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NIGER: Morou en Bastille

Anonyme, Friday, August 28, 2009 - 14:24

Chaque despotisme a besoin d’une Bastille. Le Maroc de Hassan II eut Tazmamart, la Guinée de Sékou Touré eut le Camp Boiro, la terrible autocratie des Tsars et de Joseph Staline eut les goulags de la Sibérie, et, lorsqu’elle entra en conflit avec ses propres principes, la démocratie américaine usa de Guantanamo. Le despotisme naissant du Niger a, déjà tout préparée, la « Maison de Haute Sécurité de Koutou Kalé », aménagée sous le gouvernement pourtant apparemment civilisé de la 5ème République.

A vrai dire, la Bastille de Koutou Kalé n’est pas très impressionnante, comparée aux exemples cités. C’est encore une prison assez civile, dont le régisseur (comme nous le verrons tout à l’heure) tient au respect des formes légales et cultive un sens de l’Etat devenu spectral au gouvernail du Niger. Il s’agit d’un vaste domaine ceint d’un mur de pierre de 1m50 environ de hauteur, au centre duquel se trouve une bâtisse construite dans le même matériau. Cette bâtisse contient sept chambrées plutôt étroites (3m² environ) dans chacune desquelles sont entassés une vingtaine de détenus. Elle contient également une douzaine de cellullettes de la taille environ d’une guérite de faction, qui sont destinées aux individus que les personnes au pouvoir souhaitent traiter avec une inhumanité particulière, c'est-à-dire les prisonniers politiques. Initialement programmée comme une simple prison civile située sur le fleuve, la « Maison » de Koutou Kalé a finalement été conçue comme un instrument d’oppression. Son isolement sur un terrain ouvert sur un 1 km à la ronde, à l’écart du village de Koutou Kalé et de la route de Tillabéry, est le signe d’un dessein sinistre, que l’on ne doit du reste pas au nouveau dictateur nigérien, Tandja Mamadou, mais (selon toutes apparences) à son ancien ami et partenaire, Hama Amadou.

C’est dans cette plaisante résidence que Morou Amadou, activiste des droits humains et patriote nigérien, a été assigné, après quelques tumultueux événements que nous portons ici à la connaissance du lecteur, car ils soulignent la nature du système de gouvernement qu’on prépare pour les Nigériens.

Les tribulations de Morou ont commencé le dimanche 9 août. C’était le jour anniversaire de la Constitution de la 5ème République, et Morou le célébra en lisant une éloquente déclaration publique d’adhésion à cette constitution, à la démocratie représentative et à l’Etat de droit. C’était au Centre de Documentation de l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme (ANDDH), à dix heures tapantes.
Le lendemain matin (lundi 10), à six heures du matin, Morou Amadou est arrêté pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » et retenu à la Police Judiciaire, où il passe la nuit. Lorsqu’il comparaît le mardi 11, devant le tribunal de première instance de Niamey, le chef d’accusation est assez mystérieusement devenu « propagande ethno-régionaliste ». Les avocats de Morou n’eurent guère de mal à mettre en épingle les vices de procédure dont toute l’opération était entachée, et le juge prononça sa relaxe, vers 13h, après deux heures de débats d’audience.

