|
Genova - Analyse sexuée des mécanismes de la mondialisationvieuxcmaq, Monday, June 18, 2001 - 11:00
Par Femmes et Mondialisation (Paris 14) (femmes.paris14@attac.org)
Ce week-end une réunion internationale a eu lieu à Gênes à la fois pour préparer les manifestations de fin juillet, à la fois pour mettre à jour les mécanismes spécifiques à la dimension sexuée de la mondialisation libérale. La contestation de la mondialisation financière doit intégrer le genre, en tant que vecteur économique d'exploitation de la moitié féminine de l'humanité. Élucider les multiples causes politico-économiques de cette oppression, c'est offrir un cadre de référence à la contestation de la pensée unique dominante, vision réductrice d'une économie inhumaine, peuplée d'agents asexués, sans appartenance sociale ni histoire. Il convient donc de revoir les théories formalisées depuis 50 ans pour éviter la soumission à des préjugés fatalistes. Le genre, une dimension structurelle de la domination marchande La mondialisation actuelle s'appuie sur un double système d'exploitation, le néo-libéralisme et le patriarcat. Le système de domination néo-libéral organise le marché à la seule fin d'en tirer le maximum de profit et ceci au détriment de la plus grande majorité. Il accentue les inégalités économiques entre les différents pays, et à l'intérieur des pays : entre les hommes et les femmes, et entre les différentes catégories sociales. Le libéralisme tire un grand profit de l'existence du patriarcat qui lui permet de surexploiter la main-d'oeuvre féminine, de maintenir la très grande majorité des femmes dans une infériorité économique et une dévalorisation sociale, et de marchandiser leur corps. Le patriarcat a façonné les rapports entre les hommes et les femmes. C'est un système de domination politique, économique, culturel et social qui s'applique à tous les échelons de toutes les sociétés et que toutes les femmes subissent. Les femmes ne sont pas un groupe social, ni une minorité ethnique, ni une catégorie socio-professionnelle : les femmes comme les hommes définissent tout simplement l'humanité. Elles sont certainement le plus important "groupe d'intérêts" du monde, dans le sens où elles ont toutes intérêt à abolir le patriarcat et elles ont pour la plus grande partie d'entre elles, intérêt à abolir la domination libérale. La division sexuelle du travail est une représentation sociale qui assigne prioritairement les hommes à la sphère productive et les femmes à la sphère reproductive. Cette division repose sur deux principes : le principe de séparation selon lequel il y a des travaux d'hommes et des travaux de femmes, et le principe de hiérarchie selon lequel un travail d'homme vaut plus qu'un travail de femme. Il est maintenant reconnu que les situations des hommes et des femmes ne sont pas le produit d'un destin biologique, mais sont d'abord une construction sociale et culturelle. Dès son apparition en Europe, le capitalisme s'est appuyé sur la division sexuelle du travail et l'a accentuée, même si l'assise théorique de ce concept n'est venue que bien plus tard. Le marché du travail repose sur une segmentation par catégories d'emploi et de secteurs, où existent de fortes discriminations de salaires, de promotions et de conditions de travail en fonction du sexe. Pour les entreprises engagées dans la course au profit, le modèle idéal du salariat repose sur une soumission totale de l'employé-e, un salaire de misère, l'absence de protection sociale, l'inexistence de législations du travail (et de l'environnement) et enfin la répression de toute organisation syndicale. La main-d'oeuvre féminine est idéale car bon marché, disponible en grand nombre, docile et résistante. La contribution des femmes à la satisfaction des besoins collectifs est méconnue des théories économiques néo-libérales dominantes, alors qu'elle est exploitée en pratique de manière invisible. La Comptabilité Nationale ne saisit qu'une partie de la production du bien-être national, celle qui fait l'objet d'une transaction monétaire visible. Outre les mouvements monétaires liés à l'économie illégale, c'est toute l'activité domestique basée sur du travail gratuit qui est ignorée : tâches ménagères, éducation des enfants, soins aux malades et aux personnes âgées, transports, bricolage, auto-production alimentaire des jardins familiaux (très importante dans les pays pauvres). Or le travail domestique est dévolu aux femmes, et dans certains pays aussi aux enfants. L'économie marchande tend à externaliser les coûts de « reproduction » et d'entretien de la force de travail sur la sphère domestique (et les coûts de la pollution sur l'environnement). En cas de récession économique dans les pays industrialisés, de plans d'ajustement structurel et de privatisation du secteur social dans les pays pauvres, il est implicitement admis que les femmes compensent le déficit de services, fournissent les produits vivriers, survivent dans le secteur informel ou retournent dans leur foyer. Le