Le bâtiment principal du campus Loyola de l'Université Concordia est une réplique à petite échelle de la Prison de Londres. Est-ce dire que Concordia serait plus une prison qu'une université ?!
Concordia, une prison ?!
« En vérité, il n’y a aucun endroit plus triste sur Terre… »
Gabriel Anctil
Quel symbole adopteriez-vous pour représenter un établissement universitaire? Pour faire honneur à cette forteresse de la liberté de pensée, à ce temple du savoir? Pour attirer vers vous les plus grands cerveaux des environs? Une bibliothèque, une plume et une chandelle, un buste d’Aristote, de Descartes ou encore de Charlemagne « qui a inventé l’école ». Quelque chose de grand, de noble, de significatif, qui exprimerait l’énergie et la philosophie de l’établissement.
Les visionnaires qui décidèrent de se retirer du monde et d’installer le Collège Loyola au beau milieu de nulle part, en 1916, sur une ancienne melonnière (où l’on fait pousser des melons), arrêtèrent leur choix sur un symbole universel et intemporel, le symbole même de la connaissance du territoire vital, du temps qui passe, de l’esprit qui se détache. Ils trouvèrent un puissant symbole qui exprimait jusqu’à la symbiose leurs sentiments profonds par rapport à leur nouvel emplacement : ils établirent comme symbole du Collège, tout au haut d’une tour pour que personne ne puisse le manquer : une énorme prison! Anglaise à part ça!
Ainsi, encore aujourd’hui, au sommet du pavillon principal du campus Loyola, visible à des kilomètres à la ronde, c’est une réplique à échelle réduite de la Tour Blanche (bâtiment central et le plus connu de la Tour de Londres) qui reçoit les étudiants et les visiteurs, impose sa silhouette, attire l’œil et détourne les imprudents ou les complètement perdus (qui ont de quoi avoir peur!).
En effet, la Tour de Londres et plus particulièrement la Tour Blanche, sont des endroits peu fréquentables. Leur histoire est mondialement reconnue comme étant synonyme de mort, de torture et de captivité : « En vérité, il n’y a aucun endroit plus triste sur Terre… Là ont été portées, à travers les âges, par les mains rudes des geôliers, sans famille derrière, les reliques sanglantes d’hommes qui avaient été capitaines d’armées, chefs de mouvements, oracles des parlements et favoris des rois. » C’est en ces termes que Thomas Babington Macaulay, historien du XIXe siècle, décrit la forteresse qui domine la Tamise, au cœur de la capitale de la Grande-Bretagne.
Petit cours d’histoire
C’est Guillaume le Conquérant (1066-1087) qui a commencé la construction de la Tour Blanche, dès la prise de Londres par son armée d’invasion : il voulait montrer à la population qui était désormais le maître. (C’est peut-être cette attitude qui donne encore des idées au sieur recteur Frederick Lowy le 1er.) Sous son règne et celui de son fils Guillaume II (1087-1100), c’est Gandulf, l’évêque de Rochester, qui a présidé à l’édification de la Tour Blanche, haute de 27 mètres. Henri III (qu’est-ce qu’ils ne sont pas originaux) (1216-1272) a transformé le bâtiment en forteresse en l’entourant de treize tours aux treize coins des remparts. En 1307, l’ensemble formait l’une des plus grandes forteresses du monde connu.
Jusque là, c’est pas si pire. Les lieux servaient de résidence aux monarques. Quelques folies : des orgies, des beuveries, des jalouseries, des têtes enflées, des égos gonflés, des corsets serrés, des visions bornées, des discours ronflants, des mégalomanes, des unions consanguines… quelques meurtres, sans doute, mais pas encore de prison, de torture ou de décapitations.
C’est Édouard III (1327-1377) qui, le premier, décide d’utiliser la Tour comme prison. Elle devient alors, pour le tout Londres, un symbole de châtiment et de répression. Les Londonien-ne-s craignent alors les dirigeants sanguinaires et tout-puissants que les scrupules n’empêchent ni de se goinfrer, ni de se contempler dans les nombreux miroirs, ni de dormir. Des centaines de « traîtres » y perdront la vie d’un coup de hache. Des salles de torture y sont aménagées. La frayeur des cris étant emportée par la rumeur de la Tamise, seuls, sans même d’échos à leur supplice, les séquestrés se rendaient bien compte que le temps, comme la population et la chance, les abandonnaient peu à peu; ils se rapprochaient ainsi inévitablement de la mort.
Aujourd’hui encore, l’on peut observer sur les murs de ces prisons, une peur et une tristesse devenues tangibles; des détenus, poussés au désespoir, ont gravé à même la pierre leurs souffrances et leur découragement. L’un de ceux–ci, pour expurger sa détresse, pour se réconforter dans ses illusions écrira : « Plus l’homme souffre pour le Christ en ce monde, plus grande sera sa gloire avec le Christ dans le prochain. »
C’est surtout sous le règne de l’abominable et despotique Henri VIII (1509-1547) (qui inspirera à Charles Perrault le célèbre conte de Barbe-bleue) que les têtes rouleront en grand nombre dans la sinistre Tour. Persécuteur des catholiques, il exécutera entres autres, Anne Boleyn (qui lui donnera une fille, Elisabeth 1re; Boleyn sera tuée pour adultère), Catherine Howard (une autre de ses femmes, décapitée) et Thomas More (homme politique et humaniste anglais, qui avait pour plus grand défaut d’être catholique). C’est le rebelle jacobite Lord Lovat qui a eu en 1747, le triste honneur d’être le dernier homme a être décapité à la Tour de Londres. Quant au dernier prisonnier notoire à y être incarcéré, ce fut le nazi Rudolf Hess, l’adjoint d’Hitler, qui, en 1941, y a passé quelques temps après sa fuite mystérieuse en Écosse, durant la Seconde Guerre mondiale.
