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Chiapas : entre répression militaire et guerre économique 2e Partie

vieuxcmaq, Tuesday, February 20, 2001 - 12:00

Nicolas Phébus (nicolasphebus@yahoo.com)

Deuxième partie d'un texte d'analyse sur le Chiapas, publié dans dans la revue française Courant Alternatif.

Entre répression militaire et guerre économique : Plan Puebla-Panama et... hop ! " en avant marche la maquila jusqu'au sud-est ! "

La paix envisagée par Fox n'est ainsi que la continuation de la répression sous d'autres formes, dont l'offensive économique constitue une partie tout à fait centrale. Pour un peu qu'on se penche sur le programme de Fox, laissant de côté un moment la stratégie communicative et le discours lénifiant de pacification, on se trouve en prise avec un pragmatisme économique à tout rompre, dont la principale devise est : " la politique comme négoce (je te donne, tu me donnes) et non comme exercice citoyen et collectif "(1). Fort de ses antécédents d'entrepreneur, Fox croit à l'initiative privée comme en aucune autre religion et la considère comme la base de la croissance économique et de l'emploi. Ses plans se révèlent donc sans surprise : nouvelle gestion publique, ouverture aux capitaux privés, privatisation, micro-crédit, filet social et organisations de charité pour les populations rurales et indiennes, zones de libre échange, ouverture aux capitaux étrangers, financement aux entreprises, industrie maquiladora (2), etc. Parmi les projets concrets à venir, le peuple mexicain devra ainsi notamment compter avec :

‹ l'ouverture du secteur électrique aux capitaux privés, (mais Fox assure que le gouvernement conservera le contrôle de la planification et de l'expansion du secteur électrique !) (3) ;

‹ une politique de New Public Management dans le secteur étatique du pétrole. Fox est un homme de bonne foi qui tient ses promesses de campagne: la Pemex (entreprise nationale de pétrole) restera patrimoine de l'Etat, mais subira simplement une légère transformation en " entreprise guidée par des critères d'efficacité " (4). Bref, à court terme (une fois passé le délai respectable de la parure démocratique) cela signifie la privatisation, ce n'est qu'une question de temps ;

‹ la réalisation du Plan Puebla Panama, soit la création d'une zone de libre échange (tiens, du nouveau !) au sein du " triangle nord de l'Amérique Centrale ", comprenant le Mexique, le Bélize, le Guatemala, le Honduras et le Salvador, pour y " dynamiser l'échange commercial et les investissements " (5). Le Mexique pourra ainsi faire comme son grand frère étasunien et installer ses propres Maquiladoras au Nicaragua. Il a bien le droit lui aussi !

‹ mais le plus beau, et là on commence à sentir le goût amer d'une mauvaise plaisanterie, c'est la proposition d'expansion des maquiladoras vers le sud du pays, en particulier au Chiapas, où " il y a des ressources naturelles qui sont déjà épuisées au nord " (6). Fox n'a ainsi pas peur d'annoncer que la pacification au Chiapas permettra d'impulser le dit plan " en avant marche la maquila jusqu'au sud-est " !!(7). Il y a alors de quoi se prononcer contre " la paix "! Les produits issus de l'industrie maquiladora doivent donc être multipliés par dix selon les plans du nouveau ministre de l'économie Luis Ernesto Derbez Bautista, avec un développement tout à fait spécial au Chiapas(8). Ce dernier se définit ouvertement comme néo-libéral (on l'avait compris), mais précise qu'il est opposé au libéralisme à outrance et qu'il se préoccupe du bien-être des gens(9). Ainsi, en vue de la réalisation dudit bien-être, il prévoit de faciliter le crédit aux entreprises, en priorité étrangères, et vise l'augmentation de la productivité au Chiapas, avec une attention spéciale pour les " industries automobiles, électro-électroniques et de biens de capital "(10).