travail gratuit des femmes joue alors le rôle d'amortisseur social. La prostitution qui est la marchandisation du corps humain, devient une gigantesque organisation criminelle internationale. Les réseaux se développent en raison d'intérêts économiques très puissants. Les flux financiers sont considérables, ils sont liés au marché des armes et de la drogue, avec des ramifications dans l'industrie du sexe et de la pornographie. La prostitution sert notamment au blanchiment de l'argent sale. Les causes de ces trafics d'êtres humains sont bien sûr le déséquilibre économique qui s'accroît entre États riches et pauvres, mais aussi les violences sociales et politiques dans les pays d'origine (guerres et conflits ethniques, dictatures, violation des droits des personnes,.). L'accroissement récent de ces trafics ne doit pas masquer l'existence de deux traits permanents : les clients, dont on ne parle jamais, sont toujours des hommes et la prostitution est toujours le résultat d'une souffrance. Actuellement, une tentative de démantèlement des principes déterminants posés en 1949, qui faisaient de la lutte contre le proxénétisme une priorité, a été entreprise par certains pays. En demandant qu'apparaisse une distinction entre «prostitution forcée» et «prostitution libre», ces pays libéraux espèrent faire reconnaître la prostitution comme un travail ordinaire et en retirer les bénéfices. Les effets différenciés des politiques économiques sur le genre La mondialisation libérale se caractérise entre autres par la réduction des barrières commerciales, la libération des mouvements de capitaux, ou l'élimination des restrictions sur les investissements à l'étranger. Ces politiques sur le commerce, les investissements, la concurrence, la fiscalité ne sont pas neutres par rapport au genre. Elles ont des effets importants sur l'emploi des femmes, leur pauvreté, leur fardeau social et sur leur bien-être en général. La recherche sur les relations entre le genre et le commerce a été menée entre autres par le réseau WIDE, et nous en avons fait un axe de travail au sein de notre Groupe. Les politiques de libéralisation commerciale affectent la capacité des gouvernements de financer les dépenses dans le secteur social. Et le déficit de services sociaux est "naturellement" compensé par une augmentation de la charge de travail des femmes. Les efforts accrus pour fournir l'alimentation et l'eau nécessaire à la famille, pour s'occuper des enfants qui n'ont plus de crèches ou des malades qui ne trouvent plus de soins abordables, ont des conséquences évidentes : les femmes ne peuvent plus poursuivre leurs études, ni améliorer leurs compétences ni s'impliquer dans des carrières productives. De plus, pour aider à faire face à cette surcharge de travail, les fillettes sont plus sollicitées que les garçons. Ainsi, entre 1985 et 1997, le taux d'inscription des filles à l'école a chuté dans 42 pays , et 2/3 des enfants non scolarisés sont des filles. Des liens ont été mis en évidence par l'Unifem entre l'endettement accru des pays et la baisse de l'inscription des filles dans les écoles. En plus de leur activité au foyer parental, les fillettes travaillent plus que les garçons : entre 5 et 11 ans, le BIT compte 3 filles pour 2 garçons qui travaillent. En outre, les réductions de dépenses sociales concernent en premier lieu les personnes les plus dépendantes qui sont les pauvres (et 70% des pauvres sont des femmes). Enfin, les licenciements massifs dans le secteur social touchent essentiellement les femmes qui y sont majoritaires. La libéralisation du commerce augmente la segmentation du marché du travail et ses disparités de genre, et amoindrit les capacités des salarié-es à négocier salaires et conditions de travail. Les entreprises s'installent en toute liberté là où les gouvernements n'imposent pas le respect de droits élémentaires ou syndicaux. Les zones franches sont la caricature du nouveau modèle de salariat. Elles sont environ 850 dans le monde, les législations sur le travail y sont suspendues ou inexistantes, les conditions s'apparentent à du semi-esclavage, le travail est très pénible, et souvent très dangereux. Selon les pays, jusqu'à 90% des employés des zones franches sont des femmes. Fréquemment ces femmes sont victimes de violences physiques, harcèlement sexuel ou viols, qui ne sont jamais condamnés par les États concernés. La sous-traitance qui s'est énormément développée permet aux transnationales d'éviter la responsabilité directe envers les salarié-es. Les salaires y sont très souvent en-dessous du seuil légal. Le travail à domicile concerne presque exclusivement les femmes et est considéré comme relevant du privé : la norme y est l'absence d'assurance maladie, d'assurance chômage et de système de retraite. La sous-traitance, le travail à domicile, le travail occasionnel ou à temps partiel rendent la syndicalisation des femmes très difficile. L'inégalité de dotation en ressources économiques (capital, terre, technologie) prive