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Se syndiquer avec les IWW: « Si nous pouvons le faire à Starbucks, nous pouvons le faire partout »

Anonyme, Thursday, May 14, 2009 - 11:02

IWW-Montréal

Quand Bank of America a tenu une conférence téléphonique pour organiser la contestation du Employee Free Choice Act, un projet de loi jugé comme favorable aux syndicats, un des cadres présents a lancé la formule: « le problème Starbucks ».

Son inquiétude ? Les travailleurs et travailleuses pourraient bien suivre l'exemple des baristas de Starbucks et former leurs propres organisations sans attendre après les grands syndicats traditionnels. Durant les cinq dernières années, le syndicat des travailleurs et travailleuses de Starbucks (SWU: Starbucks Workers Union), membre des IWW, a réussi à s'implanter dans plusieurs villes américaines, gagnant ainsi des centaines de membres. Au départ présent dans une seule succursale à Manhattan, le syndicat est maintenant présent un peu partout à New-York, mais aussi à Minneapolis-St-Paul, Grand Rapids, Chicago et ailleurs.

Le SWU est en train de faire une percée chez un type de main-d'oeuvre – les travailleurs et travailleuses du commerce à bas salaires – que plusieurs syndicats bureaucratiques considèrent comme trop difficile à organiser. De fait, aux USA, les employé-e-s du commerce ne sont syndiqué-e-s que dans une proportion de 5%.

Depuis sa formation, le SWU a gagné une série de jugements importants, accordant une protection minimale à ses militant-e-s contre les congédiements et les pratiques abusives de la direction envers le syndicat, tout en arrachant des gains pour les travailleurs et travailleuses, les « baristas ». Considérant la situation économique et politique difficile pour les travailleurs et travailleuses d'aujourd'hui, l'exemple d'un syndicat qui inquiète les cadres d'une des grandes banques américaines mérite certainement un peu d'attention.

Starbucks aime bien se présenter comme un compagnie « socialement responsable ». En réalité, les baristas de Starbucks font face aux même problèmes que vivent les autres travailleurs et travailleuses du secteur commercial: heures variables et imprévisibles, absence de plan d'assurance santé(1), bas salaires et peu ou pas de sécurité d'emploi.

« Le coeur du problème se résume à ceci: Starbucks achète du travail de la même manière qu'il achète des fèves de café ou des verres de carton. », déclare Erik Forman, qui travaille au Mall of America, près de Minneapolis.

Un des enjeux majeurs est la gestion des heures de travail. Si les baristas veulent travailler à « temps plein », soit plus de 32 heures par semaine, ils doivent être disponibles jusqu'à 70 heures par semaine. « Starbucks utilise un logiciel de gestion automatique des horaires pour déterminer les heures de travail et les horaires de chacun », poursuit Forman. « Quand le système projette un ralentissement des ventes une journée ou une semaine particulière, alors les baristas perdent des heures de travail. »

Les salaires et les avantages sociaux causent aussi des problèmes. Dans la région de Minneapolis, les salaires de départ, de 6,50$ à 7,50$, sont tout juste plus élevés que le salaire horaire minimum de l'État du Minnesota, qui est de 6,15$. Les augmentations salariales ne suivent généralement pas celle du coût de la vie, et il en résulte que les travailleurs voient leurs revenus réels diminuer d'année en année. Et même si Starbucks se vante publiquement d'offrir une couverture santé, la compagnie est moins pressée de s'assurer que ses employé-es soient effectivement couverts. Moins de 42% des employé-e-s de Starbucks sont couverts par son plan d'assurances, un taux plus bas que celui de Wal-Mart.

« Il faut travailleur un minimum de 20 heures par semaine pour se qualifier », nous dit Forman. « Avec les importantes fluctuations dans les horaires et les heures travaillées, les travailleuses, les travailleurs et leurs familles perdent souvent – à coups de six mois - leur couverture médicale. »

Le mécontentement face aux salaires et conditions de travail chez Starbucks préparé le terrain pour un effort d'organisation. En mai 2004, les travailleuses et les travailleurs d'un Starbucks de Manhattan ont fondé le SWU.

