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Gaza, blocus : guetto ou abomination ?

romain guer, Thursday, January 8, 2009 - 12:00

Romain Guer

Souviens-toi cette citation d’un éminent savant Juif : « Si nous nous révélons incapables de parvenir à une cohabitation ou à des accords honnêtes avec les Arabes de Palestine, alors nous n’aurons strictement rien appris pendant nos deux mille années de souffrances et nous mériterons tout ce qui nous arrivera... ».

GAZA, BLOCUS, GUETTO OU ABOMINATION ?

L’entends-tu ? Entends-tu ce chant lointain qui bourdonne sans cesse autour de moi, tantôt obsédant tantôt harceleur, tantôt charmeur ? Cet hymne soviétique chanté par le chœur de l’Armée Rouge, où l’ai-je entendu d’ailleurs la première fois. Il s’approche et s’éloigne comme une vague perpétuelle échappée de l’océan, dans le silence feutré de la nuit.

Les paroles de cet hymne me sont pourtant inconnues et incompréhensibles, mais son aria tend à se confondre en une complainte me rappelant douloureusement l’effroi, le supplice, l’agonie de ces millions de gens, en Europe, en Ukraine, en Russie et ailleurs, tombés sous le feu barbare d’une soldatesque criminelle pour qui l’humanité, et en particulier le Peuple Juif, n’est que vermine à exterminer ou espèce non-humaine à éradiquer…

Souviens-toi, toi le descendant d’un Peuple maudit par les hommes, du Peuple apatride de Moïse affligé en errance avec abnégation à travers presque toutes les contrées du Monde, courbant l’échine sous les brimades et les invectives les plus virulentes, les plus saugrenues, acceptant son sort après la destruction du Temple de Jérusalem.

Souviens-toi comment les hommes s’autorisaient de mal aimer ou même haïr ton Peuple, sans examiner ni comprendre son histoire ou sa civilisation, ses croyances et ses traditions, ses us et coutumes, ses aspirations sociales et politiques ; sans analyser objectivement ses erreurs et ses fautes, ses différences et ses défauts, ses particularismes et ses transformations ? Le jugement hâtif sur ton Peuple mena conséquemment à l’intolérance, au rejet, au racisme et au crime abominable !

Souviens-toi, lorsque tu imaginais Jérusalem la Sainte, les montagnes mystérieuses et enchanteresses de Judée, la mystique et paisible Galilée, les nuits bleutées et le chant des vagues de la Méditerranée, un sentiment nostalgique t’ensorcelait et t’attristait.

As-tu oublié que la noble et patiente destinée du Peuple Juif ne devait jamais justifier l’emploi des armes ou le choix de la contrainte pour la conquête, ou pire, la colonisation de territoires hostiles à son implantation... Le lourd fardeau de son ancestrale souffrance ne se partage pas, ne se lègue pas !

A présent, ton Peuple est réuni en une Nation moderne et puissante, sur cette terre que tu aimes appeler Israël. Ce sont les abondantes larmes de sang de ton Peuple et le remord de ses anciens bourreaux occidentaux qui t’ont légué ce pays où tu as grandi, où tu vis dans l’aisance et la jouissance.

Pour une existence paisible et sereine, ton pays Israël devait se bâtir sur l’amitié, le respect, l’échange, la considération réciproque et la négociation honnête avec les Arabes. Il fût essentiel de ne point permettre à l’hostilité, à l’effroi et à la démence de creuser le lit du fleuve de l’adversité perpétuelle, de la rébellion spasmodique et de la division irréversible.

Construire une identité juive basée sur la menace arabe, sur la haine et la peur de l’autre, sur le mépris et le cynisme, c’est détruire l’âme juive ! Prospérer dans cet Etat par les armes et le feu, vouloir inonder cette terre biblique de sang et de larmes, dominer un autre peuple en lui prescrivant presque les mêmes souffrances que le Peuple Juif avait subi, c’est désintégrer l’âme des descendants d’Abraham ! Confisquer, par le péril et l’intimidation, des territoires que tes ancêtres ont abandonné depuis près de deux mille ans, qui appartiennent à présent à un autre peuple, chassant tes frères et tes cousins, c’est offenser HaShem !

