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La sous-performance de la Commission des droits de la personne et ses conséquences (2 de 3)lacrap, Sunday, May 30, 2010 - 12:32 La Coalition contre la répression et les abus policiers présente la deuxième partie de son mémoire déposé à la Commission des droits de la personne dans le cadre de la consultation « Le profilage racial et ses conséquences ». Cette deuxième partie du mémoire aborde sans détour l’épineuse question de la méfiance des communautés racisées à l’égard de la Commission des droits de la personne. Cette problématique qui perdure depuis une vingtaine d’années figure parmi les principaux facteurs expliquant la sous-performance de la Commission des droits de la personne en matière de lutte contre le profilage racial. *** Le 11 novembre 1987, un policier du nom Allan Gossett abattit un dénommé Anthony Griffin d’une balle dans le front dans le stationnement d’un poste de police de la Communauté urbaine de Montréal (CUM). La mort de ce jeune homme âgé de seulement 19 ans souleva une vive indignation, en particulier au sein de la communauté noire de Montréal, monsieur Griffin étant lui-même d’origine jamaïcaine. La gestion désastreuse de cet incident tragique de la part des autorités va ensuite contribuer à exacerber les tensions. Ainsi, Roland Bourget, directeur du Service de police de la CUM, déclara qu’il mettait sa « réputation en jeu qu'il ne s'agissait pas d'un incident à connotation raciste ». (1) Or, le lendemain, les médias révélaient que l’agent Gossett avait déjà été condamné par la Commission des droits de la personne pour un incident violent à caractère raciste survenu 1981. (2) Durant les jours qui suivirent, le niveau d’hostilité à l’égard des policiers ne faisait qu’aller en grandissant. « Des citoyens crachent sur les voitures qui patrouillent, insultent les policiers. Nous recevons une vingtaine d'appels de menace par jour », déclara le lieutenant Daniel Randall du poste 15, au journal Le Devoir. (3) La moindre étincelle semblait capable de provoquer une explosion de violence dans les rues. Le 24 novembre suivant, le conseil des ministres du gouvernement québécois décidait de demander à la Commission des droits de la personne de tenir une enquête sur les relations entre la police et les minorités ethniques. De toute évidence, le gouvernement espérait que son geste apaiserait les tensions. Mais, comme le rapportait la journaliste Carole Beaulieu dans les pages du quotidien Le Devoir à l’époque, la décision du gouvernement a plutôt eut l’effet contraire puisqu’elle attisa le mécontentement chez les représentants d’organismes des communautés racisées :
« La Commission des droits et libertés n’a aucune crédibilité auprès de la communauté noire », déclara madame Ilma Lynto-Holt, directrice de l’organisme Negro community center. C’est là que nous avons logé nos plaintes depuis des années, sans succès. » « La Commission elle-même n’est pas exempte de racisme », alla jusqu’à dire un porte-parole du Bureau des communautés culturelles du Québec. Comble de malchance pour la Commission des droits de la personne, le gouvernement annonça sa décision la même journée où la Commission des institutions de l’Assemblée nationale débutait trois journées d’auditions publiques. Les auditions de la commission parlementaire furent en effet utilisées pour faire la critique du travail de la Commission des droits de la personne, notamment en ce qui concerne sa performance en matière de lutte contre la discrimination raciale. Les interventions des représentants du Congrès des avocats et juristes noirs du Québec figurèrent parmi les plus percutantes. Ceux-ci ont en effet affirmé que les victimes de discrimination ne voyaient pas une alliée chez la Commission des droits de la personne. « J’ai une cliente qui me l’a dit : quand je me suis présentée, je croyais que j’étais dans un poste de police, où l’on me posait toutes sortes de questions sans s’intéresser vraiment au problème que je voulais leur soumettre », expliqua monsieur Yves Boiron. (5) Son collègue, monsieur Martial Pierre, du même organisme, ajouta ceci :
