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La démocratie sous la menace de l'OMCCarl Desjardins, Sunday, May 19, 2002 - 06:17 (Analyses | Democratie)
L'écologiste
À l'approche des législatives, les candidats qui courtisent nos voix sont curieusement muets sur les menaces qui pèsent sur les Parlements. Complaisance ou ignorance ? Les candidats-députés savent-ils que si rien n'est fait, les assemblées élues se retrouveront bientôt sous la tutelle de l'Organisation mondiale du commerce ? Ce scénario n'a rien d'inéluctable, mais la machine est en marche. À travers la révision du plus complexe des accords de l'OMC, un véritable assaut sur le droit des élus à légiférer est lancé. Cet accord à pour nom AGCS, accord général sur le commerce des services. Il concerne directement tous les secteurs, y compris vitaux, comme la santé, l'éducation, la culture ou l'environnement. Il affectera indirectement des domaines essentiels comme le droit du travail, la possibilité de poursuivre des objectifs d'intérêt général. Mais il se négocie à huis clos, et ses disciplines sont si enchevêtrées que les technocrates eux-mêmes s'y prennent les pieds. Pourtant de nombreux mouvements de la société civile ont interpellé leurs gouvernements Un appel international " Arrêtons l'attaque de l'AGCS sur les services publics" est lancé depuis plus de deux ans. Si les futurs députés ne veulent pas être complices de la mise à l'écart des Parlements, il est temps qu'ils s'informent et réagissent. Entré en vigueur en même temps que l'OMC en janvier 1995, l'AGCS est un accord-cadre, non pleinement aboutit. Sans précédent juridique, il soumet les pays membres à l'obligation de renégocier périodiquement vers toujours plus de privatisation des services (art 19). Il soumet aussi les secteurs dit " non engagés", à savoir que les gouvernements ont décidés de protéger, à des clauses de "transparence" et de "réglementation intérieure" : autrement dit l'AGCS octroie à l'OMC le droit de regard sur la manière dont les "membres" organisent les services pour les citoyens. Avec la révision de l'AGCS, démarrée en février 2000, une opportunité sans précédent s'ouvre aux grandes firmes. Des domaines aussi vitaux que l'accès à l'eau, l'enseignement, les soins médicaux ou la gestion des ressources tomberont sous la coupe du tribunal de l'OMC. Le Commissaire européen au commerce extérieur, Pascal Lamy, qui négocie pour les 15 pays de l'Union, a d'ailleurs prévenu : " aucun secteur n'est en dehors de la négociation" ! On nous assure que les pays conservent le droit d'organiser leurs services publics : c'est faux, ou du moins c'est une illusion. Car pour qu'un service ne soit pas concerné par l'AGCS il doit être intégralement gratuit, et n'être fourni que par l'Etat (art 1.3) Il existe des cliniques ou des écoles privées sur votre territoire ? Les services de santé et d'éducation sont donc soumis à la concurrence. De toute façon les législations qui les encadrent seront passées au peigne fin pour déterminer si elles sont " plus contraignantes que nécessaires pour assurer la qualité d'un service". De l'accès aux services essentiels, droits inscrits dans la Charte des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (1966), il n'est pas fait mention. La Commission européenne va plus loin en proposant que les législations et réglementations nationales soit soumises au "test de nécessité"1, afin de statuer si elles répondent à des "objectifs politiques légitimes" (sic !). Si le principe même de la démocratie repose sur la capacité des représentants du peuple à légiférer dans l'intérêt des citoyens, les milieux d'affaires ne partagent pas cette conception. La Chambre du commerce international, qui se targue de son influence sur l'OMC, demande que les projets de loi soient désormais envoyés à l'OMC avant d'êtres déposés devant les Parlements. L'AGCS, comme les autres accords de l'OMC est censé s'appliquer au commerce transfrontière. En quoi l'administration de la vie publique peut-elle contrevenir à ses règles ? Pour l'OMC, tout service est commercial. Dans son optique, les services publics, sont des opportunités d'affaires manquées. Les campagnes de presse à répétition qui les déclarent "inefficaces" et "déficitaires" préparent les esprits à leur privatisation. