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Le projet GAMMA : une Gestapo bas de gamme ?lacrap, Thursday, September 22, 2011 - 20:06 (Analyses | Repression) La mise sur pied du projet baptisé « Guet des activités des mouvements marginaux et anarchistes » par le Service de police de la Ville de Montréal continue de susciter interrogations, indignation et inquiétudes. La police politique n’a cependant rien de bien nouveau au Canada. Du Centre d’analyse et de documentation (CAD) du gouvernement Bourassa en passant par la Direction des enquêtes et des renseignements de sécurité (DERS) de la Sûreté du Québec et le module Liaison Sécurité du SPVM, les exemples d’organismes voués au renseignement politique ne manquent pas. [Veuillez noter que ce texte est la version intégrale d’un article récemment publié dans le journal de la Convergence des luttes anticapitalistes, « Coup de torchon ».] Les services de renseignement politique obéissent au proverbe mieux vaut prévenir que guérir. Dans leur logique paranoïaque, ils montent des dossiers sur les mouvements de gauche, des plus radicaux aux plus modérés, avant que ceux-ci ne prennent une ampleur telle qu’ils échapperont à tout contrôle. Car le jour où le « printemps arabe » fera tache d’huile au Québec et où les conseils d’arrondissement céderont la place aux conseils ouvriers, il sera manifestement trop tard pour commencer à ficher tout ce beau monde… Et comme trop, c’est jamais assez, la police politique n’a jamais eu de scrupule à ratisser large. Ainsi, pendant des décennies, le défunt Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a ouvert des milliers de dossiers sur des syndicats ouvriers, des associations étudiantes, des militants pacifistes, des partisans de l’indépendance du Québec, des homosexuels, des associations de consommateurs et même le Parti Rhinocéros. (1) Tommy Douglas, ex-premier ministre de la Saskatchewan et premier leader du NPD fédéral, a été espionné pendant près de cinquante ans par les « fédéraux ». Fait remarquable, vingt-cinq ans après le décès de Douglas, en 1986, le gouvernement fédéral s’obstine encore aujourd’hui dans son refus de remettre la totalité du dossier confectionné au sujet de ce pionner de la social-démocratie canadienne. (2) La GRC avait même à l’œil Michael Ignatieff, ex-chef du Parti libéral du Canada, à l’époque où celui-ci était un simple étudiant qui s’amusait à organiser des colloques d’intellos à l’Université de Toronto, durant les années ’60. (3) En tout, plus de 800 000 Canadiens (rien que ça !) ont été fichés par la GRC jusqu’au milieu des années ’80. (4) Discrédité par une série de scandales, le « SS » de la GRC a été démantelé pour laisser place au Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS), en 1984. Le SCRS a dès lors entreprit une purge dans la montagne de dossiers que lui a léguée son prédécesseur. Quatre ans après sa création, le SCRS a cependant dû essuyer le feu de la critique après que son chien de garde, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, eut publié un rapport l’accusant d’avoir fiché 30 000 citoyens soupçonnés « subversion ». (5)
Oui, la police politique est une réalité depuis toujours au Canada, la dernière manifestation du genre étant la mise sur pied du projet GAMMA – pour Guet des activités de surveillance des activités des mouvements marginaux et anarchistes – par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le nom de GAMMA est aussi subtil qu’un coup de matraque en pleine margoulette. Comme si le SPVM nous disait que les paniers à salade sont affamés et que les anars sont au menu. L’inspecteur Jacques Robinette, l’officier du SPVM responsable de GAMMA, a tenté de justifier l’existence du projet en alléguant que les anarchistes se servaient de manifestations, comme celles pour dénoncer les hausses de frais et scolarité ou encore celles pour commémorer le décès de Fredy Villanueva, pour y commettre des actes de vandalisme, lancer des projectiles et agresser des policiers. (6) Pourtant, le SPVM sait pertinemment bien que toutes les manifestations organisées par la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) pour demander justice et vérité relativement à l’assassinat de Fredy Villanueva se sont terminés dans le calme et sans casse, et ce, sans exception. En tenant des propos aussi calomnieux, l’inspecteur Robinette n’a réussi qu’à apporter la preuve que le fait de manifester pacifiquement est nettement insuffisant aux yeux du SPVM pour éviter d’être ciblé par GAMMA. Si le but visé par GAMMA était véritablement de lutter contre des catégories