|
Pour quelle "Alternative" doit-on manifester ?Anonyme, Thursday, April 21, 2011 - 02:39 (Analyses | "Anti-terrorisme"/Liberté | Droits / Rights / Derecho | Repression | Resistance & Activism) Nous ne sommes pas des titans [ndlr : "storming heaven" en anglais. C’est peut-être une référence à la lettre de Marx à Kugelmann du 12 avril 1871 quand le premier décrit les insurgés de la Commune sous ce terme] lorsqu’on nous emmène dangereusement proche du précipice. Le TUC [ndlr : Trade Union Congress : principal syndicat british] n’est pas de notre outil pour l’émancipation - et il ne saurait l’être. Pourquoi sommes-nous si habilement pacifiés par "nos" institutions ? Nous devons clairement voir comment Brendan Barber [ndlr : secrétaire général du TUC], Ed Miliband [ndlr : leader du Labour] et leurs amis nous ont orientés vers le bord de la falaise. On pourrait s’écraser sur les rochers, et dans les eaux qui troublent un TUC paralysé, capturer un aperçu de son rôle social à travers le temps. La violence d’une telle chute va sûrement nous arracher à nos naïves illusions. Nous espérons, cependant, que nous sommes capables de nous réveiller de notre propre gré. Il est temps de jeter la terrifiante palabre "emplois, croissance & justice" du TUC. Ce discours ne nous a jamais appartenu. En fait, ce n’est pas non plus quelque chose que nous réclamons. Que s’est-il passé le 26 mars ? La réponse officielle est claire : des centaines de milliers de "personnes de tous horizons" ont défilé pour une "Alternative". Mais qui étaient-elles réellement ? Quels sont leurs intérêts ? Quelles possibilités matérielles ont-elles contre la gestion de leur appauvrissement ? Parmi toutes les sottises déblatérées dans un million de flyers A6 décorés de sinistres roses, pas une fois le TUC ne mentionne les classes sociales. Son programme actuel est simplement celui de la collaboration. Il justifie la nécessité de ce programme (même si, bien sûr, il ne le défend pas publiquement) au motif qu’il faut construire la plus grande coalition possible contre l’austérité menée par l’État britannique. Le slogan officiel est "Tous ensemble pour les services publics" ["All Together For Public Services”]. Cet exercice de relations publiques mené par le TUC et ses partenaires institutionnels est destiné à nous convaincre que l’opposition aux coupes budgétaires n’implique pas une opposition aux groupes qui bénéficient de leur mise en œuvre. Une telle opposition est difficile et antagoniste. Le TUC nous exhorte à oublier ce type de lutte. Les médias nous divisent entre "syndicalistes" et "anarchistes". Certains gauchistes enthousiastes ont déclaré que la tâche "politique" à laquelle nous faisons face aujourd’hui est l’unification active de ces deux groupes. Comme si, par l’ardeur de nos envies d’unité, nous pourrions souder ensemble les moitiés séparées d’une opposition de masse. Mais il n’y a pas "deux moitiés" : les fractions opposées aux "coupes" sont plus variées que cela et elles sont divisées, non seulement par la forme de leurs pratiques politiques, mais aussi par leur contenu. "L’unification" sera inutile tant qu’elle implique la subordination de toutes les fractions politiques aux "classes moyennes". Au fond, la prééminence des "valeurs de la classe moyenne" est la prééminence des droits de la propriété bourgeoise. 1. "Les Manifestants" Il est bien connu (et déploré) que le taux d’appartenance syndicale a fortement décliné au cours de ces trois dernières décennies. Il était de 51% en 1975. À la fin de l’année 2006 ce taux était de 28,4%. Le syndicalisme n’a pas décliné parce que le secteur privé représente maintenant la proportion la plus importante de l’économie britannique. Au contraire, cette diminution de l’adhésion concerne tous les secteurs de l’économie. La culture syndicale est moribonde au Royaume-Uni. Au cours de la grève du University and College Union [ndlr : principal syndicat des enseignants du secondaire et du tertiaire], les travailleurs organisant des piquets devant les bâtiments universitaires ont constaté que la première tâche à accomplir était d’expliquer aux élèves