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Quelles gauches au <font color ="#104e7c">Québec </font>?

Danic, Saturday, September 28, 2002 - 14:22

Danic Parenteau

Deux gauches s'affrontent au Québec. Deux gauches qui ne se parlent pas, qui ne se connaissent pas. Deux gauches dont il est à se demander si le fossé qui les séparent ne serait pas plus grand que celui qui sépare la gauche de la droite.

La Chaire d'études socio-économiques de l'UQÀM a tenu en fin de semaine dernière un colloque sur les mouvements sociaux et l'action politique de gauche au Québec. Une centaine de délégués syndicaux et les représentants des divers partis de gauche au Québec ont participé à cet événement.

C'est bien entendu la montée de la droite qui a dominé tous les débats. Deux positions au sujet du danger que constitue l'ADQ ainsi que les stratégies à adopter pour la combattre se sont affrontées.
Pour les uns, l?ADQ ne représente en soi rien de plus menaçant que les autres grands partis néo-libéraux que sont le PQ et le PLQ. Tous dans le même bateau.
Pour la grande majorité des participants, au contraire, c'est l'avis par exemple de Françoise David, ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec, non seulement l'ADQ représente davantage une menace pour la préservation des acquis sociaux québécois que les autres partis, mais en plus, comparer de la sorte le mouvement adéquiste avec le PQ ou le PLQ en le faisant ainsi passer pour un parti comme les autres qui mériterait donc à son tour, autant que les autres, la direction des affaires de la nation, c'est ainsi lui accorder une légitimité, une publicité dont il pourrait bien se passer.
Aussi, deux stratégies politiques pour faire face à ce danger s'affrontent-elles.
D'une part, certains sont convaincus de la nécessité de construire maintenant et sans plus tarder une gauche politique forte afin de barrer l'ADQ lors des prochaines élections québécoises. L'imminence du danger appelle à l'action. La nouvelle Union des forces progressistes (UFP), parti dont de nombreux membres étaient présents à ce colloque , serait ainsi le fer de lance de cette offensive.
D'autre part, certains en appellent à la patience, car à l'évidence, la gauche n'étant pas prête à se lancer dans l'arène politique, une défaite cuisante lors des prochaines élections pourrait lui être fatidique. Il serait ainsi préférable de travailler à construire une gauche qui pourra un jour prochain être capable de braver le jeu politique.

Mais en vérité, le problème le plus grave qui guette le Québec est-il la progression de l'ADQ? La droite, oui, on s'en passerait bien, mais la gauche elle, où est-elle, que fait-elle, comment se porte-elle? La faiblesse de la gauche ne serait-elle pas un problème plus grave encore que celui de la force de la droite au Québec? Une importante division ravage et affaiblit la gauche québécoise.

En réalité, il existe au moins deux gauches au Québec, deux gauches qui ne se reconnaissent pas, qui ne se parlent pas, deux gauches qui s'ignorent l'une l'autre. Deux gauches séparées par un fossé tel qu'il est à se demander si celui qui sépare la droite de la gauche n'en serait pas un plus petit : la gauche traditionnelle, celle qui prend assise dans le milieu syndical, fait face à la nouvelle gauche, cette gauche alter-mondialiste, celle qui s'appuie sur des mouvements jeunes issus du courant international de contestation né à Seattle.

Le colloque sur la gauche était exemplaire de cette scission : seule était présente cette gauche traditionnelle, les alter-mondialistes y étaient totalement absents.

Les uns accusent la gauche traditionnelle d'être dans l'erreur quant au but qu'elle poursuit ou simplement d'être dépassée. Dépassée dans la cause pour laquelle elle se bat, celle de la défense des intérêts égoïstes d'une classe particulière de la société, celle des travailleurs. Ainsi, non seulement elle se refuse de reconnaître ou de vouloir défendre au niveau national la misère des laissés pour compte, celle des immigrants récents, des jeunes sans emplois, des aînés sans le sous ou des Amérindiens dans le besoin. Mais de plus, cette gauche est accusée de s'enfermer dans les limites de cet horizon national, en se refusant de reconnaître la véritable misère, celle des plus démunis de cette Terre, populations du Tiers-monde qui tirent précisément leur pauvreté de notre mode de vie consumériste et protectionniste que cette gauche cherche précisément à préserver. Cette gauche ne serait plus la gauche, elle se serait elle-même vendue en portant au pouvoir et en supportant celui-là même qui est responsable des récentes coupures draconiennes dans les programmes sociaux, dans la santé, encenseur des bienfaits du néolibéralisme, du plus d'échanges et du déficit zéro, le Parti québécois. Enfin, cette gauche est organisée selon une structure hiérarchique, autoritaire, voire paternaliste, cette structure même dont il faudrait précisément se débarrasser afin que le monde aille un peu mieux.

