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Quand les profits des entreprises souffrent du SIDA

sebgc, Wednesday, September 4, 2002 - 10:13

Denise Proulx

Par Denise Proulx
Collaboration spéciale
Johannesburg, Afrique du Sud

La province du KwaZulu-Natal, dans le sud-est de l’Afrique du Sud, est celle qui compte le plus de personnes victimes du sida au pays. Combien exactement ? Personne ne peut le dire. La rumeur court que cette région accueillerait une personne séropositive sur huit.

En 2005, la maladie touchera près de 30 % des travailleurs sud-africains. En 2010, on estime que leur nombre grimpera à un million et qu’entre temps, six autres millions seront déjà morts des conséquences du VIH. L’économie de l’Afrique du Sud sera frappée de plein fouet avec une perte de sa force de travail d’au moins 4 %.

Le gouvernement de Thabo Mbéki déclarait dans le cadre du Sommet du développement durable, qu’il voudrait pour son pays un accès public et universel aux médicaments anti-rétroviraux. Mais là s’arrête l’action gouvernementale.

Le pays est sans véritables programmes publics de prévention, les médicaments anti-rétroviraux sont chers et seuls les riches peuvent se les payer. Le sida décime les quartiers les plus pauvres comme une traînée de poudre. " C’est un véritable génocide de notre peuple " dénonce Themba Smuts qui représente les jeunes de la communauté indigène Khoi-San, première nation autochtone en importance en Afrique du Sud.

Une honte sociale

Des dizaines de petites organisations non gouvernementales travaillent à un changement de comportement des femmes et des hommes infectés mais leurs actions ressemblent à une goutte d’eau dans l’océan.

Lentement, le milieu économique met l’épaule à la roue.

Depuis l’an 2000, la Chambre de commerce et de l’industrie de Durban s’est mise à la tâche de convaincre le gouvernement de l’Afrique du Sud et les entreprises à cesser de se mettre la tête dans le sable et de passer à l’action." L’infestation a un impact immense sur la force de travail des entreprises et leur capacité d’améliorer leur rentabilité ", déclare sa directrice générale, le Dr Jeya Wilson, en entrevue.

L’absentéisme des employés est endémique. Plusieurs, ignorant de la source même de leurs malaises, prennent un temps fou avant de consulter. Ils déclarent des pneumonies, des grippes mais rarement leur infestation au VIH. " Lorsqu’ils se savent séropositifs bien des travailleurs cachent leur état de craindre d’être congédiés ", ajoute Dr Wilson.

" Les gens ont honte, le gouvernement a honte. Depuis trois ans, trois politiciens sont morts du sida, le président de la Chambre, le ministre de la Sécurité publique et l’ancien leader jeunesse de l’ANC. Le gouvernement de Thabo Mbéki ressent la même peur d’affronter le problème que sa population " ajoute Thema Smuts.

Un début d’action

Gold Fields, la seconde compagnie minière en importance au pays, évalue que la maladie lui coûte entre 4 et 10$US l’once en coûts de production perdue. Le quart de ses 50 000 mineurs sont porteurs du virus. Tout comme Anglo America, De Beers et DaimlerChrysler, elle offre des médicaments anti-rétroviraux sur ses lieux de travail.

Depuis deux ans, Dr Wilson déploie de grands efforts auprès des chefs d’entreprises pour les sensibiliser aux impacts de la pandémie du SIDA sur leur productivité et les coûts en ressources humaines, notamment pour le remplacement et la formation des employés.

A son grand désarroi, la campagne de sensibilisation de la Chambre de commerce et de l’industrie de Durban a produit un effet contraire aux objectifs visés. " Plusieurs compagnies ont réagi en mettant fin à l’embauche de gens qu’elles jugeaient, de manière très arbitraire, à haut risque. Au lieu d’investir dans leurs travailleurs, les entreprises ont réaligné leurs affaires vers le capital de base. Dans les régions où on trouve un pourcentage de 45% de chômage, cette décision fut catastrophique ", déplore-t-elle.

