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Mondialisation armée, changement d¹échelleAnonyme, Friday, September 13, 2002 - 21:05
Claude Serfati.
Selon bon nombre de chroniqueurs, une nouvelle ère aurait été ouverte par les attentats du 11 septembre 2001. Pourtant, si certains processus sont amplifiés, ils ne sont pas nouveaux. Claude Serfati, enseignant-chercheur en économie à l¹université de Saint-Quentin-en-Yvelines, nous livre ici son analyse. Existait-il un monde avant le 11 septembre 2001 ? Certains pensent que c¹est depuis ce jour que les Etats-Unis ont décidé d¹intervenir militairement dans le monde. Il est donc utile de rappeler qu¹au cours de la décennie 1990, le nombre d¹interventions militaires des forces armées étatsuniennes dans le monde a été plus élevé qu¹au cours de la période 1945-1990 (selon une étude du Congrès américain) (1). Il n¹est pourtant pas question de nier que le programme de l¹administration Bush provoque l¹amplification notable de processus qui sont en cours depuis plus d¹une décennie. L¹objectif est de consolider le statut de seule superpuissance des Etats-Unis, leur position hégémonique sans égale dans l¹histoire du capitalisme de ces deux derniers siècles. Le coup d¹accélérateur est d¹abord visible dans les augmentations considérables du budget militaire, auxquelles Clinton avait déjà contribué en faisant adopter par le Congrès une augmentation de 112 milliards de dollars pour la période 1999-2003. Les hausses proposées par Bush marquent un changement d¹échelle. Le budget de la défense nationale (défense, espionnage...) s¹élevait à 304 milliards de dollars en 2001 (il a été voté avant le 11 Septembre), à 351 milliards de dollars en 2002, s¹élèvera à 396 milliards de dollars en 2003 et devrait atteindre 470 milliards de dollars en 2007. Ces crédits, qui alimentent des programmes d¹armes gigantesques, échoient d¹abord à quelques grands groupes (Lockheed Martin, Boeing, Raytheon, General Dynamics, Northrop Grumman) qui reçoivent près de la moitié des commandes du Pentagone. Ces groupes ont émergé d¹une vague de concentrations qui a commencé en 1993 et s¹est déroulée sous l¹¦il attentif et sous l¹impulsion du capital financier, des fonds de pension, mais aussi des analystes financiers et consultants qui ont dessiné les frontières des restructurations industrielles et empoché d¹appréciables commissions. Pour les groupes de l¹armement, la "création de valeur pour l¹actionnaire" passe, comme dans les autres secteurs, par la réduction du coût salarial et par l¹augmentation des ventes. C¹est-à-dire par l¹augmentation des achats du département de la Défense (donc de son budget) et des exportations. Résultat: entre le 11 septembre 2001 et la fin août 2002, l¹indice S&P (sur les 500 grandes valeurs de Wall Street) a perdu 20 %, pendant que les valeurs des grands groupes de la défense ont gagné près de 10 %. Les grands groupes de l¹armement trouvent un autre élément de satisfaction dans la situation créée depuis le 11 Septembre. La mise en place d¹un bureau de la Sécurité nationale, dont la création était d¹ailleurs proposée depuis quelques années, met à contribution l¹ensemble des départements fédéraux, les Etats et les villes, ainsi que les entreprises. Le marché de la "sécurité" est prometteur pour les groupes de l¹armement. Ceux-ci sont en effet bien placés pour entreprendre les développements technologiques destinés à améliorer la sécurité des infrastructures informatiques de transports et de télécommunications, puisque de nombreuses technologies déjà mises au point pour les besoins militaires peuvent assez aisément être adaptées aux marchés "civils" de la sécurité. De plus, le Congrès et les Etats ont commencé à considérablement renforcer la réglementation en matière de sécurité, ce qui ne peut que placer ces groupes dans une position particulièrement avantageuse, en raison de leurs liens étroits et de leur complicité avec le pouvoir politique. C¹est ainsi que les grands groupes de la défense forment l¹ossature du "complexe militaro-sécuritaire" qui a émergé au début de ce siècle aux Etats-Unis. Le complexe militaro-sécuritaire nord-américain doit également développer de nouveaux systèmes d¹armes. Dans un contexte où la mondialisation du capital accélère ses dévastations sociales, la préparation de "guerres urbaines" (expression employée par les experts du Pentagone) conduites par des soldats équipés d¹armes hypersophistiquées relayant l¹action de l¹aviation occupe une place importante dans les budgets militaires. Il s¹agit de conduire des guerres contre les populations des immenses agglomérations des pays du Sud, et éventuellement contre les "classes dangereuses" des villes du Nord. Economie de guerre et marchés financiers La mondialisation du capital et la militarisation de la planète sont liées (2). Aux antipodes des discours néolibéraux, la mondialisation n¹est pas le stade suprême de la paix. Les Etats-Unis occupent une place centrale dans les deux processus. La militarisation accélérée des Etats-Unis répond à plusieurs objectifs. Elle conforte la domination de l¹impérialisme étatsunien contre des ennemis potentiels, réels et imaginaires. Elle vise également à créer un effet de seuil avec les pays alliés, incapables de se lancer dans des programmes d¹une envergure aussi importante que le système de défense antimissile (coût estimé: plus de 50 milliards de dollars) ou l¹avion de combat FX-35 (coût estimé: plus de 100 milliards de dollars). Ensuite, la criminalisation de la résistance sociale, qui va de pair avec les restrictions importantes des libertés publiques imposées par les gouvernements depuis le 11 septembre 2001, signale que tous ceux qui contestent la mondialisation du capital sont des ennemis potentiels qui relèvent d¹un traitement militaire. De plus, elle