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L'Assemblée fantômeAnonyme, Sunday, October 17, 2010 - 14:05 (Analyses | Education | G8-G20 | Politiques & classes sociales | Repression | Resistance & Activism) Analyse de l'assemblée du RAGE. Le dernier sommet du G-20 et ses contre-manifestations spectaculaires, relayées par l’establishment médiatique dans son excitation de l’imagerie violente, a suscité une vague d’indignation et de motivation parmi la scène militante montréalaise. Devant l’impact de la répression, soudainement visible parce qu’elle frappe directement, et les gesticulations destructrices des radicaux, assez rares au Canada pour être soulignées, c’est dans une sorte de transcendance que les militants appellent à l’action; la réponse immédiate, logique, instantanée à une injustice qui vient d’arriver. Pris dans la spirale depuis longuement observée de la nature activiste, cette réaction émotive n’a d’effets sur la lutte que de perpétuer ses propres contradictions internes. En effet, qui peut aujourd’hui raisonnablement prétendre que les pratiques et stratégies militantes des dix dernières années au Québec ont porté fruit ? Si l’ensemble des groupes d’extrême-gauche du Québec venait à disparaître instantanément, le murmure de la société civile à ce sujet se perdrait illico, emporté par l’écho assourdissant des jacasseries quotidiennes et sans interruptions des idéologues en place. Comment changer le discours pour que les mots prennent le sens pratique qui devrait leur revenir ? Toutes les organisations révolutionnaires des derniers siècles se sont posé la question délicate de leur sujet. La force incroyable des textes pamphlétaires relais de ces organisations, commencés à fortiori par Le Manifeste de Marx et Engels, a été de savoir parler la langue de leur époque. Aujourd’hui, les phrases et slogans répétés inlassablement par les nébuleuses militantes ne sont qu’une mauvaise copie d’une réalité insaisissable, puisque retenue dans les brumes du temps. Ces époques révolues sont des exemples à étudier pour développer la capacité de les dépasser, non pas en premier lieu par la pratique, mais bien par la théorie, grâce à l’édification d’un corpus d’idées en phase avec notre propre réalité. Ce n’est qu’à partir de ce socle nouveau que peut être envisagée une stratégie d’action révolutionnaire ancrée dans la vie publique, impossible à ignorer. Il est urgent de mettre un terme à la culture du privé propagée par la quasi-clandestinité que s’impose le militantisme à travers son attachement à la contre-culture politique. Malheureusement, personne ou presque n’a semblé se diriger dans cette voie lors de l’assemblée de fondation du Regroupement Anticapitaliste Étudiant (RAE ? RAGE ? AGACE ?). Le propre d’une assemblée, même banale, est de susciter le débat à travers l’échange constructif de différents points de vues dans le but de fortifier une organisation et ses positions. C’est la base d’une culture politique saine, c’est à dire la définition même du terme politique : prendre en charge les affaires de la Cité. Une assemblée qui ne répond pas à la condition minimale du débat sur les enjeux en cours n’en est pas une. Or, qu’avons-nous pu constater lors de la fondation du Regroupement Anticapitaliste Étudiant ? Même un aveugle, puisqu’il a encore la capacité d’entendre, a pu se rendre compte à quel point son contenu était pauvre. La première impression fut la bonne : à peine entré dans la salle, le silence mortuaire et l’atmosphère globale caractérisaient un état général de passivité à l’exact opposé de ce qu’aurait dû être l’exercice alors en cours. Les assemblées de fondation, surtout si elles sont publiques, sont historiquement des moments d’exaltation. Souvent, emportés par la beauté des idées qui foisonnent dans les esprits les plus intéressés, les militants s’empressent de juger la force de leur nouvelle création sans avoir eu le temps de l’avoir fait vivre, et donc de l’expérimenter. C’est d’ailleurs de cet entrain si propre à la révolte que sont nées les plus grandes victoires, et aussi les plus amères défaites. On pouvait s’attendre – on devait même – à un scénario similaire lors de l’assemblée du RAGE. Surfant sur les actions de Toronto, constatant la présence attendue d’une centaine d’individus, et de plus dans un contexte où le gouvernement menace d’attaquer une nouvelle fois l’accessibilité à l’éducation, les dés étaient jetés pour une soirée haute en couleur et propice à une effusion politique majeure. Les présents et présentes auraient normalement dû sortir de l’assemblée avec le sourire aux lèvres et une volonté de fer, même si dans une perspective critique ces militants répétaient une nouvelle fois les erreurs typiques de leurs aîné-es (qui d’ailleurs continuent à les répéter avec une obstination stupéfiante, et à vrai dire, surprenante). Les murmures, les bruits de chaises, les gens qui se lèvent et sortent, la salle qui n’est jamais pleine : voilà le portrait de la réunion moins d’une heure après son commencement. Certaines personnes s’aventurent dans la question des structures de l’organisation en construction. À première vue, il s’agit là d’un réflexe tout à fait normal. Peut-on vraiment envisager l’édification d’une organisation sans préalablement réfléchir à son fonctionnement et aux positions qu’elle défend ? Apparemment, la réponse est oui. Il était à un certain moment facile de deviner