Souviens-toi cette citation d’un éminent savant Juif : « Si nous nous révélons incapables de parvenir à une cohabitation ou à des accords honnêtes avec les Arabes de Palestine, alors nous n’aurons strictement rien appris pendant nos deux mille années de souffrances et nous mériterons tout ce qui nous arrivera... ».

Mais voilà, ma vie s’est éteinte au soir du 5 janvier 2008 tout près de la ville martyre de Gaza, une bourgade de Palestine. Un obus meurtrier, tiré lâchement par un char blindé de Tsahal, a eu raison de mon corps rendu inerte à tout jamais, détruisant par là même ma pauvre maison.

Ma destinée dans la privance du monde des humains n’aura duré que vingt-huit ans. J’espérais devenir un jour grand-père, en bon patriarche palestinien qui d’une main nonchalante caresserait sa barbe blanche. Entouré de sa femme mais aussi de ses filles dévouées, attentionnées et affairées autour de la meïda, il regarderait avec tendresse ses petits-enfants, des bambins impatients piaillant et turbulents.

Par mon être, ma vie fut d’une brièveté inattendue. Prisonnier d’une pensée dogmatique, la mort m’a toujours fascinée par la frayeur intense qu’elle m’inspirait. Anxieux de perdre ma foi à l’heure de la mort, la peur de la douleur au déracinement de la vie, la honte de mourir tel un échec à mon orgueil ; l’ignorance dans la façon de mourir et la solitude dans les ténèbres asphyxiantes de la tombe. Fatalement seul sans amis, sans souvenirs, sans les êtres drapés de mon affection, de mon amour. Craintif sur le mystère enserrant le devenir après la mort. Angoissé enfin et surtout par le départ sans sursis du monde "des vivants“, sans billet de retour et sans avoir pris le temps ni la permission d’exprimer mes adieux.

Passée l’étreinte de mon agonie, j’expirais mon dernier souffle lorsque mon âme se détachât de mon corps ensanglanté, baignant à même le sol dans une immense flaque écarlate et visqueuse. Mon front reposait sur le pied déchaussé d’Aïcha, l’unique tendre et passionnel amour de ma vie.
Elle aussi gisait dans son sang, inerte et à moitié nue, sa robe en lambeaux. Ses cheveux bruns ébouriffés laissaient apparaître une partie de son visage, complètement tuméfié par les éclats de l’obus lancé contre nous par la sauvagerie de nos assassins. Marouane et Yassine, mes deux fils, déchiquetés, ensanglantés et sans vie, n’auront pas la chance d’atteindre leur dixième anniversaire.

Un bref instant, élevée par-dessus nos corps meurtris, mon âme couvait du regard cette scène morbide, pleine de tristesse mais tellement émouvante et attendrissante dans notre ténébreux malheur.

Vois-tu, alors enfant encore, je fus convaincu que chacun de nous possédait un génie protecteur, que de part et d’autre de nos épaules se tenaient deux ou plusieurs anges. Des anges invisibles que je supposais d’aspect humain venus d’on ne sait où, affublés d’ailes en plumes blanches et nacrées. Des anges en faculté d’influencer notre conscience ou même de corriger quelquefois notre destin. Des anges au fait de notre intimité, de nos pensées et sûrement de nos erreurs ou de nos fautes. Des fabulations que les adultes interprétaient en termes d’inconscience. Mais en vérité, ce ne fut là que croyances enfantines, tendres malices que nos douces Mamies nous inculquaient pour nous assagir. A l’orée de mes vingt ans, j’ai choisi de croire. De croire en Dieu, persuadé de son existence, de son unicité. De croire en sa création et en ses créatures, en ses anges, en ses démons, en ses prophètes, mais particulièrement en l’homme créé et doté d’intelligence. De croire dans le respect des hommes et des femmes, de ceux qui ne croient pas ou qui doutent. J’ai jeté mon dévolu sur la famille humaine, témoignage de mon Amour envers Allah, nonobstant l’allègement volontaire et culpabilisateur de ma pratique religieuse laïque…
Pardonne-moi cette incartade confidentielle, néanmoins passablement prosélyte, qui m’empêche en revanche de comprendre l’absence prophylactique dans la complexité existentielle de l’homme, de la femme, de l’humain que nous sommes.

