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Le néolibéralisme et la mafiaCarl Desjardins, Sunday, June 16, 2002 - 12:26
Giuseppe Di Lello
Berlusconi sait, en fait, qu'il ne peut imposer son dessein néolibéral "uniquement" en rendant vains l'indépendance de la magistrature et les contrôles de légitimité, en abolissant "uniquement" l'article 18, en privatisant "uniquement" l'école ou la santé, en lançant des lois qui rendent vaine "uniquement" la lutte contre la mafia, en favorisant "uniquement" l'impunité de la répression de l'opposition sociale : il doit faire tout et en même temps, parce que ce n'est qu'ainsi qu'il pourra gagner sur tous les fronts. Par Giuseppe Di Lello (ex-magistrat, parlementaire européen) Les dix ans de la tragédie de Capaci vont être célébrés dans la conscience de tout ce qui a été fait de positif ou de négatif et de combien il est devenu difficile de faire ce qui doit l'être dans une phase historique caractérisée, au niveau européen, par la domination de la pensée et de la pratique néolibérales. Laissons de côté la simplification de la "diminution de l'effort" contre ce phénomène, qui n'explique rien et, dans son indétermination, se prête à être utilisée par tous contre tous. Efforçons-nous de nous attacher aux faits et revenons au contexte, au moins, celui de la Sicile, pour analyser le passé et essayer de comprendre s'il y a quelque voie d'issue pour le futur. La répression judiciaire [du phénomène mafieux] a commencé, à partir du début des années 80, avant tout grâce au grand mérite de beaucoup de personnalités Costa et Chinnici, et ensuite Falcone et Borsellino et s'est poursuivie jusqu'à nos jours, avec Caselli et Grasso. Elle a été intense et efficace, aussi bien sur le plan de la lutte contre les hommes de main, que sur celui, plus opaque, de la lutte contre les complicités, alors qu'elle n'a pas récolté de grands succès dans le domaine politique. Cela aussi parce que, justement à ce niveau, s'est interrompue la tendance, dans la pratique juridique, qui se fondait, plus sur la crédibilité du " déclarant " lui-même, que sur celle des déclarations. Que ce " virage" juridique sous-tende plus un retour à une espèce de " justice de classe " qu'à une interprétation correcte des règles de la procédure d'évaluation de la preuve, voilà un problème encore en suspens. Tout comme l'est celui de la bonne qualité d'un instrument procédural (et de son utilisation) qui autorise le prolongement d'un jugement, pour un seul accusé, sur quatre, cinq et six ans : le fait de constater ce problème devrait donner lieu à une discussion calme et non à des cris de vierges effarouchées ou à des accusations d'adaptation aux arguments des détracteurs de la justice et des juges. Reste le fait qu'à la fin de cette opération répressive nous retrouvons une mafia aussi forte qu'avant et qui contrôle comme jamais le territoire. Il suffit de lire les statistiques fournies par le rapport du Commissaire Tano Grasso sur la consistance actuelle du racket et de l'usure, rapidement "effacées" par l'actuel gouvernement, qui s'est empressé de muter son auteur, incommode comme tout ce qui a une incidence effective dans la lutte contre la mafia. Quoiqu'il en soit, cette action judiciaire avait mis à mal l'impunité totale des mafieux et avait redonné du souffle à l'activité sociale. Si les tueries mafieuses ont amplifié et catalysé l'indignation populaire, les grands procès avaient redonné à la société civile la force de s'opposer à la mafia à tous les niveaux. Dans le "printemps de Palerme" et dans la myriade d'administrations locales progressistes, on peut voir une interaction entre la chute du mur de l'impunité, due à l'action de la magistrature, et la confiance des citoyens dans la possibilité du changement. Les intérêts du bloc politico-mafieux restaient certes solides et se réorganisaient, après la victoire de Berlusconi de 1994, autour