précises d’infractions criminelles, il aurait suffit de lui donner le nom de Guet des agressions contre les policiers et des actes de vandalisme, par exemple, une telle appellation ayant le mérite d’être dépourvue de toute saveur discriminatoire. Au lieu de cela, le SPVM se livre désormais au profilage politique à visage découvert, et ce, en dépit du fait que l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne interdit la discrimination fondée sur les convictions politiques. Ce n’est cependant pas le Tribunal des droits de la personne qui risque de faire peur au SPVM, cette cour n’ayant jamais prononcé de condamnation pour discrimination fondée sur les convictions politiques jusqu’à présent. Au fédéral, on sait à quoi s’en tenir avec la Loi canadienne sur les droits de la personne : les convictions politiques ne figurent même pas parmi les motifs de distinction illicites ! Comment s’étonner après ça qu’un policier anti-émeute ne s’embarrasse même pas de la présence d’une caméra pour expliquer à deux jeunes hommes attendant le début de la manifestation contre la brutalité policière du 15 mars 2011 que les anarchistes n’ont aucun droits parce qu’ils ne prennent aucune responsabilités ? (7) Il faut dire que les forces constabulaires ont de moins en moins de raison de se garder une petite gêne avec un gouvernement conservateur majoritaire pro-flic à l’os à Ottawa, les troupes de Stephen Harper se montrant bien déterminées à élever la répression tout azimut au rang de religion d’État.
Cela étant, le désir affiché par GAMMA d’identifier clairement et ouvertement ses cibles politiques semble rompre avec une certaine tradition de discrétion propre à toute police politique digne de ce nom. Les services de renseignement politiques nous avaient en effet habitués par le passé à dissimuler leurs desseins tordus derrière des noms si obscurs qu’ils n’étaient guère susceptibles d’éveiller les soupçons de ceux qui en étaient les cibles désignées. Prenez par exemple le Module Liaison-sécurité. Bien malin sera celui qui pourra deviner que ce nom à première vue anodin désigne une unité du SPVM vouée au renseignement politique. « Ce Module liaison-sécurité travaille sur les aspects du travail policier urbain et l'évaluation de menace dans la lutte au terrorisme, aux conflits sociaux et ouvriers ainsi qu'aux événements spéciaux à grands déploiement », expliquait le SPVM. (8) En 1996, le journal La Presse a consacré un article à cette unité méconnue. « Ils suivent les activités des groupes dissidents ou extrémistes comme les skinheads. Ils ouvrent des dossiers sur les événements à caractère raciste ou haineux. Ils enquêtent sur les cas de menaces faites aux policiers et aux édiles municipaux. Enfin, il font rapport sur des phénomènes nouveaux comme le crack, les concerts rocks ou les partys raves », écrivait le journaliste André Cédilot. (9) « Nous sommes les météorologues de la police. On fait des prévisions à partir de faits connus. Nous n’avons pas de boule de cristal, mais notre moyenne est bonne », déclarait sans fausse modestie le sergent-détective Gerald McGregor. (10) Pensons aussi au fameux Centre d’Analyse et de Documentation (CAD), qu’on pourrait facilement confondre avec un lieu de rencontre pour des rats de bibliothèque. Or, derrière ce nom inoffensif à souhait se cachait la « police politique de Robert Bourassa », mise sur pied après la Crise d’octobre de 1970. À son apogée, le CAD comptait 6000 fichiers sur des groupes et 30 000 fichiers de renseignements personnels sur des individus des milieux souverainistes, syndicaux et de la haute fonction publique. (11) Si le CAD n’existe plus « officiellement » depuis 1977, l’État québécois n’a pas renoncé pour autant à jouer aux « météorologues ». Ainsi, en 2006, le Ministère de la Sécurité publique a mit sur pied le Centre de gestion de l’information de sécurité (CGIS), une unité intégrée au sein de la Direction de la sécurité de l’État. Comptant onze employés, le CGIS a pour mission de « traiter l'information relative aux menaces à la sécurité de l'État, comme le terrorisme, afin de mieux connaître l'environnement de sécurité dans lequel le Québec évolue ». (12) D’autres organismes ont par ailleurs le loisir de cacher leurs missions inavouables derrière des acronymes à coucher dehors. Si le SCRS a acquis une certaine notoriété grâce à la persistance de ses opérations de porte-à-porte auprès des militants, son pendant québécois, la DERS de la Sûreté du Québec, l’est beaucoup moins. « La Direction des enquêtes et des renseignements de sécurité a suivi l’évolution de toutes les