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Hugo Chavez et l’«ami» Khadafi? Plaidoyer pour la complexitéCMAQ via Mic, Wednesday, April 6, 2011 - 00:56
Pierre Mouterde
La gauche latinoaméricaine et le printemps arabe Il y a quelque chose de passablement déroutant à voir certains leaders révolutionnaires latino-américains les plus inspirants de la dernière décennie (Hugo Chavez, Évo Morales, Rafaël Correa) se trouver soudainement désarmés par les événements qui se passent dans le monde arabe et plus particulièrement en Lybie. Comme si en dépit des indéniables avancées sociales et politiques qu’ils incarnent dans leurs propres pays, ils peinaient à saisir la complexité des événements en jeu et surtout à nous offrir d’authentiques points de repère en la matière. Symptôme indéniable de toutes les difficultés dans lesquelles se débat aujourd’hui la gauche à l’échelle du monde pour redevenir cette « gauche historique et en marche » dont on a tant besoin. Car jusqu’à présent c’est bien ce qu’ont pu symboliser le Venezuela de Hugo Chavez, la Bolivie de Evo Morales et l’Équateur de Rafaël Correa : l’espoir d’une gauche parvenant à répondre de manière originale aux défis d’aujourd’hui, certes capable d’affronter pragmatiquement la réalité concrète des rapports de force traversant leurs pays respectifs, mais aussi de proposer de véritables changements économiques, sociaux et politiques, des changements révolutionnaires parvenant —dans le sillage de vastes mobilisations populaires et du renforcement de la démocratie participative – à s’opposer chaque fois plus clairement aux diktats néolibéraux. C’est en ce sens qu’on peut affirmer que ces pays et leurs dirigeants pouvaient, au sud de l’Amérique, représenter l’espoir d’un autre monde possible, ou dit autrement d’une « utopie stratégique », c’est-à-dire d’une utopie se donnant les moyens politiques de sa réalisation. De quoi peut-être représenter une sorte de boussole pour tous ceux qui ayant le coeur à gauche aspirent –en ces temps d’asphyxie néolibérale—à voir advenir un autre monde. La question de la tyrannie Or c’est comme si les prises de position de ces dirigeants politiques vis-à-vis du printemps arabe faisaient brutalement déchanter, rappelant que là comme ailleurs les choses sont loin d’être aussi claires qu’on voudrait bien l’imaginer : voilà qu’en pleine insurrection populaire lybienne, Hugo Chavez évoque son « ami » Khadafi et semble même prendre sa défense en en appelant à « une médiation » à laquelle il pourrait prendre part. Et qui ne se souvient pas de ses premiers messages Twitter : « Vas y Nicolas [Maduro, le Ministre des affaires étrangères vénézuélien], donne une autre leçon à cette extrême droite pro yanqui, Vive la Libye et son indépendance. Kadhafi affronte une guerre civile (…) La ligne politique est de ne soutenir aucun massacre. Mais en Libye on assiste à une campagne de mensonge similaire à celle qui avait été lancée contre le Venezuela en 2002. (...) Je ne vais pas condamner [Kadhafi], je serais un lâche de condamner celui qui a été mon ami pendant longtemps, sans savoir ce qui ce passe réellement en Libye (…) » ? Et au point de départ, pas un mot sur le contexte de ce printemps arabe, sur les gigantesques manifestations populaires dont il est l’expression (et pas simplement en Lybie, mais en Tunisie, en Égypte, en Syrie, au Yemen, etc.). Pas un mot non plus sur cet élan populaire, sur les aspirations généralisées à plus de démocratie et de justice, sur les volontés d’en finir avec la corruption et le despotisme s’exerçant à l’encontre de peuples entiers. Tout au plus, au-delà d’arguties sur les difficultés d’être bien informé, une longue argumentation autour de l’impérialisme occidental et de ses intérêts pétroliers ou encore autour du rôle de conspirateur de la CIA. Comme si la question de la tyrannie ne devait pas être dénoncée en elle-même, surtout par un homme politique comme le Président Chavez qui depuis toutes ces années qu’il est au pouvoir a présidé à pas moins de 15 scrutins électoraux, et se veut dans son propre pays le champion de la démocratie participative et du pouvoir populaire ! Il est vrai que cette position peu ou prou pro Khadafi n’est pas seulement la sienne, mais celle d’un bon nombre de chefs d’État ou personnalités du sous-continent, dont Fidel Castro, Evo Morales, Rapaël Correa, Daniel Ortega. Comment comprendre ? Complexité oblige Bien sûr, et on en conviendra aisément : une partie de arguments évoqués par les leaders latino-américains doivent être pris en compte. L’impérialisme des pays occidentaux, plus particulièrement dans ce cas ci, des USA, de la France, de l’Italie et de la Grande Bretagne fait bien partie de la toile de fond des événements en cours. Et l’on peut facilement penser que la CIA travaille activement pour défendre les intérêts US dans la région. L’intervention de l’ONU, même si elle a selon toute probabilité empêché un massacre à Bengazi, n’obéit donc pas qu’à de nobles aspirations humanitaires. Aucun doute à cela, surtout si l’on sait que le soudain zèle démocratique de Sarkozy et consorts ne cherche nullement à s’exercer avec la même fermeté par exemple en Arabie saoudite ou au Bahreïn. Mais de là à passer sous silence tout le reste, il y a un pas qui finit pas être lourd de conséquences. Pourquoi ne pas s’être