires de la lutte de classes, entre ce qui est de l'ordre des institutions d'état et de ce qui est de l'ordre de la "société civile". C'est cette division qui donne forme à la représentation politique gouvernementale - que cette représentation soit une Démocratie ou une Dictature n'y change rien - et à ces nombreuses institutions élémentaires pour plus de Justice et de Paix Sociale. Une fois que ces institutions ont mis pied sur terre, le reste n'est plus qu'un surdéveloppement bureaucratique qui va dans tous les sens. Bien sûr, ce surdéveloppement institutionnel ne peut occuper que les espaces qui lui sont permis par le cours historique de la lutte de classes, donc de suivre son évolution.

Venons-en donc à cette espace où l'état est appelé à jouer son rôle de Providence : l'inter-classes. Par inter-classes, nous voulons mettre l'accent sur le fait que l'état en tant qu'institution des institutions n'est pas totalement concentré vers la classe capitaliste, même si son sommet hiérarchique est de toute évidence du côté de la classe dominante. Fixer son regard sur l'œil qui flash des hauts fonctionnaires de l'état, c'est courir le danger d'être aveuglé sur les petits et subtiles espaces qui nous cernent de près et qui constituent le bas de l'échelle par où se recrute les nouveaux candidats invétérés du futur renouvellement de la petite-bourgeoisie nationale. L'idée n'est pas de dire que les paliers de la pyramide étatique se ressemblent d'un bout à l'autre, bien au contraire, mais plutôt de reconnaître la véritable nature gestionnaire de l'état
et de ne pas confondre les différentes fonctions de chacun de ces appareils bureaucratiques. Car il va de soit qu'un Syndicat n'a pas à s'occuper de la circulation des capitaux internationaux et des éventuelles guerres que cette gestion implique; en revanche, le Syndicat à tout intérêt à défendre le Salariat contre toutes tentatives de son abolition puisque son existence en dépend et immanquablement celle du capitalisme aussi.

Egalement, par inter-classes, nous voulons souligner que l'état n'est pas en dehors ni au-dessus de la lutte de classes mais bien au centre de sa régulation et qu'il n'en est pas la source mais plutôt le produit. Car donner trop d'importance à ce système complexe de moyens de Contrôle et de Guerre fait perdre des fois la luttes de classes qui se cache derrière. Et même, nous dirions que c'est par ce genre de conclusions confuses idéologiquement que l'état se
révèle le plus efficace dans son rôle de régulation sociale. En concentrant la contestation sur lui-même, l'état permet soit la récupération pure et simple de la révolte prolétarienne dans le typhon des revendications citoyennes et des réformes sociales (le Démocratisme) ou soit la déviation de cette même révolte prolétarienne de sa possible praxis révolutionnaire vers des objectifs plutôt incohérents d'Autogestion de l'Économie au service de l'Humanité (le Rupturisme). Ici, de toute évidence, la faiblesse des Rupturistes dû à une impossibilité de leurs objectifs autogestionnaires nourrit la force des Démocrates petits-bourgeois qui ne seront que plus
heureux de récupérer le mouvement de contestation - qui ne peut que chercher une issue réaliste à sa révolte - comme tremplin à leur carrière de bureaucrates. Dans tous les cas, l'état aura jouer son rôle contre-révolutionnaire : tuer la révolution dans l'œuf de la lutte de classes.

Bref, l'inter-classes se comprend comme une multitude d'espaces bien réels où l'état fait croître ses tentacules dans le but avoué de saisir les "dysfonctionnements" de toutes sortes pouvant créer des obstacles majeurs au bon déroulement du procès d'exploitation. Cependant, l'état n'est en aucun cas le maître du jeu, il en est plutôt le gardien en chef; à dire vrai, ce sont les bureaucrates qui occupent les espaces qui leurs sont dévolus par la classe capitaliste qui se retrouve à jouer les valets de service et à défendre les intérêts du Capital en voulant défendre leurs propres intérêts.

