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Pour Richard Martineau : des nouvelles sur la Realpolitik de la CPI

critique, Thursday, May 16, 2002 - 21:01

Air des lampions

Oyez ! Oyez ! Voici un texte écrit par un combattant d'élite mobilisé pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ».
N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance de la raison : www.critiqueimmuable.org. Le texte qui suit porte sur de la position américaine sur la fragile Cour pénale internationale et sur les poses d'humaniste indigné de Richard Martineau.

Nous republions ici un texte d'archive du Collectif
de réflexion sur l'air des lampions. Celui-ci prend à parti le très
brillant Richard Martineau à l'occasion de la parution d'une de ses
profondes cogitations hebdomadaires dans l'hebdomadaire Voir (www.voir.ca/montreal).
Dans la foulée de la mobilisation post-Sommet des Amériques, M.
Martineau s'était commis dans une expression de
« solidarité », non pas avec les nombreux indignés épris de
justice sociale, mais avec la vertu d'un seul journaliste, Christopher
Hitchens - dont nous ne disputerons évidemment pas la qualité - ,
journaliste révéré pour son enquête accablante sur Henry Kissinger,
laquelle devrait, selon Martineau, mener l'ancien secrétaire d'État
américain tout droit devant la « justice internationale ».
C'est fort des qualités professionnelles du journaliste, c'est-à-dire
de son « objectivité » - « ni à gauche ni à
droite » affirme Martineau - , et de l'espoir que deviennent
durables les tribunaux de justice internationaux ad hoc, que
M. Martineau s'est cru autorisé pendant des semaines à taxer la
nouvelle mobilisation de gauche d'hystérie, de paranoïa et d'effet de
mode (cf. le « post-scriptum » plus bas).

À titre d'introduction à l'excellente analyse du Collectif de
réflexion sur l'air des lampions, nous aimerions faire une petite
digression sur l'actualité qui nous fournit une occasion en or pour
faire la leçon à ce simple d'esprit. Dans le contexte de la
« guerre au terrorisme », l'excellent journaliste Hitchens
et le tribunal international auront besoin plus que jamais de
l'indignation de la rue, et M. Martineau devra reconsidérer très
bientôt son amour affiché de manière ostentatoire pour l'Amérique,
amour qui est désormais définitivement en contradiction avec son idéal
de justice universelle. C'est qu'au moment même où la Cour pénale
internationale (CPI) reçoit l'avalisation d'un nombre suffisant de
pays à l'ONU pour pouvoir enfin devenir une organisation
internationale légitime stable et permanente, les É.-U. se
braquent plus que jamais contre l'existence même de cette cour. Ce
n'est pas surprenant pour les gens avisés. Rappelons pour les autres
que nous sommes à l'heure où les É.-U. sont critiqués de toute part
pour la détention illégale, selon la convention de Genève, de
combattants talibans à Guantanamo ; que plusieurs milliers de
personnes ont déjà subi aux É.-U. mêmes des détentions abusives pour
des motifs arbitraires qui tendent en plus à montrer le racisme
systématique de l'opération de sécurité américaine post-11 septembre
2001 ; que les É.-U. ont décidé qu'un détenu « lié » à
« al-Quaida », Zacharias Moussaoui, est passible de peine de
mort pour simple délit d'association avec les terroristes du 11
septembre - délit d'association parce que, dans son cas, l'on ne peut
pas parler de complicité directe ni de complicité après le fait :
Moussaoui était incarcéré depuis déjà quelques semaines quand les
événements du 11 septembre 2001 ont eu lieu ( !) (cf. http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn ?pagename=article&node=&contentId=A33659-2002Mar28&notFound=true.
Soulignons également que Rumsfeld a affirmé que les détenus de
Guantanamo qui seront « acquittés » par le tribunal
militaire resteront sous les verrous tant que « la guerre contre
le terrorisme » ne sera pas « terminée » - c'est-à-dire
peut-être pour toujours (cf. http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn ?pagename=article&node=&contentId=A33209-2002Mar28-)

On ne sera donc pas surpris que les maîtres du monde cogitent à
propos d'un projet législatif délirant, ouvertement anti-CPI, projet
qui ne cache absolument pas son caractère intéressé, dénué de toute
question de principe de l'ordre de celles qui meuvent les promoteurs
de la CPI. Le célèbre sénateur Helms n'a que faire des idéaux de
justice universelle quand il propose contre la CPI un projet de loi on
ne peut plus « self-serving » intitulé « American
Servicemembers Protection Act ».

