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Les luttes pour l'eau ont commencé

vieuxcmaq, Saturday, December 22, 2001 - 12:00

Agence de presse A-infos (cdesjardins10@hotmail.com)

La mobilisation populaire en Espagne contre le " Plan hydrologique national " (PHN), plan qui aurait une répercussion en France avec le projet d'un pipe Rhône-Barcelone, et les luttes menées dans le sud-ouest contre les barrages-réservoirs d'irrigation jettent les bases d'un réseau interrégional et international de défense " pour les fleuves vivants ".

La mobilisation populaire en Espagne contre le " Plan hydrologique national "
(PHN), plan qui aurait une répercussion en France avec le projet d'un pipe Rhône-Barcelone, et les luttes menées dans le sud-ouest contre les barrages-réservoirs d'irrigation jettent les bases d'un réseau interrégional et international de défense " pour les fleuves vivants ". La bataille pour l'eau a vraiment commencé avec deux camps clairement identifiés : celui des bénéficiaires des grands travaux hydrauliques, des gros irrigants, des hommes politiques ayant des intérêts dans ces grands travaux et dans cette agriculture productiviste irriguée, et le camp de " simples " citoyens ou " simples " usagers de l'eau, des petits agriculteurs, des habitants expulsés des sites noyés par les barrages, des défenseurs de l'environnement.

La " marche bleue " contre le PHN national

Au mois d'août 2001, une délégation d'une centaine d'Espagnols motivés organisait une " marche bleue " sur Bruxelles pour réclamer à l'Europe l'arrêt de son financement des grands travaux hydrauliques contestables, barrages et transfert d'eau. Cette délégation représentait quarante associations s'opposant au Plan hydrologique national présenté en septembre 2001 par le gouvernement Aznar (1). Ce plan prévoit la réalisation d'une centaine de nouveaux barrages-réservoirs et des transferts d'eau. La plupart de ces ouvrages se situent dans le bassin de l'Èbre et seraient destinés à fournir l'eau à la moitié sud de l'Espagne. Les trois principaux barrages actuellement projetés sont ceux de Yesa, Biscarruès et Santaliestra. Le PHN avait toutefois été engagé dès les années 80 dans la foulée de la politique de l'eau mise en place par Franco. Que ce soit avec les fascistes ou avec les " démocrates " qui leur succédèrent, les barrages se firent de la façon la plus dictatoriale. En 1986-87, par exemple, est réalisé " l'embalse " (réservoir) de Riano dans le Haut Léon. Les habitants de Riano et de huit autres villages sont expulsés " a punta de pistola " (manu militari), soit 1 200 personnes.

En 1988 est confirmé le projet du " pantano " (barrage) d'Itoiz en Navarre. Les travaux commencent en 1993. En 1995 le collectif " Solidarios con Itoiz " engage une lutte contre la militarisation du chantier. Le 6 avril 1996, huit résistants effectuent un important sabotage détruisant le système téléphérique amenant le béton (2). La répression est féroce : les huit saboteurs sont tabassés par les vigiles et la Guardia civil et traduits en justice. Ils écopent jusqu'à 5 ans de prison. L'un d'entre eux, Daniel Unziti, est détenu depuis 1996. Maintenant, pour Yesa, les méthodes sont les mêmes. " C'est commedu temps de Franco " nous disent les habitants délogés de chez eux. Ce n'est pas seulement Madrid qui impose le PHN, les assemblées régionales sont aussi pour les barrages, leur seule critique étant que l'eau ne soit pas exportée de la région. Des hommes politiques de Navarre ont trempé dans les opérations mafieuses du chantier d'Itoiz. La Généralité de Catalogne a fait réaliser le grand barrage de Rialb, sur le Sègre, pour les gros irrigants de la plaine de Lerida. Si Barcelone manque d'eau, on demandera à la France d'en fournir, ce qui n'est pas tellement du goût de Aznar qui vise des transferts d'eau " 100 % espagnols ". D'où une apparente opposition entre les gouvernements d'Aragon et de Catalogne et le pouvoir de Madrid. Les habitants ne sont pas dupes : " Yesa No ", " Stop travaux ", " Non aux barrages, non aux transferts d'eau ". Des rassemblements énormes rassemblant jusqu'à 400 000 personnes ont eu lieu à Zaragosa, Barcelone, Pampelune et Madrid. Nous avons pu constater avec la " Marche bleue " et la manif de Bruxelles du 9 septembre que cette mobilisation populaire se faisait hors des partis politiques : les drapeaux étaient seulement régionaux ou bien de la couleur de l'eau : bleue.