PSYCHOGÉOGRAPHIE DE L'INTER-CLASSES

L'étendu spatiale de l'inter-classes est toujours difficile à d'écrire étant donné la complexité de ces manifestations quotidiennes. Une chose reste certaine, les manifestations formelles de l'inter-classes en tant qu'institutions gouvernementales sont les sphères que personne n'a de difficulté à identifier : par exemple, n'importe qui reconnaît dans les forces militaires ou policières la main invisible de l'état, de la même façon que les Sinistères de toutes sortes du gouvernement sont aussi des expressions reconnaissables de l'état, mais il en va autrement du Socialisme, du Syndicalisme ou du Militantisme.

Quoi qu'aujourd'hui, à cause de l'échec manifeste du programme socialiste ouvriériste (le
programmatisme(5)), il est devenu évident pour plusieurs que les Partis sociaux-démocrates - aussi radicaux se disent-il en se référant aux textes sacrés du Marxisme-léninisme - n'ont rien de révolutionnaire sinon le nom, parfois! Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer leurs influences sur le terrain de la lutte de classes. Malgré l'impopularité de leurs chapelles respectives, il n'en demeure pas moins qu'ils représentent les sources archaïques de l'actuel Démocratisme(6) et que le moment révolutionnaire venu, ils ne manqueront pas de sortir leurs vestes révolutionnaires et le discours qui va avec afin de récupérer ce qui est récupérable pour reproduire les erreurs du passé et faire couler une révolution de plus en ayant eux et elles-mêmes saboter le bateau.
Finalement, les formes changent selon les cycles de luttes, mais la fonction reste essentiellement la même; du Socialisme au Démocratisme, il n'y a qu'une question d'époque, celle entre la monté en puissance du programmatisme dans un capitalisme en phase de domination réelle et sa faillite dans un capitalisme en phase d'une domination réellement caduque.

Un constat semblable pourrait être émis en ce qui concerne le Syndicalisme, c'est-à-dire que sa
déconfiture actuelle et ses nombreuses décennies à défendre des intérêts corporatistes au nom de la classe ouvrière suffiraient à démontrer le caractère contre-révolutionnaire des Syndicats. Mais il n'est pas aussi simple de dévoiler les limites du Syndicalisme sans tomber dans une dénonciation ridicule de la seule bureaucratie syndicale. Le caractère contre-révolutionnaire du Syndicalisme tient essentiellement dans sa fonction régulatrice à l'intérieur du Salariat et non seulement dans sa fonction transitoire et secondaire d'être une porte d'entrée vers des paliers supérieurs qui composent les multiples étages de la hiérarchique tour à bureau de l'inter-classes. En effet, le rôle du Syndicalisme est l'affirmation du Prolétariat à l'intérieur de l'usine du Capital dans le seul but d'obtenir un pouvoir sur sa valeur salariale et laquelle, de toute évidence pratique, est sujette à dividende pour le Syndicat qui cherche à renflouer ses caisses. Au plus fort de la lutte de classes - lorsque le Prolétariat entre en "guerre" ouverte contre le Capital -, le Syndicalisme à pour autre fonction de promouvoir la réconciliation des classes au travers une réorganisation du travail face aux attitudes incontrôlables des prolétaires qui refusent de poursuivre une activité productive qui les aliènent de leur vie. Donc, il s'avère complètement
inutile de fustiger les bureaucrates syndicaux si l'essentielle du Syndicalisme n'est pas à son tour mis sur le banc de la critique révolutionnaire. Il n'y a rien à espérer du Syndicalisme même généralisé à toutes les catégories qui découle du travail salarié : précarité, chômage, assistance sociale... sinon sa disparition avec le monde qui l'a produit.

