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Un retour (tardif!) sur la manifestation du 15 mars 2009

Eric Smith, Friday, April 17, 2009 - 19:32

Le Drapeau rouge-express

L’article suivant, qui revient sur la manifestation contre la brutalité policière qui a eu lieu le 15 mars dernier à Montréal, n’a pu être publié dans le dernier numéro du journal Le Drapeau rouge (n° 81, avril 2009, où il devait accompagner l’article intitulé «La police veut définir les règles de droit», que l’on retrouve en page 5), faute d’espace. Pour obtenir un exemplaire du Drapeau rouge ou s’y abonner, il suffit d’écrire à info (at) pcr-rcp.ca, de laisser un message au 514 409-2444 ou mieux encore, de visiter la Maison NORMAN BETHUNE, située au 1918, rue Frontenac, à Montréal.

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Les médias bourgeois s’en sont donné à cœur joie à la suite de la manifestation contre la répression policière tenue le 15 mars dernier à Montréal. Ils ont allègrement relayé les «spins» du service de presse du Service de police de la Ville de Montréal (le SPVM). Ils ont dit que la manifestation était désorganisée. La police a-t-elle laissé la chance aux manifestantEs et au Collectif opposé à la brutalité policière (COBP) de faire le trajet qu’ils et elles voulaient faire? Ils ont dit que les manifestantEs n’étaient que des «casseurs». Est-ce le cas? S’il y en avait, qui sont-ils et elles? Et que voulait-on dénoncer?

Les médias bourgeois ont même réussi à semer la confusion chez les militantEs. CertainEs en sont même venuEs à remettre en question la tenue même de cette manifestation, qui fait main¬tenant partie de la tradition militante. De jeunes pauvres attendent avec raison ce moment pour protester contre la police qui, constamment, durant toute l’année, les harcèle sous divers prétextes fallacieux.

Les manifestantEs ont été présentéEs comme des casseurs qui voulaient tout péter sans aucun point de vue politique. À vrai dire, ils et elles ont un point de vue; c’est celui des pauvres qui sont écœuréEs du système et de son bras armé. Il semble aussi qu’il y a une certaine fraction de la population, privilégiée ou heureuse de son sort, qui ne veut pas voir cette contestation. Dans un cas, ça se comprend, il faut protéger ses privilèges. Dans l’autre, cette fraction de la population est acquise ou soumise à l’idéologie dominante et le discours des médias est donc accueilli sans questionnement.

Mais il y a aussi une fraction de la population, pas nécessairement fermée à la révolte, qui a eu une image déformée de la manifestation. C’est sûr que des mensonges à répétition, ça sème la confusion. Il y en a même qui tirent profit de toute cette confusion pour dérouter idéologiquement les manifestantEs, comme c’est le cas du vulgaire «Parti communiste du Québec» qui a rapidement remis en question le bien-fondé de la manifestation.

À vrai dire, toute cette propagande mensongère participait d’une même répression entreprise par l’État bourgeois et ses institutions. La manifestation du 15 mars, il faut le réaffirmer, était légitime, elle l’est encore et elle le restera. Ce que la bourgeoisie veut, c’est qu’on ne remette pas en cause sa domination. Elle veut nous dénier le droit de manifester sur des bases indépendantes. Elle favorise un dialogue biaisé, organisé de telle sorte que seuls son point de vue bourgeois et son cadre légal à elle, soient respectés. La colère des masses, elle, la bourgeoisie et son État doivent l’étouffer ou la dévoyer.

La manifestation, telle qu’elle était

N’importe quel témoin sensé et sur place aurait pu remarquer qu’au lieu de rassemblement prévu au métro Mont-Royal, la présence policière était omniprésente. On ne pouvait pas manquer l’escouade anti-émeute déguisée et rien de moins que la cavalerie, avec ses chevaux et les odeurs qui viennent avec. Le lieu de rassemblement était encerclé. C’était hautement intimidant. On parle d’une présence de 500 policiers pour plus d’un millier de manifestantEs.

Que voulait faire la police par ce déploiement exagéré? À l’évidence, elle voulait donner l’impression qu’une émeute s’en venait et qu’elle allait l’empêcher. Il est vrai que durant la semaine qui a précédé la manifestation, le SPVM n’a pas cessé de dire qu’il allait y avoir une émeute. Annoncer l’émeute à l’avance pouvait revenir à mobiliser des gens qui effectivement en avaient gros contre le système et qui voulaient que ça brasse. En fait, le nombre de manifestantEs lors de cette journée était un des plus importants, sinon le plus important depuis que cette manifestation existe. Jamais la police n’a dit qu’elle allait prendre les moyens pour éviter une émeute.

Alors que la manifestation devait se diriger vers les bureaux de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, les forces de l’«ordre» ont empêché que la marche suive l’itinéraire initialement prévu. Au contraire, la police a décidé que les manifestantEs allaient prendre la rue Saint-Denis et se diriger vers le centre-ville. La police bloquait d’ailleurs tous les accès, sauf celui de la rue Saint-Denis en direction du centre-ville.

À la hauteur de la rue Sherbrooke, la police a lancé au moins deux salves de gaz lacrymogène. Habituellement, de telles salves sont utilisées pour protéger une cible et créer un espace-tampon entre les manifestantEs et la police qui protège une cible. Les gaz lacrymogènes ont rarement un effet dissuasif; même qu’ils provoquent plus de colère chez les manifestantEs. À ce moment-là, la manifestation s’est divisée en divers groupes. Le principal contingent s’est dirigé vers l’ouest en empruntant la rue Sherbrooke et s’est retrouvé un peu plus tard près de la Place des Arts. La police venait de provoquer la colère des manifestantEs, non seulement en les empêchant de suivre le plan de match convenu initialement, mais aussi, en les gazant sans raison.

