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La Déclaration de Québec ou le nouveau populisme de l’intégration continentale

vieuxcmaq, Thursday, April 19, 2001 - 11:00

Richard Fecteau (rfecto@hotmail.com)

Dès le mercredi 18 avril, une version préliminaire de la Déclaration de Québec a fait l’objet d’une fuite. Au menu officiel: de belles déclarations de principes sur les droits humains, sur la démocratie et sur les questions de développement sans grande considération pour un projet de ZLÉA presque absent. Cette Déclaration aura au moins un mérite : elle prouve que ce Sommet n’est en fait qu’une vaste opération de relations publiques et non une véritable négociation. Avant même que les chefs d’État et de gouvernement ne soient arrivés à Québec, les dés sont pipés. Voyons donc que contient ce document, qui ne porte qu’une maigre attention au libre-échange, bien entendu, et fait la large part à une rhétorique qui en dit toutefois plus long que l’on ne pense.

Le contenu de la Déclaration de Québec

La Déclaration de Québec est axée sur la "réitération de la volonté politique" des chefs d’État et de gouvernement "démocratiquement élus" participant au Sommet. Depuis le deuxième Sommet des Amériques, 21 des 34 chefs d’État présents à Québec ont été élus. Le Sommet serait donc une profession de foi pour de nouveaux arrivants qui, personne n’en est dupe, n’ont guère d’autre choix que de suivre le rythme de négociations à toute fin pratique autonomes des pouvoirs politiques. Cette justification pour la tenue d’un Sommet est d’une faiblesse évidente : pourquoi convoquer tous ces gens s’ils ne viennent ici que remâcher les mêmes discours ?

Au-delà cette version officielle, des buts plus concrets sont évidents pour qui sait lire entre les lignes et prendre en compte le contexte actuel. Malgré des nouveautés liées principalement à la question de la démocratie et de la lutte contre la drogue, les 33 articles du "projet" de Déclaration reprennent toute une série d’engagements tirés d’accords internationaux régionaux ou internationaux déjà existants. Cette déclaration est toutefois une couverture bien mince qui camouffle mal la priorité réelle : créer une zone non pas de libre-échange mais plutôt de libre investissement et d’ouverture du marché des services.

Une première nouveauté : la démocratie

Depuis le deuxième Sommet des Amériques tenu à Santiago en 1998, beaucoup de choses se sont passé au sein de l’hémisphère : les principaux foyer de déstabilisation d’un ordre néolibéral qui semblait alors confirmé se situent au cœur des Andes. Le Pérou, le Vénézuela, l’Équateur et, surtout, la Colombie, ont connu de véritables séismes sociaux et politiques.

Dans les cas du Pérou et de l’Équateur, de vastes mouvements sociaux ont réussi à déloger des gouvernements qui s’étaient trop ouvertement affichés comme les valets de l’application des remèdes de cheval définis à Washingon par le FMI. Au Vénézuela, c’est un Chavez trop franchement anti-impérialiste et nationaliste qui rechigne à laisser les Etats-Unis dicter leur loi dans la région. Enfin, en Colombie, le gouvernement Pastrana a peine à maintenir un contrôle minimal sur les grandes villes et a perdu toute influence sur les zones contrôlées par les paramilitaires et les guérillas marxistes.

Les années 80 et le début des années 90 avaient rassuré Washington : il semblait possible de contrôler la région par le biais de démocraties de façade qui n’avaient alors même pas le discours de la pseudo-gauche à la Blair ou à la Cardoso. De toute évidence, la nuit de noce est terminée entre les populations et les premiers gouvernements "démocratiques" ayant succédé aux dictatures.

Le Sommet des Amérique est une occasion parfaite pour définir clairement ce que l’on entend par démocratie. D’une part, cela permettra de mettre définitivement de côté un Cuba dérangeant dans un contexte instable. D’une autre, les initiatives populaires comme celles de la CONAIE, en Équateur, seront découragées par les menaces d’investisseurs étrangers et de financiers internationaux. Ces États, avec une clause démocratique très orientées, seraient mis au banc des accusés à la moins divergence idéologique. Il est donc très clair que l’inertie d’une Zone de libre-échange sécurisait bien des gens en verouillant davantage l’allégeance au duopole marché-démocratie.