Monsieur Domond Osé, du Service d’aide aux Néo-Québécois et aux Immigrants, a quant à lui déclaré ce qui suit :
Certains représentants d’organisme ont aussi profité des auditions pour souligner certains ratés qu’avaient connu une autre enquête publique tenue par la Commission des droits de la personne quelques années plus tôt relativement aux allégations de discrimination raciale dans l’industrie du taxi à Montréal. Monsieur André Paradis, directeur général de la Ligue des droits et libertés, est sans doute celui qui alla le plus loin dans les critiques qu’il adressa à la Commission des droits de la personne pour le travail que cette dernière a accompli dans ce dossier :
Monsieur Osé a également fait écho à ces critiques durant sa présentation :
Témoignant à son tour devant la commission parlementaire, monsieur Jacques Lachapelle, président de la Commission des droits de la personne, affirma qu’il était « tout à fait faux » que des témoignages entendus puissent avoir été « gommés ou annulés » dans le dossier d’enquête sur la discrimination dans l’industrie du taxi. Il accusa d’ailleurs les auteurs de ces allégations d’« irresponsables ». (11) À la dernière journée d’audition devant la Commission des institutions, le quotidien Le Devoir publia un éditorial intitulé « Une enquête mal partie », sous la plume de monsieur Jean-Claude Leclerc, dont voici quelques extraits :
Compte tenu de la pluie de critiques qui s’abattit sur la Commission des droits de la personne, on ne s’étonnera pas que le gouvernement québécois ait cru bon de confier l’enquête sur les relations entre la police et les minorités ethniques à un groupe majoritairement composé de personnalités extérieures à la Commission. Selon un article publié dans Le Devoir sous la plume de monsieur Bernard Descôteaux, le gouvernement a en effet informé le président de la commission de sa décision de faire appel à cette forme de « sous-traitance » en raison de la méfiance largement répandue à l’égard de la commission chez les organismes représentants les communautés racisées. (13) Dirigé par monsieur Jacques Bellemare, criminologue enseignant à l’Université de Montréal, le Comité d’enquête sur les relations entre les corps policiers et les minorités visibles et ethniques fut composé de madame Hedy Taylor, travailleuse sociale, monsieur Andre Normandeau, directeur du Centre international de criminologie à l’Université de Montréal, monsieur Jean Pelletier, journaliste, et madame Maryse Alcindor, enquêtrice à la Commission des droits de la personne et seule représentante de la communauté noire sur ce groupe de travail. mettait lui-même de l’huile sur le feu Lorsque monsieur Yves Lafontaine succéda à M. Lachapelle à la présidence de la Commission des droits de la personne, en juin 1991, il avait l’opportunité de tirer des leçons durables des nombreuses critiques qui avaient été formulées à l’égard de la Commission des droits de la personne et ainsi faire des efforts pour tendre la main aux membres des communautés racisées. Au lieu de cela, le nouveau président de la Commission des droits de la personne ne trouva rien de mieux à faire que d’envenimer la situation en lançant des déclarations profondément aberrantes concernant les représentants de certaines communautés racisées et la couverture des bavures policières par certains médias. Dans un article publié dans l’édition de La Presse du 11 novembre 1991, monsieur Lafontaine a en effet critiqué l’approche de certains leaders de la communauté noire montréalaise. « Il faut faire attention de ne pas dramatiser tous les événements », déclara-t-il, en faisant allusion au décès d’Anthony Griffin et à celui de monsieur Marcellus François, un autre jeune noir non-armé abattu par un policier de la CUM, en juillet 1991. « Je sens depuis quelques mois, dans les milieux où je me tiens, une espèce de ressentiment vis-à-vis les efforts qui sont développés à travers les médias pour attirer l'attention de façon insistante sur les bévues. Plutôt que de servir les intérêts légitimes (de la communauté noire), ça peut lui nuire », affirma le président de la Commission des droits de la personne. « Je me demande si ça ne