Ce projet de loi propose l'interdiction de toute participation
américaine à la CPI ; il propose également des mesures punitives
sous la forme de refus d'aide militaire à ceux qui adhèrent au traité
instaurant la permanence de la CPI - sauf pour ce qui est des
principaux alliés des É.-U. On trouve également dans ce projet de loi
l'exigence que toute participation américaine aux « mission de
paix internationales » se fasse sous le couvert de l'immunité. La
proposition la plus insolente du projet de loi est la clause « 
invasion de La Haye » qui autoriserait le président à prendre
« tous les moyens nécessaires et appropriés » pour libérer
tout membre du «  personnel » américain voire même de
certains pays alliés, détenu ou emprisonné par décision de la
CPI ! (à propos des É.-U. et de la CPI, cf.
http://www.hrw.org/campaigns/icc/us.htm)

Tout cela parce que l'Amérique craint qu'il y ait des enquêtes
«  politiquement motivées » contre ses militaires ou
politiciens. On croit rêver ! Bien sûr, bande de cons, que la CPI
est « motivée politiquement » ! Et d'ailleurs, on est
en droit d'espérer que ses procès ne seront pas des procès
politiquement biaisés - comme le sera par exemple celui qui va
peut-être mener à la mort Zacharias Moussaoui. Contrairement à la
justice expéditive contre « la menace terroriste », la
signification politique des procès éventuels de la CPI tient en ce
qu'ils visent à rendre possible à nouveau le politique en rendant
justice aux peuples et individus qui ont été pris dans des drames où
s'était précisément écroulée tout légitimité politique. Les promoteurs
de la CPI chérissent également l'espoir que les procès internationaux
des dictateurs et fous sanguinaires puissent exprimer fermement la
solidarité internationale avec les peuples toujours opprimés. La CPI
veut précisément agir au moment où, pour des raisons d'incurie
politique persistante dans les pays d'origine des dictateurs, ces
procès demeurent impossibles. Libre au plus fort - aux É.-U. - de se
donner des airs d'indifférence, de cultiver la dénégation de ses
« erreurs » en matière de crime contre l'humanité - ce qui
l'apparente à tous les régimes déjà reconnus pour leur complaisance
avec leur bourreaux. Mais une chose est certaine, la «  lutte
pour la civilisation et la liberté » de l'Amérique, quand elle
passe par le refus de la CPI, perd toute crédibilité - si elle en n'a
jamais eu. Car sur ce terrain, elle se trouve compromise par des
alliances objectives très gênantes. En l'occurrence parmi ses alliés,
ouvertement opposés à la CPI et qui ne sont que six, on trouve
quelques-uns des pires ennemis de l'Amérique : l'Iraq et la
Libye, justement réputés pour leur gouvernement tyrannique, la Chine
et les très démocratiques Qatar et Yémen, ainsi que l'éternel allié de
l'Amérique avec lequel celle-ci est plus complaisante que jamais,
excusant déjà ses plus récents assassinats de masse : on parle
évidemment... d'Israël. Au fait, Sharon a encore du temps devant lui
pour perpétrer des massacres, car pour séduire les opposants à la CPI
qui sera instituée en juillet 2002, celle-ci s'est engagée à blanchir
tous les malfrats ayant commis des crimes avant cette date - ce qui
incidemment, à titre d'information pour M. Martineau, met Henry
Kissinger à l'abri.

Quoi qu'il en soit, on conviendra que cette fleur faite à la sombre
histoire contemporaine est inadmissible de la part de ceux qui
prétendent vouloir instaurer une justice mondiale plutôt que d'en
rêver ! Heureusement, entre les espoirs idéalistes de la CPI et
la démesure terroriste de l'Amérique, il reste la force de la colère
qui, entre autres, s'investit dans la dénonciation patiente, même de
la plus basse bêtise. L'Opération critique immuable est convaincue que
la critique sans merci revigore toujours les résistants.

