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Des médias encore trop "alternatifs"?

vieuxcmaq, Monday, May 28, 2001 - 11:00

Véronica Rioux (veronica@alternatives.ca)

CMAQ - Québec, 26 mai 2001. Des journalistes et de "simples" citoyens de Québec assistent, le 24 mai, à une assemblée publique organisée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), portant sur la couverture réalisée par les médias lors du Sommet des Amériques. Au-delà des remarques tantôt judicieuses, tantôt prévisibles exprimées par les invités, un certain malaise apparaît lorsqu'il est question des médias alternatifs - autant dans les motifs invoqués par les autorités du Sommet pour refuser d'accréditer certains comme le CMAQ, que dans l'attitude de journalistes eux-mêmes envers ce type de médias, qui se dévoilait par exemple lors de circonstances troubles à la prison d'Orsainville, à la fin avril.

CMAQ - Québec, 26 mai 2001. Des journalistes et de "simples" citoyens de Québec assistent, le 24 mai, à une assemblée publique organisée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), portant sur la couverture réalisée par les médias lors du Sommet des Amériques. Les panélistes sont Denys Tessier, responsable médias du Bureau du Sommet des Amériques, et Ian Renaud-Lauzé, du Comité d'adieu du Sommet des Amériques (CASA, auparavant Comité d'accueil), le tout modéré par Eric Moreault, président de la section régionale de la FPJQ. Notons que la présence du sergent Richard Bourdon, de la Sûreté du Québec, était aussi prévue. Pourtant ce dernier, explique Eric Moreault, a dû annoncer son absence l'après-midi même, sur ordre de ses supérieurs: ils ne souhaitaient pas le voir participer à une assemblée publique... Bien des questions sur les liens entre la couverture média et le déploiement des forces de sécurité sont donc demeurées en suspens.

Au-delà des remarques parfois judicieuses et des déceptions tantôt prévisibles exprimées par les invités (surtout par rapport au manque de "contenu" des reportages, qu'il s'agisse du discours officiel du Sommet comme la fameuse clause démocratique ou celui militant; ou encore une certaine uniformisation de l'information, visible en particulier chez les chaînes télé) et des préoccupations de l'auditoire, qui souleva par exemple le peu d'intérêt accordé aux résidents, principales victimes des événements, la soirée a permis de mettre au jour un autre malaise. Sentiment plus ou moins important d'inconfort par rapport à une catégorie pourtant non négligeable du milieu journalistique, qui était évidemment aussi interpellée par l'assemblée de jeudi: les médias alternatifs.

Une question soulevée lors de la discussion qui suivit les présentations concernait par exemple les accréditations. Un journaliste indépendant, questionnant M. Tessier sur les motifs qui avaient pu mener au refus de reconnaître certains médias pour qu'ils puissent couvrir le Sommet, demanda plus de détails sur les critères qui avaient guidé les autorités. La réponse, déjè entendue, n'a toutefois pas dissipé tous les doutes. Il fallait être un média reconnu, travaillant dans l'intérêt public et non d'un groupe en particulier (cependant, rappelait M. Tessier, des journaux comme ceux de la CSN ou de la FTQ ont été accrédités); les journalistes devaient être des "professionnels", ou du moins il fallait que le travail journalistique soit leur principale occupation.

La question se pose néanmoins dans le cas du Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ) qui, par une grande infortune, fait partie du maigre 2% de médias à qui on a refusé une accréditation, d'après les statistiques du Bureau du Sommet des Amériques. Ce dernier n'avait même pas pris la peine de répondre aux requêtes répétées du CMAQ pour obtenir au moins une réponse écrite, détaillant les motifs derrière cette décision.

Premier argument invoqué pour refuser l'accès au Sommet officiel pour les journalistes du CMAQ, le fait que ce dernier consituait un simple regroupement de médias, comme semblaient le croire les responsables des communications du Sommet. En ce cas, expliquait à tous M. Tessier, il aurait fallu que chacun des médias membres fasse une demande individuelle afin d'accréditer ses propres journalistes. Or, comme il était indiqué clairement dans la demande, en plus de la présence essentielle des médias partenaires en son sein, le Centre des médias alternatifs est une agence de presse à part entière, avec une équipe de reporters y produisant du matériel original. Par ailleurs, on sait que des arrangements ont aussi été faits entre le Bureau du Sommet et des regroupements de médias, par exemple la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ), qui a accepté de partager entre ses membres quelques accréditations. L'argument ne semble donc pas parfaitement convainquant.