" Les jeunes sont terrifiés par l’inaction du gouvernement. Il a la responsabilité d’initier des actions collectives et il ne fait rien. On sait que l’infestation touche profondément la catégorie des 19-29 ans qui commencent leur vie, tant professionnelle que familiale. Mbéki doit agir en véritable leader et éduquer les jeunes de 13 à 18 ans ", s’inquiète Thema Smuts au nom de sa communauté.

" La mise en application de programmes de prévention et de santé pour freiner la pandémie coûte excessivement cher et impliquerait des déboursés excessifs en comparaison au budget global du pays. La question va beaucoup plus loin que celle du sida, elle engage la société en totalité. La maladie et la mort signifient qu’il y a moins de monde pour travailler dans les champs, dans les entreprises, moins d’enseignants pour éduquer les enfants orphelins. La maladie crée une grande instabilité et est d’une ampleur incommensurable sur la cohérence de la société ",explique Peter Piot, directeur de l’organisation USAids, sans approuver l’attitude du gouvernement pour autant.

Peter Piot craint que l’Afrique du Sud perde le contrôle de l’infestation si le gouvernement n’investit pas davantage de ressources, dont il évalue les besoins à 10 milliards $ par année.

Aller au fond de la question

Bouleversé par tout le travail à réaliser, le Dr Jeya Wilson lançait au début de l’été des actions sur plusieurs fronts à la fois.

Au cours des prochain mois, elle entend mener une vaste enquête pour chiffrer l’ampleur de la maladie. " Le lieu de travail est le meilleur endroit pour évaluer la dissémination de la maladie et pour établir des programmes de prévention et de soins. Nous avons besoin de la collaboration des employés mais surtout des employeurs. Hélas, nous en sommes encore à convaincre les entreprises que le sida est une question d’affaires qui concerne directement leur conseil d’administration " déplore Mme Wilson.

En collaboration avec le programme Life Line, financé en partie par l’Organisation des Nations Unies, mais sans un sou de la part du gouvernement, la Chambre de commerce de Durban créait également y deux centres d’assistance en santé auxquelles les entreprises peuvent adhérer pour le coût minime de 1,15$ US par mois. Ces centres de santé offrent gratuitement des tests du sida, des consultations médicales et quelques traitements de base, incluant la distribution de remèdes naturels. Ils fournissent des conseils pratiques pour les victimes d’enlèvement, d’abus sexuels, de violence et pour les utilisateurs de drogues à injection. Les centres fournissent aussi des soins pour les maladies retransmises sexuellement et distribuent gratuitement des condoms.

Les centres de santé sont situés hors des lieux de travail et ils sont adjaçant à des services de transport, une condition essentielle pour les malades. Ils garantissent la confidentialité des visites et des services de counseling non seulement en santé mais en aide psychologique et sociale.

Une politique nationale

Le Dr Wilson travaille activement à la mise en place d’une stratégie politique qui implique la responsabilisation tant des employés que des employeurs. Elle demande notamment au gouvernement qu’il définisse clairement dans ses lois du travail un droit à la confidentialité pour les travailleurs séropositifs et qu’il rende illégal leur exclusion à l’embauche.

La bataille est partiellement gagnée. Après de nombreuses discussions, les employeurs ont accepté d’intégrer ces conditions à leurs politiques de recrutement. Malgré cette ouverture importante de la part des entreprises, le ministre de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang, retarde toujours à créer des lois et programmes spécifiques à la pandémie.

En fait, le gouvernement privilégie les partenariats publics/privés. Quelques jours avant l’ouverture du Sommet de la terre à Johannesburg, le ministre publicisait l’obtention d’une aide spécifique de 110 millions de rands (10 millions de dollars US) de la part du gouvernement du Danemark. L’Afrique du Sud mise également sur l’assistance financière qui viendra avec l’application du NEPAD.

" Aussi incroyable que cela puisse paraître, le sida n’est pas un enjeu majeur au Sommet de la terre. Le texte du chapitre de la santé est très vague à ce sujet et n’engage à rien. On n’en parle à peu près plus dans les discussions. Pourtant, les Nations Unies annonçait au début de l’été que 68 millions de gens en mourront d’ici 20 ans", déplore une déléguée française.



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