À cette fin, revenons donc avec les Lampistes à ce ridicule Richard
Martineau qui leur donne beaucoup à critiquer. La critique accablante
du Collectif souligne, par l'exemple de l'opportunisme de Martineau,
comment les éditorialistes poseurs construisent leur idée en
phagocytant le travail honnête des vrais journalistes. Il faut savoir
que ce texte fût envoyé pour publication au Voir, évidemment en
vain. Cela dit, voici la brillante réplique du principal intéressé
parvenue au Collectif :

From: Richard Martineau <martineau@voir.ca>
To: Collectif de réflexion sur l'air des lampions <lampions@hotmail.com>
Subject: RE: Réponse à la chronique Un criminel en liberté
Date: Wed, 6 Jun 2001 10:08:08 -0400

« Criss que vous êtes twits.
Vous me rentrez dedans, alors que je vais dans votre direction.
On peut toujours compter sur la gauche pour s'entremanger. »

Doit-on comprendre que M. Martineau s'avoue moins bon
journaliste que Christopher Hitchens dont il célèbre le prétendu
extrême-centrisme - « ni à gauche, ni a droite » ? En
tout cas, M. Martineau aurait alors fait un bout de chemin,
malgré tout, vers une réconciliation avec les Lampistes. Un point sur
lequel Martineau et les Lampistes ne pourront cependant s'entendre est
celui de savoir qui trahit l'esprit de la gauche.

L'Opération critique immuable est enthousiasmée à l'idée de
continuer d'accabler M. Martineau en republiant le texte du
Collectif, autant que sa réplique cinglante,
« post-scriptum » à ce mot minable du penseur à la petite
semaine. Bonne lecture !

- Claude Pupitre

Les personnalités médiatiques sont toujours à notre
portée ; traînons-les dans la rue : réplique à Martineau

Originalement publié le 5 juin 2001

Dans sa chronique du 24 mai 2001, Richard Martineau, rédacteur en
chef de l'Hebdomadaire Voir, exige la condamnation de Henry
Kissinger pour crimes de guerre. Rien de moins. C'est que notre
journaliste a lu un livre ! Celui de Christopher Hitchens, The
trial of Henry Kissinger
. Il a pu ainsi découvrir ce que plusieurs
dénoncent depuis trente ans déjà, à savoir que l'ex-Secrétaire d'État
de Richard Nixon s'était spécialisé dans les intrigues de palais, les
guerres sanguinaires, les assassinats politiques et le soutien aux
dictateurs, dont Pinochet ne fut pas le moindre.

Que Martineau découvre et s'indigne MAINTENANT d'un fait connu
depuis presque toujours a de quoi nous étonner. D'autant plus qu'en
1996, le collectif d'actions non-violentes autonomes (Canevas) -
ancêtre de SalAMI - avait organisé une action de désobéissance civile
lors d'une visite de M. Kissinger à Montréal, action qui avait
précisément pour but de dénoncer les crimes contre l'humanité commis
par cette éminence grise de Washington.

On pourrait, bien entendu, simplement se réjouir qu'un journaliste
polyvalent et réputé comme Martineau - c'est-à-dire un journaliste qui
peut jouer à celui qui pisse le plus loin à Télé-Québec et conserver
assez de crédibilité pour pontifier sur tout et rien dans le
Voir et l'Actualité - dénonce un homme d'État comme
Kissinger. D'autres pourraient nous rétorquer qu'il n'y a pas de quoi
fouetter un chat, qu'il est de notoriété publique que
M. Martineau confonde inconsistance intellectuelle et libre
pensée.

Quant à nous, nous voyons plutôt dans ce sursaut de conscience
sociale l'occasion d'entreprendre une réflexion sur le fonctionnement
des médias. Ce que nous désirons ainsi porter à l'attention des
lecteurs de journaux, des nombreux journalistes qui s'interrogent sur
leur métier autant que des critiques éclairés des médias - les
activistes à qui l'on s'adresse entre autres - , ce sont nos
cogitations sur le comportement des médias à l'égard des idées.
Comment pensent les médias ? Comment une pensée critique se
fraie-t-elle un chemin jusqu'à l'esprit généralement complaisant des
éditorialistes ? Comment ces derniers perçoivent-ils finalement
leurs idées ? Ne sont-ce pas là des questions qui chatouillent
les neurones d'un peu tout le monde et qui, de ce fait, interpellent
le Collectif de réflexion sur l'air des lampions ? À cet égard,
l'explication chomskienne - que nous ne voulons pas balayer du revers
de la main - ne suffit pas à comprendre le parfait roulement et la
prolifique désinvolture des médias et des vedettes médiatiques
contemporaines, désinvolture à laquelle notre collectif entend
précisément s'attaquer - comme nous l'avons fait tout récemment à
l'égard de l'éditorial de Paule des Rivières (http://montreal.indymedia.org/front.php3?article_id=881).
C'est qu'entre nous, activistes, nous pouvons nous indigner de
l'irresponsabilité des journalistes massmédiatiques puis comprendre
cyniquement leur désinvolture comme une expression obscène qui vient
coiffer l'autosuffisance de l'appareil médiatique et qui trahit
l'ennui d'avoir le contrôle absolu de l'information. Mais alors, nous
ne ferions que nous complaire avec les chomskiens déjà convaincus -
que nous sommes tous à divers degrés - , et ne convaincrions personne
d'autre du bien-fondé de notre analyse réputée paranoïaque, surtout
pas les Martineau de ce monde qui se déclarent sincèrement libres
penseurs.