Toutefois, un entretien de personne à personne avec M. Tessier après l'assemblée a permis d'apporter un éclairage nouveau et à la fois inquiétant sur ce qui semble être davantage les vraies motivations derrière le refus. On le sait, les médias indépendants et alternatifs entraînent à tout le moins une certaine suspicion quant à leur crédibilité, auprès de certains. Or, d'après ce que révèle l'échange avec le responsable médias du Sommet, ces médias (à moins d'être bien connus, et préférablement depuis des années) inspirent carrément la crainte... De fait, les préoccupations de sécurité seraient une des principales raisons pour lesquelles des médias comme le CMAQ n'ont pas été reconnus par le Sommet.

Médias alternatifs, véritable source de danger?

M. Tessier explique alors: sur le site web de nombreux groupes fortement opposés au Sommet des Amériques et qui prévoyaient des actions pour le perturber (donc les groupes les plus dangereux potentiellement), un truc était donné aux activistes qui auraient souhaité pénétrer le périmètre et ainsi atteindre le Sommet officiel. Il était tout simple: "faites-vous passer pour des journalistes!" Et, comme chacun sait, de grandes agences de presse comme Reuter étant d'une intégrité ou d'une efficacité inattaquables, il n'y a que les médias alternatifs pour permettre qu'une telle menace se concrétise. Selon M. Tessier, le risque était plus que réel...

Paranoïa justifiée, ou simple prétexte (toutes les questions entourant la sécurité du Sommet ont vu une surenchère de moyens pris soi-disant pour éviter le pire...) pour garder à distance des médias aux voix dissonnantes, ayant aussi peut-être les yeux trop grand ouverts sur des réalités qu'on voudrait garder loin du vrai monde? Jusqu'ici, aucune évidence ne permet de croire que sur les 520 journalistes qui ont été inscrits au CMAQ en avril, un seul ait été animé par des motifs davantage terroristes que journalistiques...

Permettons-nous alors de questionner sérieusement un tel motif d'exclusion. La possibilité de voir des membres de dangereux groupes pertubateurs infiltrer divers médias quels qu'ils soient, comme semblaient le craindre les organisateurs du Sommet, nous apparaît plus que réduite compte tenu du niveau peut-être inégalé de surveillance autour de tout le processus menant aux événements d'avril. De fait tout journaliste, peu importe le média, devait soumettre une panoplie d'informations à son sujet, et surtout permettre une enquête de sécurité par la GRC. Un individu avec un casier judiciaire ou lié à des activités douteuses avait donc beaucoup moins de chances (mais pas aucune, cela dépendant de la nature du délit) d'être accrédité qu'un autre ayant un dossier vierge.

De plus, des enquêtes approfondies du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) sur les groupes "anti-mondialisation" préparant l'opposition en avril sont censées avoir permis d'identifier, potentiellement, les cellules constituant le plus grand risque (et les autres aussi, comme l'ont appris les membres de toutes sortes de groupes) à la sécurité du Sommet. Il nous semble ainsi plutôt improbable qu'un quidam animé d'intentions malveillantes parvienne à déjouer toutes les mailles du système de prévention, et parvienne au Centre des congrès avec une accréditation de journaliste au cou. Et si c'était le cas, la personne en question aurait alors probablement autant de talent pour pénétrer un grand média qu'un média alternatif - ce qui lui aurait conféré peut-être encore plus de chances de succès de ses scabreux plans, étant encore plus inattendus...

Cependant, l'inquiétude ou à tout le moins une forme d'inconfort par rapport aux médias alternatifs n'était pas seulement palpable chez le représentant officiel du Sommet. Du côté des journalistes de grand média aussi, on ne semble pas savoir tout à fait comment prendre ces "autres joueurs" de l'arène médiatique, qui n'ont pas encore acquis toutes leurs lettres de noblesse. La période de questions de la rencontre de la FPJQ a permis là aussi de mieux percer le groufre qui peut parfois séparer les deux mondes. Elle fut en effet l'occasion de relater une anecdote vécue par l'auteure de ces lignes, et de vérifier si la vive impression qu'elle lui avait laissée était justifiée ou non.

Témoignage personnel: quand une présence "alternative" dérange...

