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L’interdiction du principal parti kurde en Turquie, ou comment torpiller un processus d’ouverture démocratique.

Guert, Tuesday, December 15, 2009 - 21:42

Guertin Tremblay

Article sur l'interdiction du principal parti kurde en Turquie, le Parti de la société démocratique (DTP), et l'inévitable radicalisation qui s'en suivra. Bref historique concernant les précédentes interdictions de partis kurdes depuis 1993 et démonstration du soutien du DTP chez la population du sud-est de la Turquie.

Les photos ont été prises lors de mon dernier séjour dans les provinces kurdes de Turquie, en mars 2009. Il s'agit des célébrations de Newroz (fête "nationale" kurde le 21 mars), organisées par le DTP, à Dargecit et à Diyarbakır.

Par Guertin Tremblay
Étudiant à la maîtrise en géographie sociale, l’auteur a séjourné à Diyarbakır (sud-est de la Turquie) en mars 2009.

Le couperet est tombé. Le Parti de la société démocratique (DTP), principale formation politique kurde représentée au Parlement turc et au pouvoir dans plusieurs municipalités, a été interdit par la Cour constitutionnelle turque vendredi dernier. Trente-sept de ses cadres, dont son président Ahmet Türk, sont bannis de la vie politique pour les cinq prochaines années. La raison officielle : le DTP menace « l’unité indivisible » de l’État turc, sacro-sainte depuis Sèvres et le démembrement de l’Empire ottoman. Lire dans cette décision : le DTP est dissous pour son refus de se dissocier du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en lutte armée contre Ankara depuis 1984 et considéré comme un groupe « terroriste ». Il s’agit du cinquième parti kurde interdit depuis les années 1990. L’histoire semble se répéter… inlassablement.

Pressions sur les partis kurdes

Les pressions sont fortes lorsque les Kurdes de Turquie tentent de s’organiser politiquement. Fort heureusement, l’époque où les hélicoptères de l'armée turque tiraient sur les rassemblements kurdes est révolue. Mais selon Muharrem Erbey, avocat et président de l’Association des droits de l’homme à Diyarbakır (sud-est de la Turquie), Ankara utilise désormais les lois afin de restreindre les ambitions de la population kurde. Parmi celles-ci, et pas si longtemps avant les ouvertures promises par le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, une loi a été voté en 2008 permettant d’emprisonner un enfant si celui-ci affichait son soutien au PKK ou à son chef, avec des peines allant jusqu’à 40 ans d’emprisonnement ! Quant aux partis politiques kurdes, ils sont constamment interdits depuis 1993 et leurs dirigeants ou membres, lorsqu’ils ne sont pas emprisonnés, torturés ou assassinés, se voient proscrits de mener des activités politiques pour plusieurs années. Ce fut le cas avec le Parti populaire du travail (HEP) en 1993, dont sa plus célèbre représentante, Layla Zana, purgea dix années de prison pour s’être prononcée en faveur de la fraternité des peuples turcs et kurdes. Cette même Zana fait présentement partie des trente-sept cadres du DTP bannis de la vie politique pour les cinq prochaines années. Même histoire pour le Parti de la démocratie (DEP, 1993-1994), le Parti de la démocratie du peuple (HADEP, 1994-2003), le Parti de la démocratie du peuple, deuxième mouture (DEHAP, 1997-2005) et maintenant, le Parti de la société démocratique (DTP, 2005-2009).

L’interdiction et la radicalisation

Le DTP possède un important capital de sympathie dans le sud-est anatolien. En plus des vingt-et-un sièges qu’il possède au Parlement, huit provinces et cinquante-et-une municipalités sont dirigées par ses représentants. Il constitue la quatrième force politique du pays. Aux élections municipales du 29 mars dernier, il a pratiquement tout raflé dans les provinces à majorité kurde du sud-est du pays, particulièrement à Hakkâri (79% des votes pour le DTP), Diyarbakır (65%), Batman (60%), Şırnak (53%) et Van (53%). Pour beaucoup de Kurdes, ce vote pour le DTP visait à rejeter les politiques ultranationalistes et fascisantes du Parti pour la justice et le développement (AKP, majoritaire) d’Erdoğan et permettait d’affirmer politiquement leur identité kurde. Certains représentants du DTP présentaient d’ailleurs les enjeux électoraux de cette façon.

Alors que ces résultats démontraient explicitement que pour en arriver à une solution pacifique au conflit qui perdure depuis vingt-cinq ans, les partis au pouvoir à Ankara devaient accepter de négocier avec le DTP et que celui-ci devait être considéré comme un acteur politique légitime et inévitable à tout processus de normalisation, nous nous retrouvons plutôt face à son interdiction qui, certainement, radicalisera les positions. À la suite des élections du printemps dernier, certains éditorialistes turcs écrivaient que les résultats poussaient l’AKP à la croisée des chemins : ses dirigeants devaient choisir entre les réformes démocratiques ou la poursuite de leur politique belliciste. L’automne avait bien démarré et promettait de belles ouvertures de ce côté, ouvertures qui sont maintenant torpillées par ce profond système politique qui désire à tout prix conserver sa mainmise sur les affaires de l’État. On croyait ce système réformé (minimalement) depuis l’échec de sa tentative d’interdire l’AKP en 2008 (pour atteinte à la laïcité) et le scandale Ergenekon (réseau qui visait le renversement de l’AKP), on voit aujourd’hui qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire sur le long parcours de la normalisation démocratique. Pendant ce temps, les Kurdes manifestent leur désarroi dans les rues de Diyarbakır, d’Hakkâri, de Van, de Yuksekova, mais aussi d’Istanbul. Ils sont plusieurs milliers à scander des slogans pro-DTP et pro-PKK depuis vendredi dernier : « Biji Kurdistan ! Biji Serok Apo ! ». Et rien ne laisse croire que le PKK ne récoltera pas les fruits de cette interdiction. En effet, en l’absence d’opportunités économiques, politiques et sociales, la jeunesse kurde pourrait être encore plus nombreuse à prendre le maquis afin de combattre avec le PKK pour ses droits à l’autodétermination. D’un automne prometteur, on peut maintenant s’attendre à un hiver sanglant.

Commentaires : guer...@hotmail.com

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