Disons les choses sans détour ; le rapport de
M. Martineau à la pensée est comme celui du chien envers sa
pâtée : c'en est un de consommateur. À cet égard, il nous semble
être le digne représentant de la logique massmédiatique contemporaine.
La bête médiatique, en effet, doit produire des informations pour se
maintenir en vie. Telle est sa nature. Elle ne vit que pour dévorer et
transformer les idées qui lui tombent dessus par hasard, et qui
proviennent de l'extérieur d'elle, c'est-à-dire de la société. De
surcroît, elle ne consomme que les idées qu'elle peut restituer en
signaux-informations propices à la reproduction de sa clientèle
(lectorat, auditeurs, etc.). Autrement dit, au sein des médias, les
idées sont absorbées les unes après les autres sans autre nécessité
que celle qu'ont les groupes de presse de produire de l'information
pour se maintenir dans l'existence - c'est-à-dire faire des profits.

Cette logique massmédiatique est celle d'un certain pragmatisme,
celui qui a propulsé l'Amérique à l'avant-garde du capitalisme
mondial. Elle repose sur le principe que la valeur d'une idée se
mesure à son utilité, à savoir sa capacité d'accroître la liberté
d'action de celui qui la possède (l'entrepreneur !). Telle est, à
notre avis, la manière dont les médias perçoivent les idées : à
leurs yeux, elles ne sont que des moyens mis à la disposition de leur
désir sans cesse croissant d'agir (imprimer des journaux, produire des
émissions, vendre une clientèle à des publicitaires, etc.). Une telle
logique ne va pourtant pas de soi et crée même plutôt des contresens.
Par exemple, poussés par leur désir insatiable de croissance, les
médias se proposent d'offrir à leur clientèle un feu roulant de
nouvelles qui, concurrence oblige, se devront d'être plus
intéressantes les unes que les autres. Cependant, par définition, une
nouvelle est un fait ou un événement nouveau que l'on porte à
l'attention du public, de préférence parce qu'on le juge digne
d'intérêt. Aussi, le concept de nouvelle est spontanément associé par
le sens commun à la surprise et à l'inusité. Or, il va de soi que la
nouveauté et la surprise authentiques sont des phénomènes trop rares
et trop imprévisibles pour alimenter les nombreux bulletins de
nouvelles dont on nous accable de nos jours.

Les médias doivent donc imaginer et bricoler les
« nouvelles » de toutes pièces à même les matériaux - les
idées - qu'offre la culture commune. Dans les salles de rédaction, on
dit de cette imagination et de ce bricolage qu'ils consistent à avoir
« le sens de la nouvelle » ou encore à « faire la
nouvelle ». Tout l'art du métier de journaliste se limite dès
lors à deviner ce que le public veut entendre - et c'est, au
demeurant, dans cet art qu'est conservé l'inattendu et la nouveauté
qui sont le propre de la nouvelle. On appelle tout cela produire de
l'information.

Revenons maintenant au cas de Kissinger et posons-nous à nouveau la
question de savoir comment une idée critique en vient à titiller le
« sens de la nouvelle » d'un éditorialiste complaisant.
Rappelons qu'en 1996, lors de la première Conférence de Montréal, une
centaine de militants du Canevas s'étaient présentés au
Reine-Élizabeth afin d'« arrêter » Kissinger pour crimes
contre l'humanité. L'accusation reposait sur une preuve identique à
celle de Hitchens, sur lequel s'appuie M. Martineau. Les
justiciers d'alors furent arrêtés dans la quasi indifférence
médiatique, et les motivations de leurs actes, qui ont fourni le
prétexte à leur arrestation, furent évoquées, à l'époque, du bout des
lèvres dans la nouvelle. Peut-être était-il impensable pour les
journalistes qu'un prix Nobel de la paix soit accusé de crimes contre
l'humanité ? Mais alors, on peut se demander ce qui a pu se
passer pour que l'ignominie de Kissinger soit reconnue subitement par
M. Martineau. Retournons à son papier d'humeur pour voir ce qui a
changé.