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : dans le monde, les dépenses de santé s'élèvent à plus de 3500 milliards de dollars par an, celles de l'éducation excèdent les 2000 milliards. Leur ouverture à la concurrence s'annonce prometteuse pour les grands opérateurs. Partout la gratuité, qui n'est que le fruit de nos impôts, et la redistribution, dictée par des objectifs d'intérêt général, se voit attaquées dans leurs principes mêmes. Les subventions ne relèvent tout de même pas de l'AGCS ? Justement si. C'est l'intitulé de l'articles 15. À partir du moment où votre négociateur, qui ne consulte ni n'informe le Parlement, "engage" un secteur à l'OMC, une série de mesures deviennent prohibées. Interdit de limiter le nombre de succursales d'un opérateur étranger ou d'exiger un quota d'embauche locale. Au nom du "traitement national" les firmes transnationales d'éducation et de santé pourront prétendre aux mêmes subventions que les écoles ou hôpitaux du pays d'accueil. Dans le cadre d'un autre accord de libre-échange, l'ALENA, le tarif préférentiel octroyé par la poste canadienne au routage des magazines nationaux à été condamné comme "entrave à la concurrence". La presse "yankee"dominait déjà pourtant 90 % du marché ! Autre nouveauté juridique, l'AGCS comporte un article dit de" plainte en cas de non -violation". Cet article 23-3, stipule que des législations conformes aux règles de l'AGCS, mais qui annulent des avantages qu'un autre membre serait en droit d'attendre d'un "engagement", peuvent faire l'objet de poursuite. Le pays lésé pourra obtenir des compensations financières, voire l'abrogation de la législation incriminée. La province de San Luis Potosi au Mexique a expérimenté ce genre de justice à ses dépens. La compagnie américaine Metalclad avait acheté des terres sur un parc naturel de la région. Quand la firme voulu y entreposer des déchets toxiques, les autorités régionales le lui interdire en raison des risques de pollution des nappes phréatiques. En vertu du chapitre 11 de l'ALENA, similaire au 23.3, le Mexique fut condamné à verser à Metalclad 90 millions de $ en "compensation". La démocratie obstacle au commerce ? En Europe déjà, la privatisation à marche forcée de l'énergie, de la poste, des transports, des musées, de la culture sont facteurs de désagrégation sociale. La privatisation plus insidieuse de la santé, de l'éducation, des services sociaux ne peut qu'entraîner des régressions et exclusions plus graves encore. Au-delà des services sociaux et des services publics, cet accord remet en cause l'exercice même de la démocratie. Pris dans leur ensemble, les outils qu'il recèle opèrent une restructuration du rôle des Parlements et des gouvernements1. Or ses disciplines s'appliquent à tous les échelons de décisions politiques : nationales, régionales, départementales et communales, messieurs les élus qu'en pensez vous ? Pour pouvoir s'imposer, les programmes de l'OMC avancent toujours masqués. Ainsi, lors de sa dernière assemblée ministérielle (Qatar.9-14 nov 2001..)un coup de poker menteur magistral a été opéré. À l'issue de cette 4 ministérielle, le Premier ministre Lionel Jospin et le président Chirac se félicitèrent que l'environnement avait "été pris en compte" à Doha. Or la déclaration, arrachée de force aux pays du Tiers-monde2, engage "les membres à réduire ou ...éliminer les obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux" (§ 31.3) Biens et services d'environnement !? Ce terme "biens" , "goods" en anglais, qui signifie marchandise, redéfini les ressources naturelles comme denrées commerciales. Le concept de "services", les soumets aux règles de l'AGCS. Coup double, savamment occulté. À Genève les services d'environnement sont d'une actualité brûlante. La phase des "requests", demandes de libéralisation, est ouverte jusqu'à fin juin 2002. Dans ce grand marchandage l'Union Européenne mène l'offensive sur les services d'environnement tandis que les Etats-Unis attaquent sur le front des services d'énergie. À l'insu des Parlements et des populations la biosphère et les sous-sols géologiques sont donc l'objet d'un" trade off " planétaire Au grand embarras de la Commission Européenne, une récente fuite a permis de mesurer l'ampleur de ses exigences. "Captage et distribution de l'eau, protection de l'air et du climat, protection de la biodiversité et des paysages..." autant de domaines qui risquent de se retrouver sous la coupe de l'OMC. On peut toujours amuser la galerie avec un sommet sur le développement durable, les vraies affaires se passent ailleurs. Pourtant, au nom des droits existentiels des générations futures, un nombre croissant d'associations, syndicats et même municipalités, déterminés à obtenir un moratoire sur ces négociations, rejoignent la campagne internationale " Arrêtons l'attaque de l'AGCS"4. Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides 1 Voir document de l'OMC: S/WPDR/W/14
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