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Qu'avons-nous appris, ces trentes dernières années, de la guerre froide

Carl Desjardins, Monday, October 7, 2002 - 21:43

Greenpeace France

La conception, la production et l'utilisation - ou la menace de l'utilisation - d'armes nucléaires est un cercle vicieux car les armes de destruction massive n'apportent ni la sécurité, ni la stabilité. Ce n'est pas la perspective d'une destruction mutuelle assurée qui a mis fin à la guerre froide. La course aux armements nucléaires s'est seulement arrêtée quand les dirigeants ont perçu moins d'hostilité et donc moins de menace, du fait d'une prise de conscience planétaire des limites morales et politiques de l'usage des armes nucléaires comme instrument de la diplomatie.

- Par Greenpeace France

La conception, la production et l'utilisation - ou la menace de l'utilisation - d'armes nucléaires est un cercle vicieux car les armes de destruction massive n'apportent ni la sécurité, ni la stabilité. Ce n'est pas la perspective d'une destruction mutuelle assurée qui a mis fin à la guerre froide. La course aux armements nucléaires s'est seulement arrêtée quand les dirigeants ont perçu moins d'hostilité et donc moins de menace, du fait d'une prise de conscience planétaire des limites morales et politiques de l'usage des armes nucléaires comme instrument de la diplomatie.

Au moment où la communauté internationale envisage une guerre dont l'objectif serait, paraît-il, d'éliminer des armes de destruction massive, il est particulièrement important que nous gardions cette leçon à l'esprit.

La guerre contre l'Irak apporterait surtout d'énormes bénéfices financiers aux compagnies pétrolières occidentales. Nous sommes convaincus que la stratégie américaine n'est pas motivée par la seule volonté de supprimer le terrorisme et d'éliminer les armes de destruction massive. Les Etats Unis souhaitent aussi s'assurer le contrôle des réserves de combustible fossile.

Nous nous limiterons ici à réfuter l'argument américain selon lequel une guerre contre l'Irak permettrait d'éviter la dissémination d'armes de destruction massive, et en particulier d'armes nucléaires.

Depuis le jour même de sa fondation, il y a plus de trente ans, Greenpeace s'oppose à la conception, à la production et à l'utilisation des armes nucléaires et des autres armes de destruction massive. Les essais nucléaires et la production d'armes atomiques ont déjà provoqué des dommages aux écosystèmes et à la santé humaine. L'utilisation d'armes nucléaires, qu'elle soit accidentelle ou délibérée lors d'un conflit, signifierait, au mieux la délimitation de "zones sacrifiées" fortement radioactives avec la contamination de plusieurs milliers de personnes, au pire l'annihilation de la capacité de notre planète à abriter la vie telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Nous pensons que le désarmement nucléaire de tous les pays est une condition nécessaire fondamentale pour garantir un avenir durable à la Terre. Il est par conséquent impératif que la communauté internationale, administration Bush comprise, règle la question de la prolifération et du désarmement nucléaire de façon cohérente. Une grande offensive contre l'Irak sous prétexte que ce pays cherche à acquérir des armes nucléaires serait un acte de guerre sans précédent. Les Etats-Unis n'ont pas menacé d'envahir Israël, l'Inde ou le Pakistan lorsque ces pays ont acquis l'arme nucléaire.

Trois stratégies militaires sont envisagées pour empêcher la prolifération d'armes nucléaires : des frappes sélectives contre les sites de production de ces armes, la dissuasion nucléaire et l'offensive militaire pour provoquer un "changement de régime". Toutes trois sont inefficaces.

Les mesures militaires de non-prolifération (par exemple, la frappe israélienne en 1981 contre le réacteur irakien Osirak construit par la France) peuvent régler temporairement les problèmes de prolifération dans leurs manifestations techniques, mais au prix d'un accroissement de la tension à l'origine même de ces programmes d'armement. La "qualité" de ces frappes sélectives dépend également des informations sur lesquelles reposent l'appréciation de la menace. Dans le cas de l'Irak, l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) avait démantelé le programme clandestin d'acquisition d'armes nucléaires. La menace d'une opération militaire américaine ciblée contre ces activités n'a apparemment pas suffi à dissuader l'Irak de tenter de relancer ce programme.