Pour ce qui est du Militantisme, nous ne pouvons que soulever les principales caractéristiques qui le définissent comme le plus subtil résidu de l'inter-classes. La force insoupçonnable du
Militantisme est d'apparaître d'une façon très informelle, donc insaisissable comme dispositif
institutionnel. En fait, le Militantisme se présente plus souvent qu'autrement en marge des institutions officielles de l'état : par exemple, dans les Syndicats dits de base ou les Syndicats dits anarchistes, dans les groupes populaires dits de "défense de droits" ou encore dans les groupes activistes dits révolutionnaires(7). Il est remarquable aussi de constater le nombre quasi infini de causes ou de droits à défendre ou du moins, de problématiques sur lesquelles prend racine le Militantisme : la race, le sexe, l'âge, l'orientation sexuelle, la religion, le mode de vie, les traditions culturelles et bien d'autres qui ont pour résultat de fragmenter le mouvement de contestation en luttes parcellaires afin de le rendre récupérable dans le filet du corporatisme d'état. À défaut d'être une institution formelle comme le Syndicalisme, le Militantisme développe un réseau éclaté de dispositifs qui formalisent au travers une représentation officielle les identités particulières qui font la richesse chaotique du quotidien. En d'autres mots, il n'est pas le mouvement qui abolit les conditions existantes, mais qui résout des problèmes. Pour l'état, c'est l'occasion rêvée de pénétrer dans les bas-fonds du Prolétariat pour y prévenir, par un encadrement institutionnel dit "communautaire", toutes explosions spontanées et imprévisibles de la révolte prolétarienne. Voilà la raison pour laquelle les militants et militantes professionnel-le-s de l'animation sociale finissent par être traiter comme de vulgaires flics sociaux.

Un autre aspect du Militantisme reste sûrement l'espèce d'avant-gardisme qui cherche à programmer la révolution de peur dans perdre le Contrôle. Il est impressionnant quand même de constater comment certains groupes anarchistes, alimenté par un succès spectaculaire de leurs idées(8), entretiennent les pratiques de leurs ennemis jurés : les marxistes-léninistes. À croire que le vide laissé par la faillite du programme socialiste ouvriériste (programmatisme) n'a finalement conduit qu'à une version plus libertaire du Bolchevisme, une sorte d'Anarchisme d'état. Pourtant, le coup a déjà été fait, la "conscience" ne vient pas de l'extérieure
mais de la pratique même des prolétaires dans leurs propres luttes. Mais il reste qu'avec ces groupes avant-gardistes qui se cachent de l'être, la théorie vient toujours d'ailleurs et la "conscience" est encore quelque chose qui ne peut émerger que de ceux et celles qui ont étudié la question et qui savent comment faire-valoir le potentiel révolutionnaire d'une lutte parcellaire que les prolétaires ne savent mener jusqu'au bout. Pour paraphraser Lénine : "La conscience du Prolétariat ne pouvant dépasser le Syndicalisme", c'est pourquoi il faut une minorité agissante pour les conduire là où les aura mené l'Organisation la plus convaincante. Combien de fois
faudra-t-il que ces bureaucrates libertaires se fassent dire en pleine face que la lutte de classes
n'est pas la révolution et qu'à trop vouloir agir pour les autres, ils ou elles ne pourront qu'arriver au dérisoire résultat de faire creuser la fausse commune de la passivité citoyenne par ceux et celles qui croyaient y échapper ? Pourtant, rien n'empêchera nos prophètes de la révolution en dix leçons de faire la promotion de leurs vérités de salon et de chercher à convaincre et rassembler les prolétaires qui se font chier avec la misère sociale autour de leurs petites
chapelles. Ni Dieu! Ni Maître! Qui disait!

