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Civilisation, anarchie et anarchismeKipawa, Thursday, December 11, 2008 - 15:41 (Analyses)
Kipawa
LA MAUVAISE HERBE Anarchie vs Anarchisme Anarchie vs Anarchisme En lisant le Back to basics : What is Green Anarchy, j’ai noté plusieurs similitudes entre notre (La Mauvaise Herbe) réflexion sur l’anarchie / anarchisme et celle du collectif Green Anarchy. Je considère important de rappeler cette distinction pour nos lecteurs et lectrices, surtout ceux et celles qui se questionnent sur la réaction récente de certains communistes libertaires (NEFAC, HO) contre d’autres anarchistes(1). Il existe, entre autres, deux approches différentes de ce qu’est (et devrait être) le mouvement libertaire, qui peut être traduit entre anarchie et anarchisme. À la Mauvaise Herbe, nous nous identifions à l’anarchie, puisque nous orientons nos textes et nos actions selon ce courant social / politique / philosophique, nous faisons la promotion des principes anarchistes (liberté individuelle et collective, action directe, horizontalité, autonomie, entraide mutuelle, coopération volontaire et responsabilité individuelle) et nous proposons des projets en accord avec ces principes. La Mauvaise Herbe admet et célèbre, depuis son tout début, la diversité des tendances, des visions et des stratégies de lutte contre la domination dans le mouvement anarchiste. C’est notre ouverture à la discussion, sérieuse et honnête, et notre flexibilité dans nos textes et nos réflexions, qui ont permis une évolution qualitative de notre projet journalistique, en soi collectif, et dans nos pensées individuelles. Nos visions d’un monde anarchiste ont en commun que celui-ci est composé de plusieurs éco-communautés libertaires radicalement décentralisées, auto-organisées et autonomes. Elles peuvent donc être très différentes l’une de l’autre (ex : village, tribu, nomade, semi-nomade, semi-sédentaire, etc.). Précisons que nous ne voyons pas la pertinence de fournir un plan, détaillé ou pas, de comment on va y arriver (à ce type de monde), puisque ce n’est pas à nous seul de décider. Par contre, nous sommes complètement ouverts à discuter (et à partager) nos visions, nos stratégies, nos expériences passées ou présentes, nos émotions, nos intuitions, nos actions, les obstacles rencontrés, les moyens de les surmonter... de la vie enfin, avec tous ceux et celles qui veulent construire ce monde. Pour atteindre ceci, nous proposons de réfléchir et d’attaquer la logique et le cadre de référence de la culture mortifère en place. Nos efforts sont aussi dirigés à mettre fin à toute médiation dans nos vies et à détruire toutes les institutions qui se chargent de la reproduction sociale de la domination. Quant à l’anarchisme, cela est un point de référence historique important, un système d’idées développé par des anarchistes (aujourd’hui tous morts) et des mouvements sociaux et politiques qui ont marqué l’histoire moderne (environ 1860-1940). Quoiqu’inspirant, il faut comprendre qu’aujourd’hui, certains groupes se disant issus de l’anarchisme incluent et excluent certains éléments du mouvement libertaire dans ces cadres de référence (système d’idées) et perdent parfois beaucoup de temps à faire la morale au milieu anarchiste. De plus, il faut aussi comprendre que le développement de certaines idées et réponses (concrètes et abstraites) construites par les premiers soi-disants anarchistes (Prudhon, Bakounine, Berkman, Goldman, Malatesta, etc.) a été écrit et fait dans un (et des) contexte social spécifique (l’industrialisation de la production, la prolétarisation d’une partie importante de la population, la mode des idées évolutionnistes et progressistes dans les cercles d’intellectuels occidentaux, la croyance en des ressources naturelles infinies, la laïcisation de l’État dans quelques pays et les dernières étapes de l’institutionnalisation de la science moderne, les actes de foi en un type de science et de progrès). En plus d’être développé dans un contexte social spécifique, la théorie et pratique anarchiste classique ont été faites selon les propres motivations et désirs de ses acteurs. Se limiter à ces idées et ces façons de faire dans nos réflexions et activités revient à systématiser, figer et idéologiser quelque chose qui devrait toujours être en mouvement, ouvert et créatif, enfin, ce que l’anarchie est, et a déjà été à l’époque. L'anarchie, au delà des idées particulières à chaque penseur anarchiste, prend sa source d’inspiration dans l’action de réaliser la liberté, d'enrayer l'exploitation et l'oppression sous toutes ses formes, et de vivre dignement et dans le respect de l'autre. Le « ism » dans anarchisme vient justement dans ce réflexe de quelques-uns à élever la théorie en système fermé, à figer (et sélectionner des éléments) un cadre de référence historique et à idéologiser (et à faire la morale) le mouvement anarchiste. Ce réflexe à fixer ce qu’est l’anarchisme, à figer le flux anarchiste et à construire un mur idéologique autour d’eux permet peut-être d’offrir quelque chose, qui est à la fois élaboré et simplifié, à la population (plateformes, programmes, principes fondateurs), mais ce quelque chose est alors détaché de cette même population puisqu’il n’est pas théorisé et vécu par elle-même et il n’est pas garant d’une compréhension par celle-ci, d’où les dérives et distorsions possibles. Donc, on peut dire que ce quelque chose (plateformes, programmes, etc.) a comme caractéristiques d’être stagnant (n’évolue pas selon les contextes sociales), d’être imposé (met de côté l’auto-théorie) et d’être abstrait (utilise des mots qui n’ont pas la même signification pour tous ou qui ne rejoignent pas la réalité de tous). Ici, nous remarquons ce qui démarque la propagande par le fait (ouvrir des milieux libres pour inspirer les autres) de ceux qui se concentrent sur l’élaboration d’une plateforme politique pour convaincre les autres. Dans certains cas, ceux et celles qui s’identifient à l’anarchisme vont même jusqu’à recruter certains jeunes qui se réunissent en groupes de lectures (phénomène du club école), à se présenter à des événements de divers genres dans le but de faire exclusivement, bien souvent, leur propagande, et dans des rares cas, de former des groupes de lecture secrets (ex : la véritable lecture de comment il faut s’organiser) pour uniformiser les militants anarchistes. Par cette pratique, l’anarchie, cette révolution dans les manières de penser et d’agir, risque alors d’être figée dans une idéologie, au lieu d’être en constant mouvement. C’est un leurre et un danger, selon nous, de voir dans quelques anarchistes et d’exposer quelques théories comme étant représentatifs des frontières de l’anarchie. Cela crée bien souvent des règles de conduite et de pensée qui visent à contraindre les personnes à faire correspondre leurs conduites (comportements) à ces règles et leurs pensées à cette frontière idéologique. Plusieurs de ces anarchistes classiques refusent alors tous efforts théoriques et pratiques élaborés en-dehors du terrain de l’anarchisme et en-dehors de l’approche des mouvements ouvriers de masse. L’anarchie n’est pas une méthodologie sociale et économique pour organiser la classe ouvrière comme l’ont fait les marxistes orthodoxes. Au contraire, l’anarchie ne peut être formalisée, elle se constitue en des expériences fluides et organiques, embrassant une multitude de visions de la libération, des visions à la fois personnelles et collectives, et toujours ouvertes. Nous pensons qu’il n’est pas souhaitable d’offrir sur un plateau un cadre ou un plan de la société anarchiste à la population, mais nous pouvons construire, entre nous et bien sûr avec eux (tous ceux et celles qui font déjà de quoi ou qui désirent s’émanciper de leur soumission aux structures de pouvoir) des éco-communautés libertaires de multiples sortes. Et de là l’intérêt que