Si la dissuasion nucléaire était une stratégie efficace, elle aurait aujourd'hui porté ses fruits. Selon la logique qui prévalait durant la guerre froide, l'écrasante supériorité de l'arsenal nucléaire des Etats-Unis et de l'armée américaine auraient dû intimider l'Irak (ou tout autre Etat). Ce n'est bien évidemment pas le cas. Pour un état confrontée à son éventuelle destruction, qu'il utilise ou pas l'arme nucléaire, même une frappe atomique unique peut être considérée comme une défense légitime et une réaction appropriée contre un agresseur détenteur de l'arme nucléaire.
Les Etats-Unis peuvent-ils arriver à désarmer l'Irak en l'envahissant, en occupant ses infrastructures et en mettant en place un régime plus docile, ou au moins plus sensible aux intérêts américains ? Peut-être. Un changement de régime apportera-t-il la paix dans la région et dissuadera-t-il d'autres états ou d'autres agents de chercher à acquérir des armes de destruction massive ? Bien sûr que non. Bien au contraire.

Prenons le cas de l'Iran. C'est un pays dont les relations avec les Etats-Unis ont été ponctuées de nombreux incidents, mais qui est actuellement considéré comme un ami dans la "guerre contre le terrorisme" qui a été proclamée par George Bush. Il serait aujourd'hui politiquement déplacé, de la part des Etats-Unis, de signaler que l'Iran n'est plus très loin de posséder sa propre capacité nucléaire. Tout comme il était politiquement déplacé, de la part des mêmes Etats-Unis, critiquer, à une autre époque, l'utilisation par Saddam Hussein d'armes bactériologiques sur sa propre population. Pour l'Iran, la leçon tirée d'une invasion de l'Irak sera qu'il doit assurer un développement rapide de ses propres armes de destruction massive, et ce, pendant que l'attention des Etats-Unis est concentrée sur son proche voisin.

Ainsi, les stratégies guerrières sont vouées à l'échec. Une batterie d'instruments divers est aujourd'hui nécessaire. Mais, avant toute chose, la communauté internationale a besoin de leadership et de volonté politique. Le président Bush a déclaré que le véritable enjeu en Irak n'est pas l'acceptation d'inspecteurs en désarmement des Nations Unies, mais l'aboutissement concret, réel, du désarmement. Sur ce point il a raison. Mais, cette déclaration perd toute sa cohérence dans la bouche du dirigeant d'un pays détenteur de plus de six mille ogives nucléaires.

Le régime formel de non-prolifération, instauré par le Traité de non prolifération, a été sapé année après année par les états officiellement détenteur de l'arme nucléaire. Ils ont par leur comportement clairement indiqué que les armes nucléaires leur semblaient nécessaires pour garantir leur sécurité. Dans les faits, les états détenteurs de l'arme nucléaire se sont moqués des Nations unies et des accords internationaux avec un empressement comparable à celui de l'Irak.

En premier lieu, les Etats-Unis, tout comme les autres états nucléarisés, ont l'obligation juridique d'éliminer leurs arsenaux nucléaires. Ils devraient donc commencer par donner l'exemple. Au lieu de cela, le Sénat américain refuse de ratifier le Traité d'interdiction totale des essais nucléaires (CTBT). L'administration Bush a sapé la proposition de protocole de vérification de la Convention sur les armes bactériologiques. Et le contrôle des armements russes s'est transformé en une série de négociations bilatérales de plus en plus arrangeantes, alors qu'elles s'inscrivaient dans le cadre d'accords de désarmement juridiquement contraignants, transparents et vérifiables qui devaient aboutir effectivement à la destruction des armes nucléaires.
Il ne suffit pas que l'administration Bush décrète la non-prolifération pour qu'elle devienne réalité. Les Etats Unis ne peuvent, sans entamer sérieusement leur crédibilité, exiger des autres pays l'élimination de leurs armes de destruction massive, s'ils ne s'occupent pas en priorité de leur propre arsenal. Les arguments réclamant la disparition de ces armes sont de l'ordre de la morale, et ne peuvent relever d'un calcul stratégique arrangeant les différentes parties.

