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Managua ou le drame des maquilas...vieuxcmaq, Thursday, August 16, 2001 - 11:00 (Analyses)
Isabelle Ouellet (jezhabel@hotmail.com)
Au Nicaragua, le phénomène de la mondialisation s'exprime avant tout par les Maquilas, ces zones franches de production textiles instaurées par des sociétés transnationales américaines, asiatiques et européennes. La plupart sont situées non loin de la capitale, Managua, et emploient femmes et enfants dans des conditions de travail précaires. MANAGUA ou le drame des Maquilas… Sous un soleil écrasant, Managua dite « la sale » grouille telle une fourmilière. Dès 5 heures du matin, cette immense ville de plus d’un million d’habitants s’éveille au son des coqs et des vendeurs de rues. Partout, hommes, femmes et enfants arpentent les rues poussiéreuses de cette ville qui n’en est plus une avec une seule idée en tête, faire en sorte qu’à la fin de leur journée, ils aient quelques denrées à se mettre sous la dent. Peu importe les moyens. « Buenas » me hurle un jeune à travers la grille de ma maison. Tous les matins, Ernesto se promène ainsi pour vendre les tortillas que sa mère a préparés pendant la nuit. Il ira peut-être à l’école ce soir ou en fin de semaine, s’il en a le temps. De l’autre côté de la rue, une vieille « mujer » s’improvise une « fritanga » (casse-croûte de rue) . Sur un petit bout de table dégarnie, elle dépose une poule qui traînait par là, lui coupe la tête et lui arrache le duvet. Pendant que la vieille dame prépare un feu, des gens affamés font la ligne…Une demi-heure après, la vieille dame repart, son sac sous l’épaule et quelques córdobas en poche, à la recherche d’une autre poule… Ravagée en 1972 par un tremblement de terre qui a complètement détruit son centre-ville, Managua n’a jamais pu profiter de l’aide internationale versée par les États-Unis (75 millions US), celle-ci ayant servit plutôt à remplir les coffres personnels de la famille Somoza, alors au pouvoir. Peu importe. Peuple d’espoir, les Nicaraguayens se sont retroussés les manches et se sont reconstruits eux-mêmes. Ce qui explique ces amas de maisons, souvent en carton ou en ferraille, construites un peu n’importe où, n’importe comment. Aujourd’hui, la capitale du Nicaragua est considérée par les guides touristiques comme l’une des villes les plus « laides » du monde. Bien peu de touristes s’y attardent, troublés par son chaos perpétuel et ses « barrios » malfamés. Pourtant, pour peu qu’on sache l’apprivoiser, Managua demeure le centre le plus actif du pays et présente une richesse culturelle et historique qui mérite qu’on s’y attarde. L’espoir d’une vie meilleure… Sise non loin du volcan Momotombo, Managua attire chaque année bon nombres de paysans et chômeurs désespérés venus des campagnes dans l’espoir de trouver du travail. Pour contrer l’effarant taux de chômage qui ravage le pays (70% de la population active), le nouveau président Arnoldo Aleman - tout comme son prédécesseur - réserve un accueil complaisant aux « maquilas », ces zones franches (zonas francas) instaurées par des entreprises multinationales américaines, asiatiques ou européennes au début des années 1990, lorsque les Sandinistes ont perdu le pouvoir. En Amérique latine, le terme « maquilar » fait référence aux activités économiques d’entreprises nationales ou étrangères exécutant une partie bien précise d’un processus de production. Cette production (surtout textile) demeure cependant la propriété des investisseurs et sont exportés dès le travail terminé. Mondialisation, dites-vous? Dans les rues de Managua, la mondialisation ou la « globalizacion » n’a que très peu de sens, si ce n’est que le vague souvenir qu’un jour, on leur a promis une vie meilleure. Du travail pour tous. Mais concrètement, le mythe s’est effacé devant une réalité qu’on qualifie aujourd’hui trop souvent par le terme d’esclavage moderne. Selon Karine Lievens d’Oxfam-Solidarité, le phénomène des maquilas est essentiellement urbain pour l’instant. Ces zones franches emploient quelques 10 000 personnes, surtout des femmes et des enfants, qui travaillent près de 14 heures par jour à des salaires minables (équivalent à 0,40 