Les autres accusent le mouvement alter-mondialiste d'être irresponsable en raison de son refus catégorique de participer, sur la scène électorale, au jeu démocratique. On l'accuse encore de n'être pas organisé, que son mode de fonctionnement consensuel, dominé par les idéaux libertaires, est inefficace, idéaux qui seraient en réalité saisis d'une manière instinctive, inconsciente, voire irréfléchie, manière d'être et de faire qui ne résulterait ainsi pas d'une décision pensée, mais bien plutôt d'un manque, d'un défaut grave, celui de n'avoir rien de mieux autour de quoi organiser la lutte. Leur internationalisme ne traduirait pas une authentique ouverture sur le monde, mais reposerait plutôt sur une vision bourgeoise du monde, vision pour qui le Tiers-monde n'incarne rien de plus qu'une destination de tourisme de masse ou au mieux l'occasion idéale de partir à l'aventure pour effectuer un séjour d'étude. La protestation c'est bien, mais c'est l'action seule qui change le monde, entendons-nous dire.

Bref, c'est l'idéalisme irresponsable face au réalisme paternaliste.

Comment réunir ces deux gauches, non pas simplement en vue de la lutte actuelle contre ce que représente l'ADQ, mais bien plutôt afin de travailler à changer le monde lui-même, afin précisément de rendre impensable, inconcevable, impossible, un Mario Dumont dans le futur? À cette tâche, toutes deux, gauche traditionnelle et gauche alter-mondialiste, devront collaborer à leur manière.

La gauche traditionnelle devra accepter sa part de responsabilité face à cette montée de la droite. On trouve au sein de l'électorat (ou du moins de ceux qui ont l'intention de voter ADQ aux prochaines élections québécoises) de nombreux laissés pour compte, des pauvres, des travailleurs, un peu à la manière du parti Alliance canadienne dont une part non négligeable du vote provient de l'électorat traditionnel néodémocrate ou du Front National en France, qui tire une partie de son vote de l'électorat communiste, que les grands partis n'ont pas réussi à rallier. Arthur Sandburn du Conseil Central de la CSN était prêt à assumer, lors de l'ouverture du colloque, une telle responsabilité : « à l'évidence, pour en être rendu où nous en sommes, une certaine éducation politique n'a pas été menée ».

Enfin, la gauche traditionnelle devra aussi s'ouvrir au monde afin de prendre en compte la dimension internationale, car avec la mondialisation, le plus immédiat des problèmes a peut-être pour cause ce qui est le plus lointain (chômage, crise environnementale, déréglementation, etc.). Pour sa part, le mouvement alter-mondialiste devra non pas seulement réfléchir sur les fins qu'il poursuit, mais aussi sur les moyens grâce auxquels il espère y parvenir. La stratégie de protestation peut-elle suffire à elle seule à changer le monde? Le mode d'organisation libertaire qui domine actuellement le mouvement pourra-t-il venir à bout de la droite qui domine l'ordre mondial actuel, droite qui bénéficie quant à elle d'une organisation efficace et d'extraordinaires moyens pour se faire entendre?

Pour changer le monde, ce n'est pas le déclin de la droite qu'il faut espérer, mais bien plutôt la progression de la gauche. Sans alternative possible, sans une gauche forte, comment espérer voir la droite abandonner le terrain qu'elle occupe présentement ? Ainsi, en plus de l'urgence d'un rapprochement des deux gauches, il est impératif de mener la lutte sur deux fronts. D'abord, il faut encourager un changement du mode de scrutin afin d'instaurer une dose de proportionnalité dans notre système électoral (voir le mouvement Démocratie nouvelle, pour ainsi briser l'hégémonie bipartisane du régime parlementaire britannique et permettre la représentation politique des véritables idéaux de gauche, ouverture qui entraînera certes la représentation des idées d'extrêmes-droites, idéaux qui seront d'autant plus facile à démolir qu'ils pourront être entendus.

Ensuite, il faut travailler à la création d'un grand quotidien de gauche au Québec afin non pas seulement de faire le poids aux grands quotidiens, tribune de la droite dominante, mais bien aussi de parvenir à l'objectif en soi plus élémentaire pour lequel ces journaux existent : informer, plutôt que désinformer.

Une gauche plus forte, une gauche unie, voilà ce qu'il faut espérer, voilà à quoi il faut travailler.

Mouvement qui fait la promotion d'un changement du mode de scrution au Québec afin de permettre une plus grande proportionnalité.


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