En parlant de l'auteur qui l'a inspiré à dénoncer Kissinger,
M. Martineau écrit : « La force principale de
Christopher Hitchens est qu'il ne loge à aucune enseigne :
il attaque aussi bien la gauche que la droite. C'est aussi un
formidable reporter. Il ne se contente pas de ruer dans les brancards
et de multiplier les gros mots : il fouille, il enquête, il
débusque » - les italiques sont de nous, ils soulignent ce qui
doit retenir notre attention.

M. Martineau, lisons-nous, estime que la force de Hitchens
provient, en ordre d'importance : a) de ce qu'il ne loge à aucune
enseigne et b) du fait qu'il est un bon reporter, à savoir un
journaliste qui vérifie ses sources, fouille, enquête, etc. On ne doit
pas se surprendre que M. Martineau, dont l'article repose en
entier sur UNE source, estime qu'être un bon reporter n'est pas la
qualité première d'un journaliste. Il aurait affirmé l'inverse et son
texte eut été immédiatement discrédité. Par contre, qu'il affirme que
la force principale de cet auteur provienne de ce qu'il ne loge à
aucune enseigne, alors justement que cet auteur exige que justice soit
faite, cela laisse pantois. À plus forte raison quand
M. Martineau lui-même décide de condamner Kissinger en affirmant
qu'il en va de « l'avenir même du concept de justice
internationale ».

Tout cela est de prime abord étonnant, car s'il y a un concept qui
exige que l'on loge à une enseigne idéologique pour qu'il fasse sens,
c'est bien celui de la justice. Mais s'étonner de la sorte, c'est
oublier que M. Martineau, à l'instar des médias, n'a pas besoin
de penser pour affirmer quelque chose. Ainsi, quand il dit que la
force du travail de Hitchens est sa neutralité idéologique, cela
signifie que sa condamnation est valable du fait qu'elle n'est pas
déduite d'une idée de la justice. L'enseignement qu'il faut tirer de
ce qui précède est que c'est d'avoir parlé au nom d'un idéal de
justice qui a discrédité, au cours des 25 dernières années, ceux qui
accusaient Kissinger de crimes contre l'humanité.

Mais MAINTENANT tout a changé. Qu'est-ce qui a changé ? Une
chose bien simple : maintenant, l'État américain arrête des chefs
d'État au nom du droit international (Noriega, éventuellement
Milosevic ou Saddam Hussein). M. Martineau peut donc condamner
Kissinger sans que cela ait l'air d'une contestation idéologique des
pouvoirs établis. Car ce faisant, il ne fait qu'exiger de l'État
américain qu'il applique son principe de droit. Voilà ce qu'il appelle
« loger à aucune enseigne ». Quant à savoir ce qu'est la
nature de ce principe de droit, ce qu'est précisément ce concept de
justice internationale qu'il nous faut ne pas prendre à la légère,
cela lui est égal : sa seule existence, du seul fait qu'il
fonctionne, son évidence, tout cela suffit pour qu'on en prenne la
défense. Cela suffit à convaincre le journaliste de porter à notre
attention la culpabilité de Kissinger alors qu'hier encore, tout cela
le laissait bien indifférent.

Nous l'avons dit, et nous le répétons, les journalistes qui
adoptent la philosophie du système médiatique n'ont pas d'idée :
ils ne font que s'accrocher aux idées des autres, qu'ils vident de
leur sens pour en faire de l'information. Le fait qu'ils appellent ce
néant de l'esprit « loger à aucune enseigne » ou encore la
neutralité journalistique ne change rien à l'affaire. Ils peuvent s'en
faire une vertu et clamer haut et fort que cette désinvolture face à
la signification des choses est garante de leur liberté d'esprit.