Ensuite, il faut, bien sur, avoir recours à la diplomatie. La pression des états arabes et des pays occidentaux est évidemment importante, en particulier si elle contribue à une politique américaine plus constructive, et donc probablement plus efficace, au Moyen-Orient. Traiter sérieusement la question palestinienne est une condition préalable nécessaire pour qu'Israël participe aux négociations sur les armes de destruction massive dans la région. Les Etats-Unis peuvent jouer un rôle important dans la résolution de ce conflit.

En troisième lieu, la limitation de la prolifération doit être suivie d'engagements lui permettant de perdurer. La pression continue sur l'Irak doit notamment prendre en compte la prolifération des technologies et des savoir-faire nucléaires, en particulier, mais pas exclusivement, en provenance de Russie. La possibilité d'entreprendre des programmes d'armement doit être limitée. Mais il faut également limiter les ambitions qui sous-tendent ces programmes. Des mesures efficaces doivent être mises en place pour mettre un terme à la dissémination des matériaux et des technologies pouvant servir à la confection d'armements, ce qui réduirait également les risques de prolifération.

Enfin, aujourd'hui, c'est une nouvelle théorie de la dissuasion en matière d'armement nucléaire qui s'avère nécessaire. Fondamentalement, la dissuasion est, et a toujours été, une question de perception : menace perçue, réaction imaginée, et calcul minutieux de ce que les deux belligérants pensent exactement pouvoir faire impunément.

La moralité et les comportements jugés acceptables par les états et leurs dirigeants sont également une question de perception, et celle-ci évolue au fil du temps. La société civile prend de plus en plus une dimension internationale. Il faut construire une dissuasion morale d'envergure mondiale contre la détention d'armes nucléaires. La prétention d'un état, ou d'un chef d'état, à une quelconque autorité morale doit se fonder sur sa responsabilité devant la société civile. Il doit respecter les accords visant à préserver le bien-être sur Terre et se conformer aux définitions les plus largement partagées de ce qu'est un comportement acceptable.

La capacité d'un Etat à exercer une influence sur la communauté internationale devrait être proportionnelle à son engagement attesté pour protéger les biens communs des habitants de la planète. L'autorité de ses dirigeants, sur leur propre territoire comme à l'étranger, doit reposer sur une conception mondiale et complètement nouvelle de la confiance avec les citoyens. Cela signifie, en pratique, que les états détenteurs de l'arme nucléaire doivent s'engager dans un processus d'élimination de leurs arsenaux nucléaires avec à l'esprit la certitude que ces armes sont incompatibles avec une politique mondiale, raisonnable, et durable, de sécurité. Cela signifie aussi que les états qui pratiquent aujourd'hui l'extraction du plutonium à partir de leurs combustibles nucléaires irradiés doivent stopper immédiatement cette activité réputée purement "civile" et qu'une politique volontariste d'immobilisation de cette matière doit être rapidement engagée.

Tout état envisageant d'acquérir des armes nucléaires devrait en être dissuadé par la force d'un refus mondial de ces armes. Ce refus doit s'exprimer tant au niveau des gouvernements que des individus. Tout chef d'état orientant son pays vers la prolifération devrait alors s'attendre à faire face à un tollé mondial sans équivoque. Son autorité morale en serait fortement affectée, et cet affaiblissement présagerait de l'avenir de ce dirigeant, tant au niveau national qu'international. Cette opposition morale et citoyenne doit pouvoir s'appuyer sur un mécanisme de prévention et de sanctions applicables en toute objectivité et en toute impartialité.

Il est évident que l'administration Bush n'exprime guère le souhait de privilégier le multilatéralisme en général et les Nations unies en particulier pour résoudre les conflits. Bush préfère s'appuyer sur la puissance militaire américaine pour atteindre ses objectifs stratégiques.

C'est ici que réside sans doute le plus grand défi du XXIème siècle pour la communauté internationale. Une planète divisée en pays dirigés chacun par des intérêts particuliers, ne sera tout simplement pas vivable. Un monde en péril a besoin d'une gouvernance mondiale prenant en compte les besoins et les impératifs moraux de notre avenir commun. Admettons que demain chacun des habitants de la Terre puissent voter. Les armes nucléaires survivraient-elles à un référendum planétaire sur leur élimination ?

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