certains d’entre nous portent sur les sociétés primitives non-civilisées, parce qu’elles nous inspirent dans nos réflexions et nos projets. Elles ne sont pas seulement des sociétés (mode de vie tribal et semi-nomade) qui ont fonctionné pendant 98% de l’histoire de l’humanité au niveau écologique (elles sont viables écologiquement contrairement aux civilisations), elles offrent surtout des exemples concrets et des leçons au niveau social, politique et économique (liberté de ses membres, pas ou peu de domestication, non-centralisation et éclatement du politique, relations sociales et interpersonnelles généralement égalitaires, partage des tâches selon les désirs et capacités du moment, partage communautaire de l’éducation des enfants, autonomes et auto-suffisants, diversité culturelle et linguistique, etc.). Elles constituent donc des exemples concrets qui stimulent notre réflexion, tout comme d’autres types de communautés (il y en a peu qui sont rapportés, mais il y a en a) qui ont vu le jour au sein même de la civilisation et qui souvent ont été anéantis par les États de l’époque. La sensibilité des anarchistes à ces expériences de vie libres et égalitaires peut seulement qu’aider dans nos tentatives de mettre sur pied des éco-communautés anarchistes. Tout comme les membres du collectif de Green Anarchy, les écrivains et écrivaines de La Mauvaise Herbe trouvent pertinents de soulever des questions sur nos conditions de vie actuelles et des idées qui espèrent inspirer quelques-uns de nos lecteurs et lectrices. Nous tentons aussi d’informer du mieux que l’on peut sur les actions de destruction de toute domination, sur ce qui nous empêche de vivre librement nos vies et nos rêves. Enfin, nous proposons, à ceux et celles qui veulent bien nous lire, une vie directement en lien avec les désirs de chacun et chacune. L’anarchie verte et les théories anti-civilisation La critique anti-civilisation, même si elle a été présente chez les peuples indigènes massacrés, chez les anarchistes naturiens (1890) et néo-naturiens (1920)(2), et d’autres comme Thoreau, a surtout été développé chez le mouvement anarchiste vert de ces dernières décennies. Les anarchistes verts, une bonne partie, voient la civilisation comme étant la logique, les institutions et l’appareil physique de la domestication, du contrôle et de la domination. La civilisation est vue comme le problème sous-jacent ou la racine de l’oppression, et elle doit être démantelée. La civilisation est la transition, il y a 10 000 ans en Mésopotamie, d’une existence humaine intégrée et connectée à la nature à une existence séparée de et qui tente d’être en contrôle du reste de la vie. La civilisation inaugure la guerre organisée, l'élaboration des genres binaires et exclusifs masculin-féminin, le patriarcat, l’augmentation de la population, la division du travail à temps plein, la production de nuisances, la conception de propriété, des hiérarchies sociales, une énorme augmentation de maladies contagieuses et auto-dégénératives, pour ne nommer que quelques-uns de ses dérivés. Avant l’avènement de la civilisation, les populations avaient beaucoup d’activités choisies et de loisirs, une égalité et autonomie des genres considérable, une approche non-destructrice du monde naturelle, une absence de la violence organisée, aucunes institutions formelles et de médiation, et généralement une bonne santé. La Civilisation commence avec et se repose sur une renonciation forcée de la liberté. Elle ne peut pas être réformée, elle institutionnalise la révolte ou elle est détruite par elle. Dans le cas échéant, il y a la probabilité d’être reproduite par ceux et celles qui la combattent si les prémisses organisationnelles y sont calquées. Les anarchistes verts ont plusieurs autres terrains de réflexions critiques (de l’anthropocentrisme, de la culture symbolique, de la domestication de la vie, du patriarcat, de la division du travail et de la spécialisation, de la production et de l’industrialisme, de la société de masse, du fétichisme organisationnelle, etc.), mais ils développent aussi plusieurs pistes de réflexion constructives (le biocentrisme, la libération comme méthode et fin, la révolution écologique et sociale, la coopération entre diverses formes d’éco-communautés libertaires, la résistance par l’action directe, la promotion de la pensée critique, les efforts de dédomestication et du recontact à la vie). Pour un survol de ce qui se fait chez les anarchistes verts, il est suggéré de lire les quatre feuillets Back to basics (Les origines de la Civilisation; Le problème de la Gauche; La dédomestication sauvage; Qu’est-ce que l’anarchie verte) publiés par le collectif de Green Anarchy. Si vous êtes intéressés à en savoir plus sur ce mouvement (ou à le critiquer de manière honnête et sérieuse), il existe plusieurs journaux et zines anarchistes qui ont participé à la réflexion anti-civilisation tels que Green Anarchy, Anarchy : A Journal of Desire Armed, Fifth Estate, Species Traitor, Willful Disobedience, Disorderly Conduct, Terra Selvaggia, Libre y Salvaje, Secuaces de la anarquia, Species Traitor, La Mauvaise Herbe, Journal of Primitive Technology, Wilderness Ways Magazine, ainsi que d’autres. Les auteurs qui ont beaucoup contribué à cette réflexion et qui inspirent d’autres sont Fredy Perlmann (Contre l’Histoire, Contre le Léviathan, Anything Can Happen, etc.), John Zerzan (Aux sources de l’aliénation, Future primitive, Running on Emptiness : the Pathology of Civilization, Against Civilization : Readings and Reflections, Twilights of the Machines, etc.), Feral Faun/Wolfi Lanstreicher (Feral Revolution, The Network of Domination, Autnomous Self-Organization and Anarchist Intervention, etc.), David Watson (Against the MegaMachine), Kevin Tucker (The Disgust of Daily Life, etc.), Bob Black (The Abolition of Work, Theses on Groucho Marxism, My Anarchism Problem, Technophilia An Infantile Disorder, Withered Anarchism, Anarchy After Leftism, etc.), Jesus Sepulvida (The Garden of Peculiarities), William Morris (L’âge de l’ersatz, etc.), Ran Prieur, etc. Par contre, j’aimerais préciser que plusieurs textes anarchistes anti-civ sont présentement écrits par des auteur-e-s moins connu-e-s ou anonymes, des textes généralement de très bonne qualité, véhiculant des réflexions profondes et originales. Il faut spécifier que la réflexion anarchiste contre la civilisation s’est beaucoup inspirée des découvertes relativement récentes en anthropologie, tels que les travaux de Pierres Clastres (La société contre l’État, L’archéologie de la violence), Stanley Diamond (In Search of the Primitive), Marshall Salhins (Age de pierre, Age d’abondance), Richard Lee (The Kung San) et plusieurs autres. Une critique sérieuse de la réflexion anarchiste anti-civ sur les peuples primitifs peut difficilement se faire sans critiquer ces anthropologues. Cette réflexion s’est aussi inspirée des ouvrages de Jacques Ellul contre le système technologique (La technique ou l'enjeu du siècle, Le système technicien, Le bluff technologique, etc.). Et finalement, il y a aussi plusieurs ouvrages pertinents critiques de la civilization comme ceux de Derrick Jensen (A Language Older Than Words, The Culture of Make Believe, Walking on Water, Listening to the Land, etc.), Chellis Glendenning (My name is Chellis and I am in recovery from Western Civilization, Off the Map), Clive Ponting (A Green History of the World: The Environment and the Collapse of Great Civilizations), Paul Shepard (The Only World We’ve Got, Coming Home to the Pleistocene), Daniel Quinn (Ishmael, My Ishmael et Beyond Civilization), Frederik Turner (Beyond Geography: The Western Spirit Against the Wilderness), Alexander Laban Hinton (Annihilating Difference: The Anthropology of Genocide), Alfred W. Crosby Jr. (Ecological Imperialism : The Biological Expansion of Europe, 900-1900), Robert Harrison (Forêts; Essai