en quoi consiste une grève. À plusieurs reprises, ces étudiants ont chaleureusement déclaré leur soutien au moment de franchir les lignes pour acheter une salade Caesar ou utiliser le réseau wifi. Même certains syndicalistes semblait perplexes d’entendre qu’ils ne devaient pas dépasser la ligne des piquets. Sachant que la vie de ses membres sera mutilée par les restrictions budgétaires, le TUC organise en connaissance de cause sa propre marginalisation sociale. Les fades couleurs pastel et le doux lettrage de son matériel de promotion sont le registre livide et désespéré de l’insignifiance sociale de cette organisation. Les entités abstraites auxquelles les slogans du TUC se réfèrent ("tout le monde", "chacun de nous") sont une reconnaissance tacite de la diminution réelle de l’affiliation syndicale. Le TUC estime sans doute qu’il doit tendre la main à la classe moyenne puisqu’elle seule serait en mesure de diriger une forte campagne anti-austérité. Mais comme il n’est pas disposé à le reconnaître expressément, il tente plutôt de démontrer que les effets de l’austérité sont "universels". Il a donc solennellement défendu (comme le Labour avant lui) une équivalence ["equation"] terriblement pernicieuse entre une classe moyenne (en partie fictive) et la population dans son ensemble. Les classes sociales sont supprimées au profit d’un universalisme trompeur. Sous le signe de l’unification des syndicalistes et des "classes moyennes", le TUC a souscrit à une haine bien bourgeoise de la perturbation sociale. Ce qu’ils appellent ’"alternative" conduit ainsi - même au niveau rhétorique - à une confortable passivité. De la même manière, le TUC a énoncé un programme politique prédisant des bénéfices "universels" par le retour au déficit keynésien. Ce calcul politicien est destiné à supprimer les antagonismes sociaux de base. Il le fait en synthétisant pour son public une vision d ’"emplois, de croissance et de justice" dont "nous" serons tous bénéficiaires - sans préciser si dans le "nous" se trouvent les travailleurs ou les capitalistes qui les exploitent. Et pourtant, non seulement cette image d’harmonie universelle par l’idéologie de la croissance stimulée par l’État élude fondamentalement l’antagonisme entre capital et travail, mais il présente aussi la promesse d’une relance économique administrée par l’État. Tout ce que les masses doivent faire est de sortir dans la rue sans réfléchir et de réciter les slogans en bavant, et nos pères bienveillants de l’État et les bureaucraties syndicales feront le reste. La propagande du TUC est infantilisante, mais à cet égard, elle est à l’image de son programme politique qui est foncièrement paternaliste. Les deux sont des entraves sur le développement d’une lutte autonome de la classe ouvrière contre le capital - une lutte menée pour elle-même plutôt qu’une simple parodie. Pour les groupes anti-coupes ["anti-cuts"], les politiques effectives seront gagnées en refusant de troubler un vide nommé "tout le monde". Ce vide sera in fine toujours justifié tant que cette classe moyenne ne sera enthousiasmée que par l’avilissement routinier et le sommeil qui accompagne la stabilité de l’exploitation. Lorsque, pour des militants de la classe ouvrière, il existe un potentiel pour une intensification et une victoire dans la guerre sociale en cours, la bourgeoisie agite le drapeau de l’ordre public ["civil stability"]. Le TUC applaudit ; l’extraction de la plus-value se poursuit sans encombres. 2. "Les Anarchistes" Parmi ceux qui sont désignés comme "anarchistes" par les médias bourgeois (ou "autonomistes" par la gauche léniniste), nous pouvons identifier trois différents groupes. Il y a premièrement des étudiants de la classe moyenne et des diplômés récents (souvent au chômage) issus de milieux institutionnels variés qui se sont récemment mobilisés en 2010 lors des manifestations étudiantes. Cette catégorie peut toutefois être subdivisée pour inclure les étudiants de la classe moyenne des établissements d’enseignement supérieur d’élite, les étudiants de la classe ouvrière des ex-écoles polytechniques "post-1992", les