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Réflexions d'un militant sur son mouvement

Anonyme, Saturday, July 20, 2002 - 14:17

Gabriel Anctil

Le mouvement militant doit se réinventer, doit faire preuve d'imagination et d'innovation, doit contre-attaquer la droite qui lui a fait bien du mal depuis le Sommet des Amériques. La lutte sera longue et dure mais elle en veut la peine.

Réflexions d’un militant sur son mouvement

Par Gabriel Anctil
(ball...@hotmail.com)

La gauche s’essouffle. Ayant pour la première fois depuis vingt ans réussit à rallier autant de gens (80 000 personnes) autour d’une cause à Québec en avril 2001, elle subit un énorme déclin depuis. Elle s’essouffle parce que les forces du marché, la répression et les médias ont prouvé sa faiblesse psychologique (de moins en moins de gens militent activement) et son manque d’imagination (tout le mouvement est concentré à organiser des manifestations). La droite est féroce et puissante mais elle est et restera toujours en manque d’arguments pour convaincre la population lucide. C’est sa faiblesse, son talon d’Achille, la preuve de son illégitimité. Que les économistes, les journalistes, les hommes et femmes d’affaires et ces nouveaux adéquistes expliquent donc au monde les inégalités séculaires. Pourquoi par exemple, les richesses s’accumulent-t-elles au sud de notre frontière alors que la misère atteint 3 milliards d’habitants qui doivent survivre avec moins de 2 dollars par jour? Ils répondront alors que c’est la loi de la jungle : les gros mangent les petits à en devenir obèse comme ces millions d’Américains croyant trouver leur salut éternel dans cette sacrée communion avec leur président débilitant l’instant d’une vision mystique (la sacro-sainte croissance économique), avant de s’étouffer avec un prosaïque pretzel. Rien n’a donc changé depuis le début des temps.

Ensuite il y a plein de subtilités, des chiffres, des faits qui indéniablement renforcissent la gauche dans sa bataille. Il n’y a qu’à lire Noam Chomsky, Jacques B. Gélinas, Léo-Paul Lauzon, Omar Aktouf, les pages du Monde Diplomatique, du Couac, de L’aut’Journal ou de n’importe quel média sans but lucratif ou intéressé, pour comprendre les choses : cette situation politique et sociale est le résultat de l’irresponsabilité, de la couillardise, de l’abrutissement des générations passées mais aussi présentes, qui ont perdu le réflexe de remettre en question les choses, de critiquer, de regarder le monde comme il est. La dure réalité nous entoure pourtant : même ici à Montréal ou ailleurs au Québec, dans un monde d’opulence des gens meurent de faim, de froid, de brutalité policière. Mais pourtant, la révolte ne s’affirme pas.

C’est un tour de force que de s’aliéner une population qui souffre. Cette gauche de la rue qui a démoli le mur de la honte, est en manque d’inspiration et tâte très mal le pouls de ces perdants modernes. Elle devra se réinventer pour rejoindre cette majorité constituée de laissés pour compte, de travailleurs, d’étudiants et d’intellectuels.

La déconfiture des muscles

Qui n’a jamais cru sérieusement qu’une manifestation rassemblant une centaine de manifestants pourrait renverser le pouvoir? Personne de moindrement réaliste. Alors pourquoi continuer, s’acharner à organiser d’autres manifestations quand celles-ci ne regroupent toujours que les mêmes irréductibles, se terminent toujours par des arrestations et se concluent par la démoralisation de tous ses participants? Il y a d’autres tactiques aptes à conscientiser plus de gens.

Jouer le jeu des muscles c’est jouer le jeu de la droite, de ceux qui ont à perdre, de ces élus manigancés, des ces propriétaires milliardaires qui, possédant les médias, les armes, les pantins et les chiens, s’amusent ferme à voir tant d’énergies s’envoler en fumée.