sur l’imaginaire occidental), Jean Désy (Du fond de ma cabane; Éloge de la forêt et du sacré, etc.) et les éditions L’Encyclopédie des Nuissances (3). Précision sur l’auto-théorie Ces textes s’adressent aux personnes qui sont insatisfaites avec leur vie actuelle et qui sont fatiguées d’attendre pour un changement social promis par l’État, les Partis politiques et les organisations révolutionnaires ou non. Ils s’adressent donc à ceux et celles qui sont fatigués d’attendre pour une communauté authentique, pour la fin de l’argent et du travail forcé, pour une situation dans laquelle ils et elles peuvent réaliser tous leurs désirs, pour la fin de toutes les autorités, aliénations, idéologies et moralités. Le texte qui suit vise à vous aider à comprendre le débat entourant l’intérêt croissant de la réflexion anti-civilisation dans le mouvement anarchiste et essaie de déconstruire les arguments faits en réaction qu’elle subit depuis un certain temps par des idéologues pro-civilisation. J’espère vous aider dans la construction de votre propre théorie (l’auto-théorie) de la révolution, une démarche plaisante qui est à la fois destructrice et constructrice. L’auto-théorie est une théorie de la pratique pour la destruction de la société coercitive afin d’atteindre une véritable transformation constructrice de notre existence collective. L’auto-théorie est l’ensemble de votre pensée critique, la théorie que vous construisez pour votre usage dans vos analyses de pourquoi la vie est ce qu’elle est, et de pourquoi ce monde est ce qu’il est. L’auto-théorie se construit lorsque vous développez une théorie de l’action, une théorie de comment avoir ce que vous désirez pour votre vie. En écrivant ce texte, j’espère briser le cercle vicieux de ceux et celles qui cherchent des réponses toutes faites, une idéologie prêt-à-porter, enfin, de ceux et celles qui se battent pour eux-mêmes en épousant un idéal, une cause, une utopie. J’espère donc que le texte qui suit contribuera à améliorer le niveau du débat actuel, et je vous encourage fortement à poursuivre dans la construction de votre propre théorie. Réponse à Andrew Flood et à certains communistes libertaires Ce texte est une réponse aux arguments soulevés par Andrew Flood dans son texte Civilisation, primitivism and anarchism, traduit en français par l’internaute gyhelle et publié par la NEFAC récemment. Les arguments pro-civilisation élaborés jusqu’à maintenant se basent sur leur interprétation des arguments anti-civilisation, ou ciblent un texte en particulier, parfois même des auteurs non-anarco-primitivistes, et souvent sur quelques courts extraits de texte. Alors, mon texte présente une critique des principaux arguments pro-civilisation dans le texte mentionné ci-dessus, écrit par Andrew Flood, communiste libertaire néo-plateformiste et membre de la Worker’s Solidarity Movement (WSM) de l’Irlande. Ses arguments peuvent être regroupés en trois : la critique anti-civilisation ne présente pas une alternative réaliste pour un mouvement de luttes sociales; la critique anti-civilisation prévoit une chute du nombre de la population non envisageable pour les anarchistes; et la critique de la civilisation rejette l’utilisation de la technologie au lieu d’une augmentation de celle-ci pour atteindre une société anarchiste. À ces arguments, je réponds trois contre-arguments: l’alternative communiste libertaire est une utopie qui aboutit soit à une série de réformes (radicales peut-être), soit à une imposition d’une structure sociale uniformisante, centralisatrice et totalitaire; la question du nombre (population) ne peut pas être vu du seul point de vue calorique (manipulation des données sous le couvercle de la science), ne sera pas réglé par une intensification de l’agriculture (ignorance des propriétés naturelles existantes découvertes et validées à travers des milliers d’années d’expériences directes), que le projet communiste libertaire tel que proposé par Flood et ses partisans engendrera inévitablement une crise écologique provoquant directement la mort à grande échelle (un die-off) de la population mondiale et qu’il est tout-à-fait juste de proposer (souhaitable pour l’espèce humaine de voir) une décroissance au niveau de la population, de la production et de la consommation; et finalement, que la technologie n’est pas neutre, ni positif, cette vision (la technophilie, ou la foi en la technologie) occulte le contexte social des technologies (naissance, développement, impact, résultat de celles-ci) et que le projet communiste libertaire, tel que proposé par Flood, n’aborde pas la contradiction entre la diversité des désirs humains dans la société anarchiste et l’uniformisation et la centralisation des actions individuels afin de maintenir les infrastructures technico-industrielles, la division du travail et les hiérarchies engendrées par ces mêmes infrastructures, les impacts de la division du travail et des statuts d’experts (pouvoir) sur les relations de travail et entre producteur-consommateur, la destruction des écosystèmes par ces mêmes infrastructures, les mille-et-une réunions interminables qui nous attendent (dans une seule semaine!), le développement de bureaucraties (pouvoir politique) pour coordonner de grandes fédérations et la représentation politique des futurs parlements (assemblées de la fédération) en lien avec la question du nombre. Une conception utopique, totalitaire et ethnocentriste de la société anarchiste La conception de la société anarchiste par certains communistes libertaires, comme toutes les expériences historiques inspirées du marxisme l’ont prouvé, est une utopie qui aboutit soit à une série de réformes (radicales peut-être), soit à une imposition d’une structure sociale (manière de fonctionner en société) uniformisante, centralisatrice et totalitaire, soumettant par le fait même les différentes formes libertaires de vivre. Accuser les alternatives des autres d’irréalisable ne prouve en rien, même si c’est son point de départ, du réalisme de son propre projet. Affirmer qu’il existe une « critique primitiviste de l’anarchisme » nécessite des preuves, ce que Flood est incapable de faire. La critique anarchiste de la civilisation n’est pas un phénomène nouveau. Elle a même été l’objet de critique par des marxistes. Les anti-civs ne se disant pas « anarchistes » ont pour la plupart une sympathie envers l’anarchie. L’anarchisme comme idéologie a été avant tout une critique de la part d’anarchistes envers ce qu’ils et elles pensent être un dérapage dans la conception de ce qu’est l’anarchie. Le commentaire de Flood n’est donc qu’une stratégie pour renforcer le sentiment d’appartenance à une organisation anarchiste. La critique de l’utopisme véhiculé chez certains anarchistes ne date pas d’hier non plus. Plusieurs chez les premiers se disant anarchistes étaient engagés dans la propagande par le fait (ou par l’exemple), visant la destruction du pouvoir et la création de nouvelles relations interpersonnelles et sociales libératrices (l’expérience du jeu vivant et vécu) afin de développer une profonde affinité dans la communauté. Ils et elles refusèrent de s’éterniser dans une organisation, ils et elles menèrent plutôt des analyses sur la reproduction des comportements sociaux, des hiérarchies et des moyens de contrôle sociale ancrés en nous par la société oppressive. Ils et elles menèrent donc une lutte pour ouvrir des espaces libres, des espaces d’où ils et elles pouvaient vivre des expériences libératrices. Les anarchistes appelaient à faire table rase de la société (ce que certains communistes libertaires semblent avoir oublié), la destruction de tous les moyens et structures d’asservissement, non à la réformer. Les nouvelles communautés devraient être construites selon les désirs de chaque individu, non pas selon les intérêts de l’organisation (qui met la priorité sur sa reproduction). La