militants sociaux-démocrates diplômés, les activistes anarchistes, les étudiants trotskistes, et ainsi de suite. Deuxièmement, il y a des étudiants, possédant également des positions de classe, des dispositions politiques et des niveaux d’éducation multiples. Enfin, il y a les anarchistes de diverses tendances, tous ou aucun d’entre eux peuvent être des étudiants, universitaires ou non, et séparément employés, chômeurs, syndiqués ou autre. Il faut donc rappeler que ces catégories sont complexes, imbriquées, et en aucune manière distinctes. Pour cette raison, personne ne doit s’attendre à ce que tous ces groupes consentissent à un programme commun, et encore moins à celui énoncé par le TUC. Pourtant, ceux qui exercent les tactiques Black Bloc ne sont plus le noyau actif de ce mouvement que les petits entrepreneurs du Labour et du TUC cherchent à séduire (il faut l’avouer, de manière totalement incompétente.) Ainsi, la séparation entre la manifestation du TUC du 26 mars et les actions directes les plus radicales reproduit la séparation entre la production et la consommation dans l’économie en général. Le Black Bloc remonte en courant l’Oxford Street en brisant des vitrines criant "payez vos impôts" [ndlr : ?]. Cela exprime ainsi les contradictions d’une vie vécue uniquement dans le domaine spectral de la consommation. L’anarchisme est devenu la négation du shopping. Pendant ce temps, la production [ndlr : les auteurs parlent du cortège du TUC] cheminait vers Hyde Park - et a été dûment apaisée par des politiciens de haut rang lui confirmant que sa passivité serait un jour récompensée. 3. L’Action Directe L’action directe ne peut pas toujours préfigurer l’harmonie. Bien que nous aimerions avoir un activisme qui crée instantanément des résultats politiques positifs, le plus souvent nous nous retrouvons simplement engagés dans une lutte défensive. Même quand les palais du consumérisme sont temporairement transformé en crèches et en centres de santé (comme le font UK Uncut [ndlr : groupe anti-coupes réformiste]), le but ultime n’est pas de provoquer un changement permanent de l’espace. Il est de stopper la lente désintégration de l’État providence, des salaires et des conditions de travail. En d’autres termes, l’action directe peut (et souvent doit) être un moyen - et non une fin. Pour développer : les actions directes menées par les groupes anti-coupes ["anti-cuts"] et leurs modes d’auto-organisation ne sont pas de même nature. Lorsque nous nous organisons au sein de ces groupes, nous essayons de préfigurer le monde tel que nous le voulons via nos pratiques de coopération - les réunions se basent sur le consensus, nous adoptons un vocabulaire spécifique, nous travaillons ensemble de manière à éviter une domination non-désirée entre les participants. Nos actions directes, cependant, sont d’un genre différent : Nous ne voulons pas vivre dans un monde de verre brisé et de barricades enflammées, mais ce sont des moyens nécessaires pour le progrès politique. Le saccage de Soho est notre "demande de transition" ["transitional demand"], pas notre utopie ultime. Nous touchons à la source d’un problème stratégique qui doit être abordé et rendu pertinent pour tous ceux qui sont engagés dans la lutte anti-austérité dont, nous semble-t-il, nous sommes à priori "tous" parties prenantes. Le problème est le suivant : pendant trop longtemps nous avons perdu, jusqu’à un tel point, peut-être, que nous avons oublié ce que signifierait le fait de gagner. Il n’était pas difficile de sentir cela le 26 mars. Certes, les dégâts matériels étaient dans l’ensemble très bien ciblés politiquement : nous ne pourrons jamais déplorer les vitrines brisées du Ritz [ndlr : grande chaîne d’hôtels de luxe]. Ce qui est clair cependant, c’est que l’ampleur de ce qui nous fait face ne sera pas vaincu par 100 ou 100’000 personnes bien intentionnées, à moins de prétendre à tout jamais que notre objectif ultime est une politique fiscale plus "juste" et fonctionnelle. Ces héros inspirés ["inspired heroes"] ne peuvent pas nous sauver ; Le retour à "l’emploi, la croissance et la justice" par la