Mais en réalité, cette liberté est un esclavage. En effet, les mass
media sont sous l'emprise d'une dépendance essentielle : envers
les idées de la culture commune et, dans le cas de l'« affaire
Kissinger », envers les idées des militants. Car il faut se
rendre à l'évidence que bien que son auteur ne loge à aucune enseigne,
le livre de Hitchens trouve tout son sens dans la lutte patiente des
militants pendant les trente dernières années. C'est dire que tout ce
qui affleure à la conscience journalistique comme du hasard trouve son
sens dans l'action, notamment la nôtre, c'est-à-dire celle des
militants. Et c'est parce que les militants oeuvrent à l'émancipation
de tous, journalistes inclus, qu'il est de notre devoir de les traîner
dans la rue.

Postcriptum à la réplique de Richard Martineau »

Monsieur Martineau,

Nous avons été conquis par l'éloquence de votre réponse à notre
texte envoyé pour publication au Voir. En effet, pour le dire
comme vous : « criss que nous sommes twits ». Nous
sommes « twits » de n'avoir pas pensé que votre bêtise n'est
pas qu'un symptôme qui vous échappe, mais une réalité que vous savez
devoir être gérée par vous-même. Nous aurions dû savoir que lorsque
vous célébrez chez M. Hitchens le fait qu'il n'hésite pas à
« déboulonner les statues », plutôt que de choisir des
cibles utiles à sa carrière, c'est par envie en même temps qu'avec
l'espoir que sa réputation de droiture puisse rejaillir sur vous,
alors que vous êtes le pire des opportunistes. Ce qui fait de nous des
« twits » n'est rien d'autre que notre naïveté qui n'a pas
su voir à quel point votre petitesse est en fait un trou sans fond
d'infatuation narcissique qui, malgré tout, ne vous aveugle pas :
votre petit message nous reproche finalement sous le mode de
l'éructation, de ne pas avoir vu à quel point vous connaissiez
profondément vous-mêmes votre médiocrité et l'absolue indifférence
qu'il y ait dans le fait que vous vous parjuriez d'une semaine à
l'autre, selon ce qu'exigent les circonstances.

En l'occurrence, nous avons été fascinés par votre capacité d'être
dans la contradiction complète : entre votre reproche à notre
égard selon lequel nous n'étions pas en mesure de voir à quel point
vous êtes de la gauche, et votre intervention à l'émission de
Marie-France Bazzo quelques heures plus tard où vous vous décidez pour
une banalisation de la nouvelle mouvance de gauche, que choisir ?

Votre médiocrité cristaline exige le contraire du rien qui fait
selon vous la qualité d'Hitchens. Si Hitchens ne loge à aucune
enseigne comme vous le prétendez, en revanche, votre petitesse vous
commande de pouvoir vous décider pour n'importe quelle enseigne, afin
de sauver, selon les circonstances, votre crédibilité. Le mystère est
évidemment pour nous de savoir pourquoi vous vous agitez autant. Nous
avons bien tenté de subsumer votre cas sous une loi générale bien
exposée dans notre texte. Mais force est d'admettre qu'en tant
qu'exception qui confirme la règle, vous nous troublez.

Cela étant dit, revenons à la règle. Dans la mesure où notre texte
s'adressait à vous - c'est qu'il s'adressait aussi à d'autres, dont
vos lecteurs - , l'objectif avoué de notre missive était de briser le
ronron de la mode dont votre pensée est tributaire. Nous profitions du
fait que vous « allez dans notre direction » (en vous
indignant de Kissinger) pour vous interpeller énergiquement en vue de
vous faire réfléchir sur la logique médiatique à laquelle vous
participez. Nous ne désirions nullement vous « manger »,
mais plutôt vous éclairer sur ce que vous mangez.

Et notre interrogation initiale demeure : comment peut-on ne
« loger à aucune enseigne » (un précepte que vous semblez
chérir) et réclamer en même temps la justice ? Vous n'avez pas
répondu à cette question. Nous restons malgré tout très ouverts, prêts
à entendre une réponse à cette question, voire à discuter
sérieusement. En fait, il en va du tout petit peu de crédibilité que
vous avez encore à nos yeux.

Salutations

Michael Brown, Daniel Guertin et Josée Lacasse

pour le Collectif de réflexion sur l'air des lampions

Ce collectif se propose de réfléchir sur les
nouvelles formes expressives des revendications populaires qui
reprennent la rue. « L'air des lampions » est un nom qui
sert à désigner les slogans revendicatifs populaires et qui en évoque
un très célèbre datant de 1848, revendiquant un meilleur éclairage des
rues de Paris.

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