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Ombres et lumières sur les crises africaines

Carl Desjardins, Sunday, April 28, 2002 - 15:36

Pierre Beaudet (Alternative)

Pendant que le monde entier retient son souffle sur la Palestine et les suites de la guerre en Afghanistan, les différentes crises africaines restent en marge de l’attention des grands médias.

Dans un monde idéal, il ne devrait pas y avoir de « hiérarchie » entre les catastrophes, les massacres, la répression et tout le reste. Pourtant, les crises africaines sont toujours celles qui sont les moins « intéressantes » du point de vue des médias et des gouvernements occidentaux. Peut-être que la réponse à cette question est plus simple qu’on le pense : dans bien des cas, les misères du continent africain ne représentent pas de « menace » aussi grande que celles d’autres régions. En langage diplomatique, les crises africaines ne sont pas « stratégiques ».

En langage moins diplomatique, la compétition pour les ressources africaines est moins dramatique que celle qui sévit dans des régions comme le Moyen-Orient ou l’Asie centrale, par exemple. Le résultat est une sorte de « realpolitik » qui mélange le cynisme et l’indifférence et qui aboutit à la perpétuation de ces crises sans que la dite « communauté internationale » ne s’en trouve trop traumatisée.

Guerre et paix en Angola

Au début d’avril, le gouvernement angolais signait un accord avec ce qui reste du mouvement rebelle UNITA, pour mettre fin officiellement aux hostilités. On se souviendra de la mort au combat du chef de l’UNITA, Jonas Savimbi, survenue le mois dernier dans des circonstances relativement mystérieuses. Devant l’évolution de cette situation, l’UNITA n’avait pas le choix et a accepté de rendre les armes, ce qui est un pas dans la bonne direction. Mais il y a aussi un autre côté à cette médaille. Le gouvernement angolais, qui sort grand gagnant de cet accord, reste campé sur ses positions et continue d’exercer un contrôle sans partage sur les ressources du pays, notamment le pétrole et le diamant, qui font de l’Angola un pays potentiellement très riche. Mais moins de 10 % de la population profite de cette manne, qui est captée par l’État sans rendre de compte à personne, même aux bailleurs de fonds qui se plaignent d’une malgestion chronique en Angola. Les observateurs avertis, à commencer par les organisations de la société civile angolaise, craignent donc que la situation sévissant actuellement continue au profit d’une minorité de prédateurs associés aux sommets de l’État ou de l’armée, sans compter les « partenaires » étrangers comme les multinationales du pétrole, les fournisseurs d’armements et leurs gros protecteurs étatiques (la France et les États-Unis, notamment). Dans un tel cas, on peut craindre que ce pays ne retombe dans la conflictualité et la violence.

Peu de progrès en République Démocratique du Congo

Pendant ce temps, la situation en RDC ne s’améliore pas vraiment, en dépit du dialogue inter-congolais entamé depuis quelques semaines à Sun City (Afrique du Sud). Les quelques 400 délégués provenant des diverses factions n’ont pas réussi à date à s’entendre sur l’essentiel, à savoir le processus de transition devant mener à des élections libres et à la réunification du pays. Joseph Kabila qui règne à Kinshasa et sur une partie du pays avec l’appui du Zimbabwé et de l’Angola ne semble pas trop intéressé à se mettre de côté durant cette transition. Les factions rebelles appuyées par l’Ouganda et le Rwanda ne semblent pas trop pressées de trouver un compromis car la situation actuelle leur permet de « gouverner » sur l’est du pays où se poursuit le pillage des ressources. Les organisations dites non armées ainsi que les associations civiles ne sont pas assez puissantes pour imposer un autre cours. Bref c’est l’impasse et l’on ne voit pas du côté international ni assez de volonté ni assez de courage pour faciliter un dénouement de cette situation.

La France comme les États-Unis (les deux gros joueurs) se contentent d’appuyer leurs alliés respectifs et de maintenir l’équilibre des forces (empêcher que l’un ou l’autre camp ne l’emporte militairement). Pendant ce temps, la situation devient intolérable pour des centaines de milliers de Congolais.

Le processus de paix au Burundi qui tient par la peau des dents Ce pays voisin de la RDC a au moins l’avantage de vivre un processus de paix : le groupe dominant partage effectivement le pouvoir avec l’opposition depuis l’accord signé l’an dernier sous l’égide de Nelson Mandela. Mais la réalité sur le terrain est moins rose : une partie importante de l’opposition a refusé de rendre les armes et continue de combattre l’armée, ce qui crée d’innombrables victimes civiles, surtout dans le nord du pays. Les extrémistes tant parmi les partis à dominance hutu que ceux à dominante tutsi ne sont pas prêts à une véritable réconciliation, ce qui laisse les modérés des deux camps dans une position fragile. Encore là, le rôle de la communauté internationale est questionnable : tout le monde appuie le processus de paix, mais personne n’est prêt à avancer les ressources nécessaires qui permettraient la relance du pays sur le plan économique et social. La « ligne officielle » est qu’on attend une stabilisation du pays : mais c’est justement cet attentisme qui permet aux extrémistes de capitaliser sur le désespoir d’une génération de sans espoir qui doit choisir entre la « profession militaire » (avec l’armée ou avec les factions) et le chômage.