Le plan Puebla Panama et son versant mexicain, le plan de la Marche de la maquila au sud-est, constituent à la fois la " face économique du plan militaire Chiapas 2000 (...) et l'ultime phase du plan contre-insurrectionnel" qui sévit depuis sept ans au Chiapas(11). Fox a reçu ce plan économique clé en main, de la part de l'ex sous-secrétaire des impôts de Zedillo, qui avait préparé un " plan stratégique " d'investissement économique au Chiapas pour le candidat du PRI Labastide. Ce dernier ayant perdu les élections, il a revendu l'affaire au vainqueur Fox, lequel a confié sa promotion au multimillionaire et détenteur d'entreprises d'extraction de ressources naturelles au Chiapas : Alfonso Romo. Ce dernier est soupçonné par des ONG basées à San Cristobal de pratiquer de la biopiraterie dans la région, sous couvert de préoccupations écologistes.

Le fait est que le Chiapas regorge de ressources naturelles­ (ressources en eau, hydrocarbures, biodiversité encore vierge) et que pour cette raison même les entreprises qui oeuvrent dans cette région comptent parmi les plus importantes transnationales mondiales en agro-biotechnologie. La Banque Mondiale elle-même affirme que le Chiapas " est un champ expérimental intéressant en biogénétique et en biodiversité pour les entrepreneurs "(12). En effet, la seule forêt lacandone - qui par ailleurs regroupe 8 municipalités d'influence zapatiste ... - génère 40% des ressources hydro-électriques du pays, rassemblent les espèces les plus rares d'arbres, de plantes et d'animaux, et dans cette région le pétrole peut se renifler à fleur de sol... Ces ressources précieuses expliquent l'appétit des investisseurs transnationaux et la pression à la privatisation et à l'implantation de 71 nouvelles centrales électriques. La présence policière et militaire au Chiapas constitue le bras musclé de cette politique économique, qui non seulement réprime le mouvement zapatiste, mais assure l'intimidation, le déplacement ou l'expulsion des populations qui se trouvent sur le chemin des multinationales. Ces projets d'investissements comptent ainsi parmi leurs moyens l'aménagement de forces de sécurité publique pour protéger les personnes (et leurs biens !) qui investiront leurs capitaux dans la région ... Ces résolutions détonnent pour le moins avec les projets de négociations sur l'autonomie et les droits des populations indigènes du Chiapas, dont l'exigence d'un contrôle sur la terre, les forêts et autres ressources naturelles devra s'arranger avec " l'unique droit reconnu par le capital transnationnal : la liberté du marché "...(13)

Enfin, le libéralisme économique n'allant jamais seul, la victoire du PAN signifie également le renforcement du conservatisme sur le plan des libertés et des droits individuels, sexuels, des moeurs et de la culture. Le parti vainqueur, traditionnellement défenseur d'une morale très conservatrice, fournit avec son triomphe une tribune aux tendances d'extrême droite(14). Depuis le 2 juillet (jour de la victoire électorale du PAN), la droite conservatrice de ce parti a déjà mené quelques offensives dans certains états où elle est majoritaire, et dont les femmes, en particulier les lesbiennes, ainsi que les gays et plus généralement tous les groupes sociaux minoritaires, sont les premières cibles. Parmis ces attaques, il faut compter la pénalisation de l'avortement en cas de viol, instaurée au mois d'août dans l'état du Guanajuato. D'autres exemples, moins tragiques mais néannoins inquiétants existent : dans l'état de Jalisco le PAN a interdit le port de la mini-jupe pour le personnel féminin des services publics et de l'administration, dans la ville d'Aguascalientes le PAN a fait campagne contre une exposition de photos parce qu'elle comportait deux nus, enfin, le plus drôle, au Yucatan le PAN a voté la pénalisation des pratiques de sexe oral ! Bref, un charmant avenir en perspective se dessine ...et qui devrait plaire au grand frère Bush de l'autre côté de la frontière !

Contre le capitalisme mondialisé et la commercialisation du Chiapas: la poursuite de la lutte de " la société civile ".

Le projet politique de Fox parachève donc l'offensive néo-libérale de ses prédecesseurs. C'est un projet de pays qui signifie la transformation du Mexique en "grand magasin, quelque chose comme un "mega store" qui vend des être humains et des ressources naturelles au prix dicté par le marché mondial "(15). La politique de Fox est ainsi tout à fait en phase avec la ligne dictée par les grands organismes du commerce international, comme le Forum économique mondial (FEM), le Fonds monétaire international (FMI) ou l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le gouvernement mexicain, en dépit des 40 millions de pauvres occupant son territoire, ne veut pas être en reste dans le club des riches et veut compter parmi les membres du Premier monde.