Dès le début, la compagnie a tout fait pour écraser le syndicat. « Nous voulions négocier avec Starbucks de nos sérieuses préoccupations », se souvient Forman. «  Mais plutôt que de s'assoir à la table avec nous, le patron a préféré engager des consultants antisyndicaux et confier les relations publiques à Edelman, la plus grande société de relations publiques du monde. Le mandat de Edelman était de construire une image de responsabilité sociale à Starbucks»

Au début, les travailleurs et travailleuses ont demandé au NLRB(2) d'organiser une élection pour la reconnaissance du syndicat. Mais Starbucks a manoeuvré et « utilisé ses contacts politiques pour que soient inclus dans le vote de reconnaissance non seulement la succursale pro-syndicale, mais toutes les succursales de Manhattan. », raconte Forman.

Les travailleurs ont réalisé alors qu'ils ne pourraient pas gagner ce vote, et ont tenté une tactique différente. Incapables de se syndiquer par la voie traditionnelle d'une élection encadrée par le NLRB, ils se sont tournés vers une tradition plus radicale: se battre pour de meilleurs salaires, avantages sociaux et conditions de travail, et recruter des baristas même sans la reconnaissance officielle du NLRB.

Comme l'explique Forman:
« Nous avons décidés de revenir aux tactiques de base du mouvement ouvrier. Les travailleurs et travailleuses ont organisé des syndicats bien avant 1935 – date de création du NLRB – et bien avant d'avoir le droit de se s'organiser. En développant un modèle d'organisation qui fonctionne pour l'industrie des services, nous sommes revenus aux racines du syndicalisme, en optant pour une stratégie qui donne à l'action directe une place centrale. Nous avons été capables de grandir parce que nous avons fait ce que les syndicats d'affaires considèrent impensable: nous avons mis l'organisation entièrement dans les mains des baristas à la base. »

Forman nous a expliqué que le SWU met l'emphase sur ce qu'il appelle le « syndicalisme solidaire », basé sur l'idée que « les travailleurs et les travailleuses sont les plus forts là où les patrons ont le plus besoin d'eux: sur les lieux de travail. Notre pouvoir provient de notre capacité à refuser de travailler, ou à déranger le processus de production de d'autres manières. »

L'été passé, au Mall of America, les employé-es ont confronté les patrons au sujet de la chaleur insupportable dans la succursale. Erik Forman nous décrit l'incident:
« Nous nous plaignions de la chaleur depuis des années, mais la direction refusait de nous acheter un ventilateur ou d'installer l'air climatisé parce que c'était trop cher, alors que le magasin avait un chiffre d'affaires de 30 000$ par semaine.
Un matin, quatre de mes collègues sont allés dans le bureau du patron et lui ont lancé un ultimatum. Il a refusé... Alors mes quatres collègues ont quittés le travail, sont entrés dans une auto et sont allés dans un grand magasin, laissant le patron opérer seul le café. Il était livide.
Vingt minutes plus tard, mes collègues sont revenus avec un ventilateur à 14$. Ils l'ont branché, ont écrit dessus: « Offert par les IWW » et y ont collé le chat Sabocat, le logo des IWW.
La direction avait alors deux choix: ou retirer le ventilateur, et passer pour de vrais trou-du-cul, ou bien le laisser où il était, comme un monument érigé à leur propre négligence. Ils ont fait la bonne chose. Deux jours plus tard, le gérant du district est arrivé avec un ventilateur industriel à 150$. Deux semaines plus tard, ils ont commencé à installer l'air climatisé. Ça, c'est le pouvoir de l'action directe. Un jour, on trouve que 40$ c'est trop cher pour que la température du café respecte les normes de santé publique, et la semaine suivante, la direction dépense 10 000$ pour garder leurs employé-es heureux. »

De la même manière, en août 2008, une syndiquée et mère monoparentale du Bronx, Anna Hurst, a été victime d'un coup de chaleur au travail, dans un Starbucks de New-York, et a été retirée contre son gré de l'horaire de travail pour deux semaines. En réponse, une douzaine de baristas ont manifesté dans la succursale durant les heures de fort achalandage, demandant qu'elle soit indemnisée.