légitime pas certains gestes excessifs des jeunes de cette communauté », ajouta-t-il. (14) Monsieur Lafontaine se lança également dans un procès d’intention à l’égard des médias anglophones. « Il y a plus d'insistance dans les journaux anglophones quand il s'agit de minorités visibles, particulièrement celles qui parlent anglais », fit-il valoir. « Je ne suis pas sûr, dans une période pré-référendaire, que ça ne fait pas l'affaire des médias anglophones de dire que les Québécois ne sont pas tous des anges. » Puis, après avoir fait la leçon aux représentants de la communauté noire et aux médias anglophones, le président de la Commission des droits de la personne adressa quelques commentaires élogieux à l’égard d’Alain St-Germain, directeur du Service de police de la CUM. « Aussitôt que l'affaire Marcellus François est arrivée, il a admis que ses hommes avaient commis une erreur. C'est assez rare qu'un chef de police agit ainsi », déclara M. Lafontaine. Les propos renversants de M. Lafontaine semèrent la consternation et furent rapidement attaqués de toutes parts. « Ses commentaires portent ombrage à la Commission des droits de la personne et démontrent peu de sensibilité à l'égard des minorités ethniques, soutint Goldie Hershon, présidente du Congrès juif canadien de la région du Québec. Ce genre de déclarations n'aidera pas les communautés ethniques à faire confiance au rôle dirigeant et supposément objectif de la Commission ». (15) Selon Mme Hershon, le président de la Commission des droits de la personne a sérieusement compromis sa capacité de remplir son mandat en tenant de tels propos. « Nous considérons que M. Lafontaine a outrepassé son mandat et mis en doute la neutralité dont il est censé faire preuve en ce qui a trait au débat constitutionnel, en tant que porte-parole de la Commission des droits de la personne », a-t-elle indiqué. De son côté, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) demanda à M. Lafontaine de se rétracter quant à ses propos sur la couverture médiatique des « bévues » policières. « La FPJQ est sidérée par de telles déclarations. La Commission des droits de la personne a été créée pour promouvoir les principes contenus dans la Charte des droits et libertés et non pas pour les combattre !, lança André Noël, président de la FPJQ. Le président de la Commission devrait encourager la liberté de presse. Il devrait encourager les médias à pousser leurs enquêtes sur les bévues de la police. » Dans un éditorial publié dans La Presse sous le titre « La Commission des droits des "pure-laine" ? », monsieur Alain Dubuc qualifia les propos de M. Lafontaine de « proprement scandaleux ». L’éditorialiste accusa notamment le président de la Commission des droits de la personne de contribuer « à amplifier la paranoïa et l'hypersensibilité de bien des Québécois francophones face à la critique ». (16) « En déplorant que les médias anglophones réagissent avec plus d'emphase lorsque des événements impliquent des minorités visibles anglophones, Me Lafontaine fait preuve de ce qui est de l'analphabétisme sociologique, écrivit M. Dubuc. Ce sont les noirs anglophones, doublement minoritaires, qui vivent, et de loin, la situation la plus difficile. C'est à leur égard que le racisme s'exprime le plus crûment. Il est donc normal que les médias soient plus vigilants face aux événements qui les impliquent. Il est également normal que les médias anglophones manifestent une plus grande sensibilité face à d'autres anglophones. » Au lieu de s’excuser, M. Lafontaine réitéra plutôt ses propos et en rajouta. Il affirma au journal The Gazette que les leaders des minorités avaient tendance à réagir trop rapidement aux événements. (17) « Ce n’est pas qu’ils sont dans l’erreur, mais c’est la manière qu’ils le disent. Ils font des jugement expéditifs » [traduction], déclara le président de la Commission des droits de la personne. Monsieur Lafontaine fit également valoir que la commission reçoit seulement que quatre à cinq plaintes chaque année de la part des minorités visibles. « Si nous ne connaissons pas les événements, comment pouvons-nous faire enquête ? » [traduction] Cette dernière