Après cela, il est facile pour la police de dire que la manifestation était improvisée; le COBP n’a pas été en mesure de suivre l’itinéraire prévu. La police peut bien dire que chaque manif du COBP finit en violence. C’est sûr qu’en provoquant les manifestantEs après avoir mobilisé des gens qui souhaitaient que cela pète, elle doit s’attendre à ce que ça brasse. On sait aussi qu’elle a ses agents provocateurs qui vont chercher à attaquer n’importe quoi pour accroître l’aspect apparemment «discréditant» de la violence spontanée.

Mais cette histoire des manifs du COBP qui finissent toujours violemment est un mythe. Rappelons la manif de 2002, où 376 manifestantEs avaient été arrêtéEs. AucunE de ces manifestantEs n’a été trouvéE coupable de quoi que ce soit. Par ailleurs, à part quelques images spectaculaires dans les médias-poubelles, la supposée casse lors de cette manifestation est plutôt limitée.

Des actes de contestation

En admettant que certains actes aient pu affecter la sensibilité de quelques personnes embourgeoisées, doit-on en faire une condamnation morale? En réalité, il faut chercher la base de ces actes. Ils ne résultent pas d’un désir maladif de tout péter; ils sont l’expression d’une colère d’une fraction de la population qui subit une agression policière à répétition.

Les jeunes de la rue, les itinérantEs, les jeunes des quartiers à forte concentration ethnique, les pauvres, les travailleurs et travailleuses du sexe, les gens qui ont des problèmes de santé mentale, etc. sont les principales victimes d’une répression constante de la police. Que le 15 mars devienne un moment pour exprimer en bande ses frustrations derrière l’anonymat d’une foule, c’est tant mieux pour ces gens que les médias n’écoutent jamais et méprisent. Que leur parole s’exprime par le prisme d’une colère de masse, c’est un fait social.

La brutalité policière contre certains secteurs de la population est aussi un fait social. Tout comme l’aveuglement volontaire ou involontaire d’autres secteurs de la population quant à cette brutalité policière. Sur chaque phénomène, on réfléchit en fonction d’un point de vue de classe conséquent ou non, emprunté ou non. La réalité est que la manifestation du 15 mars est devenue un acte de résistance face à cette oppression.

L’image montrée par les médias bourgeois est tout à l’inverse. On insiste sur tous les points négatifs qui font mal paraître les manifestantEs. Par exemple, on parle à satiété de ce commerce de matelas attaqué. On montre aussi cette voiture attaquée. L’aspect inorganisé de la manifestation, pourtant provoqué par la police, est aussi mis en évidence. Tactiquement, des militantEs ou des gens sympathiques parmi la population pourraient amener des critiques sur cela. Par contre, la bourgeoisie, par le biais de ses médias-poubelles, en vient à présenter cela comme relevant d’un mauvais choix stratégique des organisateurs et organisatrices, ce qui invaliderait la tenue de la manif dans son ensemble.

Le fond de la question est qu’il y a de la brutalité policière. L’assassinat de Fredy Villanueva, qu’est-ce donc? Le profilage social et ethnique, ça existe. La manifestation, stratégiquement, a sa raison d’être. La remettre en question, sur la base d’éléments tactiques, revient à faire le jeu de l’ennemi de classe, à répandre son point de vue parmi nos rangs.

Parmi celles et ceux qui font des critiques sur nos choix tactiques, il y en a beaucoup qui ont encore des illusions sur le rôle de la police dans une société de classe. Ils et elles peuvent penser qu’une police plus démocratique qui n’utiliserait jamais la brutalité policière est quelque chose de possible sous le capitalisme. La police est justement là pour protéger les privilèges de la classe dominante ainsi qu’un certain statu quo qui contente pour le moment une partie importante de la population.

Cela dit, avec l’exacerbation des contradictions du capitalisme qui commence à se manifester avec la crise actuelle, on va en voir de plus en plus de travailleurs et travailleuses en chômage qui vont contester. On va en voir des travailleurs et travailleuses qui vont résister aux coupures des capitalistes. On va en voir du monde qui va contester en masse. La police va encore réprimer. Elle sera peut-être même plus brutale qu’elle ne l’est aujourd’hui. Dans ce contexte où la contestation va se généraliser, les médias-mensonges ne pourront pas trouver le même accueil parmi le même éventail de la population.

Historiquement, ceux et celles qui participaient aux manifs du COBP étaient les jeunes de la rue qui, l’année durant, se faisaient constamment coller des tickets ou du moins, se faisaient harceler. Avec la crise croissante, la multiplication des pertes d’emploi, qu’est-ce qui va arriver aux jeunes en mesure de travailler, mais ne pouvant pas le faire? Il y en a beaucoup qui vont rejoindre la rue et la marginalité. Leur colère va s’accroître, sa masse critique aussi. Les prochaines manifestations du COBP risquent d’être beaucoup plus explosives. C’est le capitalisme qui le fera ainsi.

Il appartiendra aux organisateurs et organisatrices de la manifestation de faire en sorte que la police ne la désorganise pas au départ, en montrant clairement à l’ensemble des manifestantes, mais aussi à l’ensemble de la population la nécessité politique de la manifestation et l’aspect fondamentalement réactionnaire de la police dans le capitalisme d’aujourd’hui. Cela est vrai pour toutes les manifestations qui confrontent le cours actuel des choses. Il s’agit d’un grand défi pour nous. Malgré cela, on doit aller de l’avant et imposer nos traditions de lutte. Dans le contexte actuel, la simple tenue d’un 15 mars est une victoire politique.

- Un correspondant du Drapeau rouge

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Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 209, le 18 avril 2009.
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