responsabilité n’était pas conçue uniquement de manière collective, elle était avant tout individuelle, et le moyen d’accéder à la nouvelle société était par le regroupement des individus en groupes affinitaires. Michel Bakounine est vu comme un des premiers auteurs de l’anarchisme et il faisait également la promotion, souvent en participant activement, de l’insurrection comme moyen de propagande. Il est donc curieux que Flood cite Bakounine pour appuyer son texte. Peu importe, Bakounine était réputé plus pour son talent pamphlétaire (poussant à l’action) que pour son talent d’élaborer une théorie anarchiste pertinente et complexe. Flood, dans tout ça, est opportuniste. Il cite les mots d’un personnage-symbole de l’anarchisme pour venir appuyer ses propos (l’irréalisme de l’alternative primitiviste), sans se soucier de la validité de l’affirmation qui est avancée : « Seule la combinaison de l’intelligence et du travail collectif a été capable d’extraire l’homme hors de l’état sauvage et brutal qui constituait sa nature originale ». À cette époque, les anthropologues décrivaient les « hommes préhistoriques » comme des sauvages et des brutes, étant tous idiots, maladroits, très égoïstes. Cette vision arriérée continue encore aujourd’hui à marquer l’imaginaire de la très grande majorité de la population et c'est à déplorer que certains anarchistes perpétuent encore ces néfastes préjugés. Cependant, depuis le début du 20e siècle, les anthropologues critiquèrent les visions simplistes des peuples primitifs et décidèrent d’observer plus attentivement ces derniers. Ils rejetèrent alors complètement cette dernière hypothèse, découvrant que la vie non-civilisée est/était très complexe et que plusieurs habilités et capacités sont/ont été développées, à l’aide d’un effort commun, dans des groupes relativement petits. Plus tard dans ce siècle, plusieurs anthropologues ont rejeté les hypothèses qui circulaient alors en pointant un problème majeur qui empêchait une vision plus juste et fidèle de la réalité primitive, c’était l’ethnocentrisme dans l’interprétation des faits observés. La vision de « l’homme… de l’état sauvage » de Bakounine, en parallèle avec son projet de fédération panslaves, démontre qu’il ne faisait qu’exprimer des croyances véhiculées à son époque dans les cercles d’intellectuels. Il n’a pas été capable de rester critique face à l’autorité des experts de son temps. Flood argumente, tout comme l’a fait un certain Alain C., qu’il est impossible de revenir au mode de vie de chasseur-cueilleur (incluant la récolte et la pêche). Cet argument est contredit par l’exemple des Guaranis au Paraguay (rapporté par Pierre Clastres) et des M’Labri de Thaïlande. Il est aussi contredit par les exemples donnés par Daniel Quinn de regroupements d’humains qui ont abandonnés la civilisation (Maya, Hohokam et Anasazi). Tout comme dit Quinn, il est impossible pour nous de retourner dans la jungle parce qu’elle est partiellement détruite, mais nous pouvons toujours « walk away from the pyramid »(4). Au lieu de s’inspirer d’une organisation sociale non hiérarchique qui a fonctionné durant la très grande majorité de l’existence humaine, les communistes libertaires préfèrent lutter pour une société utopique et convaincre les autres de les suivre. Ceci s’inscrit dans la tradition ouvriériste de ces révolutionnaires, n’ayant jamais été capable de sortir de la dimension productiviste de la société civilisée. A. Morfus(5), qui remonte l’origine utopiste des communistes libertaires à cette tradition, affirme que « le capital a réussi à faire aimer aux exploités leur exploitation ». En effet, les ouvriéristes idéalisent et fétichisent le travail et voient dans celle-ci le seul et unique point commun entre les opprimés, rejetant par le fait même tout ce qui fait que nous sommes des vivants et des animaux sociaux. L’individu se définit alors par son occupation professionnelle et par l’acquisition de compétences au service du productivisme. Par ce fait, les opprimés devront uniquement s’organiser par le travail, lutter par des moyens disponibles dans les milieux de travail et aboutir à une révolution dans le monde du travail. C’est uniquement la gestion du travail qui est révisé, rien d’autre. Tous les autres aspects de la vie sont relégués au second plan, comme s’ils étaient une simple conséquence d’un rapport de production mal géré. Or, comme le dit A. Morfus, l’idéalisation du travail a toujours été la mort de la révolution. En Russie du début du 20e siècle, la révolution a été remise à plus tard, après la construction de grosses usines (impliquant une division du travail à temps plein et des usines polluantes), après la mise en place de prolétaires dans ces usines, et nous savons tous et toutes que la révolution s’est arrêtée là. Les anarcho-syndicalistes sont restés cantonnées à l’injustice économique et se sont limités à lutter pour une redistribution juste et égale de la production et une amélioration des technologies de production. Il n’a jamais été question de remettre en question l’utilité et la nécessité de la production, de l’existence même des usines et ses implications sociales, ou de l’organisation du travail à l’échelle de la communauté. Dans leur théorie, la prise de pouvoir décisionnel dans une usine réglera tous les problèmes et cela amènera un changement dans les conditions de travail, mais cela n’amène pas de changement dans la nature même du travail. Ils réclament des emplois, peu importe si cela perpétue l’écocide. Décrocher un emploi (peu importe la nature de celle-ci) rime avec réussite. Les quelques exemples d’autogestion ouvrière nous ont juste prouvé qu’ils continuent de produire autant (ou le désirent fortement) en s’autogérant, que la division du travail réapparaît très vite, et qu’ils vendent leurs produits sur le marché. Enfin, ils gèrent leur propre misère et ils continuent de produire les mêmes nuisances. Tout comme A. Morfus le souligne, où est la réflexion sur la division du travail, l’aliénation sociale et la destruction écologique de notre environnement? Cette utopie ouvriériste est presque totalement disparue, sauf pour des purs et durs comme les Wobblies, d’où provient Flood. Idéalisés par des étudiants sans aucune expérience de travail, ils ne cessent d’essayer d’obtenir de petits changements, mais, comme à l’habitude, ils échouent lamentablement. Cette persévérance et cet optimisme pathétique conduit la croyance au mythe du grand Syndicat au niveau de la foi religieuse. Ils ne veulent surtout pas que la machine cesse de tourner, les humains sont toujours perçus comme des rouages de la machine économique. « Le christianisme et les mouvements révolutionnaires sont allés de pair à travers l’histoire. Nous devons souffrir afin de conquérir le paradis ou acquérir le sentiment de classe qui nous mènera à la révolution. Sans l’éthique du travail, la notion Marxiste du «prolétariat » n’aurait aucun sens. Mais l’étique du travail est un produit du rationalisme bourgeois égale à l’éthique bourgeoise qui lui a permis de conquérir le pouvoir » Alfredo Bonanno, La Joie Armée Les anarchistes pro-civilisation ne veulent pas penser en dehors du cadre de la civilisation et de son projet utopique. Ceux-ci ont seulement proposés soit des réformes, soit un dessin abstrait d’une société aux traits totalitaires. Ils veulent remplacer la société existante en offrant des plans pour une société réformée au lieu d’ouvrir un espace pour créer et construire notre propre vie, ici et maintenant. C’est cela l’essence même de la pensée libertaire, que chacun soit libre afin de pouvoir créer et construire sa propre vie, selon les désirs de chacun, et les relations sociales qu’il et elle veut établir. Les anarchistes pro-civ veulent apporter un programme politique de la société idéale au peuple, s’excluant par le fait même de celle-ci, au lieu de construire, avec les ami-e-s, les