Le Mexique est ainsi notamment partie prenante de ce qu'on peut considérer comme le " banc d'essai " de l'" Accord multilatéral sur l'investissement " (AMI), à savoir l'Accord nord-américain de libre échange (ALENA). L'AMI, lancé en grand secret par le G7 au sein de l'OCDE, prévoit l'élimination de tous les obstacles en matière de protection sociale ou culturelle, de droit du travail ou d'écologie empêchant la " libre " implantation des entreprises au-delà de leurs frontières"(16). C'est une " emprise sociale globale "(17) de la part des sociétés transnationales, qui leur permet de se soustraire " aux contraintes des lois et des règlements nationaux, tout en protégeant pleinement leurs secrets et leurs bénéfices "(18). Or l'Accord Nord-Américain de Libre Echange (A.L.E.N.A.), signé en 1994 entre Les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, constitue " actuellement la forme institutionnelle la plus achevée de la libéralisation et de la dérèglementation illimitées " en matière d'investissement et de circulation des entreprises et de leurs capitaux(19).

Le Mexique est aussi cette année le terrain de jeu d'un meeting régional du Forum économique mondial (FEM), qui après les Alpes suisses se retrouve sur les plages de Cancun le 26 février, pour discuter des stratégies d'investissement au Mexique et dans la région de l'Amérique Centrale. La réunion intègre le Conseil mexicain de l'investissement (MIB), le gouvernement Fédéral (Fox et son cabinet) et des invités spéciaux dont l'ancien président Zedillo. Le FEM, groupe international le plus puissant, impulsant la ligne de conduite du processus de la globalisation, réunit ainsi d'un côté les principeaux décideurs économiques du marché globalisé et les gouvernements des pays chargés d'appliquer cette politique parmi la population. La réunion de Cancun aborde un vaste programme de discussions sur la position stratégique du Mexique au sein " des Amériques ", sur ses différentes alliances commerciales, sur la gestion de l'ALENA, sur l'efficience des structures administratives mexicaines, sur le développement de l'industrie automobile et énergétique au Mexique, etc, etc.

Le mouvement zapatiste est ainsi plus que jamais relié à la résistance internationale contre la mondialisation. Au-delà de l'exigence d'accomplissement du dialogue au Chiapas, les bases d'appui et la " société civile "(20) appellent l'EZLN à faire " un détour par Cancun " lors de sa marche sur Mexico, et se joignent au mouvement anti-mondialisation pour protester contre la commercialisation du Chiapas et du Mexique. Dans un mouvement signé F26, plusieures organisations se rendent à Cancun, dont le Réseau mexicain d'action contre le libre commerce (RMALC), dans le cadre des actions prévues contre la signature du texte de l'ALCA (Area de Libre Comercio de las Américas) programmée pour avril 2001 au Québec. Une partie de la " société civile " - autrement dit une partie des organisations et individus qui se sont mobilisés depuis le début du mouvement zapatiste pour soutenir ses revendications - voit ainsi aujourd'hui plus loin que le seul processus de négociations entre le gouvernement mexicain et l'EZLN. Cette nouvelle phase de dialogue laisse perplexe plusieurs représentantEs des communautés indiennes et plusieurs collectifs de militantEs, qui perçoivent avant tout la détermination et le long terme de la politique néolibérale de Fox. Alors que l'EZLN tente malgré tout un nouveau dialogue, certains intellectuels ayant soutenu les zapatistes semblent impatients de voir le mouvement se transformer en parti, pressant les zapatistes de saisir l'espace démocratique désormais ouvert et les signes de dialogue donnés par le gouvernement (21). Les collectifs de base qui luttent dans le sillage de l'EZLN ne voient pas les choses du même oeil et considèrent au contraire que si l'EZLN s'incline vers des concertations avec l'Etat, la poursuite de la résistance contre la guerre économique au Chiapas ne fait que commencer. C'est l'avis notamment des camarades de la Coordinadora pour la Consultation Zapatiste de la zone des Hautes Terres (cf. encadré), pour qui la participation démocratique laissée dans le processus de négociations entre le gouvernement et l'EZLN demeure restreinte, et qui tendent ainsi à redéfinir leur action politique dans un espace de lutte anti-capitaliste dépassant le Chiapas. Contrairement aux différentes étapes précédentes de dialogue (avorté), l'EZLN affirme cette-fois vouloir développer " de nouvelles formes de dialogue sans intermédiaire " (22), ouvrant la mobilisation " aux citoyens " et se tournant plus directement vers la ville de Mexico et le monde que vers les communautés indiennes du Chiapas. Ces dernières sont ainsi incitées à faire entendre leur propre voix, qui ne coïncide pas toujours avec les orientations de l'EZLN. Certaines bases civiles (comme les communautés indiennes de Amador Hernandez) estiment par exemple que les conditions du dialogue devraient être plus exigeantes, et inclure le désarmement des groupes paramilitaires, le retrait des troupes à son niveau de 1994, et le jugement des gouverneurs du Chiapas en place pendant la période du conflit. Dans tout le Mexique, la " société civile " prend ainsi ses propres initiatives pour exiger de Fox qu'il réalise ses promesses. Mais leur lutte ne s'arrête pas à la porte du Congrès, où doit se dérouler le processus de dialogue. Elle s'attaque aux projets capitalistes du gouvernement et à leur insertion dans les politiques de la globalisation, dans le cadre desquelles il ne peut y avoir de paix au Chiapas !