suppression des niches fiscales est tout simplement absurde. La suprématie du capital ne sera pas affectée par la symbolique de ces marionnettes géantes ou la fétichisation des zones de résistance des autres luttes, que ce soit Petrograd ou la Place Tahrir. Nous ne parlons pas seulement de surmonter l’austérité, mais de dépasser complètement le capital. Le capital est social et existe sur une échelle de masse : notre résistance doit être de même nature. Nos stratégies doivent être porteuses d’une généralisation totale. Ce n’est en aucune façon un argument contre les actions radicales : il s’agit simplement d’une tentative d’ouverture d’une discussion à propos de la forme exacte que notre lutte doit prendre, et de comprendre dans quelle mesure elle peut être prendre place. Cela implique une reconfiguration de nos catégories de paix et de perturbation et d’être prêt à ne pas pleurer sur le sort de l’État-providence ["Welfare state"], mais aussi de résister physiquement aux tentatives de le privatiser. 4. Les Médias et le Libéralisme Que ce soit dans les médias traditionnels ou dans les médias sociaux du web, le message est presque toujours le même : la condamnation des manifestants violents et l’éloge des pacifistes. Dans la presse bourgeoise, le blâme prend un effet domino : les réactionnaires affirment que le TUC n’est qu’une minorité, puis le TUC affirme que les activistes sont une minorité, puis les manifestants de gauche mais non-violents affirment que les Black Bloc sont eux aussi une minorité. Certains Black Bloc ont par ailleurs condamné le fait de jeter de la peinture sur un McDonalds alors que des enfants étaient à l’intérieur. S’agit-il de lignes dans le sable ["lines in the sand"], ou de fâcheuses et volubiles tendances à l’auto-disculpation à partir d’un échec collectif ? Pendant ce temps, tout le monde, de Ed Miliband à UK Uncut, en appelle ["name drops"] au Mouvement des droits civiques comme un bastion de la contestation parfaite - en dépit de l’histoire de ces mouvements qui est celle de la lutte armée, dans laquelle des centaines d’attentats ont eu lieu à l’intérieur et autour des responsables gouvernementaux, des entreprises et des campus universitaires. La tactique du sit-in, qui a soi-disant fait triompher la lutte, est retirée de l’écume tumultueuse vers un socle purement décoratif. La mémoire de Martin Luther King est aseptisée. Malcolm X est poliment ignoré. Les Suffragettes et et les luttes anti-apartheid sont également mentionnées comme de grandes victoires. Mais ces trois mouvements ont un point commun étrange : elles ont toutes abouti à la proclamation du vote des femmes et des citoyens noirs, tandis que les inégalités structurelles sous-jacentes ont perduré. Hypnotisés par les mantras des hommes politiques du New Labour, qui rappellerait que les anti-apartheid et le Mouvements des droits civils émanaient de la résistance des noirs ? Ou que les Suffragettes se sont battues pour les femmes ? Au stade où se trouve le mouvement aujourd’hui, à la fois les pratiques du TUC et celles des manifestants plus militants sont moins égalitaires, radicales, perturbatrices ou violentes que celles de tous ces mouvements historiques dont la mémoire est louée. Dans les jours suivant une manifestation, les arguments sont usés, il y a un va-et-vient constant sur les définitions de propriété, de violence, du banditisme, de l’intimidation et de la tactique. Notre cours de l’Histoire est statique. Mais ce qui est réellement faible sur le terrain est la stratégie. C’est parce que le discours de centre-gauche ne se préoccupe pas des stratégies de changement mais de l’accroissement du spectacle. Une centaine de milliers de molles tribunes de presse se font passer pour une culture politique. Les réelles stratégies de changement ne sont pas intéressées à contribuer à la gamme de biens de consommation intellectuels vendus dans un porte-revues. Nous connaissons tous les stratégies de résistance efficaces : la perturbation de l’économie par l’attaque ou le retrait de travail. Mais ces stratégies ne sont, sans surprises, pas approuvées par les médias