arrêté par exemple au potentiel révolutionnaire et démocratique de ces mouvements de rébellion populaire se dressant dans tout le monde arabe contre le despotisme et le manque de démocratie ; Ou encore en Lybie, d’avoir négligé de prendre en compte les transformations notables du régime Khadafi qui de leader nationaliste et progressiste de la fin des années 60 s’est transformé dans les années 2000 en allié de Berlusconi et de Sarkozy, monopolisant au fil des ans le pouvoir d’État autour de sa famille et de ses fils, jouant le jeu du néolibéralisme sans la moindre nuance, utilisant la répression sans discrimination contre son propre peuple, pour ne pas parler de la torture et de l’état de non-droit permanent ? Tout cela –complexité oblige— doit être aussi mis dans la balance pour juger d’une situation et prendre position. Surtout si on se réclame d’une révolution –la révolution bolivarienne— et du socialisme du 21 ième siècle, en somme d’un socialisme qui souhaiterait rompre avec bien des travers propres à celui du 20ième siècle. La théorie du campisme Or il y a une théorie qui a servi bien longtemps de point de repère à une partie de la gauche du 20ième siècle (notamment les partis communistes latino-américains) et qui par les simplifications manichéennes qu’elle a générées, a justement été à l’origine de bien de ses erreurs et déboires passés, c’est la théorie du « campisme ». Celle-ci voyait dans la défense intransigeante du camp « dit socialiste » le fin du fin de la solidarité des peuples et de l’internationalisme prolétarien. Plus simplement encore en Amérique latine, elle avait même fini par avoir pour conséquence d’imaginer –intérêt immédiats obligent— que du moment que tu étais l’ennemi de mon ennemi (de l’impérialisme américain donc), tu devenais mon ami, et cela quelles que soient les politiques que tu pouvais pratiquer à l’égard de ton propre peuple. D’où tous ces faux pas et alliances improductives entre gouvernements qui ont tant parasité l’action de certains partis ou mouvements de gauche dans le passé. Ne serait-il pas temps –en ce début de 21ième siècle de rompre avec de telles pratiques ? Et si l’on peut volontiers admettre qu’un régime comme celui de Hugo Chavez puisse –pour tenter de briser l’isolement dont il est affligé du fait de l’ostracisme étatsunien— développer des relations commerciales avec la Lybie ou l’Iran et établir des relations diplomatiques avec leurs gouvernements, il semble bien plus problématique d’en louanger le régime ou les vertus de ses dirigeants sur la base du seul fait qu’ils s’opposent aux aussi aux USA. Surtout quand on sait que le passé n’est nullement garant de l’avenir, particulièrement dans le monde arabe, où, il faut bien le reconnaître la plupart des régimes contre lesquels se dressent aujourd’hui les peuples du monde arabe, ont été (comme celui de Khadafi) des régime progressistes ou sont originaires (comme ceux de Ben Ali en Tunisie et de Moubarack en Égypte) de régimes qui se reconnaissaient au point de départ des valeurs de gauche (nationalistes, anticolonialistes, laïques, etc.), avant de se muer au fil des ans en d’authentiques tyrannies. De cela aussi il faut prendre acte ! L’action politique est-elle toujours manichéenne ? Et si aujourd’hui on peut s’inquiéter –à juste titre—des formidables ambiguïtés que recèle l’intervention onusienne (sous commandement de l’OTAN) en Lybie, si on peut et doit dénoncer les inévitables bavures dont risquent bien évidemment d’être responsables –du haut de leur technologie sophistiquée et de leur suprématie aérienne— les dirigeants des pays occidentaux, on ne peut pas non plus ne pas remarquer l’absence dans la région de forces de gauche indépendantes capable de soutenir –dans les faits— la lutte de ces peuples en marche et d’organiser la solidarité à leur égard. Ne serait-ce que pour les protéger d’un massacre appréhendé ! Pas même la possibilité de brigades internationales comme à l’époque de la guerre d’Espagne ! De cela aussi il faut pouvoir prendre acte. Non pas pour s’en remettre –quand il est question de souveraineté populaire et d’émancipation— aux puissances occidentales, mais pour prendre la mesure de ce qu’il reste à construire, à reconstruire. À partir des peuples eux-mêmes, de leurs forces vives ! C’est André Malraux qui faisait dire à l’un de ces héros dans son roman L’Espoir que : « Le grand intellectuel est l’homme de la nuance, du degré, de la qualité, de la vérité en soi, de la complexité. Il est par définition, par essence, antimanichéen. Or, les moyens de l’action sont manichéens parce que toute action est manichéenne. A l’état aigu dès qu’elle touche les masses ; mais même si elle ne les touche pas. Tout vrai révolutionnaire est un manichéen-né. Et tout politique." C’est justement avec ce manichéisme de l’action (et toutes ses pseudo-justifications) qu’il faut oser rompre, apprendre à rompre aujourd’hui. En plaidant envers et contre tout pour la complexité ! C’est à cette condition que la gauche pourra en ce début de 21ième siècle redevenir synonyme de transformation sociale émancipatrice. N’est-ce pas ce que nous apprend à sa manière « l’ami Khadafi » ? - Pierre Mouterde, auteur de La gauche en temps de crise, Contre-stratégies pour demain, Montréal, Liber 2011. |
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