d'une "nouvelle" classe politique, qui a pris directement le relais de l'ancienne, mais l'épée de Damoclès du contrôle judiciaire rendait tout plus difficile pour les mafieux et leurs représentants politiques. La loi électorale majoritaire voulue fortement même par d'amples couches du centre-gauche et les autres lois de cette formation politique, propédeutiques à l¹attaque actuelle contre les droits des travailleurs, les syndicats et l'école publique, pour n'en citer que quelques uns, redonnaient de " l'espoir " aux intérêts du bloc du pouvoir néolibéral et mafieux. La loi électorale majoritaire, en particulier, a permis au pouvoir mafieux d'atteindre deux objectifs. D'un côté les organisations criminelles sont revenues au centre des enjeux électoraux, parce que, avec un effort minimum (avec peu de voix, qui font la différence), elles arrivent à maximiser le résultat: en Sicile 61 collèges majoritaires sur 61 en sont la preuve éclatante, mais si l'on fait aussi une analyse dans beaucoup d'autres collèges du Sud, on aurait une confirmation de cette affirmation.. D'un autre côté, cet apport massif en sièges permet de fonder au niveau national un pouvoir de gouvernement inattaquable, fonctionnel aux intérêts criminels: il suffit de rappeler le premier lot de lois berlusconiennes. Fort d'une énorme majorité parlementaire, non justifiée par les votes en absolu, le pôle berlusconien manoeuvre aujourd'hui massivement pour miner les bases de l'Etat de droit défini par notre Constitution républicaine, avec un projet nécessairement global. Berlusconi sait, en fait, qu'il ne peut imposer son dessein néolibéral "uniquement" en rendant vains l'indépendance de la magistrature et les contrôles de légitimité, en abolissant "uniquement" l'article 18, en privatisant "uniquement" l'école ou la santé, en lançant des lois qui rendent vaine "uniquement" la lutte contre la mafia, en favorisant "uniquement" l'impunité de la répression de l'opposition sociale : il doit faire tout et en même temps, parce que ce n'est qu'ainsi qu'il pourra gagner sur tous les fronts. Face à l'action globale de la droite, doit se développer une action tout aussi globale de la gauche et cela est vrai aussi pour le front contre la mafia, qui ne peut pas croire de pouvoir défendre, par exemple, le droit de la magistrature à l'indépendance sans soutenir pleinement par ailleurs la défense des autres droits, civils et sociaux. Politiciens, magistrats, professeurs, engagés à crier leur indignation pour la "diminution de l'effort" contre la mafia (ou, de façon bien réductrice, pour protester contre le partage du butin de la Rai qui, "cette fois", n'a pas favorisé le centre-gauche), nous voudrions les voir aussi concrètement aux côtés de ceux qui luttent pour un logement, pour l'eau, pour les droits des immigrés, pour que justice soit faite pour les passages à tabac de Naples et de Gênes, pour Sofri, condamné sans preuves, pour l'incroyable "malaise actif" de Pinelli, contre les contrats à durée déterminée et la précarité sans droits et sans futur, et ainsi de suite. Nous voudrions, en somme, que la protestation aille de pair avec la lutte pour un projet de changement et non pas d'alternance. Le projet néolibéral de société voulu par Berlusconi est, comme on l'a dit, fonctionnel au pouvoir mafieux et il n'y aucune perspective de lutte contre la mafia, à quelque niveau que ce soit, si l'on ne lutte pas contre ce projet. Giovanni Falcone n'était pas un révolutionnaire, mais, s'ils l'ont tué, c'est parce qu'avec son action il posait un jalon pour une société plus juste. Ce n'est pas abuser de sa mémoire que de dire cela. Mais, au contraire, c'est aider à comprendre ce qu'il faudrait faire pour que sa vie et son sacrifice aient un sens, du moins, pour nous tous, qui sommes de gauche. 23 Mai 2002 -Publié dans le courriel d'information d'ATTAC |
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