parents, les voisin-e-s et les collègues, les bases de la société anarchiste (ex. les relations interpersonnelles et sociales non-hiérarchiques). Apporter au peuple une plate-forme, c'est le considérer comme inorganique, sans repère, sans organisation, où notre devoir est de formater leur vie. Quel est donc la différence entre ces anarchistes et les fonctionnaires de l’État? Récemment, quelques anarchistes pro-civ ont proposé l’économie et la démocratie participative, où les structures sociales restent en place, sauf que nous y participons au niveau décisionnel dans un très grand parlement, et d’autres, comme Tom Wetzel (membre du Workers Solidarity Alliance) a proposé dans le NorthEastern Anarchist le « plan social ». Le « plan social » est composé de groupe de travailleurs et groupes de consommateurs, où les groupes de travailleurs d’usines respectifs proposent leur plan au groupe de consommateurs, ceux-ci lisent et remettent leurs recommandations aux groupes de travailleurs et qui, à leur tour, décident de la production qui s’en suivra. Aucune mention de la bureaucratie que cela nécessitera, aucune mention des impacts sur l’environnement et sur les personnes vivant sur les territoires qui seront affectés par les activités de ces usines, aucune place pour la liberté individuelle, occultation des gens qui n’auront rien à foutre de cette connerie. Forceront-ils les gens à se soumettre au plan social et à assister à dix milles réunions? Qu'adviendra-il des personnes qui ne voudront pas se soumettre? Obligeront-ils les gens, qui veulent une existence tranquille dans leur communauté autonome, auto-suffisant à plusieurs niveaux et viable écologiquement, à endurer la production de nuisances, surtout si celles-ci affectent leur communauté? La production industrielle a besoin de soumettre les régions périphériques, iront-ils jusqu’à contraindre leurs voisins à fournir les « ressources premières » et les emplacements pour des centrales énergétiques? Que voudraient-ils faire avec ceux et celles qui refusent de participer à leur plan? Les Goulags? Comme l’affirme A. Morfus « Établissez un plan pour le social, l’économie et les relations politiques. Où est l’anarchie? ». Vous doutez de l’aspect utopique de la pensée de Flood? Pour démontrer comment les communistes sont fins, beaux et forts, il donne comme exemple une transportation fictive d’anarchistes à travers l’espace qui aboutissent sur une planète de type terrestre(6). Selon Flood, ils se rassembleraient et se mettraient à essayer de créer une civilisation anarchiste, mais pour s’y rendre, ils auront aussi besoin de créer tout le développement de la civilisation et ce qui vient avec (hiérarchie, travail forcé, massacres des espèces indigènes, domestication des plantes et des animaux, etc.). Vous allez voir, ces « robins cruzoés » anarchistes partagent le même pattern que les premiers colons accostant sur une « nouvelle » terre; au lieu de s’adapter aux nouvelles conditions et en profiter pour vivre librement, il faut coûte que coûte reproduire la civilisation. Flood nous dit « nous aurions une bonne connaissance de l’agriculture, de l’ingénierie, de l’hydraulique et de la physique », ouais… c’est un portrait très embelli des anarchistes d’aujourd’hui. Le paysage anarchiste que Flood réserve à ces nouveaux cruzoés en est un de « fermes et de barrages », sans oublier une division du travail, les experts, une police, des épidémies et la contamination de l’eau et du sol. Mais pour que l’industrialisme en vaille la peine, attend-il forcer une augmentation de la population, une standardisation des objets utilisés, une uniformité dans les manières de faire les choses, un assujettissement des espèces indigènes et des régions environnantes, un programme éducatif utilitaire et obligatoire pour former des citoyens-techniciens dociles? Dans sa boule de crystal, Flood voit des « charrues à roues » (à partir de quels outils? De quels procédés?) et des « animaux de traits » comme première étape de ces « fermes ». Je paierais cher de voir ces quelques anarchistes essayer de dompter un bœuf musqué ou tout autre animal sauvage! Pour atteindre l’objectif de construire des barrages (des barrages construits comment? Et pour quelle raison exactement?), Flood imagine des groupes de recherche expédiés sur le nouveau continent à la recherche de matière première comme le charbon et le fer. Une pelle ou une pioche dans les mains (outils venus d’où?), chantonnant l’International en chœur, bras dessus, bras dessous, les groupes partent à l’aventure à la recherche de plusieurs sites de minerais intéressants (se nourrissant de quoi?), creusant ici et là, jusqu’à temps que « nous aurions creusé des mines et nous en aurions ramené », sur leur dos? en plaçant des billots de bois pour rouler les roches? dans les charrues tirées par les animaux récemment domestiqués? jusqu’à leur campement anarchiste civilisé. Et il en rajoute : « nous aurions transformé beaucoup de bois en charbon pour extraire tout le fer ou le cuivre ». Le peuple vivant sur l’Île de Pâques n’avait pas calculé très bien leur affaire : ils ont coupé plus de bois que ce que la forêt pouvait régénérer, pour le transport des statues, et ceci a causé l’extinction de cette « civilisation »(7). Flood met aussi la priorité sur le développement technologique, tel des « explosifs nécessaire à l’exploitation minière à grande échelle et à la construction », a-t-il oublié les civilisations hiérarchisés (le contexte social) qui ont développés ces mêmes technologies? Flood propose même de transformer du marbre pour « faire du béton » (veut-il dire du calcaire?) S’il ne trouve pas du marbre métamorphosé par des volcans, proposent-ils de le transformer dans ses fonderies, utilisant alors plus de bois? Il rajoute que le béton est « un bien meilleur matériau de construction que le bois ou la boue ». Ce jugement de valeur ethnocentriste et franchement raciste cache aussi une certaine ignorance. C’est fou comme l’histoire des trois petits cochons, créée à l’époque des grandes banlieues américaines, a marqué l’imaginaire des civilisés! Le béton est peut-être un bien meilleur matériau de construction pour des gratte-ciels et des grandes usines, mais il n’est pas un « meilleur matériau » pour isoler dans les régions plus froides, pour la qualité du sol, et pour une société non-industrielle (le travail et l’énergie de production que ça nécessite). Donc, les priorités de cette civilisation anarchiste sont la domestication et l’élevage des animaux pour travailler à notre place, le travail de volontaires (ou plutôt du travail forcé) dans les mines pour extraire des belles grosses roches, la coupe de bois massive dans la périphérie du campement afin de les brûler afin de produire du charbon pour les fonderies, des fonderies pour liquéfier les métaux extraits de la roche pour façonner des outils capable d’accélérer et d’augmenter toute cette production, jusqu’à temps de reproduire le modèle technico-industriel connu aujourd’hui dans les pays les plus nantis de la planète. Nous ne travaillons pas selon nos désirs, mais plutôt pour l’organisation, pour l’utopie et surtout pour le système technico-industriel ré-établi. Dans le reste de son histoire, Flood fait deux liens causaux tirés par les cheveux. Dans un premier temps, il affirme que « Nous avons quelques connaissances médicales, et plus important, une compréhension des microbes et de l’hygiène, donc nous aurions à la fois une purification basique de l’eau et un système d’égout ». Quelles connaissances médicales ont-ils? Je suis aussi curieux de connaître cette « compréhension des microbes et de l’hygiène »? Est-ce que c’est cette même « compréhension » qui légitime de jeter nos déchets dans le petit trou du lavabo et qui purifiera partiellement l’eau contaminé par l’activité humaine, les barrages, les fonderies, etc. Lors de la colonisation européenne