ce qu’il se déroulait sous nos yeux, et on peut les résumer en deux points : l’absence totale de stratégie de la part des organisateurs, et le manque total de volonté politique des participants et participantes. Par absence stratégie, il faut entendre précipitation. Les organisateurs ont apparemment pensé qu’il serait judicieux de continuer l’aventure du RAGE sans préalablement réfléchir à la meilleure façon non pas de « rassembler les forces anticapitaliste », mais plutôt de maximiser la force de frappe de ces dits anticapitalistes. Cette erreur – centrale – n’est pas une découverte des organisateurs du RAGE. Elle a été analysée à de nombreuses reprises par différents groupes et différentes tendances. La volonté du rassemblement à tout prix se base sur l’idée qu’avec la quantité la nouvelle organisation sera de facto plus visible, plus active, et donc plus performante, même si volontairement il y a délaissement de sa qualité politique. La conséquence de cette façon de voir les choses est qu’on bâtit autour de rien. La coquille vide peut alors résonner très fort, mais pas dans le sens qu’on voudrait l’entendre. À contrario, l’organisation n’a pas d’homogénéité qui lui est propre, et ne possède donc pas la capacité de mener à bien des luttes sur le long terme, ni même d’ailleurs à moyen terme. Sa durée de vie est extrêmement limitée, puisque toute son existence est basé sur le renouvellement perpétuel de son champs d’action, au rythme des attaques du système lui-même, dans une logique de dépendance inavouée. Le terme « anticapitaliste » en lui-même est d’une pauvreté extrême. C’est un mot vide qui ne détient aucune force constructive et qui trahit nécessairement le désert que représente l’extrême-gauche d’aujourd’hui. Il possède les qualités qu’un mot a pour qu’il devienne péjoratif, et en toute sincérité, quand on constate ce qu’est « l’anticapitalisme », force est d’avouer qu’il est aisé d’en rire. Quoi d’étonnant à ce que la droite, en l’occurrence la majorité de la population, nous dépeint comme des clowns ? Les organisateurs de l’assemblée ont créés ce besoin de ce rassembler immédiatement alors que la situation n’est pas au regroupement à tout prix pour l’action que celui-ci engendre. Le moment à saisir est celui de la pause, de l’introspection, de la réflexion et donc, de la saine construction d’une culture politique nouvelle, empreinte de la continuité des grandes luttes du passé. Par manque de volonté politique des participants et participantes, il faut entendre cette habitude du laisser-aller qui caractérise la vie politique des gens qui fréquentent les activités du milieu militant. Le laisser-aller se manifeste surtout par la volonté d’action, moussée par les organisateurs, et ainsi par la passivité face à la réflexion. Il était clair que les participants et participantes de l’assemblée du RAGE étaient là pour s’entendre sur les actions à entreprendre : ils cherchaient des résultats immédiats. On se retrouve donc devant un cas typique de spectateurs-consommateurs. Combien de soupirs avons-nous pu entendre lorsque des demandes plénières étaient formulées ? Combien de gestes d’insatisfactions avons-nous pu constater lorsque le débat s’éternisait sur les structures ? Et combien d’interventions ont été faites pour relever le niveau de l’assemblée, ou tout du moins pour critiquer ce qu’il s’y passait ? Aucune. Le moment le plus saisissant de cette passivité ambiante fut lorsque presque la moitié de la salle se vida, et que les gens se retrouvaient à l’extérieur, fumant des cigarettes et déversant un flot incessant de critiques sur la situation à l’intérieur. L’assemblée, à ce stade, se déroulait ainsi à l’extérieur. Une fois rentrés, les insatisfaits se muraient dans un silence édifiant, qui ne pouvait que témoigner de leur incapacité à comprendre réellement ce qui se déroulait sur leurs yeux. Ainsi, il était tout à fait justifié qu’il soit de même incapables de changer le cours des choses. Il a fallu qu’un individu propose une pause légitime pour crever un tout petit peu l’abcès, vite recollé par la suite par le cours normal des choses. Que pouvons-nous retenir de cette assemblée ? Beaucoup d’éléments qui peuvent orienter notre façon de penser à l’avenir. Le RAGE aura une durée de vie très courte : ce n’est pas inscrit dans le ciel, mais dans les bilans des derniers groupes similaires qui l’ont précédé. À l’écoute de la critique, peu habitués la plupart des individus grognent et insistent sur la nécessité d’agir immédiatement, traitant les critiques de vulgaires cyniques improductifs. Mais la réalité est effectivement propice à l’action. Il serait seulement plus efficace d’épargner le temps que l’on perd à répéter les erreurs qui n’ont pas été justement analysées et comprises ensemble. L’effort de la réflexion est collectif. Les assemblées fantômes doivent être dignes d’une époque révolue. Pour ce faire, un repli sur soi est obligatoire. Les révolutionnaires doivent se regrouper immédiatement avec leurs camarades les plus proches, former des groupes d’études, de discussions et de réflexion, prendre le temps d’échanger sur leurs idées et construire de nouvelles formes d’actions à travers un nouveau langage. Le fond, la forme, tout est à réviser, à la lumière du gouffre dans lequel nous nous trouvons actuellement. [ EDIT (Mic à titre de validation au CMAQ)
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