affirmation fut vivement dénoncée par Robert Libman, chef du Parti égalité, une formation politique vouée à la défense des intérêts de la minorité anglophone du Québec. « M. Lafontaine s'est lamentablement trompé quand il a soutenu que sa commission ne recevait que quatre ou cinq plaintes par année de la part des minorités visibles. Dans les faits, c'est 78 plaintes qui, l'an dernier, ont été portés à l'attention de l'organisme. Ce n'est pas le temps des excuses alors que les tensions raciales n'ont jamais été aussi élevées au Québec, lança M. Libman. Il est de plus en plus clair que la Commission et son président manquent de sensibilité à l'égard des communautés culturelles ». (18) La controverse eut des retombées politiques jusqu’à l’Assemblée nationale, obligeant les ministres du gouvernement québécois à prendre position. La ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, Monique Gagnon-Tremblay, dû elle-même intervenir pour calmer le jeu. Elle a en effet émis un communiqué invitant les parties en cause à se rencontrer le plus rapidement possible afin de clarifier la situation. « Les incompréhensions naissent souvent d'une méconnaissance de la différence. Le dialogue franc et honnête est la seule façon de remédier à la situation », disait le texte du communiqué. Durant la période des questions, Mme Gagnon-Tremblay lança une critique à peine voilée à l’égard du président de la Commission des droits de la personne en déclarant que M. Lafontaine devait dorénavant savoir qu’il doit y penser à deux fois avant de s’exprimer sur de tels sujets. (19) De son côté, le ministre de la Justice (et ministre responsable de la Commission), Gil Rémillard, déclara ceci :
Critiqué de toutes parts, monsieur Lafontaine dû se résoudre à présenter ses excuses, le 14 novembre, afin de désamorcer la tempête politico-médiatique dont il avait été lui-même l’instigateur. « Les propos que j'ai tenus dans La Presse et The Gazette du 11 et 12 novembre 1991 ont offensé des citoyens et citoyennes du Québec, ce qui n'a jamais été mon intention et je le regrette sincèrement », a-t-il fait savoir par voie de communiqué. (20) À l'issue d'une rencontre de trois heures avec le président de la Commission des droits de la personne, les leaders des communautés culturelles décidèrent de donner une « dernière chance » à M. Lafontaine, en soulignant toutefois qu'ils allaient l’avoir à l’œil pendant les mois à venir. « Nous sommes conscients que M. Lafontaine n'est peut-être pas la bonne personne à la bonne place. Mais nous voulons lui donner une chance d'améliorer sa position sur les droits humains et les droits des minorités », affirma Mme Fatima Houda-Pépin, du Centre Maghrébin. Il va sans dire que le battage médiatique négatif généré par les propos déplacés de M. Lafontaine ne fut d’aucune aide à l’égard du rétablissement de liens de confiance entre les communautés racisées et la Commission des droits de la personne. Dans ce contexte, on ne se demandera pas pourquoi le gouvernement québécois jugea bon de nommer une personne extérieure à la Commission des droits de la personne, en l’occurrence le recteur de l'Université du Québec à Montréal, Claude Corbo, à la tête du Groupe de travail sur les relations entre les communautés noires et le Service de police de la CUM, en mai 1992. La nécessité de la mise sur pied d’un tel groupe de travail apparu à la suite du dépôt du rapport du coroner ad hoc Harvey Yarosky, qui présida l’enquête publique sur les causes et circonstances du décès de M. Marcellus François. Le rapport Yarosky critiqua, entre autres, le racisme au sein du SPCUM. Monsieur Corbo fut épaulé par un groupe de personnalités issues de divers milieux, soit monsieur Claude Vézina (de la CUM), monsieur Jacques Duchesneau (du SPCUM), monsieur Gérald Deslandes (de la Fraternité des policiers de la CUM), monsieur Pierre Rémillard (de l'Institut de police du Québec), monsieur Gwen Lord (de la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal), monsieur Linton Garner (du Conseil des communautés noires du Québec) et madame Amanthe Bathalien (du Centre de Services Sociaux Montréal Métropolitain). Près de