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La privatisation : une mesure Made in Pérou ?

Carl Desjardins, Tuesday, August 27, 2002 - 22:58

Raúl Luna Rodriguez

Un tiers de la population péruvienne s'est exprimée ouvertement contre les privatisations. Les manifestations de protestation et de rejet se sont développées dans tout le sud et plus récemment dans les régions de Junín et Huancavelica, Piura, Talara. Les sondages montre un rejet populaire de 70 %.

Un tiers de la population péruvienne s'est exprimée ouvertement contre les privatisations. Les manifestations de protestation et de rejet se sont développées dans tout le sud et plus récemment dans les régions de Junín et Huancavelica, Piura, Talara. Les sondages montre un rejet populaire de 70 %. Les fonctionnaires du gouvernement ont signalé qu'il existe peu d'information sur les bienfaits de ce nouveau processus.

Cette mesure aujourd'hui proposée par le gouvernement n'est cependant pas très originale. Elle fait partie des Programmes d'Ajustement Structurels que le FMI et la Banque Mondiale ont imposés au Pérou et à l'Amérique latine depuis l'époque de Morales Bermúdez. Le cas récent de la chute de l'Argentine, qui a tout privatisé, le prouve : l'Argentine, après avoir passé avec succès de l'examen du FMI, haut la main et avec les félicitations du jury, est en pleine crise depuis quelques mois.

Aujourd'hui, c'est un pays en faillite

Le mythe de l'Etat mauvais et de la bonne entreprise privée

L'évidence empirique mondiale ne donne pas de preuve démontrant que le monopole de l'efficacité appartient au privé, à l'opposé du monopole de la bureaucratie, à la lenteur et au manque de compétitivité de l'action de l'Etat. Des phrases idéologiques, répétées jusqu'à l'épuisement, et qui - sans être jamais mises en doute - se sont profondément ancrées dans l'imaginaire populaire. Mais, est-ce pour autant vrai ? Ou n'est-ce qu'un mythe de plus apporté par les faiseurs d'opinions publiques ?

Nous, péruviens et péruviennes, avons contemplé le démantèlement de la Sécurité Sociale et avons vu naître les assurances santé et les cliniques. Ceux de nous qui utilisent ces services privés ont pu constater que ces entreprises privées ont leurs défauts : des attentes longues, une mauvaise surveillance médicale, un manque de médicaments, des coûts excessifs, peu de maladies couvertes, un équipement désastreux et de nombreuses morts dues à des négligences médicales et administratives. Nous, usagers, avons nos critiques et ne percevons pas d'amélioration du service.

Dans le monde, il existe différentes expériences d'entreprises publiques : l'éducation principalement publique en France et en Angleterre, la télévision anglaise de première qualité, les systèmes de santé nordiques, ne sont-ils pas efficaces ? Ou le système d' éducation japonais - public - n'est-il pas à la hauteur ? La NASA, certainement une des organisations d'avant-garde en matière de recherche scientifique et technique à l'échelle planétaire, est une entité fédérale, publique états-unienne. Tous sont efficaces. L'éducation en France et en Angleterre, assurées par ces Etats, est de qualité. Ce n'est malheureusement pas le cas au Pérou.

La population péruvienne ne croit pas aux privatisations

Il est certain qu'il y a beaucoup d'inefficacité dans le développement des entreprises de distribution de l'électricité et de l'eau. Il est d'autant plus certain que ce n'est pas dû au seul fait d'une mauvaise gestion intrinsèque par l'Etat, mais aussi au fait que cet Etat est aujourd'hui en train de vendre ses entreprises. Que cet Etat a été corrompu par de nombreuses entreprises privées. Il est aussi certain que de nombreuses entreprises privées font du lobbying pour le démantèlement des entreprises publiques, qui en raison de leur perte croissante d'efficacité, seront vendues largement en dessous de leur véritable valeur.

Dans différents pays d'Amérique Latine, les Etats ont joué le « mauvais rôle », en subventionnant le processus de privatisation, par exemple, en réalisant d'importants investissements au moment de la vente, en licenciant des travailleurs pour transmettre aux nouveaux propriétaires une assiette salariale réduite, en augmentant l'inefficacité pour justifier que l'Etat est très mauvais gestionnaire, et parfois en désinformant sur des actifs sous-évalués. Quelques entreprises candidates à l'achat ont corrompu des fonctionnaires de l'Etat.