Le pipe Rhône-Barcelone

Les soi-disant besoins en eau de l'agglomération de Barcelone ont fait germer un beau projet du côté français : proposer aux Catalans de l'eau du Rhône grâce à un pipe venant de Montpellier. Ce projet a été cogité par la Compagnie Bas-Rhône-Languedoc (BRL), dont un des administrateurs est un homme politique, Blanc, président du conseil régional Languedoc-Rousillon (3). Le projet intéresse pas mal de sociétés : la SAUR, filiale de Bouygues, actionnaire dans la BRL, Alsthom, CGE-Vivendi, La Caisse des dépôts et consignation, Pont-à-Mousson, Providex-EDF... et l'ATLL qui assure la distribution de l'eau à Barcelone. La note de cet aqueduc de 400 km de long serait salée : entre 8 et 10 milliards de francs. Les promoteurs tablent sur un financement européen d'au moins 50 %. Une fois de plus, les contribuables payeraient pour des grands travaux au profit de sociétés privées, d'hommes d'affaires, d'hommes politiques (souvent les mêmes) et de gros consommateurs d'eau (grandes exploitations agricoles, complexes touristiques...)

La dictature des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et des sociétés d'économie mixte en France

En France, les barrages réservoirs liés aux centrales nucléaires furent voulus par Paris. Ils se firent dans les années 70-80. Ensuite, les grands travaux hydrauliques furent programmés par des instances régionales : conseils généraux, conseils régionaux, comités de bassin et surtout EPTB, la décentralisation de 1981 donnant aux élus des assemblées territoriales de mirifiques pouvoirs financiers. Les EPTB sont, en effet, composés par une large majorité d'élus et même par 100 % d'élus comme dans le cas de l'Institut Adour. Ces messieurs Jourdain, totalement incompétents en hydraulique et en écologie des milieux aquatiques, se targuèrent pourtant de projeter divers aménagements à finalité souvent brumeuses (bassins et barrages " compensateurs de crues ", par exemple) et à l'impact destructeur pour les cours d'eau et les hydrosystèmes. L'EPALA (établissement public pour l'aménagement de la Loire et de l'Allier, présidée par l'inénarable Royer, alors maire de Tours, avait programmé une kyrielle de barrages. Grâce à une lutte exemplaire menée pendant plusieurs années par le collectif " Loire vivante " et le comité " SOS Loire-vivante ", le projet du barrage de Serre-de-la-Fare a été mis au placard et celui du barrage de Chambonchard est plus ou moins gelé. Même scénario dans d'autres régions de France : sous la pression de comités et de collectifs de défense, des projets de barrages sont abandonnés ou gelés : à La Borie dans les Cévennes, dans la Vallée du Gijou (Tarn), dans le bassin de l'Adour (projet de l'Ousse et d'Arrayou-Lahitte...) Rappelons aussi la victoire des opposants au délirant " Canal à grand gabarit " Rhin-Rhône. Si les EPTB sont les promoteurs de barrages et de transferts d'eau, les maîtres d'ouvrage sont, très souvent, les sociétés d'économie mixte. Nous avons parlé de la Compagnie du Bas-Rhône (BRL) qui sévit en Languedoc. Citons maintenant la CACG (Compagnie d'aménagement des côteaux de Gascogne) qui réalise réservoirs, pipes et canaux au sud de la Garonne.Ces sociétés d'aménagement rural sont les compères des EPTB, un même élu pouvant être administrateur dans les deux institutions. Comme " juge et partie " et comme " prise illégale d'intérêt " on ne peut pas faire mieux ! Cette situation antidémocratique et dictatoriale va à l'encontre de la loi sur l'eau de 1992, qui prévoit la gestion des bassins, lacs et grandes zones humides par des commissions locales de l'eau (CLE) composées " seulement " de 50 % d'élus. Or, peu de CLE ont vu le jour, presque tous les bassins hydrographiques en France se trouvant sous la mainmise de trente EPTB. Le monopole des sociétés d'économie mixte pour l'exclusivité des travaux hydrauliques dans une zone géographique va, lui, à l'encontre de la loi Sapin sur la libre concurrence. Il y a pire ! La Chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées devait constater que la CACG ne faisait pas d'appels d'offres pour le choix des entreprises de travaux publics qui se chargeaient des chantiers !