vingt ans plus tard, force est de constater qu’il reste encore énormément de chemin à parcourir avant que la CDPDJ ne puisse se mériter la confiance des communautés racisées. En effet, au cours de la première décennie du second millénaire, les victimes de discrimination raciale ne manquèrent pas de motifs pour critiquer le traitement de leurs plaintes par la CDPDJ. En décembre 2004, le quotidien montréalais The Gazette publiait un article révélant que huit victimes présumées de discrimination raciale avaient été si insatisfaites du traitement de leurs plaintes par la CDPDJ qu’elles décidèrent de porter plainte… contre la CDPDJ elle-même ! (21) Les huit plaignants reprochaient notamment à la CDPDJ d’avoir fermé prématurément leur dossier. Rédigé sous la plume de madame Catherine Solyom, l’article du quotidien anglophone traitait notamment du cas de madame Marlyn Datus, qui affirmait ne pas avoir pu se qualifier à l’entrainement de base de l’École nationale de police du Québec à cause qu’elle est noire. « La [Commission] a prit le temps de m’écouter mais elle n’a jamais regardé la preuve qui aurait permit de faire toute la lumière sur ma cause » [traduction], déclara madame Datus. « L’enquêteur [de la Commission] a simplement prit le côté de l’académie policière » [traduction]. L’article de Mme Solyom évoqua également le cas de monsieur Isme-Luthon Dupervil. Formé comme agent de sécurité, M. Dupervil était considéré comme étant un excellent employé par la Ville de Montréal. Lorsqu’il compléta son internat, M. Dupervil s’est cependant vu refusé le poste qu’il convoitait à la Ville après avoir échoué un test écrit. « L’enquêtrice a décidé que ce n’était pas pertinent de jeter un coup d’œil à mon examen » [traduction], expliqua-t-il à la journaliste. « C’est là que j’ai réalisé qu’elle ne prenait pas mon dossier au sérieux » [traduction]. Selon M. Dupervil, « la Commission est raciste et incompétente et je suis sûr que je ne suis pas le seul à penser ainsi » [traduction]. Peu après la publication de l’article de la journaliste Solyom, un étudiant en droit dénommé Philippe Duplessis, qui avait porté plainte à la CDPDJ en alléguant avoir été victime de discrimination raciale de la part d’un policier montréalais, décida de porter plainte pour discrimination raciale contre la CDPDJ elle-même. Les faits relatifs à la plainte de M. Duplessis remontaient au 13 mars 2000. Alors qu’il se trouvait dans sa voiture stationnée sur le Chemin de la Côte-des-Neiges à Montréal, un policier s'était approché de lui pour l’interroger quant aux raisons de sa présence sur les lieux. Selon M. Duplessis, le policier s’était montré impoli, demanda du renfort, fit remorquer sa voiture et procéda à l'émission d'une contravention sans motif valable. Plusieurs mois plus tard, M. Duplessis rencontra une employée de la CDPDJ. Celle-ci lui affirma que son affaire n’était pas un cas de racisme et l’invita à s’adresser plutôt au Commissaire à la déontologie policière pour loger sa plainte. Lorsque le Commissaire à la déontologie policière rejeta sa plainte, M. Duplessis se présenta à nouveau à la CDPDJ pour réclamer une « réouverture de son dossier ». Et lorsque cette demande fut rejetée, M. Duplessis porta alors l’affaire devant les tribunaux en intentant une action en justice contre la CDPDJ. Il demanda plus particulièrement à la Cour supérieure du Québec de prononcer un jugement déclaratoire obligeant la CDPDJ à se saisir de toute plainte portée contre elle pour discrimination et réclama également la tenue d’une enquête sur le système de traitement des plaintes de racisme de la CDPDJ. Dans sa requête introductive d’instance, monsieur Duplessis reprocha à la CDPDJ d’avoir fait preuve de « négligence grave et de discrimination raciale systémique », notamment en raison du fait qu’elle ne s’était toujours « pas dotée, en novembre 2004, de politique ou de lignes directrices en matière de profilage racial » alors qu’elle était pourtant « saisi depuis longtemps de plaintes de profilage racial ». Après avoir eu l’opportunité de communiquer avec « d'autres plaignants issus des minorités visibles et ethniques ayant vécu les