situations susceptibles de porter atteinte à la sécurité des institutions de l’État et à la paix sociale. Elle a aussi recueilli et traité des renseignements à l’occasion de nombreux événements pouvant provoquer des désordres sociaux ou menacer la sécurité des personnalités politiques. Enfin, la vaste opération de cueillette de renseignement préalable à la tenue du 3e Sommet des Amériques a entraîné une hausse importante des activités d’enquête et d’analyse », lit-on dans le rapport d’activité 2000-2001 de la SQ. (13) La DERS peut compter sur des enquêteurs aguerris, comme le sergent Pierre Beauchemin qui sait comment se fondre dans une foule de manifestants. « Si tu ne le connaissais pas, tu le prendrais pour un itinérant », a fait observer un porte-parole du FRAPRU. « Il a l’air de Plume Latraverse », estime pour sa part un porte-parole du Regroupement des comités logement et des associations de locataires du Québec. (14) Ce sont les enquêteurs de la DERS qui versaient 200$ par mois à un dénommé Réjean Boutin pour espionner les activités de groupes syndicaux et communautaires en Outaouais pendant six ans durant les années ’80. (15) Et ce sont encore eux qui allaient importuner des militants du milieu des garderies (16), du droit au logement et de l’Union paysanne (17). Fait inusité, la DERS s’était fait sermonner très publiquement par le gouvernement Charest en octobre 2003. (18) Les enquêteurs de la DERS avait fait l’erreur de lancer une enquête sur le mouvement défusionniste de la rive-sud de Montréal, alors que le Parti libéral avait courtisé sa base militante avec succès pour déloger le PQ aux élections québécoises six mois plus tôt.
Oups… Qu’on ne vienne pas nous dire après ça que la politique ne vient jamais mettre son nez dans les affaires de la police ! Le fait que GAMMA relève de la Division du crime organisé du SPVM a suscité plusieurs questionnements. C’est quoi au juste le rapport entre la pègre pis les activités des mouvements marginaux et anarchistes ? Question d’autant plus pertinente quand on sait que le type d’infractions criminelles qui sont censées intéresser GAMMA rencontre difficilement la définition de gangstérisme. En effet, le Code criminel définit une « organisation criminelle » comme étant un groupe composé d’au moins trois personnes dont l’un des buts principaux, ou l’une des activités principales, est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs « infractions graves » susceptibles de lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie — , directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier. Or, jusqu’à preuve du contraire, personne n’a réussi à tirer un quelconque « avantage matériel » en brisant des vitrines ou en cassant la gueule à des flics dans des manifs. Le recours à un « agent source », c’est-à-dire à un civil qui accepte de recueillir de la preuve pour les policiers, à l’encontre de quatre militants de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) aujourd’hui accusés laisse toutefois songeur. Ne reconnait-on pas là une méthode d’enquête privilégiée par les escouades policières qui font la lutte aux groupes de motards criminalisés ? En fait, l’enchevêtrement entre la lutte au crime organisé et la lutte aux mouvements marginaux n’a rien de nouveau. Que faisait un enquêteur du SPVM spécialisé en gangs de rue à surveiller Hoodstock, un événement organisé par le collectif Montréal-Nord Républik dans le cadre des activités de commémoration du décès de Fredy Villanueva, au parc Aimé-Léonard, en août 2009 ? « On voulait voir si des gens voulaient se servir de ce tremplin pour faire des émeutes », a expliqué le sergent-détective Jean-Claude Gauthier, « témoin-expert » en gangs de rue, durant un témoignage rendu en avril dernier. Ce même été, un agent d’infiltration du SPVM avait d’ailleurs tendu un hameçon à la CRAP. Quelques jours avant Hoodstock, l’agent James Noël, alias « Jimmy James », alias « Will Joseph Junior », avait contacté la CRAP pour proposer « [d’]organizé kelkechose de fucktop » [sic], tout en mentionnant au passage que « [s]es boyz sont près a faire le war » [sic]. (19) Le poisson n’a pas mordu. Cette fois-ci, le « service de renseignement » de la CRAP avait une longueur d’avance sur le service de renseignement du SPVM… Et après ça, certains ne comprends toujours pas pourquoi on ne fait pas assez confiance aux flics pour leur donner le trajet de nos manifs…
Sources : (1) The Gazette, “Spy targets include Grannies, Rhinos”, David Pugliese and Jim Bronskill, August 20, 2001. p. A10. |
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