Les luttes dans le bassin Adour-Garonne

Au mois d'août, la " marche bleue " des associations ibériques fut accueillie dans deux sites du Sud-Ouest concernés par des barrages réservoirs : Eslourenties dans le Béarn et Charlas, dans le Comminges, au sud-ouest de Toulouse. Dans le Bassin (administratif) Adour-Garonne, les barrages réservoirs récemment réalisés ou projetés sont destinés à l'irrigation, principalement celle du maïs (4). Le financement des barrages et des primes d'irrigation par les contibuables européens (en vertu de la PAC) a fait tripler, en dix ans, la superficie des cultures irriguées. En Poitou-Charentes, dans le bassin de l'Adour et dans une grande partie du bassin de la Garonne, cette monoculture irriguée du maïs s'avère catastrophique tant sur le plan écologique qu'au niveau économique et social. L'irrigation massive épuise les ressources hydrauliques et contribue à la pollution des eaux de distribution par les pesticides (5). Comme en Espagne, les barrages privilégient les gros irrigants, pénalisent les agriculteurs qui ont le courage de cultiver des céréales et des fourrages non irrigués (6) et, de ce fait, accélèrent la désertification rurale. Le réservoir d'Eslourenties (actuellement en début de chantier) a été programmé par l'Institution Adour ; celui de Charlas par le syndicat mixte d'aménagement de la Garonne. Pour les deux, le même maître d'ouvrage : la CACG. Le collectif " Adour eau transparente " a engagé une partie de bras de fer avec l'Institution Adour, dénonçant l'incompétence, la non représentativité et l'illégitimité des vingt conseillers généraux qui la composent. Le collectif (comprenant l'association locale de défense d'Eslourenties, la Confédération paysanne, ATTAC, France-nature-environnement et d'autres associations) a porté sa contestation aux réunions des États généraux de l'Adour, parodie de démocratie, organisés par cet EPTB. Le point fort de l'affrontement aura lieu lors de la réunion plénière du 20 novembre à Pau.

Plate-forme européenne pour les fleuves vivants

La mobilisation espagnole contre le PHN a permis de tisser des liens entre les diverses organisations ¦uvrant pour une gestion écologique et démocratique de l'eau et des rivières. Les collectifs contre les barrages d'Eslourenties et de Charlas ont élaboré une " plate-forme Adour-Garonne pour des fleuves vivants " et devaient envoyer une délégation au rassemblement de Bruxelles le 9 septembre. Le réseau européen " European rivers network " s'est redynamisé, ainsi que le WWF France, pour soutenir les " marcheurs de l'eau ". La marche bleue de cette année est le début d'une bien plus large mobilisation et d'une plus forte radicalisation des actions.

Le Desman des Pyrénées

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Notes :

(1). Voir l'article sur le PHN dans Courant Alternatif n° 111 (été 2001).

(2). Voir Un barrage saboté c'est un peu de liberté gagnée, Courant Alternatif n° 66 (février 1997). " Solidarios con Itoiz " organise chaque année en août un camping international (CA n° 111, été 2001).

(3). Voir Courant Alternatif n° 111, page 12. Un dossier sur le pipe Rhône-Barcelone a été publié par Science et Vie, n° 1005, juin 2001.

(4). Voir article " Barrages-réservoirs dans le Sud-Ouest : pourquoi, pour qui
? ", Courant Alternatif n° 83 (novembre 1998).

(5). Voir l'article " L'eau va-t-elle devenir chroniquement impotable ? ",
Courant Alternatif n° 104 (décembre 2000)

(6). La prime à l'hectare de maïs irrigué est de 3 000 francs, la prime à
l'herbe est de 300 francs.

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