Tout aurait dû s’arrêter là, dans le Niger normal d’avant. Morou devait simplement être conduit à la prison civile de Niamey pour une procédure banale et rapide, la signature des documents de levée d’écrou. Ces documents s’avérèrent cependant « introuvables ». Morou de prendre donc racine à la prison civile, tandis que (comme on s’en doute) l’entourage du dictateur s’enfiévrait pour trouver un moyen plus ou moins malin de le « chauffer ». Durant ce laps de temps, il ne lui fit même pas permis de se sustenter, en dehors de deux bouteilles d’eau minérale consommées au tribunal. En fin de compte, vers 16h, comme Morou sortait pour faire ses ablutions, des 4X4 chargés de FNIS déboulèrent devant la prison et quelques éléments en bondirent pour se saisir de sa personne, devant ses amis et des membres de sa famille éberlués. L’un de ses amis appelle aussitôt Me Le Bihan pour le prévenir de ce qui se passait, et l’avocat eut le temps de rappliquer tandis que les FNIS s’efforçaient de disperser la foule, tout en chargeant un matelas à l’arrière d’une des 4X4. Me Le Bihan demanda aussitôt aux FNIS : « Où est-ce que vous m’amenez mon client ? » Mais ces derniers l’ignorèrent superbement, et, plaçant Morou à l’arrière d’un de leurs véhicules, démarrèrent en trombe. La scène put être photographiée et filmée, Dieu merci. Me Le Bihan (ah ! le brave homme !) sauta dans sa propre automobile et poursuivit les 4X4 des FNIS, mais ceux-ci réussirent à le semer dans la circulation, au niveau de la place de l’Assemblée. Peine perdue d’ailleurs : Morou étant maintenant une célébrité, le pouvoir ne faisant pas dans la dentelle et la téléphonie cellulaire étant répandue, une personne de Yantala qui vit passer le convoi sur la route de Tillabéry appela les amis de Morou pour signaler le fait. On put conclure que les FNIS qui avaient enlevé l’activiste l’amenaient à la « Maison » de Koutou Kalé.

Et là, il se produisit quelque chose de fort intéressant.

Il est certain que, dans l’esprit de ceux qui règnent aujourd’hui au Niger, la loi et les règlements ne comptent plus que pour du beurre, et les Nigériens doivent s’accoutumer à vivre dans une sorte de jungle où ceux qui ont le contrôle du plus grand nombre de gros bras et de fusils peuvent n’en faire qu’à leur tête. On peut voir en tout cas que si tel n’est pas encore tout à fait le cas, tel est bien le plat amer et malodorant qui est préparé aux Nigériens. Pour l’heure, ce jour mardi 11 août, en milieu d’après midi, le sens de l’ordre et du point de principe apparut brusquement dans la personne du régisseur de la prison de Koutou Kalé, qui déclara aux FNIS ne pas pouvoir prendre un prisonnier sans ordre écrit (mandat de dépôt) du juge. Waw !

Retour du coup des 4X4 à Niamey, attente encore. Puis les FNIS sont contactés par la nébuleuse autoritaire, avec ordre de retourner à Koutou Kalé, le régisseur ayant, semble-t-il, été dûment chapitré. Néanmoins, lorsque les 4X4 reviennent à la « Maison », le régisseur s’étonne qu’ils n’aient toujours pas de papier, et refuse derechef de prendre livraison du paquet. Re-waw!

Alors, encore, retour à Niamey où, à 22h, à la prison civil, un Morou éreinté signe le document de levée d’écrou miraculeusement retrouvé, et peut appeler un de ses amis pour venir le prendre à la sortie de cet établissement. Sauf que ce qui l’attendait dehors, c’était cette fois un véhicule de la Police Judiciaire, avec ordre d’embarquement et d’interrogatoire. Morou fait remarquer à l’inspecteur de police que 22h n’était pas, à sa connaissance, une heure légale d’arrestation, mais l’agent lui rétorque qu’il avait reçu des ordres fermes et le supplie de ne pas lui compliquer la tâche. Morou se laisse donc embarquer. Néanmoins, devant son évident état d’épuisement physique, l’inspecteur de police (encore une de ces surprenantes îles d’humanité dans un océan de barbarie) juge plus prudent de surseoir à l’interrogatoire, et décide de faire examiner Morou par un médecin. Le médecin appelé à cet effet prescrit des calmants et un repos complet, et Morou peut enfin voir la fin d’un interminable Golgotha. Au moins pour ce jour là…

Le lendemain, en effet, on lui annonce (surprise !) un nouveau chef d’accusation assez pittoresque, et fleurant bon la mauvaise foi confite : « administration d’organisation non reconnue ». Voilà bien, en effet, de quoi mobiliser la PJ, mettre des FNIS en branle et enfermer quelqu’un dans une prison de haute sécurité. Il nous avait échappé que le FUSAD était une organisation terroriste, ou peut-être une association de malfaiteurs ? Non, dites-vous, il s’agit d’une simple association de défense des droits humains ? Mince alors ! Je ne savais pas que la défense des droits humains était chose si atroce. Ah oui ! Nous sommes en « 6ème République », j’oubliais. Les droits humains n’y ont pas cour, passez votre chemin.