des Amériques, les « primitifs » de ce continent ont grandement soigné les colons mourants (maladies, déficiences, malnutrition due à leur ignorance). Après que les anarchistes de Flood auront passé les premières semaines à rédiger leur plateforme et leur plan social, économique et politique, ils n’hésiteront pas à manger cette même paperasse et à quémander l’aide de ceux et celles qui sont, comme Flood les nomme avec mépris ethnocentriste, partis « courir avec les cerfs ». Ensuite, il affirme « Nous aurions compris l’importance de la connaissance donc nous aurions un système éducatif pour nous enfants et au moins le début d’un enregistrement de la connaissance sur le long terme (livres) ». Centré sur sa culture, Flood nie l’éducation existante dans les sociétés non-civilisées, basées sur l’observation des gestes, l’expérience directe et l’oralité. Dans son plan de construction d’une civilisation anarchiste, il met uniquement l’emphase sur la production économique sans se préoccuper de l’éducation libertaire des enfants. Est-ce que le développement de l’esprit critique chez les enfants pourrait remettre en question la marche de la civilisation? De plus, Flood échoue à expliquer comment ils produiront des livres (et tout le travail nécessaire pour construire les industries nécessaires à la fabrication de livres, sans davantage exploiter la forêt). Dans son plan, les technologies proposées, chacune isolée de son contexte social de naissance et de développement, et des infrastructures industrielles liées à celles-ci, seraient développées par un simple choix comme sur une liste d’épicerie, et « nous continuerons à développer », j’imagine dans le même sens qu’elles ont été développées. La pensée linéaire et ethnocentriste des communistes libertaires est bien représentée par cette phrase de Flood : « Même si vous pouviez reculer les aiguilles de l’horloge, elles se remettraient seulement à tictacter ». Les capitalistes pourront lui répondre la même phrase. Cette vision déterministe social, ethnocentriste, ignorante des autres cultures, et raciste, est assez inquiétante, surtout lorsqu’elle vient de quelqu’un qui se réclame anarchiste. Les différentes cultures à travers le monde ont évolué de manière complexe et diversifiée, et elles ont beaucoup partagé leurs nouvelles connaissances avec les peuples voisins, et cela, pendant des millénaires. L’évolution civilisée a toujours abouti à la catastrophe écologique et sociale (stérilisation des terres par l’irrigation, désertification due à la déforestation à des fins de construction, épuisement des sols, glissement de terrains, hiérarchisation étouffante, guerres perpétuelles, génocides, esclavages et travaux forcés, etc.) et à un abandon de cette vie civilisée par une majorité de la population. Tout ce que je vois dans la vision de la « civilisation anarchiste » n’est que civilisation, que division du travail, hiérarchie latente et développement technologique à des fins productivistes. Encore une fois, où est l’anarchie? Au lieu de faire table rase de la société actuelle et de construire une véritable société anarchiste, les anarchistes proto-étatiste reprennent en très grande partie la société actuelle, en ajoutant la gestion par les ouvriers des nuisances et de leur propre aliénation. Pire, Flood propose le réformisme radical et louage la social-démocratie des pays scandinaves : « Un monde qui est au moins capable de fournir le même accès aux biens, transports, soins et éducation qui sont accessibles aux « classes moyennes » des pays scandinaves de nos jours ». « Renverser le monde capitaliste » et « voir la naissance d’un nouveau monde » dit-il juste avant, il me semble qu’il propose le maintien du complexe technico-industriel façonné par les capitalistes, mais avec une distribution de la richesse plus égale, afin de créer une « classe moyenne » généralisée. Le dénominateur commun des pro-civilisations est le fait qu’ils haïssent et ont peur des peuples tribaux « Nos Indiens sont des êtres humains comme nous. Mais la vie sauvage qu’ils mènent dans les anciennes forêts les condamne à la misère et au non bonheur. C’est de notre devoir de les assister à leur émancipation de la servitude. Ils ont le droit d’être élevé à la dignité de la citoyenneté brésilienne en vue de participer pleinement au développement de la Nation et de profiter de ses bénéfices. » Extrait de la politique indigène de l’État du Brésil, cité dans On Ethnocide, Pierre Clastres. Cette éthique « huma-niste » transporte avec elle l’esprit ethnocidaire, c’est ce qu’affirme Clastres. L’ethnocide n’est malheureusement pas reconnu comme une entreprise destructrice, au contraire, elle est considérée socialement comme une tâche nécessaire afin de civiliser une culture inférieure (hiérarchisation). Le projet civilisateur exige l’uniformisation des humains et, autant en procédant à un génocide qu’à un ethnocide, ce projet est inscrit au cœur de la culture occidentale moderne. Les groupes politiques occidentaux n’y échappent pas. Remplacez l’expression « citoyenneté brésilienne » et « Nation » par « travailleurs » et « fédération communiste libertaire », et c’est un discours similaire à ce que nous pouvons entendre parmi certains face aux anarchistes sensibles aux réalités des peuples non-civilisés (perte de dignité, perte de territoires pour l’autosubsistance – plus grande dépendance –, perte de repères culturels et linguistiques, problèmes de santé physique et mentale, etc.) et à la critique de la civilisation. Lorsque la domination n’est perçue que du point de vue économique (exploitation), cela ne remet nullement en question les hiérarchies. Le « progrès » a été une des causes principales des problèmes de santé chez les peuples non-civilisés(8) après la colonisation. Généralement, les anarchistes ont su prendre leurs distances des communistes marxistes en se méfiant de l’État et des conceptions économiques promues par celui-ci. Avec la diffusion des critiques de la civilisation, les anarchistes recentrent leur critique à ce qui rend l’exploitation possible, c’est-à-dire le pouvoir politique, l’État, et même le proto-État véhiculé dans les prémisses de l’éthique civilisatrice des groupes communistes libertaires. Fredy Perlman(9) nous dit que pendant des siècles, la civilisation a été l’objet de critique de milliers de groupes d’humains à travers le monde. Plusieurs se sont faits massacrés, violés et capturés comme esclaves. Quelques-uns, mis en contact avec la Civilisation, ont subi la violence organisée de celle-ci, ont modifié leur organisation sociale en la hiérarchisant et ont contre-attaqué le groupe de civilisé. La violence organisée, la guerre, produit une hiérarchie au sein de la société et une division du travail, tous deux nécessaires au bon fonctionnement de la machine de guerre et des inégalités de statuts sociaux. Plus la guerre perdure, plus il est difficile de revenir à une vie non-hiérarchique. Mais la plupart des groupes harcelés par la Civilisation ont fuit celle-ci. Environ 98,8% de l’histoire de l’humanité a été l’histoire exclusive de groupes d’humains primitifs, période de grandes inventions et d’améliorations non destructrices de l’environnement et non hiérarchiques. Daniel Quinn(10) nous apprend que lorsque les civilisations devenaient insoutenables (non viables écologiquement et socialement), il n’était pas rare de voir les esclaves commencer à « abandonner » la civilisation pour se réfugier dans les forêts environnantes, provoquant ainsi même la chute de la civilisation. Il nous apprend aussi qu’il y a un élément qui diffère de notre civilisation des anciennes civilisations, c’est l’inculcation d’un élément culturel bien spécifique : la croyance profondément ancrée chez les civilisés (y compris chez certains anarchistes) qu’il existe une seule bonne manière de vivre (ex. produire toute notre nourriture) et que peu importe les