Egalement visible en milieu militant, et qui découle directement de la pratique avant-gardiste, c'est la pratique de l'intervention. Cette pratique cherche à "radicaliser" les luttes, soit par la propagande et l'agitation, soit par toutes autres formes d'éducation pour que les autres reconnaissent la bonne "conscience". En fait, il s'agit plus souvent qu'autrement de dénoncer ce qui n'est pas assez "radical". À écouter ces militants et militantes du "radicalisme", chaque lutte contiendrait sa perspective révolutionnaire qu'il faudrait tout simplement faire émerger et fleurir avec des engrais "radicaux". Mais le problème c'est qu'il n'existe aucune "conscience" ni théorie pure pouvant être inoculée dans les luttes du Prolétariat, car la lutte en tant que pratique - transformation de la lutte par l'activité de lutter elle-même - est elle-même productrice de théorie, en ce sens qu'elle est compréhension de la pratique immédiate dans un
contexte historique précis et non, éclairage et explication de la lutte à partir d'une théorie qui
viendrait à la rencontre de sa pratique. De la même façon qu'il n'y a pas de théories extérieures à la lutte pouvant servir de programme pour toutes les luttes, il n'y a pas plus de théories qui puissent émerger de l'intérieur d'une lutte exemplaire et devenir ainsi le paradigme des autres luttes; dans un cas comme dans l'autre, nous avons à faire à de l'idéalisme. C'est une fois extrait la théorie de la lutte pour en faire un moment séparé de la pratique que se développe l'approche "interventionniste" qui cherche dans les luttes le fil conducteur vers la révolution (la théorie) et ainsi fait croire qu'une accumulation de luttes prolétariennes peut mener au communisme (la pratique). Ainsi, on ne regarde plus les luttes comme elles se présentent réellement sur le
terrain du Capital mais de la façon que nos lunettes idéologiques cherchent à les percevoir selon ses critères de "radicalité". En dernière analyse, les tentatives de "radicalisation" sont trop souvent la mise en forme de la contre-révolution puisqu'elle ne pose jamais les luttes pour ce qu'elles sont : dynamique de par la contradiction de classes qu'elles alimentent et limite de par la reproduction de classes qu'elles contiennent.

Le dernier aspect en liste du Militantisme n'est rien de moins que le Parti de l'Alternative. Ce Parti est imaginaire - dans le sens qu'il ne peut jamais s'incarner réellement sinon comme tendance à l'intérieur du Démocratisme - c'est pourquoi l'ensemble de ces activités qui milite en sa faveur se termine toujours en échec et en déception ou pire, en matière brute pour d'éventuelles réformes. De la même façon que se construit l'idéologie du Démocratisme, la
tendance Rupturiste qui cherche à fonder l'Alternative dans sa pratique quotidienne définit toujours le capitalisme comme une Domination venue aliéner les humains de leurs activités authentiques et croient sincèrement que le Capital est une grande force sociale de production et de reproduction que l'on peut mettre au service de l'Économie ou de l'Humanité. Mais dans les faits, le Rupturisme, en avançant constamment l'idée d'une "Autogestion de l'Économie" par une pratique de la Démocratie Directe, ne réalise pas que l'impossibilité de son idéal ne conduit qu'à
une pratique autogestionnaire de la misère sociale.

En sommes, le Militantisme n'est que le stade suprême du réformisme. Qu'il se présente sous l'angle d'un aménagement de pacotilles du décor Démocratique ou sous l'angle d'un "vivre autrement" dans le même vieux décor, le Militantisme ne réussi qu'à se faire l'avant-garde d'un capitalisme à visage humain. À trop vouloir changer le monde sans changer la vie ou inversement, à trop vouloir changer la vie sans changer le monde, on n'arrive qu'à une défiguration du Communisme où les richesses produites dans les Usines du Capital seront équitablement redistribuées aux prolétaires : "de chacun selon ses moyens" de produire
des marchandises, "à chacun selon ses besoins" de les consommer.

RÉVOLUTION ET
CONTRE-RÉVOLUTION
DANS LA LUTTE DE CLASSES

Il va sans dire que la fonction principale de l'état est de sauver le procès d'exploitation capitaliste en s'abordant les conditions historiques de son dépassement révolutionnaire : le Communisme. Nous savons aussi que le terrain où l'état mène sa logique de Guerre et de Contrôle est la lutte de classes, pas ailleurs; il n'y pas d'en dehors du capitalisme, tout au plus des zones d'opacité que l'état ne réussi pas à saisir mais qui n'échappent pas pour autant au
déterminations historiques du mode de production capitaliste. C'est donc sur ce terrain que se construit les premiers matériaux sur lesquels l'état va s'appuyer pour mener son offensive
contre-révolutionnaire.