Il est aujourd’hui possible de visiter cet endroit terrible, qui est devenu avec le temps le lieu historique le plus visité en Grande-Bretagne. Des milliers et des milliers de touristes y débarquent chaque année pour visiter cette Tour qui est maintenant entrée dans le folklore anglais. Par groupes organisés, armés d’appareils photographiques, de gigantesques lunettes de soleil, de chapeaux ridicules et de bermudas tapissés de fleurs décolorées, ils ont pris la place des prisonniers et hantent maintenant les lieux de leurs commentaires insignifiants, de leurs borborygmes à l’heure du repas et de leur complète ignorance des douleurs d’un peuple entier. Nombre de suppliciés y sont enterrés et y resteront à jamais la preuve de la barbarie des puissants, la preuve de l’inhumanité des tyrans.
Comme une grosse menace dans le ciel
Tout comme les touristes, les étudiants par milliers entrent et sortent du campus Loyola, ignorants du lourd symbole qui les accompagne, ne serait-ce que l’instant d’une seconde; qui s’incruste dans leur champ de vision à chacune de leurs entrées et sorties de l’université. Quotidiennement donc, le savoir et la mort se rejoignent. Ce spectre habite le campus depuis bientôt un siècle. Aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain, cette prison à modèle réduit, qu’ont imaginé les frères Jésuites en pleine guerre mondiale (ou serait-ce un malhabile honneur, un appui aux Anglais pris dans les tranchés), revêt une signification complètement différente. Serons-nous témoin de la « mort » de l’université comme lieu d’apprentissage et de critique? Comme lors du temps de la Prison de Londres et des souverains anglais, l’université châtiera-t-elle ses infidèles? Ces insoumis qui refusent de suivre la ligne établie, le discours sacro-saint des professeurs, qui eux suivent les aimables diktats des directeur-trice-s de programmes, devant vivre avec les coupures de plus en plus castratrices qui leur sont imposées, qui eux jonglent avec les conseils musclés de l’administration antidémocratique, qui signent au nom des étudiants des contrats de performance avec un gouvernement tout-puissant, qui coupe dans l’avenir, qui coupe dans l’éducation et qui coupe dans la culture et le savoir de son peuple (celui qu’il doit servir, souvenez-vous!).
Est-ce que bientôt des groupes de touristes, de retraités-séniles-bedonnants, visiteront ce campus en mangeant des cacahouètes, écoutant le guide leur raconter la merveilleuse histoire de la mort de l’université, qui, semblait-il, avait déjà appartenu à l’ensemble de la population, mais qui aujourd’hui, a été remplacée par des stages divers donnés directement en entreprise. Inutile de dire que les programmes d’arts, de sciences humaines, de politique et de philosophie appartenaient eux aussi au folklore et à la légende. Et puis dans ce campus-prison, devenu attrape-touriste par la force des choses, les curieux pourront visiter des anciennes classes, où des élèves en plastique, jaunis et poussiéreux, écoutent sans réagir un professeur immobile et silencieux. Pour ne pas abîmer ce musée de cire historico-éducatif, on aura interdit aux curieux de s’approcher des mannequins. De plus, par mesure de sécurité, on aura encadré de barreaux les classes, pour mieux les protéger. Comme des élèves en cage! Tous seront alors profondément attristés devant cette pathétique réplique de ce que fut jadis cette civilisation perdue à jamais. Ils voudront alors comprendre. On leur expliquera qu’il fallait couper. Il fallait rationaliser. Il fallait faire rentrer les compagnies. Il fallait faire preuve d’un peu de bon sens. On a donc éliminé les universités. Petit à petit. Lentement. À force de coupures par-ci, de coupures par-là. Puis l’éléphant est devenu souris et on l’a écrasé. Il fallait arrêter de laisser les gens réfléchir en paix. Surtout les jeunes. Il fallait que tous soient sacrifiés au nom de l’économie, le plus grand des dieux. Il fallait que ça roule. Il fallait que ça produise. Il fallait que ça consomme. Il fallait que la roue tourne. Alors on a fermé les universités. On les a vidées, pour mieux remplir (les poches et les chaînes d’assemblage) les compagnies. L’insatiable dieu Économie n’était pas encore rassasié mais tout de même satisfait (pour un temps du moins).
Maintenant donc, devant ce spectacle de mannequins emprisonnés, certains penseront à la jeunesse alors enfermée entre les murs des compagnies. Tout cela aura commencé par un mauvais choix de symbole et par quelques coupures…
Y’a de quoi avoir des frissons! Mais ça pourrait devenir très possible. Déjà, dans la plupart des pays du monde, des millions d’enfants travaillent au prix d’un analphabétisme qu’ils devront porter toute leur vie. Des employeurs enferment leurs employés pour les empêcher de sortir ou de prendre l’air, imposent des tests de grossesse à leur main-d’œuvre féminine tous les trois mois, tests qui, si positif, feront perdre leur emploi à ces femmes. Certains pays n’ont plus d’université, certains autres, comme le nôtre, sont en train de l’assassiner à petit feu et d’y instaurer une atmosphère terriblement malsaine.
Il faut s’unir, tous les étudiants, les professeurs, les employés de Concordia pour dire aux égorgeurs du savoir que nous ne nous laisserons pas faire.
Solidarité!
1 pour connaître la proportion exacte il faudrait la mesurer, le défi est lancé
2 Les dates entre parenthèses se réfèrent aux règnes des rois et reines et non à leurs dates de naissance et de mort.
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