À Québec lors de cette historique prise de conscience politique, le mur se devait de tomber, le symbole était trop arrogant et les manifestants bien organisés étaient soutenus par des milliers d’autres, réalisant toute l’ampleur de l’affront. Un an et quelques semaines après, le mur s’est déplacé : il se resserre, s’équipe des derniers modèles de matraque, se déplace et crie en anglais des « move, move, move… » en frappant sur son bouclier. Ce mur il est entraîné par les sans-pitié de la police et de l’armée qui ne dorment que dans une ville sans contestation. Se battre contre les chiens lobotomisés, les gardes de sécurité de la propriété privée, c’est oublier les vrais ennemis, les vrais maîtres. De tous temps ceux-ci se sont fait affronter les malheureux entre eux. Ils sont malins. Casser de la police, quoi que j’en rêve souvent, n’est pas la solution. Ce serait s’abaisser à leurs manipulations à coup de matraque sur la gueule, de poivre de Cayenne dans les yeux et de lacrymogène dans les poumons.

Organiser une manifestation où il y a 100-150 personnes requiert énormément de volonté et de temps. Les policiers n’ont qu’à la cerner, et hop, voilà tout le monde dans le panier à salade. C’est trop facile pour ces « forces de l’Ordre » qui sont des êtres sans conscience comme l’était les bergers allemands nazis; tant qu’ils ont leur temps supplémentaire payé double, la possibilité de tester leurs nouveaux jouets et l’occasion d’épater les copains, avant, pendant mais surtout après les évènements, ils sont heureux. La révolution, c’est quoi ça? Et qui en est le chef? Ils ont l’esprit beaucoup trop simple, ont beaucoup trop à perdre. Laissons-les donc poireauter au poste entre deux rapports, ça leur rongera les nerfs.

Multiplier les fronts

La seule façon de battre la droite et d’organiser un véritable changement c’est de lutter sur le champ des idées. C’est un lieu de bataille où la gauche peut rassembler les gens, où elle peut les rallier à des concepts tout simples et universels comme la liberté, l’égalité, la fraternité. Mais pour ce faire il faudra que le mouvement militant délaisse son pied d’Estal et la perception que certains d’entre eux entretiennent de constituer l’avant-garde éclairée du peuple. Il devra surtout se débarrasser de cette douce et naïve illusion qui lui fait encore parfois croire que les médias de masse transmettront un jour ou l’autre leur message à ses consommateurs.

Les nombreuses manifestations qui ont eu lieu à Montréal, à Québec, à Toronto et à Ottawa lors de la dernière année nous ont prouvé hors de tout doute qu’ils pouvaient mieux que quiconque tomber dans les clichés et le spectaculaire en laissant de côté les raisons politiques de tels évènements. En fait, plus que la police et la répression, les médias ont réussi à creuser un véritable fossé entre la population et les manifestants qu’elle perçoit comme des voyous sans argument, sans projet véritable, sans vision. C’est alors qu’elle se retourne comme toujours vers la politique, et que voit-elle? De vieux partis s’embourbant dans les scandales et les faux pas, éblouissants de promesses, répugnants de bassesses. Et hop, voilà-t’y-pas Mario tout fringant qui paraît bien à la tv, pur produit des médias qui, lui donnant toutes les tribunes, signent alors un tacite contrat pour partager le pouvoir. Statu-quo : médias-politiciens-hommes d’affaires, ce nouveau trio de l’enfer. Et certains militants croient encore qu’ils l’auront cette tribune et que le bon sens l’emportera!!! Ben voyons, l’Histoire n’est pas un conte de fées et la population québécoise est informée par deux milliardaires (Péladeau et Desmarais) prêts à tout pour endormir; mal informer pour mieux manipuler.

Il faut donc couper les liens avec les médias de masse une fois pour toutes, ne plus rien attendre d’eux et alors prendre la responsabilité du message : allez voir les gens sur leurs lieux de travail, allez parler aux étudiants dans leurs écoles secondaires, collégiales, universitaires, impliquez-vous dans toutes les sphères de la société pour la transformer, la conscientiser. De cette façon, briser ce front unique annoncé et public que représentent les manifestations que la population en droit d’être armée (les policiers) n’a qu’à bloquer. En multipliant les fronts on devient subitement invisible et beaucoup plus difficiles à contrecarrer. On devient dangereux pour l’ordre établi parce qu’on le met face à ses propres contradictions : laissera-t-il des gens parler, penser librement même s’ils deviennent une menace à sa propre existence? Ou les musellera-t-il au prix d’afficher sa véritable nature fasciste?