Ces matériaux contre-révolutionnaires se reconnaissent souvent par leur volonté à défendre le Salariat en remettant sur pied l'économie et en faisant suivre une obligation de travailler quelques temps après. Ça s'est vu en Russie avec les Bolcheviks qui fusillaient ceux et celles qui refusaient de retourner au travail et mettaient en pratique le plus élémentaire de leurs
droits : la grève; et en Espagne avec les CNTistes qui cherchaient par tous les moyens à contrer
l'absentéisme et l'indiscipline des ouvriers et des ouvrières allant jusqu'à réintroduire des règlements sur les horaires et la cadence(9). L'histoire regorge d'exemples où Social-démocratie et Syndicalisme se font l'avant-garde de l'état et de la contre-révolution, mais il ne faudrait pas imputer l'échec des mouvements révolutionnaires passés à eux seuls car il en va aussi des prolétaires qui s'arrêtent en chemin et retournent à leurs petites affaires laissant la demi-révolution creuser la tombe des prolétaires qui n'ont pas abandonné la lutte. Cependant, il ne s'agit pas que les prophètes de l'Économie prêchent le retour au travail pour que les
ouvriers et les ouvrières accourent aux portes de l'Usine. Encore faut-il que les gourous de la gestion sociale saisissent l'opportunité de convaincre les prolétaires de la perdition vers où ils et elles se dirigent inconsciemment. Comment ? Misant sur la Faute Originelle d'une révolte inorganisée, le Salut démocratique est le chemin de croix qui devrait promettre une plus grande efficacité dans leurs actions et dans leur prise de décisions. Ce culte de l'Organisation et de la Démocratie qui sort de la bouche de n'importe quels moines du Militantisme se résume pour nous à l'idéologie Conseilliste et Assembléiste.

Par Conseillisme, nous entendons bien sûr l'idée que chacun et chacune doivent s'organiser sur son lieu de travail (que ce lieu soit prolongé au secteur de l'Éducation et de la Culture n'y change absolument rien) et doivent y prendre le Contrôle de sa gestion. Loin de nous l'idée de blâmer les gens qui s'organisent entre eux et elles sur les lieux qui les rassemblent de faits, mais qu'ils et elles s'y restreignent et n'y organisent qu'une Autogestion technique de ces lieux, voilà pour nous les limites du Conseillisme. Donc, se limiter à prendre en main l'organisation des lieux tels qu'ils sont sans la moindre volonté dans détruire les fondements qui leur ont donné naissance, c'est se condamner à un "pragmatisme" de techniciens et techniciennes de la réorganisation du travail et laisser les opportunistes démocrates faire valoir leurs plans démentiels d'un retour à l'ordre de la marchandise et à la moutonnerie
de sa production.

Mais encore, pour qu'il y ait Organisation sur les lieux de travail, il est nécessaire qu'il ait son mode d'effectuation : les Assemblées de travailleurs et de travailleuses. L'Assembléisme est la technique par excellence de rendre saisissable les activités spontanées et désordonnées du Prolétariat en cherchant à les restreindre à un formalisme abstrait et inopérant vis-à-vis la praxis réelle des prolétaires en lutte. À toujours vouloir trouver le moyen le plus démocratique pour prendre des décisions et représenter la volonté de tout-le-monde, on condamne plus souvent
qu'autrement les minorités révolutionnaires à l'inaction et on offre aux minorités réformistes de
tout acabit le moment privilégier où ils exerceront leurs mauvaises influences de gestionnaires. Par conséquent, plus se multiplient les espaces et le temps pour formaliser les prises de décisions, plus se complexifient les lieux de pouvoir du Démocratisme. Finalement, à trop espérer de la Démocratie Directe, on finit par aboutir directement à la seule Démocratie
possible : l'état et la contre-révolution.

