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Sommet de la Terre : Agriculture pris en otage

isabellem, Wednesday, August 28, 2002 - 08:19

Denise Proulx


Denise Proulx
Collaboration spéciale
Johannesburg, Afrique du Sud

La pauvreté ne pourra véritablement être diminuée qu’avec un accès à la terre pour les plus démunis de la planète. Ce discours dominant les jours précédents le Sommet mondial du développement durable vient de passer aux oubliettes.

La pauvreté ne pourra véritablement être diminuée qu’avec un accès à la terre pour les plus démunis de la planète. Ce discours dominant les jours précédents le Sommet mondial du développement durable vient de passer aux oubliettes.

Deux jours après l’ouverture de la Conférence des Nations Unies sur le développement et l’environnement, qui réunit depuis le 26 août dernier à Johannesburg, en Afrique du Sud, des délégués de 190 pays, les questions commerciales écrasent carrément les préoccupations d’un développement durable de l’agriculture, de l’eau, de l’énergie, de la santé et de la diversité biologique.

Ce sont les délégations du Canada, des Etats-Unis et de l’Australie qui mènent la fronde. Les trois pays industrialisés qualifiées « d’axes du mal de l’environnement » par le groupe écologiste international Les Amis de la Terre, ont uni leurs efforts pour abaisser de manière significative les paragraphes du document de travail de la Déclaration de Johannesburg qui ne donnent pas préséance aux accords commerciaux négociés lors de la conférence de l’Organisation mondiale du commerce à Doha, en novembre 2001.

Les délégués de ces pays continuent d’associer toute aide au développement à « un encouragement fort et rapide des pays les moins développés » à éliminer toute contraintes tarifaires et autres programmes de gestion de l’offre qui entravent l’exportation des produits et services. Dans la journée du 26 août, les questions d’une meilleure redistribution des terres, de leurs accès et d’une ouverture des institutions financières au crédit agricole pour les femmes sont complètement passées au second plan.

Ils ont aussi largement réclamés des modifications aux paragraphes touchant les approches systémiques (au cœur de la Convention de la diversité biologique), le principe de précaution, les objectifs de conservation de la biodiversité et des ressources naturelles. Des rumeurs persistantes rapportaient également que les Etats-Unis auraient tenté de faire éliminer complètement le paragraphe faisant référence à un encouragement pour la signature du Protocole de Kyoto.

Des paysans sans terre

Le Mouvement des peuples sans terre de l’Afrique avait pourtant rapporté un grand succès dans sa campagne pour le respect des droits des sans terre amorcée avant l’ouverture du Sommet de la Terre, auprès des délégations des 104 pays.
La semaine dernière, une manifestation non autorisée, tenue par le Landless Peoples Movement du quartier Gauteng dans les rues de Johannesburg a donné lieu à l’arrestation de 77 personnes. L’une d’entre elles, Ann Eveleth, porte-parole du groupe auprès des médias, est demeurée emprisonnée, projetant du même coup la nouvelle à la une de tous les journaux.

Le lundi 26 août, en parallèle de la Cérémonie d’ouverture du Sommet de la terre par le président Thabo Mbéki, les questions de l’agriculture ont dominé les discussions.
Le Landless Peoples Movement, appuyé parVia Campesina et des organisations de défense des paysans de 15 autres pays, dont l’Union Paysanne représentée par Maxime Laplante, ont martelé les revendications des ruraux d’à travers le monde : des terres, de la nourriture, des emplois. « Après l’apartheid, le régime a changé mais il n’est pas plus facile d’avoir accès à la terre. Les ventes libres sont difficiles car les pauvres n’ont pas l’argent nécessaire pour se payer les terres qu’on leur a volées il y a quelques décennies, voire quelques générations » rapporte Maxime Laplante.
Les paysans sans terre de l’Afrique sont à la tête de l’organisation d’une imposante manifestation pacifique qu’ils comptent tenir en compagnie de 16 autres organisations non gouvernementales ce samedi 31 août entre le quartier Alex et le quartier Sandton où se déroule le Sommet officiel.

Une préoccupation partagée

Le mouvement des femmes pour l’environnement et le développement suit de très près les actions du Landless Peoples Movement, d’autant plus que plusieurs femmes étaient parmi les personnes arrêtées la semaine dernière.
Les femmes estiment essentiel que les lois des pays du Sud soient modifiées pour contrer de vieilles pratiques culturelles qui les obligent à cultiver la terre mais jamais sans leur permettre de la posséder. « Donnez-nous accès aux terres et au crédit et nous résoudrons les problèmes de pauvreté », ont-elles lancé lors d’un atelier très fréquenté portant sur les femmes et la ruralité.

Mardi, le 26 août, des représentants de communautés autochtones de l’Afrique, de l’Asie, du Pacifique, de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord ont ajouté leur voix à celles des sans terre et des femmes. Ils réclament que la Déclaration de Johannesburg leur reconnaisse le droit de posséder collectivement leurs terres et d’en faire usage selon leurs coutumes et leurs valeurs.
Tous ont rejeté massivement l’introduction des organismes modifiés génétiquement dans l’agriculture, craignant qu’ils ne viennent qu’ajouter misère et maladies aux famines dues à un partage inéquitable des terres.

Le double langage de la Banque mondiale

Les questions agricoles ont aussi dominé la conférence de presse tenue par Ian Johnson, vice-président au développement durable de la Banque Mondiale, pointée du doigt pour soutenir l’agriculture industrielle au détriment de celle des paysans. « L’Afrique doit refocaliser sur la productivité agricole si elle veut sortir de la pauvreté. Pour ce faire, elle a besoin d’une nouvelle révolution », a-t-il mentionné sans dire clairement qu’aux yeux de la Banque Mondiale cette révolution inclut l’acceptation des semences génétiquement modifiées.

On se rappellera que le Mozambique, le Zimbabwe,la Zambie ont rejeté récemment l’aide humanitaire en provenance des Etats-Unis et composée de grains génétiquement modifiés, par crainte que les effets de leur propagation ne viennent au contraire accentuer la pauvreté.

Sans condamner la pratique des pays industrialisés tel que l’Europe et les Etats-Unis, de subventionner fortement leur agriculture, M.Johnson a néanmoins dit rejeter « les subventions non efficaces » qui créent un déséquilibre important face aux pays du Sud.
Le lendemain mardi, Pedro Sanchez, directeur exécutif du Centre international de recherche en agroforesterie , un organisme associé à la Banque Mondiale, a demandé que les pays industrialisés versent 5 % des subventions accordées aux agriculteurs des pays industrialisés en aide aux petits exploitants agricoles.. En parallèle, Pedro Sanchez a déclaré croire que le monde ne saurait survivre et éviter les famines sans la culture agricole à grande échelle et faisant appel aux technologies les plus avant-gardistes.

Ces déclarations de mardi laissait penser aux observateurs que l’agriculture avait été complètement prise en otage par le commerce. Les Amis de la terre, Greenpeace, Le Fonds mondial pour la nature ont accusé les Etats-Unis de détournement de Sommet.

Mercredi, la question de l’accès à l’eau ne devrait pas améliorer les humeurs et suscite déjà de vives inquiétudes aux défenseurs de l’accès publique à l’eau pour tous et sa reconnaissance comme patrimoine humanitaire mondial.

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