bourgeois, qui, comme ils l’étalent à longueur de temps ["blood and soil"] dans leurs nouvelles et leurs pages de commentaires, cherchent plus que toute autre institution sociale à promouvoir des modes de pensée autoritaires sur lesquels le fascisme s’est construit historiquement. En lisant les journaux du dimanche, les "gens ordinaires" ont été informés que leur moment pour être entendus a été usurpé. À qui la faute ? C’était à cause des actions d’une "infime minorité" de manifestants violents. Un petit groupe de personnes, dont beaucoup d’entre elles doivent déjà faire face à des accusations, sont isolées et déclarées coupables de la répression permanente subie par la majorité exploitée. Ainsi parle le libéralisme, avec tous la réciprocité du maître boulanger qui pétris sa pâte dans un bac ["the reciprocity of the master baker kneading his dough into the tray"]. Le TUC, quant à lui, s’est mis d’accord sur un récit, non seulement pour blâmer la "minorité violente" mais aussi pour regretter la perte de l’attention des médias sur la démonstration. Comme si cela ne suffisait pas que ceux qui voulaient manifester aient dû le faire sous des slogans complètement vides de sens, et qu’ils aient été obligés d’accepter les platitudes jetées sur eux par des hommes politiques si éloignés des jumeaux terribles ["twin horrors"] du travail salarié et du chômage capitaliste. La plus grande insulte était encore à venir : l’aveu du TUC que les 500’000 syndicalistes dans la rue ont simplement été un spectacle médiatique. Sur leur commandement, les travailleurs exercent une perverse danse des abeilles ["waggle dance"] sous le bourdonnement des vuvuzelas, et opèrent une génuflexion devant la reine des abeilles, Brendan Barber. Lorsqu’une protestation est pareillement instrumentalisée, manifester devient une servitude. 5. Liberté Politique, Droits et Libéralisme Le TUC, les médias et nos dirigeants politiques sont les détaillants de conceptions particulières de ce que la résistance politique et la liberté sont. Le TUC sait qu’il ne peut pas perturber trop de consommateurs des médias bourgeois, et les médias bourgeois savent exactement jusqu’où cette manifestation peut et doit aller pour qu’elle ne franchisse pas la ligne de la droiture pour conduire aux revendications légitimes. Les manifestations sont autorisées aussi longtemps qu’elles ne précipitent pas de changements. On nous a octroyé ce "droit de manifester" que dans la mesure où il ne porte pas atteinte d’autres droits civils plus importants dont le premier est celui du droit à l’accumulation du capital. Le cliché photographique est propre en ordre. Les droits des personnes dans le centre de Londres de ne pas voir leur journée perturbée ; les droits des boutiques d’Oxford Street à rester ouvertes durant chaque minute des 365 jours que forment l’année, en accord avec les intérêts de leurs actionnaires ; les droits des consommateurs de continuer à consommer sans entraves ; les droits des automobilistes de ne pas être dérangés durant leur voyage à travers la ville ; les droits des entreprises à garder leurs vitrines intactes, et les droits de n’importe regardant depuis la rue ou depuis leur fauteuil à ne pas être trop énervé ou troublé par ce qu’il va voir. "Bien sûr, nous reconnaissons leur droit de manifester, mais ...". Cette restriction est un catéchisme. Toute protestation doit être limitée afin que d’autres droits plus fondamentaux soient préservés. Nous sommes énervés et perturbés par ces 364 jours par année de cycle des marchés ["trading cycles"], de shopping perpétuel, de flux de trafic qui ne vont nulle part, et les façades illuminées de ces boutiques alignées dans chaque rue. Ceux qui brisent les vitrines savent que la base sociale réside au fond en deux choses : l’exploitation à perpétuité, et la construction du l’homo consommateur ["homo consumer"] dont la "demande" fait tant pour la consolider. Et pourtant, nous vivons dans le monde des droits réellement inaliénables - ici, les dissidents doivent être bien accueillis, mais le désir de changer cette base sociale est interdit par la loi. Le parcours