IL nous faut aller plus loin, car les fondements du Démocratisme ne s'expliquent pas seulement par sa pratique mais aussi par sa théorie. L'erreur commise par nos partisans et partisanes du Démocratisme est d'oublier que la fonction primitive de la Démocratie est de recréer spectaculairement dans l'atomisation généralisée du Prolétariat la communauté que le
Capital a détruit par son développement et pour son développement. Puisque le prolétaire n'est toujours qu'un atome abstrait parmi sa panoplie de droits faisant face à un Capital se posant comme société et comme état, il n'y a donc aucune communauté réelle pour le prolétaire sinon celle de son isolement atomique et de sa séparation citoyenne. Voilà pourquoi, en dernière analyse, le Prolétariat ne peut jamais se poser comme communauté en devenir mais seulement comme classe sociale. Voilà également pourquoi le Prolétariat ne peut rien construire d'autre à partir d'une prise en charge autonome de ses conditions d'existence qu'une affirmation de sa limite comme classe et la nécessité de dépasser cette limite, base de la communisation. Le Démocratisme s'annonce donc comme la limite où le mouvement révolutionnaire cherche à construire le nouveau monde sur les bases de l'ancien monde.

Les limites du Démocratisme ne sont en fait que les premiers matériaux de la contre-révolution que fournit le cycle de lutte qui commence à peine. Les formes historiques antérieures de ces limites se retrouvent encore aujourd'hui mais en tant qu'ils ont été dépassés et donc intégrés aux nouvelles formes. Le syndicalisme à été dépassé par le Conseillisme et s'est intégré comme matériaux contre-révolutionnaires dans la Première Guerre Mondiale(10). Dans le nouveau
cycle de lutte, il en va de même du dépassement du Conseillisme qui se voit maintenant intégré comme matériaux du Démocratisme.

AU COEUR DE LA CONCEPTION
MATÉRIALISTE DE LA RÉVOLUTION

Aujourd'hui pour saisir et comprendre en quoi les limites de la lutte du Prolétariat ont leurs sources dans la lutte de classes elle-même, il nous faut impérativement définir comment le procès d'exploitation capitaliste détermine les conditions historiques de son dépassement révolutionnaire : le COMMUNISME. Premièrement, il faut se rappeler que le procès d'exploitation capitaliste dont la dynamique est la lutte de classe est par essence un rapport
social contradictoire. C'est pourquoi, en tant qu'il est déterminé négativement comme l'un des deux pôles de ce rapport social contradictoire, le Prolétariat ne peut pas défendre ses intérêts et construire sur cette lutte défensive le fondement de la révolution sans reproduire ce qu'il cherche à abolir : la lutte de classes. Par conséquent, il ne peut y avoir de transcroissance des luttes du Prolétariat face et contre le Capital vers une révolution qui abolit les classes.

Deuxièmement, le procès d'exploitation capitaliste n'est pas extérieur aux rapports sociaux humains pour la très simple raison que se sont les rapports sociaux eux-mêmes qui fondent l'exploitation en question, et la racine des rapports sociaux étant les rapports sociaux eux-mêmes, il n'y a donc aucune transformation radicale possible en-deça de la transformation du vécu par la transformation du monde. Ce qui signifie que le Prolétariat pour parvenir à l'offensive révolutionnaire se doit de dépasser sa nature de classe en transformant radicalement l'ensemble de ses relations sociales immédiates. Il n'est plus question d'économie, ni même de richesses produites ou de force sociale de production, mais de ce qui composent la trame quotidienne du vécu de tous et chacun et de toutes et chacune. Puisque le monde telle qu'il se
présente réellement détermine nos conditions d'exister et de penser, il nous faut donc créer les situations matérielles qui vont rendre impossible tout retour en arrière.

Voilà à quoi se résume la révolution : un dépassement de la lutte de classes par une destruction du mode de production capitaliste qui tient ses fondements dans la transformation des rapports sociaux - de notre existence et du monde - en relations sociales sans médiation aucune...

NI FAMILLE, NI TRAVAIL, NI PATRIE.

notes :

(1) Si la naissance du Capital cohabite avec la naissance du travail abstrait, la raison en est tout
simplement que le Capital pour exister comme accumulation de valeurs a nécessairement besoin du travail comme production de valeurs. Avec le travail salarié, ce sont toutes les activités humaines qui extraient, transforment ou fabriquent qui sont réduites et réaffirmées à partir de leur seul équivalent, celui de produire de la valeur. L'action de réduire et de réaffirmer à partir d'une catégorie générale - par exemple, la bête que l'on subsume par son espèce (le chat est un félin) - se dit "subsumer", c'est pourquoi nous parlons de "subsomption du Capital" pour expliquer comment les relations sociales se transforment en rapport d'exploitation avec le
Salariat.