impasses, les échecs et les crises, nous continuons d’avancer. Cela peut seulement nous mener vers la mort de milliers et même de millions de personnes… Les formes d’organisation sociale non-civilisées ne sont peut-être pas parfaites, mais elles sont les seules à ne pas s’être autodétruites, à être viables écologiquement et socialement. Les anarchistes anti-civs s’inspirent donc de modèles de vie qui ont fonctionné concrètement pendant des millénaires. Enfin, ils s’inspirent des expériences de vie sociale façonnées par un nombre inimaginable d’individus et de petites collectivités, transportant avec elles des connaissances et des pratiques variées, expérimentées et validées par presque tous ceux et celles qui ont vécus ce type d’organisation sociale. En somme, les anarchistes ont commencé à réfléchir à une alternative réaliste à notre monde, en questionnant les prémisses même de ce monde. La technologie, pourquoi argumenter pour? L’agriculture et la question du nombre Flood résume la position des anarchistes anti-civ face à la technologie comme ceci : ils veulent une technologie comparable à ce qui existait dans les sociétés préagricoles, où il existe une équivalence entre la taille des regroupements humains entretenus par la chasse et la cueillette et les technologies correspondantes. Pour Flood, il est impossible que l’humanité revient au mode de vie des chasseurs-cueilleurs, il faut donc à tout prix sauver le système agricole industriel lors du renversement de la société actuelle pour éviter un « massacre » de la population. C’est cette croyance qui incite Flood a abordé la question du nombre (de la population) en argumentant qu’il est impossible de revenir à un nombre pouvant être soutenu par la chasse et la cueillette. C’est un peu simpliste comme point de vue et nous allons voir comment cette fuite en avant sera la cause même d’un « massacre » s’il y en a un. En fait, ce que les anarchistes anti-civ proposent c’est que les humains atteignent un équilibre avec le reste de la vie sur Terre (la biosphère de cette planète) et que les pratiques et les techniques utilisées ne deviennent pas une cause majeure de déséquilibre néfaste à l’épanouissement de la vie en générale, mais plutôt qu’elles s’insèrent dans la même rationalité, qu’elles encouragent l’épanouissement de la vie et la diversité écologique, ce qui n’empêche aucunement l’innovation et les améliorations des façons de faire et des techniques. Comme Chellis Glendenning l’a souligné dans son livre(11), les communautés basées sur la nature ont su l’importance de maintenir une population stable pour l’équilibre entre les espèces vivantes sur la Terre, ce qui n’empêche pas une légère augmentation après plusieurs siècles comme cela fut le cas. De plus, les femmes de ces communautés ne subissaient pas de contraintes sociales visant des accouchements rapprochés et leur mode de vie semi-nomade favorisait une longue période sans ovulation après un accouchement (allaitement maternel, équilibre hormonal, musculature, exercices) ainsi que d’autres facteurs positifs (liberté des femmes, la méthode du calendrier, connaissance des plantes pour empêcher une fécondation et pour les avortements). L’augmentation rapide de la population (et la baisse et les extinctions des espèces non humaines) est l’objet de la civilisation, de l’agriculture, du mode de vie sédentaire, de la religion, du patriarcat et du travail forcé. Concrètement, c’est le besoin de main-d’œuvre pour l’agriculture, c’est la domination d’une population sur un territoire précis qu’amène la sédentarité, c’est la morale exercée sur les familles qui les poussent à avoir plusieurs enfants, c’est la soumission de la femme comme machine reproductrice, c’est le besoin toujours grandissant d’esclaves pour bâtir les « pyramides » des classes dominantes. Sans ses contraintes sur les femmes (donc avec une révolution réellement libertaire), c'est la décroissance plutôt que l'augmentation de la population qui risque d'être au menu du jour. En résumé, les anarchistes anti-civs rejettent toute pratique non viable écologiquement(12) et cela non seulement par un souci biocentriste, mais aussi par un intérêt d'assurer la survie et l'épanouissement de l'espèce humaine. Les anarchistes anti-civ reprochent aux pro-civilisation d’être toujours dans la logique de la rareté; par exemple, cette préoccupation avec l’idée de manquer de nourriture, de la nature qui ne fournit pas assez de nourriture pour tout le monde et qu’il faut donc produire (et gérer cette production) toute la nourriture que nous consommons, surtout par l’agriculture et l’élevage. Ces croyances culturelles, transmises de génération en génération à travers toutes les classes sociales, empêchent toute vision au-delà de la vie sociale actuelle. Flood affirme qu’ « il n’y a même pas assez de nourriture produite dans les écosystèmes naturels », ce qui démontre son ignorance des plantes comestibles spécifiques aux écosystèmes (ainsi qu’à ses différentes parties, les différents moments pour les cueillir, leurs propriétés nutritives et thérapeutiques, les méthodes de cuisson et de conservation, etc.). Les anarchistes anti-civ leur reprochent d’être profondément ethnocentristes, de hiérarchiser les sociétés, les modes de vie, en caractérisant évidemment leur société, la société civilisée, comme étant la meilleure possible ou qui existe. Mais revenons à Flood. Tout son argument (enfin, tout son texte…) repose sur l’argument de « la quantité de calories disponibles pour la nourriture des humains dans un acre de forêt de chênes serait beaucoup plus faible que la quantité de calories disponibles pour les humains dans un acre de blé [ ou de maїs, de patate, etc.] le serait ». Tout d’abord, j’aimerais souligner le fait que Flood appuie son argument à l’aide d’une seule comparaison (forêt de chênes et champs de blé) et qu’il n’aborde jamais les effets de l’agriculture industrielle sur la qualité des aliments récoltés (épuisement des sols, baisse des nutriments dans les aliments, contamination des aliments, des sols et des nappes phréatiques, maladies et infestations, etc.). Revenons à nos chênes malmenés. Les chênes hébergent plusieurs formes de vie (des oiseaux, des insectes, des parasites) et sont utiles au maintien d’un bon équilibre dans l’écosystème. Grâce aux chênes, nous pouvons traiter de nombreuses maladies (cochenille, galle, gui), soigner des hémorragies et des fuites avec son écorce, tanner des peaux avec son encre, l’utiliser comme source de liège et manger son fruit (gland). C’est un arbre qui pousse bien dans des friches ensoleillées (rétablir l’équilibre d’un écosystème). On peut consommer les bourgeons, les fleurs et les feuilles au printemps, les glands en automne, l’écore et l’aubier en hiver, tandis que les patates (le blé, le maїs, etc.) ne vient qu’une fois, ou deux, par an. Cet arbre peut atteindre 30 mètre de hauteur et vivre 300 ans. Il donne bien plus d’oxygène que n’importe quel champ de patate de la même superficie, sans le travail de planification, de labourage, de mise en culture et d’entretien. Un spécimen de chêne sain de 25 ans peut produire jusqu’à 25 000 glands. Les bourgeons sont utilisés en thérapie contre l’épuisement, l’impuissance et la sénilité précoce. Les fleurs sont utilisées contre l’épuisement aussi. L’écorce peut être utilisée en usage interne et externe. Les gargarismes de décoction de chêne soignent les hémorragies des gencives, les inflammations de la gorge et les aphtes. Une décoction soigne les flatulences (combinée à l’anis), la diarrhée (mélangée au framboisier), les ulcères (avec de la consoude et de la réglisse) et aide à évacuer du sang le cuivre, le plomb et même la nicotine. La décoction concentrée peut servir de compresses ou de lotion contre l’eczéma, les engelures et les pellicules. Elle peut aussi servir pour les bains de pied, de mains ou de sièges, et contre