Forman se souvient d'un autre cas au Mall of America où l'action directe au travail a rapidement débouché sur une victoire:
« Une de nos collègues n'avait pas été payée depuis un mois à cause d'une erreur bureaucratique. Quand nous avons su ce qui se passait, nous avons décidé d'arrêter immédiatement de travailler et avons demandé que notre collègue reçoive son chèque. Pendant environ dix minutes, nous avons dit aux clients que nous étions en grève et nous les avons envoyé ailleurs pour leur café. Nous avons appelé le gérant de district pour nous plaindre. Il est venu au café plus tard dans l'après-midi et a fait un chèque à notre collègue. Nous avions gagné. »

En plus de dénoncer les abus de la direction au travail, le SWU a organisé des piquets et des rassemblements pour attirer l'attention sur le syndicat et le combat des travailleurs et travailleuses contre la direction.

« Depuis 2004, nous avons fait des progrès réels », de dire Forman. « Après des mois de pression venant du syndicat, Starbucks a concédé une augmentation de salaire pour les baristas de la région métropolitaine de New-York en 2006. Nous avons mené de nombreux combats sur des enjeux comme la santé-sécurité au travail, la discrimination, et les traitements injustes dont étaient victimes les travailleuses et les travailleurs. Malgré la campagne antisyndicale nationale de Starbucks, le syndicat continue à faire des flammèches. »

Des rapports gouvernementaux montrent que Starbucks a espionné des syndiqué-e-s (même après les heures de travail), et fait transférer des employé-e-s pour diminuer le ratio de travailleurs et travailleuses favorables au syndicat. À New York, la compagnie a été trouvée coupable de presque 30 violations aux lois du travail, incluant des interrogatoires et des congédiements abusifs de membres du syndicat.

Comme l'explique Forman, le SWU « a eu a se battre bec et ongles pour le droit d'exister en tant que syndicat chez Starbucks. » Starbucks a déjà été obligé de prendre quatre arrangements hors-cours avec le NLRB par rapport à ses violations du droit des travailleurs à l'organisation. Starbucks a donc été obligé de réembaucher des employé-e-s, de payer des dommages et de faire des arrangements avec le syndicat – par exemple, de permettre aux baristas de porter le macaron syndical au travail. La compagnie fait aussi face à des poursuites exceptionnelles du NLRB à New-York, Minneapolis, Chicago et Grand Rapids, Michigan.

Erik Forman lui-même a été congédié pour activités syndicales en juillet passé. Le jour suivant son congédiement, les travailleurs et travailleuses de sa succursale ont fait une manifestation de protestation, et plus de 50 baristas de Minneapolis ont signé une pétition réclamant sa réembauche. En moins d'un mois, il a été réembauché et a été compensé pour son salaire perdu.

Malgré tout, la direction continue de cibler les militants du SWU. « Récemment, le barista IWW Joe Tessone a tenté de confronter le PDG Howard Schultz au sujet du traitement réservé aux employé-e-s », nous dit Forman. « Deux semaines plus tard, il a été renvoyé sur des bases spécieuses. »

Confronté à ce niveau de harcèlement, les baristas de Starbucks ont mis la solidarité internationale au centre de leur campagne, et ont organisé un jour global d'action contre Starbucks le 5 juillet dernier. Ce jour là, des travailleurs et travailleuses Français-es ont effectué un sit-in à Paris. Forman souligne que:
«Starbucks est une entreprise globale, alors nous devons être un syndicat global. En plus de nos campagnes de solidarité au travail, nous faisons des efforts pour construire des liens avec les fermiers qui cultivent le café via notre initiative Justice, des grains à la tasse. Nous avons envoyé en Éthiopie Sarah Bender, une travailleuse de New-York, pour assister à une réunion avec des cultivateurs de café qui demandaient à Starbucks un prix décent pour leurs fèves. »

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Même si Starbucks demeure rentable, la compagnie utilise la crise économique comme prétexte pour tirer plus de jus des ses employé-e-s. La direction ferme des succursales et coupe des heures, mais sans alléger la charge de travail. En réponse, les travailleurs et travailleuses de Starbucks ont organisé des piquets contre les congédiements et les fermetures, contre l'absence d'indemnités de licenciement et contre l'accélération des cadences de travail.