Le concept de démocratie est bien entendu très creux, surtout après la saga qui a permis à George Bush d’accaparer la Maison blanche. La Déclaration de Québec ne pose aucune balise à cet effet : l’Organisation des États Américains sera chargée de pousser plus loin les discussions pour déterminer où se situe la limite de la démocratie.

Seconde "trouvaille" : la lutte contre la drogue

La Déclaration de Québec est un exercice de rhétorique fort habile qui vise à faire taire les détracteurs du projet d’intégration continentale. À cet égard, il n’est guère surprenant de constater que les concepts et les termes utilisés sont exactement les mêmes que le Plan Colombie qui vise un peu les mêmes buts éteignoirs. La lutte contre la drogue, obsession présente dans les deux documents, est ainsi mise de l’avant pour justifier le Sommet des Amériques et minimiser l’importance des discussions commerciales qui y seront tenues.

La lutte contre le narco-trafic par tous les pays concernés devient, dans le contexte de l’intervention américaine déguisée en Colombie, une condition obligée pour avoir accès au sacro-saint marché américain et aux investissements étrangers responsables (sick) de l’ensemble du continent. Quiconque n’est pas dupe de la situation saura très bien qu’il s’agit encore d’un prétexte pour "stabiliser" la région andine.

Bien des éléments concourrent pour prouver le caractère cosmétique des mesures anti-drogue de la Déclaration de Québec : la consommation de drogues dures aux Etats-Unis est de plus en plus réduite aux ghettos, les efforts d’éradication des cultures illicites n’ont permis que de déplacer le problème et les intérêts pétroliers américains dans le centre-sud de la Colombie ne pêchent pas par excès de subtilité. Par l’arrivée de ce nouveau sujet de discussion au Sommet de Québec, le gouvernement américain cherche bien entendu à élargir les appuis pour son Plan Colombie fort impopulaire au sein des populations conscientes des enjeux dissimulés sous un emballage trompeur.

Le Sommet de Québec : du réchauffé au menu

Ces deux nouveaux thèmes masquent mal l’inutilité flagrante d’une telle Déclaration. En reprenant un ensemble d’accords et de conventions en matière de drois humains et de droit du travail, principalement, le Sommet de Québec ne permet aucune avancée, ce qui masque mal le caractère essentiellement mercantile de l’intégration continentale. La fameuse "coopération inter-hémisphérique" ne dépassera pas le cadre de ce qui existe au sein de l’Organisation des États Américains.

Certains articles de la Déclaration soulèvent des questionnements sur la volonté réelle des États de voir s’appliquer des conventions et des accords internationaux qu’ils n’ont soit jamais mis en œuvre, soit jamais ratifiés, voire même jamais signés. Le cas le plus flagrant est une allusion que ce document fait au droit des enfants de ne pas faire la guerre. Les Etats-Unis constituent l’un des rares pays au monde où des mineurs peuvent faire partie de l’armée régulière; cette raison l’a "empêché" de ratifier la Convention des Nations Unis sur les droits de l’enfance, caractéristique qu’il partage avec un club sélect de pays où les droits humains sont bafoués sur une base régulière.

La Déclaration de Québec : le nouveau populisme de la gouverne globale

Le sherpa du Sommet des Amériques, Marc Lortie, a constamment répété que la démocratie doit s’imposer à l’hémisphère pour empêcher le retour de toute dictature populiste. En terme de populisme, il est toutefois difficile de faire mieux que la Déclaration de Québec. Dans l’hypothèse irréaliste où nous croirions cet amassis de promesses jamais tenues, nous serions forcés de nous réjouir : grâce à la coopération entre les pays de l’hémisphère, il sera possible de mettre fin à la pauvreté extrême, d’offrir à toute la population l’accès aux services publics de base, aider à résoudre le nouveau fléau du sida, de protéger l’environnement.

Tous ces problèmes ne pourraient, semble-t-il, plus être réglés à un niveau national. Dans la réalité, le nouveau populisme joue un rôle fondamental : il justifie un retrait de l’État de ses fonctions sociales. Tous les gouvernements devront se plier aux exigences de la démocratie politique, mais où en est la démocratie sociale ?

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