Mon âme a-t-elle été purifiée par mes actions dans le Monde des humains ? Cette question m’interpelle, perturbe mon esprit et lui insuffle le doute et l’inquiétude.

Je luttais, tout comme mes camarades, sans armes, étreint par la trouille paralysante et permanente, par la chaleur ou le froid la faim et la crasse, ma spiritualité en berne, contre cette domination coloniale israélienne, dans cette guerre sans nom, dans cette guerre perpétuelle, dans cette guerre fratricide.

Cette guerre engagée puis menée par des fous qui, manipulateurs des foules et imbus de leur personne. Ils inspirèrent la haine, la barbarie et les plus bas instincts parmi les Peuples. Ils prétextèrent une idéologie nationaliste nasillarde et méprisable, une politique sélective de l’exclusion, un eugénisme ignare et crétin, une politique du crime.

D’autres Chefs d’Etats tous aussi aliénés et lâches, qui ont cru bon d’aviver leur zèle aux dépends de leurs Peuples respectifs, s’associèrent à eux et piétinèrent ainsi l’honneur et la fierté de leurs Nations.

Une guerre du feu où l’arme est reine dont l’homme fut l’esclave. Oui, je résistais contre ce fléau suicidaire et destructeur de l’humanité. Je me rebellais pour tenter de démontrer, à mon sens moral peut-être, que l’homme n’est pas destiné à se nuire mais à se développer, à s’épanouir.

Eussé-je le devoir de tuer ? Oh oui, sans aucun doute, avec les meilleurs encouragements. Mais alors, eussé-je le droit de tuer ? Non, absolument non, assurément non, non et non !

Bien malin à présent, mon âme navigue entre ciel et terre au gré de mon esprit tourmenté, dans cet univers où la lumière et l’obscurité se confondent, que nul humain vivant ne peut le percevoir ni l’imaginer bien qu’il lui soit fréquemment très proche et parfois si éloigné.

Je survole un court moment les ruines encore fumantes de Gaza, les toits effondrés, les corps désarticulés et calcinés dont les visages pétrifiés dans la mort portent encore les stigmates et les rictus de l’insoutenable cruauté.

Tel un charnier à ciel ouvert d’où se dégage des effluves insupportables, des odeurs nauséabondes de chair humaine brulée ou en voie de putréfaction. La ville est progressivement envahie par une nuée abondante de mouches et d’insectes charognards.

J’observe seul, aphone et écœuré, imperceptible par le commun des mortels, ce carnage infligé par des tortures effroyables et insupportables à ces gens, à ces femmes, à ces personnes âgées et à ces enfants tous innocents. Un pogrom exécrablement perpétré par cette abominable horde barbare de l’armée israélienne.

Dernier disparu lors de ce terrible carnage, je demeure là, sous une apparence désincarnée. Tel un fantôme, je déambule encore et souvent dans la désolation des ruines de Gaza, parfois sous une averse de pluie qui ne m’atteint pas, en réceptacle de l’amertume douloureusement ressentie par tous.

Je demeure là, assigné dans le recueil, tout au long des années terrestres, d’un éventuel et pathétique repentir de nos tortionnaires, de nos bourreaux.

Romain Guer
Ecrivain.

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