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Démagogie et Propagande: nos deux plus fidèles compagnes

vieuxcmaq, Thursday, April 26, 2001 - 11:00

Martin Vachon (vachonma@hotmail.com)

Le Sommet des Amériques de Québec a mis à nu un remarquable conflit entre 2 groupes : les promoteurs d’un projet de mondialisation et leurs opposants. La différence entre le contenu du discours de chaque groupe est indiscutable. Pouvons-nous toutefois en dire autant des moyens utilisés pour se faire entendre? Le côté obscur de la force aurait-il fait de nouveaux adeptes parmi nos rangs?

Nous connaissons le tableau d’ensemble; l’affrontement global dans lequel nous prenons part oppose différentes visions du monde. L’objectif ici n’est pas de m’engager dans leur description, mais plutôt de soulever l’inquiétante similitude des moyens empruntés dans l’affrontement par les deux camps (appelons-les les Satisfaits [1] et les Opposants, dans le cadre de notre discussion). Côtoyant de près les actions, les principaux outils utilisés demeurent les mots. La parole. Le discours. Dans les traités, les contrats, les articles, à la radio, à la télévision, dans les lois, les règlements, sur la tribune, dans les livres et les discussions, les mots sont partout, toujours. Ils décrivent et décrient, ils implorent, ils invectivent, ils annoncent, ils dénoncent, les mots sont notre moyen de communication privilégié. Chargés de sens, ils sont employés pour exprimer une idée, un sentiment, une émotion, un état.

Manié avec soins, le discours peut être porteur de grandes choses, dont le changement orienté et souhaité. Autrement, il se retourne rapidement contre son utilisateur. J’ai bien peur que ce soit ce qui nous arrive déjà. Sommes-nous sourds et aveugles au point de ne pas nous rendre compte que nous parlons comme ceux contre qui nous nous soulevons? L’euphorie des victoires nous monte-t-elle à la tête? Oui, chers amis, nous empruntons trop fréquemment le chemin facile mais risqué de la démagogie et de la propagande. Notre stratégie tourne court, nous manquons de profondeur, nous tombons dans les mêmes panneaux que ceux que nous dénonçons. Comment pouvons-nous nous féliciter alors que nous devrions nous flageller?

De quoi je parle? Je vous le donne en mille et en exemples. Combien de fois avons-nous pu dénoncer les paroles irrespectueuses des Satisfaits lorsqu’ils nous nous considèrent comme des paresseux, des idéalistes déconnectés, des profiteurs, des moins que rien? Nous décrions cette attitude et nous nous en servons dans nos discours pour démontrer qu’il s’agit bien là d’un élément moralement inacceptable qui participe à l’émergence de notre colère. Et au passage, entre nous, nous les traitons d’inhumains, d’affamées d’argent et de pouvoir, d’insensibles, de faux. Nous sommes le vrai peuple, pas eux. Et j’en passe. Vous ne vous reconnaissez pas?

Combien d’autres fois avons-nous pu dénoncer la pensée unique des Satisfaits et leur prétention à connaître LA façon de faire, la seule valable, la «One Best Way»? Nous nous insurgeons devant leur fermeture à nos propos et nos suggestions, à leur obstination à croire qu’ils détiennent la vérité. Et au passage, nous soutenons avec vigueur qu’ils n’ont rien compris, qu’ils sont perdus dans leur monde artificiel pour seuls élus, que puisque nous sommes le vrai monde, nous devrions pouvoir nous diriger, et les diriger eux également. Ils se sont trompés, nous ne nous tromperons pas. Nous affirmons savoir, alors qu’eux non.

Combien de fois encore avons nous pu dénoncer le fait que les Satisfaits et leurs sbires médiatiques, dans une machination complotée contre nous, ne se concentrent que sur la violence des manifestations pour détourner l’attention populaire des vrais enjeux. Nous pourfendons cette stratégie machiavélique et affirmons haut et fort que cela est insupportable, que nous devons y remédier. Et en réponse, nous créons nos propres médias, qui seront différents, authentiques. Et dès que l’occasion se présente, ceux-ci sont truffés d’images de confrontations avec les forces oppressives, arrestations, sang, gaz et autres balles de caoutchouc. «Nous devons démontrer les abus dont nous sommes victimes!» vous entends-je. Ah! bon. Ainsi nous sommes légitimés d’agir ainsi, et pas eux. Nous avons raison, alors qu’eux ont tord.

Combien d’exemples pourrait-on ajouter concernant les stéréotypes que nous entretenons vis-à-vis des Satisfaits, concernant notre manque ne discernement, nos jugements à l’emporte-pièce, notre tendance à simplifier les enjeux, à diviser le monde en Bons et Méchants, à nous considérer systématiquement du côté des valeureux martyrisés, à nous croire supérieures.

Un profond malaise s’est installé dans ma conscience. Oui je suis un Opposant dans l’âme, contre la mondialisation telle qu’elle est présentée par les Satisfaits, mais je ne peux demeurer muet devant ce que je vois et entends dans notre camp. Il est primordial que nous changions notre discours, parce que ce sont nos actions qui en dépendent. Au-delà des mots, il y a finalement ce qui les précède, ce qui leur donne vie, ce qui est représenté par eux; au-delà des mots il y nous. Et il y de ces moments où j’espère que notre discours ne reflète pas ce que nous sommes.

Nous soutenons que les principes démocratiques sont ceux à suivre, que le débat est nécessaire, que ceux qui ont quelque chose à dire doivent pouvoir le faire, que la diversité des moyens doit être acceptée, que le respect de l’autre, de son point de vue et de sa dissidence sont à soutenir. J’y crois profondément, chers collègues, j’y souscris, j’y participe et c’est pourquoi je lance ce crie d’alarme. Ne tolérons la médiocrité et la superficialité nulle part, et encore moins de notre part.

Solidairement.

Note
[1] En référence à l’ouvrage «La république des satisfaits : la culture du contentement aux Etats-Unis» par John Kenneth Galbraith (1993)

Pour en savoir davantage.
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