Lutter pour gagner

Il faut attaquer. Changer les domaines des idées, des livres, de la philosophie, de la sociologie, de la politique, du cinéma, de la musique, du théâtre, de la peinture mais aussi de l’éducation, de la santé, du logement, de l’alimentation, de l’énergie, de l’environnement… Partout en même temps le mouvement doit changer les esprits. Travailler dans les syndicats (il faudrait d’ailleurs aider les grévistes sur les piquets de grève comme le faisait jadis les militants du FLQ), les associations étudiantes, les comités de quartier mais aussi individuellement, quotidiennement, changer les choses et l’entourage de chacun : donner des cours sur les médias de masse, expliquer l’importance démesurée des multinationales, proposer des améliorations concrètes aux conditions de travail de tous et toutes… En fait, n’en déplaise à certains militants qui regardent encore la télévision en attendant la prochaine manifestation, la révolution viendra au terme d’une période où les éléments de la gauche travailleront encore plus fort et mieux que ceux de la droite qui ont pourtant tous les moyens de leur côté, mais très peu d’idées. Changer le monde ça veut dire se mouiller, se salir les mains, prouver la critique du système, mais aussi proposer des solutions, dans tous les domaines.

L’épisode du Squat de l’été dernier a pris tout le monde par surprise. Pour répliquer à l’action des squatteurs, les réactionnaires ont dût user de leurs médias salisseurs et manipulateurs pour détourner l’opinion publique des véritables enjeux. Mais l’occupation elle-même fut un succès et elle souleva de véritables problèmes de gestion politique et économique.

Il faut innover en étant positif, jamais se dire anti-quelque chose, ça serait tomber dans le jeu de la droite et des médias qui nous ont déjà étiqueté « d’anti-mondialistes » alors que le mouvement est au contraire pour les échanges et la justice mondiale. Ils mélangent tout comme toujours. Il faut continuellement présenter une solution, abandonner le négativisme et le nihilisme. Il faut se dire pour une société où l’information serait véritablement critique et au service de la collectivité, une société où les énergies seraient non-polluantes, une société où l’éducation, l’alimentation et la santé seraient gratuites, une société fondamentalement démocratique où l’implication personnelle serait valorisée…
On est loin de tout cela, mais on peut y arriver prochainement. Dans l’action, uniquement, nous rejoindrons les autres. Par l’exemple mais aussi le resserrement du tissu social, nous atteindrons nos buts. Il est important de faire de l’éducation politique pour contrer les médias et les faiseurs d’images qui se spécialisent depuis bien trop longtemps dans l’abrutissement politique. Il faut passer des tracts, écrire des journaux, faire des films, diffuser, parler, s’exprimer. Chacun dans son domaine doit éveiller les esprits endormis et créer la discussion, la réflexion qui mènent aux propositions d’une lutte locale, d’un véritable projet de société.

S’unir au Québec pour changer notre monde avant de changer le monde. Démontrer ici avant tout qu’il est possible de faire autrement et ne pas tomber dans un autre piège de la droite voulant que les véritables problèmes se situent à l’autre bout de la planète, pour mieux cacher sous le tapis les inégalités qui nous entourent. Ne pas devenir des universalistes sans communauté de lutte.

Ne plus faire de petites manifestations, plonger et aller convaincre la population du bien de notre cause qui alors, s’apercevra que l’image que les médias transmettaient de nous était fausse et manipulée, que nous avons un discours, des idées, un but et rien à y gagner sans le partager. Après un an de ce travail ardu et continu, après deux ans peut-être, revenir dans la rue mais cette fois beaucoup plus nombreux et légitimes pour créer un véritable changement, jusqu’au but je l’espère, mais sans quémander de l’aide ni aux policiers ni aux médias.

Chacun doit trouver sa voie. Au travail!



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