Revenons un mois en arrière, en fin avril, tandis qu'un point de presse convoqué par le Collectif légal a lieu peu après le Sommet au Centre de détention de Québec, sur les violations de leurs droits fondamentaux qu'avaient connues jusque là les personnes arrêtées à l'occasion du Sommet. Une douzaine de journalistes s'affairent autour de certains relâchés livrant leur témoignage, puis de Maître William Sloan qui compare la situation à celle, inquiétante, qu'il avait lui-même observée dans des dictatures d'Amérique latine, comme au Chili sous la poigne de Pinochet. Des questions sont posées à l'avocat. Puis j'interviens, demandant à M. Sloan s'il y avait des possibilités que des journalistes indépendants, dans l'exercice de leurs fonctions, aient été visés par les corps de police justement parce qu'ils étaient des journalistes de médias alternatifs? On sait que plusieurs inscrits au CMAQ notamment ont subi une forme de répression ou d'intimidation dans leur travail durant le Sommet: arrestations ou menaces, projectiles dirigés vers eux même en présence de caméra, etc.

L'intérêt ici réside moins dans la réponse - Sloan affirmant que la chose était en effet possible - que dans la réaction des autres journalistes présents au "scrum" de la prison d'Orsainville. En effet, la question commence à peine à être posée, le terme "média alternatif" est lancé, et je vois autour au moins trois caméras de grandes chaînes qui reculent ou se tournent vers le sol, comme si leur travail était terminé, qu'il n'y avait plus rien d'intéressant à garder sur pellicule. Surprise, j'attends néanmoins avant de porter un jugement sur ce qui motive une pareille attitude. Or, sitôt qu'une prochaine journaliste interpelle Me Sloan, on peut voir les caméras qui retrouvent un intérêt à capter son intervention.

Impossible de ne pas m'inquiéter sur les raisons qui justifient un retrait si spontané, si partagé entre les grandes chaînes qui étaient présentes ce jour-là, au moment même où on veut justement soulever une sorte de marginalisation dans laquelle on enferme les médias un moindrement "différents"... Partageant cette expérience quelque peu troublante devant nos confrères de la FPJQ, j'espère de tout coeur que l'un d'eux saura m'expliquer cette attitude pour le moins douteuse, ou me donner la confirmation qu'il ne s'agit que paranoïa de ma part. Aucun ne répond à mon interrogation, ce qui ne fait que renforcer le sentiment que le malaise est bien réel... ou sinon que c'est l'indifférence, une incompréhension ou simplement une certaine complaisance qui règne.

Un journaliste d'un quotidien de la capitale viendra toutefois me parler après l'assemblée, tandis que les journalistes iront fraterniser juste à côté autour d'un verre. Il me rassure: je n'ai pas inventé ce qu'ont vu mes yeux; lui-même le déplore, il y a en effet une méfiance par rapport à tout ce qui n'est pas grand média, à ce qui vient par exemple du milieu communautaire. Il y aurait une forme de snobisme: ce qui sort trop des sentiers connus est vite relégué à l'oubli, ignoré ou considéré sans crédibilité. Se serait-on habitué à une forme de journalisme de plus en plus homogène, moins tolérant par rapport aux façons de faire différentes? Comme le rappelait Ian Renaud-Lauzé devant l'assemblée, il n'est pas rare de voir les journalistes présents à une conférence de presse s'entendre, juste après celle-ci, sur les principaux points à faire ressortir...

Est-ce là la diversité des points de vue que doit permettre une réelle liberté d'expression? À quoi sert la multiplicité des réseaux de médias si ces derniers rendent compte des mêmes nouvelles, et d'une façon au fond plutôt semblable peu importe le canal? N'y a-t-il pas, plus que jamais, le besoin pour des sources alternatives d'information, où les points de vue négligés par les réseaux dominants trouvent une voie d'expression?

Les questions persisteront, à moins que les représentants de toutes les formes de média parviennent à vider le débat sur ce qui doit constituer une information de qualité, rigoureuse, accessible, diversifiée, sans négliger les aspects structurels qui peuvent l'affecter (comme l'influence de la propriété d'un média sur son contenu et ses choix éditoriaux, des impératifs de rentabilité et de compétition pour les cotes d'écoute, ou de l'origine tant des revenus que des nouvelles elles-mêmes...). Tant le discours officiel qui cultive la suspicion la plus grande envers les médias alternatifs, que l'attitude de journalistes qui préfèrent ne pas savoir ce qui les touche, comme s'il s'agissait de tout sauf de confrères et consoeurs du métier, contribuent au contraire à donner l'impression que nous sommes encore loin de la maturité nécessaire à un tel dialogue.



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