Depuis le Chiapas,
Louise, janvier 2001

Notes :

1 Communiqué du sous-commandant Marcos, juillet-décembre 2000.

2 Les maquilas sont des usines d'exportation, dont le capital et la technologie sont détenus par des compagnies étrangères et le travail fourni par la main d'¦uvre locale bon marché (Lara Flores, 1992, p. 38). Au Mexique, elles sont implantées principalement au nord, dans la zone frontalière avec les Etats-Unis, ainsi qu'au Yucatan et dans la région frontalière avec le Guatemala. Dès la fin des années 60, le développement de l'industrie maquiladora au Mexique fit partie d'une politique concertée avec les Etats-Unis pour limiter l'immigration de la population mexicaine et pour créer des zones " d'emplois " au Mexique. Ce type d'investissement transnational et de libre circulation du capital et des marchandises issues de l'industrie d'exportation s'intègre également dans le processus de libre échange, incarné depuis 1994 par l'Accord nord américain de libre échange (ALENA).

3 La Jornada, 6 décembre 2000.

4 Ibid.

5 La Jornada, 1er décembre 2000.

6 La Jornada, 6 décembre 2000.

7 Ibid.

8 La Jornada, 5 décembre 2000.

9 Ibid.

10 Ibid.

11 La Jornada, 10 janvier 2001.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Communiqué du sous-commandant Marcos, juillet-décembre 2000.

15 Sous-commandant insurgé Marcos, La Jornada, 3 décembre 2000.

16 Observatoire de la mondialisation, 1998, p. 30.

17 Ibid, p. 23.

18 Ibid, p. 25.

19 Ibid, p. 12.

20 Le mouvement zapatiste se caractérise par la participation et le rôle politique essentiel de la " population civile ", qui se compose d'une part des bases d'appui zapatistes (réseau de communautés indiennes très proches de l'EZLN, participant à la logistique et à certaines décisions politiques du mouvement), d'autre part de la " société civile " (l'ensemble des organisations et individus n'appartenant pas à l'Etat, qui partagent et soutiennent les idées de l'EZLN au niveau national et international)

21 José Gil Olmos, La Jornada, 26 décembre 2000.

22 Sous-scommandant insurgé Marcos, communiqué du 3 janvier.

Ouvrages cités :

-LARA FLORES, Saria Maria (1992). " La flexibilidad del mercado del trabajo rural : (una propuesta que involucra a las mujeres) ". Revista Mexicana de Sociologia, No 1/92.

-OBSERVATOIRE DE LA MONDIALISATION (1998). " Lumière sur l'A.M.I.. Le test de Dracula ". Paris, L'Esprit Frappeur.

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