Privatisation ou vente aux enchères

Le gouvernement, par l'intermédiaire de la COPRI, a signalé que les entreprises EGASA et EGESUR seraient vendues pour 156 millions de dollars. Ce prix a été déterminé au moyen de la même méthode d' évaluation employée par le gouvernement de Fujimori. Le Président de la Commission à l'Energie et aux Mines du Congrès soutient que les deux entreprises ont une valeur d'au moins 260 millions. Dans le sud du Pérou, on avance une valeur de 450 millions de dollars. Toutes deux sont des entreprises en pleine activité, il n'y aura pas de période de rupture ni de risque d'une diminution de la demande. Nous devons rappeler le prix de vente de Telefónica, proposée sur le marché par le gouvernement à hauteur de 500 millions et achetée 2,5 milliards de dollars. Nous réalisons aujourd'hui que ce prix était très bas. Un autre cas est celui de Electro Andes que la COPRI a introduit sur le marché à 120 millions et finalement achetée pour 227 millions. L'offre et la demande n'expliquent pas cette variation de prix. Le problème vient de la méthode utilisée pour évaluer le prix des entreprises publiques, qui les sous-évalue systématiquement. Il existe par conséquent des responsables de cette sous-évaluation. La corruption est bien sûr présente.

Consultation sur le Modèle Économique

On ne peut prendre la décision de privatiser les entreprises de distribution de l'eau et de l'électricité sans l'aval de la population impliquée, d'autant plus quand le gouvernement élu a écarté la privatisation comme source de recettes destinées à couvrir le déficit public.

Pour que cette consultation soit un espace d'éducation et de décision, il est nécessaire que l'Etat, les entreprises privées et les usagers et consommateurs occupent l'espace et les médias de manière équitable, afin de faire connaître leurs propositions et pour qu'on ne parle pas uniquement de celles des entreprises privées. Les usagers et consommateurs doivent participer au débat et les diverses propositions de l'Etat doivent être débattues ouvertement.

Le principal obstacle à la continuation de l'extension de la
fourniture en électricité est le niveau de revenus amoindri des couches les plus pauvres de la population, qui n'ont même pas accès au service, et cela ne peut être résolu par la privatisation. L'Etat dans tous les pays du monde a la responsabilité d'assurer la fourniture de services basiques aux pauvres, ce qui n'est pas garanti par la privatisation des services publics.

Quand ont commencé les privatisations au Pérou en 1991, les enquêtes montraient que plus des trois quarts de la population les appuyaient et en attendaient beaucoup. Aujourd'hui, les résultats sont inversés : le désenchantement de la majorité de la population à propos des privatisations est flagrant. La montée des prix, la dégradation de la qualité dans certains secteurs et l'exclusion des secteurs les plus pauvres, expliquent ce revirement d'opinion des usagers et consommateurs.

González de Olarte signale que la grande majorité des actifs de l'Etat ont été privatisés dans les secteurs de la finance, de la pêche et des télécommunications, mais que d'autres secteurs ont connu des privatisations : c'est le cas des mines à 90 %, des manufactures à 85,5 %, des hydrocarbures à 68 % de l'électricité à 68 %, et de l'agriculture à 35 %. Parallèlement, 225 processus de privatisation et / ou de concession ont été aboutis, générant 6,5 milliards de dollars de recettes pour le Trésor Public, venant s'ajouter aux 11,4 milliards de dollars d'investissements promis, dont la majeure partie ont été réalisés. Cependant, la situation du pays, des consommateurs et usagers ne s'est pas améliorée. Tout ne s'explique pas par la corruption. Le modèle économique constitue aussi un obstacle qui ne permet pas de sortir de la pauvreté ni de satisfaire les intérêts et attentes des consommateurs et usagers.

Article envoyé par Lino Cerna de ATTAC-ECHLA
Contact pour cet article ech...@attac.org

- Publié dans le courriel d'ATTAC



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