Pour en revenir à notre ami Morou, il passe donc la journée à la PJ, en attendant de comparaître une nouvelle fois au tribunal. Cette fois, cependant, le coup est mieux préparé. Le doyen des juges (poste politique) en personne va entendre le jeune activiste, et décide d’ouvrir une « enquête judiciaire », procédure qui permet de détenir une personne un certain temps de la façon la plus formellement légale sans rendre justice (c’est ainsi, me dit-on en tout cas). Il faut noter que l’audience au tribunal étant prévue à 9h, une foule considérable se rassembla devant le palais de justice pour assister au procès (Vive Niamey !). Afin de la décourager, l’heure d’arrivée de Morou fut reculée d’heure en heure jusqu’à 17h ! Néanmoins, à 17h encore il y avait foule (Ouais, décidément : vive Niamey !), et lorsque Morou descendit du véhicule de police, il répondit aux acclamations par des slogans anti-dictature clamés haut et fort. On a pu remarquer que les deux fameuses 4X4 des FNIS étaient déjà présentes sur les lieux, comme des molosses à l’attente. Signe patent que, la décision étant déjà prise à l’avance, le procès était une simple formalité. Le juge fit donc semblant d’entendre Morou et ses avocats puis ordonna son transfert à Koutou Kalé en attendant un « complément d’enquête ». Les FNIS purent repartir avec enfin ce fameux mandat de dépôt.

Le juge avait signifié à Morou qu’il devait de nouveau comparaître le 21 août. Ce jour venu donc, une grosse foule s’était de nouveau rassemblée devant le palais de justice de Niamey – à la grande fureur de la nébuleuse autoritaire. Alors, alors qu’arriva-t-il ? Eh bien, voici M. le juge qui prend sa bagnole et hop ! se rend à Koutou Kalé pour entendre Morou dans sa prison. C’est tout de même sensationnel ! Morou Amadou, grain de sable dans le moteur du rouleau compresseur de la dictature : c’est manifeste.

Ceux qui l’ont vu m’écrivent qu’il est bien traité. Il n’a pas été mis en guérite. Les prisonniers et les gardes de la prison le respectent. Ces derniers accueillent même de façon très hospitalière ses visiteurs. Certes, il n’a pas droit au traitement de prestige réservé à Hama Amadou en son temps, mais son sort n’est pas comparable à celui d’un autre prisonnier politique moins connu, et arrêté dans des circonstances similaires, Elhadj Alassane Karfi, militant du PNDS, qui a subi des traitements abusifs et dégradants dans sa geôle.

Chaque jour qui passe rend Morou plus populaire à Niamey. Les échos me rapportent qu’il n’est bruit que de lui au Grand Marché, et avant son arrestation, des villageois venaient de la campagne pour le saluer et le remercier de sa bravoure. A l’ambassade de France – dont une bonne partie du personnel n’approuve pas le soutien apporté par Nicolas Sarkozy à la dictature nigérienne, sans oser le faire savoir publiquement – on trouve des affiches « Libérez Morou ». En dehors du régime, les seuls adversaires qu’il rencontre sont des intellectuels nigériens qui, avec la mesquinerie qui caractérise souvent cette classe dans les petits pays d’Afrique, le jalousent et supposent qu’il « fait tout cela » pour un « poste international » ou des « gros sous ». J’ai bien envie de dire « Et même ? Et alors ? Ce sont les résultats qui comptent ! » En tout cas, c’est bien cet état d’esprit, cette absence de principes et de générosité au niveau de ceux qui pensent être « l’élite », qui expliquent la faiblesse de la résistance nigérienne à la dictature, et risquent de prolonger outre-mesure les épreuves du Niger.

M. Komé, mâchant sa kola en Kourmi.

Libération-Niger 2009

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