délimité de Embankment [ndlr : station du métro londonien] à Hyde Park peut être interprété comme une zone de crise de rage ["tantrum zone"], où nous avons pu pleurer et crier sans risques jusqu’à l’épuisement. Si notre angoisse et notre douleur se manifeste trop clairement, si nous dévions de la route désignée - nous serons tous contenus. La police sait nous calmer ; mais ils pensent à tort que nous acceptons que papa et maman aient raison du début à la fin. De plus en plus, les gens dans les groupes anti-coupes considèrent les manifestations et la résistance comme une question de liberté, et non de droits. Notre liberté de protester dans les rues ne peut pas être contenue, et elle ne sera pas bradée à des réunions au Congress House entre la Metropolitan Police et le service d’ordre du TUC. Nous n’allons pas demander la permission pour protester de la manière que nous voulons. Les droits qui restreignent notre liberté de protestation sont exactement ceux que nous voulons abolir, parce qu’ils sont les compagnons naturels et les soutien fondamentaux aux institutions contres lesquelles nous nous battons. D’autres ont récemment, et de manière encourageante, fait la preuve de leur conscience du caractère inhérent de la liberté politique. Dans toutes les salles municipales du pays, la marque de la philosophie libérale et institutionnalisée du TUC a été de la fête. Les élus ont en effet établi de petites aires de repos durant la mise en œuvre les coupes budgétaires. Un nombre limité de questions, et un temps alloué aux personnes pour apparaître devant eux et implorer leur pardon. De nombreux habitants ont cependant reconnu cette vision trompeuse de leur liberté et ont refusé de jouer à ce jeu, de la même manière que les Black Bloc n’ont pas joué le jeu le 26 mars dernier. Lorsque, dans les salles municipales, les gens ont trouvé leur chemin barré par des politiciens à l’air nerveux, ou plus fréquemment par la police, il n’a pas été question des "droits" de la population locale : il y a eu de l’action. Les portes ont claqués et les salles du conseil se sont vues occupées. Que l’assaut de la salle du conseil ait été efficace en tant que tactique n’est pas le point saillant. Ce qui est important est que les gens viennent pour définir collectivement leurs droits, dans la réfutation directe de la sempiternelle invocation dissuasive des droits économiques. Ce samedi [26 mars], ces milliers de personnes qui ont délibérément rompu avec la route convenue de la manifestation ont pris conscience de leur propre liberté et ont fait exactement la même chose. 6. Criminalité Lorsque l’inénarrable commandant Bob Broadhurst [ndlr : Chef de la police londonienne] dit des Black Bloc et autres malfaisants qu’il "ne les appellerait pas manifestants... [parce qu’ils]... se livrent à des activités criminelles à leurs propres fins", il nous fournit une définition qui résume tout. Les processus politiques sont articulés comme des actions produites à l’intérieur d’un ensemble de paramètres définis par la jurisprudence d’un système d’état. Selon Bob Broadhurst, ses équivalents fonctionnels et les médias, les criminels ne peuvent seulement agir que "pour leurs propres fins" ["for their own ends"] parce que dans l’autre cas, nous pourrions être forcés d’accepter que la criminalité est trop souvent un réflexe proprement politique face à des conditions sociales d’une extraordinaire perversité. La réalité est que l’action directe a toujours été criminelle. Lorsque dans les années 1960, les historiens radicaux réévaluèrent le mouvement Luddite [rébellion d’artisans british contre les premières manufactures de textile au début du XIXe siècle], ils ont dû annuler le poids énorme du dogme historique réactionnaire. Selon ce dogme, les Luddites ne faisaient pas "de la politique" ; ils agissaient pour défendre leur prochain repas. Parce que dans les sociétés capitalistes où la vie politique est uniquement faite par des hommes très bien nourris qui obéissent à des lois qui ont toujours rendu honneur à leurs comptes en banque, l’idée que les actions effectuées illégalement ou par nécessité