même problèmes avec la Commission », M. Duplessis découvrit que le traitement de sa plainte était « symptomatique de pratiques typiques de la Commission face aux plaintes de racisme qui sont déposées par les membres des minorités visibles et ethniques ». Le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), qui avait épaulé M. Duplessis dans ses démarches, abonda dans le même sens. Dans un article publié dans le journal The Gazette en juin 2005, monsieur Fo Niemi, directeur administratif du CRARR, affirma que la CDPDJ refusait souvent de faire enquête à l’égard de plaintes portées par des victimes de discrimination raciale. (22) Sur les 97 dossiers entendus par le Tribunal des droits de la personne depuis 2001, seuls six d’entre eux portaient sur des allégations de racisme. Notons que M. Niemi fut membre de la CDPDJ de 1991 à 2003. Ironiquement, les avocats de la CDPDJ tentèrent de faire échec à l’action de M. Duplessis en ayant recours à des procédés rappelant étrangement les tactiques dilatoires employées par les avocats de la Ville de Montréal et de son Service de police, dont se plaint aujourd’hui la CDPDJ. La CDPDJ déposa en effet deux requêtes en irrecevabilité contre l’action de M. Duplessis. Les arguments invoqués par la CDPDJ en soutien aux requêtes en irrecevabilité étaient les délais et la prétention selon laquelle les conclusions de la requête introductive d’instance de M. Duplessis ne pouvaient être accueillies. Notons que la Cour supérieure rejeta les deux requêtes en irrecevabilité. (23) N’ayant pu éviter l’affrontement avec M. Duplessis, la CDPDJ fut donc forcée de se défendre devant la Cour supérieure. Les avocats de la CDPDJ ont ainsi plaidé que les allégations de « traitement distinct et discriminatoire » des plaintes de discrimination raciale issues des communautés racisées étaient dénuées de tout fondement et n’avaient pour seul effet de discréditer le travail de la CDPDJ et de porter atteinte à sa réputation. La CDPDJ indiqua également qu’elle n’avait pas le monopole des recours légaux en matière de discrimination en faisant valoir que M. Duplessis pouvait s’adresser à tout tribunal qui peut et doit appliquer la Charte des Droits et des libertés de la personne. Dans un jugement rendu le 9 mai 2007, le juge Michel A. Caron en arriva toutefois à la conclusion qu’il ne pouvait ordonner à la CDPDJ d’enquêter sur des plaintes portées contre elle car cela aurait pour effet de placer celle-ci dans une situation de conflit d’intérêt et ainsi donner lieu à une crainte raisonnable de partialité (bien qu’elle ait déjà été saisie par le passé d’au moins une plainte de discrimination portée contre elle-même à titre d'employeur). Le tribunal rejeta donc la requête en jugement déclaratoire de M. Duplessis, en concluant que la CDPDJ n'a pas l'obligation de se saisir d'une plainte de discrimination portée contre elle. (24) Les travaux du Groupe de travail sur la pleine participation à la société québécoise des communautés noires donnèrent lieu à d’autres critiques à l’égard du travail de la CDPDJ. Mis sur pied en 2005 par la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Lise Thériault, le Groupe de travail organisa une consultation publique qui suscita la participation de près de 275 personnes et organismes. Le rapport du Groupe de travail fut remis à la ministre Thériault, en mars 2006. La CDPDJ fut écorchée au passage, comme en atteste le paragraphe ci-dessous :
Par ailleurs, une partie des recommandations contenues au chapitre de la lutte au racisme et à la discrimination raciale du rapport du Groupe de travail fut consacrée à la CDPDJ :