cents de l’heure). Harcèlement sexuel, heures supplémentaires obligatoires et non rémunérées, mauvais traitements, abus physiques sont le lot quotidien de nombreuses femmes pourtant assez scolarisées (héritage sandiniste). Dans les entreprises taïwanaises et coréennes, on a instauré un « carnet de besoin ». Les gens ont trois minutes, une fois par jour, pour se rendre aux toilettes et reprendre le boulot. Dépasser le délai, on vous invite à sortir. Un problème si l’on considère que la maladie qui touche le plus les Nicaraguayens est la diarrhée…Aussi, il est interdit aux femmes d’être enceinte. En cas de délit, la femme enceinte est envoyée sur un poste qui lui demandera plus d’efforts physiques. Bon nombre d’entre elles ont avortés ainsi, évitant aux entreprises d’avoir à payer les prestations pré et post natales (trois mois de repos). D’autres ont tout simplement été renvoyées à la maison. Non à la syndicalisation En 1993, une grève importante éclata dans une entreprise taïwanaise, suite aux nombreux abus physiques et moraux dont étaient victimes les travailleurs. Durant trois jours, les employés subirent des pressions, allant de coups de revolver tirés en l’air aux attaques de tae-kondo. Une femme enceinte reçut un coup de pied au ventre et perdit son enfant. Les travailleurs décidèrent alors de créer un syndicat mais le Ministère du Travail refusa leur demande. Ceux qui persistèrent à vouloir se syndicaliser furent licenciés. Le gouvernement a prétendu qu’il « préférait l’investissement étranger plutôt que de permettre des syndicats », les investisseurs ayant menacé de quitter le pays dans les 72 heures suivant une syndicalisation dans une zone franche. Alors qu’en Amérique latine, on a créé ainsi plus de 300 000 emplois sous rémunérés, aux États-Unis, plus d’un million d’emplois ont été perdus dans le secteur du textile et de l’électronique à cause de la délocalisation… Promouvoir une zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) dans les conditions actuelles, c’est condamner les populations latines à un appauvrissement inévitable et à la destruction de leur environnement. Les maquilas n’utilisent pas les matières premières nationales puisque tout est importé. Aucune relation n’est développée avec les économies régionales et aucun modèle de développement durable n’est offert. Ces « enclaves » ne servent qu’à engendrer des profits qui retourneront aux pays étrangers. Aucun apport technologique non plus puisque l’industrie textile exige peu de technologies. Socialement, l’arrivée des maquilas a transformé le mode de vie traditionnel nicaraguayen. Les femmes et les jeunes filles qui y travaillent ont quitté leur foyer et souvent l’école. Ces mères ne peuvent plus s’occuper de leurs enfants, qui sont souvent confiés à la famille. Des zones rurales entières se sont vidées en faveur des centres urbains, un phénomène dramatique qui a conduit à la surpopulation des grandes villes. Là où insalubrité et pauvreté sont le lot quotidien des travailleurs, il ne reste que peu de place à l’espoir. Mais quelques initiatives sociales ont porté fruits : au Nicaragua, les organisations féminines « Maria Elena Cuadra » (MEC) ont forcé le parlement nicaraguayen à adopter, en mars 1998, un code d’éthique qui prévoit, entre autre, la création d’un groupe de contrôle indépendant chargé de surveiller l’application de ce code par les employeurs des zones franches. Autre gain important pour les femmes : le travail dans les maquilas ont permit aux femmes de sortir de leur isolement. Pour contrer les injustices subies, elles se mobilisent et s’organisent. Le sourire aux lèvres et la sueur perlant sur leur front, les femmes nicaraguayennes sont un modèle de courage et de débrouillardise. Mais tant que la solidarité n’aura pas pris le dessus sur le capitalisme brutal et tant que le gouvernement nicaraguayen pataugera dans la complaisance, les rues de Managua demeureront poussiéreuses…En attendant, il suffit d’un regard pour savoir que l’espoir est toujours dans le cœur de ce peuple fier. Et que demain, Ernesto sera encore à ma porte, me saluant d’un chaleureux « buenas » chantant… |
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