les femmes d'un accès aux investissements, subventions, formations ou programmes d'assistance technique liés à la libéralisation. Il faut rappeler que les femmes ne détiennent que 1% des terres de tous les pays ! Et pourtant, en Afrique par exemple, 75 % des travaux agricoles sont accomplis par les femmes. Mais pour des raisons juridiques, elle ne peuvent ni acheter la terre, ni la vendre ni en hériter. Aux hommes la terre, aux femmes le travail. Les institutions financières renforcent les discriminations sur l'accès au crédit : on accorde aux femmes moins de 1/10ème des crédits accordés aux petits paysans sur le continent africain et juste 1/100ème de l'ensemble des crédits agricoles. L'inégalité d'accès des femmes au crédit et aux technologies les défavorise au niveau de l'efficacité de leur production locale alimentaire et textile : les biens qu'elles produisent ne peuvent pas être concurrentiels face aux importations meilleur marché. Des subventions à l'exportation peuvent avoir un impact différencié sur le genre. (Par exemple au Mozambique, au Kenya, ou en Ouganda, des subventions pour de nouvelles cultures destinées à l'exportation ont eu pour conséquence de chasser des meilleures terres la production vivrière des femmes. Celles-ci ont alors récupéré des terres moins fertiles, et ont vu leur production pénalisée). D'une manière générale, les investissements se font dans le secteur formel, celui du travail rémunéré. Les mesures destinées à promouvoir l'exportation (comme des subventions, les allègements fiscaux ou les programmes d'assistance technique) sont réservées aux cultures et industries où les hommes dominent. Il n'y a que très peu d'innovations ou d'améliorations technologiques dans la sphère économique traditionnellement féminine. Enfin, les femmes ont très peu accès aux technologies de l'information et la communication. Le BIT parle même de "fracture numérique entre les sexes" pour caractériser cette discrimination. La mondialisation libérale met en concurrence, à travers les relations de sous-traitance internationale, les travailleurs et travailleuses du "Nord", et ceux et celles du "Sud". Toutefois pour les premiers, il reste une base de garanties sociales, même si elle se fragilise. Il faut remarquer que la flexibilité et la précarité, qui sont l'apanage des femmes, deviennent une norme se propageant du Sud vers le Nord, et constituent une spirale sociale descendante. Quelques effets de la mondialisation libérale sur la situation des femmes en France La concurrence internationale a entraîné la délocalisation vers des marchés étrangers et la restructuration des entreprises. La recherche de flexibilité au moindre coût s'est traduite par la précarisation sociale, c'est à dire par l'institutionnalisation de l'instabilité de l'emploi : le chômage, le développement accéléré du travail temporaire et les formes précaires d'emploi (comme les CDD, intérim, stages et contrats aidés ) en sont les manifestations les plus évidentes. La précarisation a trouvé sa légitimité sociale et culturelle dans les rapports sociaux de domination, et en particulier les rapports de domination hommes/femmes. Elle s'est épanouie en s'appuyant sur la division sexuelle du travail. C'est ainsi que le travail à temps partiel est féminin à 85%. L'effritement des droits individuels et collectifs du travail lié aux restructurations est reconnu par tous les sociologues. La législation actuelle du travail temporaire ainsi que la législation de la sous-traitance remettent en cause un siècle d'interdiction du marchandage de main d'ouvre. De plus, la précarisation rend peu efficace les instruments juridiques censés lutter contre les discriminations envers les femmes. Le taux d'activité des femmes ne fait que progresser malgré la crise mais elles sont massivement affectées aux secteurs des services ou du tertiaire (80% des employé-es). Le différentiel de salaire persiste alors que les femmes sont, depuis environ 20 ans, plus diplômées que les hommes. De même, persiste le sur-chômage féminin caractéristique de -presque- tous les pays d'Europe (sur-chômage accompagné de sous-indemnisation : 33% seulement des chômeuses sont indemnisées contre 50% des chômeurs). L'évolution du travail due à la précarisation a fait apparaître un phénomène de paupérisation d'une partie du salariat féminin, phénomène qui a fortement progressé au cours de la dernière décennie. Les travailleurs pauvres, « working poors », existent en France : 3,2 millions d'actifs ont un salaire mensuel inférieur au SMIC, et 80% d'entre eux sont des femmes. La domination marchande utilise la division des genres pour enfermer les individus dans des engrenages socio-économiques qui leur échappent. Modifier le rôle et le pouvoir du genre est incontournable pour jeter les bases d'un autre monde, égalitaire, solidaire, pacifique et démocratique, et d'un développement soutenable. Groupe Femmes et Mondialisation (Paris 14) |
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
|