politique sont désespérées est impérieusement réfutée. Les classes dominantes continueront à rejeter comme "crime" l’occupation de leurs bâtiments, l’expropriation de leurs biens et la perturbation des rapports de production dont ils bénéficient, et dont souffrent les classes dominées, jusqu’au moment où elles seront renversés par ceux qui "se livrent à des activités criminelles à leurs propres fins." Ensuite, les chaises tournent ["the tables turn"] et les criminels deviennent des rebelles romantiques, aptes à être pieusement invoqués dans les discours d’Ed Miliband. Les actions du Black Bloc ne sont pas si différentes des agissements criminels des adolescents algériens qui ont déclenché une émeute dans les banlieues de Paris en 2005, mais c’est parce que les deux groupes comprennent que, face à des institutions capitalistes conçues pour légitimer l’appauvrissement quasi-universel, la criminalité est le seul moyen de recours. Bon nombre d’actes politique dans lequel les manifestants militants se sont engagés sont tout simplement le nouveau nom des délits mineurs de la vie quotidienne. Le tag devient un slogan politique, le vol par intrusion devient une profession, le vandalisme devient une perturbation économique. C’est pourquoi la presse de droite les décrit si facilement comme des actes de hooligans, de voyous et de vandales. Mais nous n’avons pas besoin de légitimer nos actions à l’intérieur des catégories de ce qui est politique ou désordre telles qu’elles sont approuvées par l’État. Le crime ainsi défini ne saura à lui seul mettre un terme à la relation salariale, mais il est déjà politique, parce que partout où il est énoncé, il ouvre les yeux sur les filins institutionnels du capitalisme. Fermez les yeux et le rêve d ’"emplois, de croissance et de justice" se poursuivra. Si nous sommes forcés de choisir de nous associer avec les hooligans ou les politiques alors, tant que Ed Milliband représentera la politique, nous devons fermement choisir le hooliganisme. 7. Maintien de l’ordre Alors que les vitrines étaient étoilées sur l’Oxford Street, l’État est intervenu dans une apothéose de violence afin de sauver notre fierté nationale, nos épiceries de luxe [ndlr : les auteurs parlent de Fortnum & Masons] et (nos cœurs sont emplis de gratitude) notre Olympic Clock. Avec des tactiques mises au point dans la chaleur de l’oppression coloniale, la police contraint, contusionne, coupe, ment, nous nargue et nous accule. Quand ils ne peuvent pas, ils cajolent, amadouent et nous arrêtent. Mais parmi les 200 personnes qui ont été arrêtés, près des trois quarts ont été prises pour une occupation durant laquelle aucune fenêtres n’ont été brisées, et où peu de marchandises ont été volées. Pourquoi ? La stratégie de la police est déterminée principalement par les intérêts du capital. Les manifestants à Fortnum and Masons avaient besoin d’un traitement lourd car les dommages économiques causés à ce magasin ont été supérieurs à une vitrine brisée (même si cette occupation a nécessité 100 personnes au lieu d’une ou deux.) L’idée que les entreprises perdent beaucoup d’argent lors d’une journée de pertes commerciales ne fait que confirmer ce que nous avons déjà affirmé avant sur les structures de la production capitaliste : ces brillantes devantures ne font que nourrir de force les passants par des marchandises dont la demande est elle-même fabriquée. Cela ne concerne pas seulement les points de vente haut de gamme tels que Fortnum and Mason sans lesquels nous pourrions très bien vivre (les riches peuvent de toute façon emprunter leur voiture sur la route de Harrods [ndlr : supermarché de luxe londonien] pour acheter leur pain.) La crainte des propriétaires et gestionnaires assez malchanceux pour être des magasins "in" est plutôt inhabituelle : car si nous limitons la vente de leurs bijoux, ils se retrouvent avec un surplus. Pour le capitaliste, un excédent ["surplus"] équivaut à une perte. Mais qu’est-ce que le consommateur (dont nous sommes tenus de respecter la souveraineté) gagne par l’achat de ce surplus ? Parmi toutes les lamentations émises contre les Black Bloc, personne n’a gémit de ne pas être en mesure d’acheter un téléphone ce samedi. La marche du TUC, quant à elle, n’a commis aucun dégât économique - au contraire, elle peut-être contribué à l’économie de Londres, avec un afflux de fêtards et d’excursionnistes d’un jour inondant les supermarchés et les bistrots de la ville . Le Marche pour l’Alternative ["March for the Alternative] était un carnaval comme les autres, prêt à être manipulé pour le profit. 