« Ce qui vient à l'esprit, c'est le récent livre de Naomie Klein, La stratégie du choc. », nous dit Forman. « Même si les profits de Starbucks ont plongé, la compagnie demeure très profitable, déclarant plus de 300 millions de profits l'an passé seulement. Malgré cela, Starbucks utilise le langage de la crise pour pousser son agenda anti-travailleur. »

Forman dit que la compagnie met une forte pression sur ses employé-e-s:
« Premièrement, ils n'ont pas augmenté le salaire de base depuis presque trois ans. Deuxièmement, ils font de nouvelles demandes pour flexibiliser les horaires de façon « optimale », congédiant des milliers de baristas tout en forçant ceux qui restent à être disponibles jusqu'à 80 heures par semaine.
Par-dessus le marché, ils font marcher les succursales avec encore moins de personnel qu'auparavant, nous laissant nous démerder pour que le travail soit fait. Et bien sûr, depuis l'été dernier, ils ferment des magasins, congédiant les travailleurs et travailleuses qui ont rendu possibles les profits de la dernière décennie. »

Liberte Locke, une barista de New-York, a confié sensiblement la même chose au journal La Grande Époque: « Dans ma succursale, les congédiements ont été ciblés envers les employé-e-s qui avaient le plus d'ancienneté », dit-elle. « Ils n'ont reçu aucun avertissement ni préavis, Starbucks ne les laissaient même pas finir leur quart de travail, et ils ne recevaient pas de paye de licenciement. »

La compagnie a l'argent pour éviter ces coupures. Ainsi, quand Starbucks a récemment acheté un avion corporatif de $45 millions, le SWU a expliqué que cet argent « aurait pu fournir 5 millions d'heures de travail additionnelles à des employé-es ayant besoin de travailler, ou bien cotiser pour son insuffisant plan de retraite pour trois ans.»

Étant donné l'importance des attaques de Starbucks et son attitude très antisyndicale, les gains du SWU sont impressionnants. Ils nous montrent comment l'étincelle du renouveau syndical pourrait venir de l'extérieur des syndicats traditionnels. D'autres exemples apparaissent, comme la grève de deux semaines des travailleuses et des travailleurs non-syndiqués de la fabrique de savon de Cygnus, à Chicago en 2007, et la récente occupation de Republic Windows and Doors, encore à Chicago en décembre 2008, par le syndicat indépendant UEW.

De leur côté, les militants du SWU se voient comme partie prenante de la tradition du syndicalisme militant, dont les IWW ont toujours été les champions aux USA depuis leur fondation en 1905.

« Il y a un lien direct entre la vision révolutionnaire des IWW et la dynamique quotidienne du syndicalisme solidaire de la campagne Starbucks », nous dit Forman. « Notre message aux travailleuses et aux travailleurs est le suivant: si nous pouvons le faire chez Starbucks, nous pouvons le faire partout. C'est possible de s'organiser, même chez Starbucks, même au Mall of America. »

Notes
(1)Aux USA, la couverture médicale publique est très faible, ce qui explique l'extrême importance de ce sujet pour les travailleurs.
(2)Le National Labor Relation Board est un organisme d'État et un tribunal administratif qui encadre l'application du droit syndical au USA. Le NLRB a entre autres la responsabilité de reconnaître la représentativité syndicale quand l'employeur refuse la reconnaissance au syndicat. Aux USA, cette reconnaissance légale passe nécessairement par des élections, ce que le Employee Free Choice Act mentionné au début de l'article viendrait changer pour un simple contrôle des cartes signées, comme c'est la pratique au Québec.

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