satisfait, on l¹a vu, le système militaro-industriel et lui permet d¹étendre son influence dans les domaines civils grâce à l¹essor des industries de la sécurité. L¹économie de guerre que confirment les plans de l¹administration se développe dans un contexte très différent de celui qui prévalait durant les décennies d¹après-guerre. La situation était différente sur le plan macro économique (forte croissance et conquêtes sociales dans les pays développés) et géopolitique (les Etats-Unis et l¹URSS organisaient à leur profit le partage du monde). Depuis la fin des années 1970, le capital financier a retrouvé une position dominante. Les marchés financiers sont devenus des institutions centrales du capitalisme des années 1980 et 1990. Ils ont permis au capital de concentrer sa puissance face au travail et offert à la bourgeoisie et aux classes rentières un enrichissement considérable. Cependant, ni l¹élévation considérable du taux d¹exploitation de la main-d¹¦uvre, ni l¹ouverture de nouveaux marchés en Russie et dans les pays de l¹Est n¹ont redonné une nouvelle jeunesse au capitalisme. A l¹échelle de la planète, l¹extension du capital et des rapports de propriété sur lesquels il est fondé n¹a pas produit, depuis deux décennies, une augmentation durable et significative de l¹accumulation du capital. La domination du capital financier est à la fois une conséquence et une composante majeure de cette situation. Car le rythme du capital financier est fondé sur la nécessité d¹empocher dans les délais les plus brefs les revenus de ses actifs financiers. En même temps, son mode de fonctionnement accentue les traits prédateurs du capitalisme. "Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste." Ce constat fait par Marx acquiert une singulière actualité lorsqu¹on observe le bilan des privatisations-liquidations et des mesures de déréglementation organisées par le capital financier sur toute la planète. L¹Afrique, l¹Asie du sud, l¹Amérique latine sont toutes emportées dans la tourmente. Dans ce contexte, l¹"économie de guerre" et la guerre sans limites qu¹elle implique sont intégrées dans le fonctionnement et l¹"opinion" des marchés financiers. Ainsi, les analystes financiers nord-américains envisagent un boom boursier qui pourrait être créé grâce aux "achats émotionnels" de titres des groupes de la défense à l¹annonce d¹une guerre contre l¹Irak (3). Cette "émotion" est bien sûr étayée par la promesse plus tangible de prendre le contrôle du pétrole irakien, un objectif qui n¹est même plus caché par le vice-président Cheney. L¹économie de la prédation n¹est plus un phénomène limité aux pays d¹Afrique dans lesquels les guerres font vivre les bandes armées au sein d¹un "mode de destruction" (comme on parle d¹un mode de production). Les interventions militaires des Etats-Unis et de l¹Otan, qui sont de plus en plus nombreuses, produisent la destruction des infrastructures de production et de celles dont les populations ont besoin pour vivre. Elles aggravent bien sûr la détresse sociale, mais dans le contexte d¹instabilité et d¹incertitude qui caractérise les économies capitalistes depuis vingt ans, elles n¹ouvrent que des perspectives limitées à l¹investissement. Elles nourrissent en revanche les budgets militaro-sécuritaires et cherchent à prolonger la domination du capital financier. Au cours de la première moitié du XXe siècle, les rivalités entre les impérialismes ont poussé l¹humanité dans l¹abîme de deux guerres mondiales. Aujourd¹hui, il n¹est pas question de nier l¹ampleur des antagonismes entre les grands pays capitalistes industrialisés, mais d¹observer que, parmi d¹autres facteurs, l¹écart entre la puissance militaire des Etats-Unis et celle des autres pays développés interdit la transformation des conflits économiques et commerciaux entre pays de la zone transatlantique en affrontement militaire (4). Elle ne rend pas l¹ère des impérialismes de ce début de XXIe siècle plus pacifique pour autant, comme en témoigne la multiplication des guerres et des interventions des armées des Etats-Unis et des pays de l¹Union européenne (UE). Impérialismes et guerre Le terme d¹impérialisme n¹a plus très bonne presse dans les milieux radicaux, et même marxistes, qui lui préfèrent souvent celui d¹"empire", généralement réduit au cas des Etats-Unis. Il est en revanche réapparu après le 11 Septembre dans la presse financière, et a même été "théorisé" par Cooper, conseiller de Tony Blair aux affaires diplomatiques. L¹intervention militaire est nécessaire, elle doit être suivie d¹une mise sous tutelle (ou protectorat) des pays frappés par le chaos. Ces formes de néocolonialisme seraient organisées sous l¹égide de la "communauté internationale", c¹est-à-dire des pays qui dominent la planète et des organisations internationales (FMI, Banque mondiale, Otan) dont ils fixent le programme. Les Etats-Unis n¹ont ni l¹intention, ni la possibilité de gérer seuls le chaos mondial. Le dépeçage de l¹Argentine n¹a pas été le fait de l¹"empire étatsunien", mais celui du capital financier des Etats-Unis et de l¹UE. Les réserves exprimées par les pays de l¹UE à propos du comportement des "Etats unilatéralistes" ne viennent donc pas pour l¹essentiel de désaccords sur la mondialisation du capital. Elles témoignent de la crainte d¹être un peu plus marginalisés dans la gestion des "affaires du monde" et, à court terme, d¹observer un partage "unilatéral" du butin irakien. D¹où l¹augmentation des budgets militaires dans les grands pays de l¹UE. 1. La veille des attentats du 11 Septembre, "selon le départment de la Défense, plus de 60 000 militaires américains conduisaient des opérations et des exercices dans environ cent pays", Los Angeles Times, 6 janvier 2002.
tiré de l'hebdo français Rouge
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