Les lendemains de la veille au Zimbabwe

Les élections présidentielles du 10 mars au Zimbabwé ont abouti sans surprise à la victoire de l’éternel président Robert Mugabé. Un rapport du Commonwealth, piloté par l’Afrique du Sud et le Nigeria, a conclu ce que tout le monde savait, à l’effet que ce résultat est en fait un formidable détournement de sens et tout simplement, une vaste fraude. En effet, l’opposition menée par la coalition d’opposition MDC a été tout au long de la campagne intimidée, violentée et arrêtée. Son président, Morgan Tsvangirai, a été scandaleusement accusé de trahison dans une procédure d’intimidation pure et simple. Depuis, tout le monde retient son souffle. La centrale syndicale ZCTU (300 000 adhérents) a organisé une tentative de grève générale, partiellement mise en échec par la répression. Dans plusieurs régions du pays, la révolte gronde. Du côté de Mugabé, les forces dites de l’ordre sont prêtes à tout, d’autant plus que les gros bonnets de l’armée et de la police tirent d’énormes profits de la gestion autoritaire de Mugabé, tant au Zimbabwé qu’ailleurs en Afrique (en RDC notamment). Sous la pression de certains pays (dont l’Afrique du Sud), des négociations pourraient cependant être entreprises entre le gouvernement et l’opposition : la perpétuation de la crise pourrait avoir en effet des conséquences désastreuses pour tout le monde, et pas seulement au Zimbabwé.

Silence de mort au Soudan

Dans la Corne de l’Afrique et plus particulièrement au Soudan, les guerres se poursuivent. En dépit de diverses tentatives de médiation plus ou moins convaincues, le conflit persiste et continue de produire des milliers de victimes, particulièrement dans la région de Nuba, tout près des zones pétrolières tenues par l’armée. Autour de ces installations gérées par diverses entreprises dont la canadienne Talisman Energy, l’armée a « nettoyé » les populations en tuant et en détruisant les villages. Ailleurs au Soudan, l’opposition est violemment réprimée, y compris les partis d’opposition à Khartoum qui ne participent même pas au conflit armé. Le régime soudanais, qui était considéré il n’y a pas si longtemps comme « terroriste » et dangereux, a maintenant été réhabilité par Washington depuis que Khartoum a décidé d’aider les États-Unis à faire la chasse à Oussama Bin Laden. Dans cette logique morbide qui estime que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », les méchants d’hier deviennent les bons : en retour, la pression occidentale sur Khartoum a presque été réduite à néant, ce qui réduit les possibilités du côté de l’opposition.

La « banalité » de la crise africaine

Ailleurs sur le continent, d’autres conflits prolifèrent. Mais là où il n’y a pas de violence directe sévit une violence systémique, aussi cruelle qu’invisible. C’est la violence de la misère, de l’exclusion, des épidémies et des catastrophes dites « naturelles », qui sont clairement le résultat des politiques mises en place et le plus souvent imposées par le FMI et la Banque mondiale. Les pays les plus pauvres comme le Mozambique ou la Zambie sont forcés de dépenser trois fois plus d’argent pour le remboursement de la dette que pour l’éducation ou la santé. Les infrastructures de base, tant les routes que les universités, sont en profond déclin d’un bout à l’autre du continent, même dans les pays mieux pourvus (Côte d’Ivoire, Kenya, etc.). Et tout cela, sans compter l’effroyable épidémie du SIDA (de 25 à 35 millions d’Africains affectés). Devant cette crise « banale », les pays riches se taisent ou au mieux, avancent des « solutions », qui sont en fait totalement inadéquates, comme cela est le cas dans le cadre du NEPAD. Quand des mouvements sociaux se mettent en position de constater ces politiques qui contribuent à accentuer la misère, la réponse est plus souvent qu’autrement la répression violente. Comme cela a été le cas en Afrique du Sud récemment, lorsque la police a tiré sur des manifestants pacifiques qui étaient dans la rue pour dénoncer les coupures de courant imposées aux pauvres de Soweto.

Pax americana

Dans quelques semaines, les pays riches se réuniront à Kanaskakis en Alberta pour parler de divers sujets, notamment la crise africaine. D’ores et déjà, le débat s’annonce mal. Les pistes identifiées (dans le cadre du NEPAD) sont mal parties. Pire encore, les États-Unis ont déjà annoncé qu’ils s’opposeraient à toute suggestion à l’effet d’augmenter l’aide au développement et de réduire la dette (c’est la proposition du Canada et de l’Angleterre). Évidemment, le budget militaire des États-Unis (près de $400 milliards de dollars) est bien plus important pour assurer la paix mondiale que celui de son aide au développement (moins de $20 milliards). Des canons, des missiles et des avions seront bien suffisants, estime-t-on à Washington, pour calmer les ardeurs africaines si celles-ci en venaient à menacer la « stabilité mondiale ».



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