8. Et ensuite ? Le 26 [mars] disparaît de notre champs de vision. À sa place se profile le Mariage Royal ["Royal Wedding"] : un nouveau spectacle pour les imbéciles, concocté pour la cathexis journalistique. Les journalistes tremblent d’excitation à l’idée d’"anarchistes" détruisant les serments du mariage. Pour les militants qui détestent la création de misérables et vendables spectacles comme celui-ci, les dates de ce genre sont sans importance : la tâche est l’unification. Mais pour la plupart des militants, cela signifie juste que la mobilisation de la base continue. Contrairement à l’opinion des médias bourgeois, les Black Bloc ne sont pas tombés du ciel et directement à travers les fenêtres de Topshop, ni la fin du travail militant en 1985. Une action politique efficace contre les coupes (plutôt que contre leur réduction décorative) est et sera criminelle, parce que, au niveau mondial, les décideurs économiques ont pris leurs décisions, et ne toléreront aucune forme de dissidence de la part des politiciens d’État carriéristes élus sur des plateformes populistes. Compte tenu des contraintes structurelles du capital transnational, il n’y a pas de bonne alternative. La réduction du déficit structurel devrait être "réparties sur un certain nombre d’années", écrit Larry Eliot dans son pamphlet portant le tampon du TUC. Ce n’est sûrement pas la volonté politique de ceux qui sont engagés dans la lutte contre le gouvernement. Si le mouvement anti-coupes ["anti-cuts"] devient une imploration devant les bureaucraties syndicales et d’État, alors sa progression sera aussi vaine que d’extraire le communisme d’une pierre ["extracting communism from a stone"]. Ceux qui sont consciemment engagés dans la lutte anti-coupes, en rejetant la "vision" en noir et blanc de la bourgeoisie socialement inquiète, participent de fait à une organisation de base et valorisent l’action directe militante et illégale (même si, étant donné la nature extrêmement répressive du droit syndical actuel, l’illégalité n’égalera pas le militantisme.) Cela signifie de défendre les blocages stratégiques, les occupations, les fermetures et la destruction tactique de la propriété privée. Dire que les syndicalistes de base et les organisations locales des "usagers de services" ne sont pas encore "prêt à entendre" tout ça est un acte autoritaire déguisé en considération psychologique. Grogné par les bureaucrates condescendants du haut de leur escabeau. Le paternalisme tacite de leur affirmation est le complément naturel à l’argument du TUC selon lequel l’alternative "correcte" et Keynésienne aux coupes budgétaires doit être administrée par des experts d’en haut. Tout comme l’affirmation précédente, cela est fatal pour une politique de classe active et efficace. Une société meilleure ne sera durablement assurée que par la création d’une classe de masse agissant pour elle-même, prête à s’engager dans l’action directe de masse, ne se limitant plus aux magasins du centre-ville le samedi après-midi mais elle se répandant comme un incendie dans les lieux de travail et à travers les frontières nationales. Autrement [ndlr : se dit "Alternatively" en anglais, c’est un jeu de mot avec le nom de la manifestation du TUC - Marche pour l’Alternative], nous, "nous tous" ["all of us"], pouvons capituler devant la comédie de l’opposition menée par le Labour Party et le TUC, alors qu’ils complotent pour remplacer les "Con-Dems" [ndlr : coalition conservatrice-libérale au pouvoir au Royaume-Uni] en tant que gestionnaires du déclin capitaliste. Source : Escalate Collective. Traduction : Le Réveil. |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
|