Le 10 mai 2007, le CRARR diffusa un communiqué ayant pour titre « Des victimes de racisme demandent à l'Assemblée nationale du Québec et aux Nations Unies d'examiner les délais excessifs dans le traitement de leurs plaintes ». (27) « La Commission a certes besoin de plus de ressources et de personnel car les enquêteurs sont surchargés. Mais elle doit être proactive et rapide afin d’être crédible et de fournir aux victimes de discrimination une protection efficace », déclare M. Niemi du CRARR. Le gouvernement québécois ne donnera cependant pas suite à ces recommandations. Le CRARR ne pouvait tolérer que le problème des carences de la CDPDJ tombe à nouveau dans l’oubli et demeure irrésolu. C’est pourquoi, en mai 2007, le CRARR tenta d’attirer l’attention sur l’inefficacité de la CDPDJ en diffusant un communiqué ayant pour titre : « Des victimes de racisme demandent à l'Assemblée nationale du Québec et aux Nations Unies d'examiner les délais excessifs dans le traitement de leurs plaintes ». Le communiqué indiquait que des plaignants déçus issus de diverses communautés racisées avaient demandé au CRARR d’alerter le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le racisme, M. Doudou Diène, qui avait d’ailleurs lui-même signalé dans son rapport le problème de délai des commissions des droits de la personne au Canada après sa visite à Montréal, en septembre 2003. « La Commission a certes besoin de plus de ressources et de personnel car les enquêteurs sont surchargés. Mais elle doit être proactive et rapide afin d’être crédible et de fournir aux victimes de discrimination une protection efficace », déclara M. Niemi du CRARR. « Un délai de justice est un déni de justice. C’est inquiétant qu’un an après la diffusion du Rapport de Groupe de travail sur la pleine participation à la société québécoise des communautés noires, dans lequel ce problème est dénoncé, le Gouvernement ne soit pas encore passé à l’action », déplora monsieur Cyriaque Sumu, un plaignant à qui la CDPDJ avait promis un rapport d’enquête à plusieurs reprises. « Je veux que la Commission complète au moins son enquête avant que mon épouse, qui a 71 ans et qui est très malade, et moi, nous décédions », plaida M. Cecilio Rous, 70 ans, dont la plainte fut déposée par le CRARR à la CDPDJ en août 2003. D’autres plaignants soulignèrent les effets préjudiciables des longs délais de la CDPDJ. « Quatre ans et 5 enquêteurs plus tard, j’attends toujours, des personnes impliquées ne sont même pas retrouvables et dans le premier rapport produit en janvier 2007, on m’a identifié comme étant d’origine haïtienne ! »,affirma M. Winston Wood. « Les délais excessifs signifient que dans plusieurs situations très évidentes de profilage racial des mineurs ou de racisme dans l’emploi, on tolère et encourage même le racisme», déplora M. Olthène Tanisma, qui fut obligé de poursuivre à ses propres frais son employeur, la Ville de Montréal. Comme nous l’avons vu, il y a longtemps que les membres des communautés racisées s’efforcent de sensibiliser les pouvoirs publics aux problèmes persistant qui minent le système de traitement des plaintes de la CDPDJ. Les pouvoirs publics ayant choisi de faire la sourde oreille à ces doléances, la CDPDJ ne peut guère s’étonner aujourd’hui de faire l’objet d’un niveau élevé de scepticisme au sein des communautés racisées. Dans son Document de réflexion et d’actions confectionné dans le cadre de la présente consultation, la CDPDJ semblait elle-même reconnaître ce problème lorsqu’elle écrivit ceci :
En tout cas, les policiers montréalais ne semblent pas éprouver autant de réticences à s’adresser à la CDPDJ si on en juge par les plaintes massives contre la « clause orphelin » de leur convention collective s'étendant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1998. En effet, durant l’année 2000, pas moins de 531 jeunes policiers portèrent plainte à la CDPDJ contre leur employeur, la CUM, et leur propre syndicat, la Fraternité des policiers et policières pour dénoncer le fait que les policiers embauchés comme permanent après le 1er janvier 1997 touchaient 25 405 $ à leur embauche, comparativement à 32 988 $ pour les policiers embauchés avant le 1er janvier 1997. (29) Il faut dire qu’un des leurs a déjà été nommé à la Commission des droits de la personne. En effet, le policier François Chénier, sergent-détective à la section des homicides du Service de police de la CUM, devint membre à temps partiel de la Commission des droits de la personne, le 22 juin 1995. (30) Sources : (1) La Presse, « Un homme qui n'aurait pas du mourir à été tué », Gilles St-Jean, 12 novembre 1987, p. A1. |
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