(2)Ces structures sont de deux niveaux : premièrement, elles sont du niveau de l'infrastructure lorsqu'elles concernent les bases matérielles du procès d'exploitation, le mode de production, et elles sont du niveau de la superstructure lorsqu'elles concernent les formes institutionnelles du même procès d'exploitation, le mode de régulation. Ce dernier trouve à s'incarner en une hiérarchie complexe de dispositifs institutionnels que nous résumons dans le concept d'état ou d'inter-classes.

(3) L'Histoire ayant été jusqu'à ce jour l'histoire de la lutte de classes, chaque mode historique de production contient donc les institutions particulières qui lui correspondent. Bien entendu, si
l'état se ressemble toujours un peu d'une époque à l'autre, c'est parce que la lutte de classes se
ressemble toujours un peu d'un mode de production à l'autre.

(4) Par appareils d'état et appareils civils, nous ne voulons que souligner la différence entre, par
exemple, un Sinistère du gouvernement et un Organisme Non - pas tout à fait -Gouvernementaux (ONG) ou encore, entre un nid de flics et un nid de
syndicalistes. Autrement dit, la différence est celle entre l'état qui met sur pied des institutions qui le représentent et une "société civile" qui met sur pied des institutions qui la représentent.

(5) Voir note 2 dans le texte précédent de cette revue (Contribution à la destruction de l'économie politique) ou visiter le site de Théorie Communiste à cette adresse : www.geocities.com/paris/opera/3542.

(6) En fait, l'ensemble de l'idéologie Marxiste-léniniste qui fut la limite sur laquelle se construisit la contre-révolution bureaucratique du dernier cycle de lutte se proposait comme programme de transition vers le communisme d'affirmer le Prolétariat comme classe universelle du travail, ce
que nous appelons "programmatisme". Maintenant que le Capital a développé jusqu'à sa caducité les forces productives de valeurs, le programmatisme a vu son effondrement historique surgir et a du se métamorphoser en simple gestion plus ou moins démocratique de l'économie : le "Démocratisme". Sur ce sujet, nous conseillons de lire l'ouvrage de Roland Simon : "Le Démocratisme radical" au Édition Senonevero, ARHIS 184, rue Saint-Maur, 75010, Paris ou
seno...@yahoo.fr.

(7) Nous pensons ici à tous les groupes qui depuis Seattle se font un devoir d'être au rendez-vous pour contester toutes les rencontres de l'Internationale des capitalistes. Plus particulièrement, nous nous référons aux groupes d'action directe tel que la CLAC(Convergence des Luttes Anti-Capitalistes) de Montréal et à la défunte CASA (Comité d'Accueil du Sommet des Amériques) de Québec lors du Sommet des Amériques dans la très belle (sic) ville de Québec en avril 2001. Ces groupes sont les meilleurs exemples que nous ayons pour signifier la misère en milieu militant. Nous aurons probablement l'occasion de revenir sur ces groupes et l'expérience du Sommet des Amériques dans
un numéro à venir.

(8) Depuis quelques années, l'Anarchisme fait bonne figure en milieu militant. Ce succès est probablement dû à l'effondrement du programme socialiste ouvriériste (programmatisme) et à l'échec enfin avoué du marxisme-léninisme. Mais contrairement à l'enthousiasme exagéré des anarchistes, nous observons que ce succès est plutôt une mode idéologique qui remplie le vide laissé par la fin d'un cycle de luttes et qui représentent bien le caractère libertaire qu'emprunte le nouveau réformisme dans le cycle actuel, ce que nous définissons comme le Démocratisme.
Les meilleurs exemples que nous avons en tête sont Noam Chomsky et son Anarchisme d'état et Murray Bookchin et son Municipalisme Libertaire.

(9) Lire à ce sujet la deuxième lettre de Trop loin,
AREDHIS, B.P. 20306, 60203 Compiègne Cedex, France ou
http: troploin0.free.fr.

(10) Voir note 13 du texte précédent de cette revue.



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