les varices ou les hémorroïdes. Les lavements avec l’écorce bouillie peuvent soigner la diarrhée, tandis que l’injection vaginale est efficace contre les leucorrhées. Mélangée avec du lamier blanc ou de la lavande, ou avec de l’alchémille et de l’ortie, l’écorce bouillie prévient la descente de matrice et l’énurésie. Les infusions de chêne servent contre toutes les infections des muqueuses et du tube digestif. On suggère aussi de torréfier les glands pour les rendre digeste à cause des tanins très concentrés et du type d’amidon contenus dans les glands. Le bois de chêne est très apprécié parce qu’il est dur, lisse et résistant. Les principes actifs du chêne sont : dans l’écorce, il y a des minéraux (calcium, fer, potassium) et des tanins (acides ellagiques, catéchiques et galliques); les feuilles contiennent du chlorophylle, mucilages, vitamines A, C et E, et des glucosides (quercétrine et quercétine); et les fruits contiennent des amidons, des sucres, des tanins et des oxalates. Je ne vais pas faire la liste et la description détaillée de toutes les arbres, les arbustes, les plantes, les insectes et les champignons qu’on retrouve habituellement lorsqu’il y a des chênes dans une forêt, mais il faut admettre que la cueillette nous fournit une alimentation plus constante, plus riche et plus diversifiée comparativement à un champ agricole, dont la quasi-totalité est en monoculture. Flood souligne aussi qu’il s’intéresse uniquement à « la nourriture pour nous » démontrant son analyse partielle et isolée de la situation. Par exemple, si tu détruis la nourriture de l’arbre, tu tueras l’arbre dont tu cueilles des fruits; si tu détruis la source de nourritures des animaux, tu feras fuir les animaux que tu chasses, etc(13). De plus, les champs se retrouvent plus souvent que jamais contaminés par des produits chimiques synthétiques qui laissent souvent des traces dans nos corps et causent (co-facteur) plusieurs maladies fréquentes chez les civilisés. Alors, si certains ne veulent que des fish and chips au menu, on peut comprendre pourquoi ils n’ont pas l’intérêt d’apprendre plus sur les organismes vivants dans une forêt de chênes ou de n’importe quels autres écosystèmes d’ailleurs. Mais est-ce qu’un champ agricole produit vraiment plus qu’une forêt ancienne, mature et diversifiée? Dans un texte écrit par Jack Douglas(14), nous apprenons comment une forêt est bien plus productive qu’une terre cultivée, le contraire de ce que prétend Flood et ses supporteurs. Une forêt en santé est constituée d’une diversité de vergers et terrains à niveaux multiples. Notez que certaines régions (boréale, arctique, etc.) n’offre pas assez d’aliments pour une grande population, mais ces régions ne sont pas non plus accueillantes pour l’agriculture (basée sur le défrichement de la terre). Dans son étude de productivité comparée, il conclut que « une agriculture basée sur le défrichage et la production céréalière est dix fois, 10 X, 1000% moins productive en termes de protéines, de glucides et d’autres ressources alimentaires qu’une culture en vergers de noix, graines et fruits basée sur un héritage de millions d’années toujours honoré par les Nations Indigènes. Si nous tenons compte de la production d’autres aliments, de logements, de vêtements, d’animaux, de chaleur et de produits de santé, nous comprenons que l’agriculture de défrichage basée sur la production céréalière est cent fois, 100 X, 10 000% moins productive que la forêt-verger. Aussi longtemps que nous, Occidentaux, aurons une mentalité ethnocentrique (…) nous ne comprendrons jamais comment la terre, le soleil et la culture humaine interagissent. » Les civilisés, les peuples défricheurs, rasent les arbres d’une forêt pour faire place à des cultures de céréales (blé, orge, avoine, seigle, etc.) et de légumes. Leurs protéines proviennent surtout des animaux domestiques nourris de foin, de légumineuses, de glucides provenant des céréales, ce qui nécessite plus de défrichage. Ce n’est pas tout, les civilisés défrichent aussi pour construire leurs habitations, leurs terrains privés et collectifs, leurs routes, leurs entrepôts, leurs emplacements d’instruments agricoles, etc. Les terrains défrichés assurent une certaine sécurité pour les civilisés, contre ceux et celles qu’ils ont chassés et violés, et pour le contrôle social des « sujets ». L’agriculture assure aussi l’obligation pour une masse d’humains à travailler sur des cultures limitées, créant ainsi un surplus de certains produits (une récolte de certains produits), posant ainsi les bases d’une planification unidimensionnelle (mettant en jeu la survie de la majorité de ses membres), un travail dirigé et coordonné, une division du travail à temps plein et une spécialisation due au développement technique en lien avec les monocultures. Ce processus de défrichage par des colons, ignorants mais fiers, a eu et continue d’avoir plusieurs conséquences. L’érosion, l’appauvrissement des sols, la désertification, etc., tous des éléments non considérés par les anarchistes pro-civilisation, sont les plus importants en termes de survie de l’humanité et l’occultation de ces problèmes causera un massacre à grande échelle. Je vais y revenir plus tard. D’autres impacts catastrophiques sont la destruction d’habitats pour les autres espèces animales (annonçant la mort lente pour la très grande majorité de celles-ci, donc un premier massacre), l’abattement inutile d’espèces vivantes (les arbres), la destruction d’espèces vivants dans le sol (champignons, bactéries, virus, etc., facilitant ainsi l’arrivée massive de certaines bactéries et virus plus virulents) et la contamination (et sa conséquence directe, la mort) de d’autres espèces vivant dans les eaux. Le défrichage a aussi des impacts sur la qualité de l’air et de l’eau, ainsi que sur l’approvisionnement de ressources vitales pour les animaux et les humains, telles que pour se nourrir, pour l’énergie, pour la construction, pour les outils, pour la santé, des ressources qui sont nettement en diminution. L’expansion coloniale en Amérique était vue comme la « destinée manifeste » de l’homme civilisé, est-ce que les anarchistes pro-civilisation arriveront un jour à remettre en question cette croyance? L’appauvrissement des sols pousse les civilisés à empiéter sur les régions voisines et renforce cette obsession de manquer de nourriture (probablement due à leur ignorance des écosystèmes comme garde-manger naturels). Même avec des idéaux communistes, les civilisés n’hésiteront pas à utiliser la violence pour obtenir ce qu’ils veulent, c’est-à-dire plus de terres à défricher. Ils utiliseront la force coercitive pour soumettre les peuples indigènes et ils justifieront leurs actes en argumenter que l’agriculture est plus efficace économiquement et possède plus de bienfaits. Les indigènes sont donc chassés, violés, massacrés, domestiqués et aliénés. Les animaux et les plantes sont chassés (pas toujours pour se nourrir, par exemple la traite de fourrures), détruits et déplacés. Le climat est altéré, la capacité de la terre à retenir l’eau, la capacité des plantes à créer de l’humidité atmosphérique, la stabilité du sol assurée par une couverture végétale, fongique et bactérienne permanente, la capacité d’absorption de la lumière du couver forestier, la création d’abondance et de refuges par l’espace forestier, l’abondance de produits des arbres et d’autres formes de vie, la capacité de calmer les vents et modérer le climat, tout ça est éliminé par l’agriculture. Toutes ces conséquences amènent des problèmes pour l’activité des civilisés, que ce soit les problèmes d’irrigation, de difficultés respiratoires, d’abri contre le soleil, la pluie et le vent, de vêtement (les vêtements de civilisés demandent plus de défrichage), de santé, de conflits, de transports et d’énergie, et toutes les solutions avancées par les civilisés sont mécaniques et amènent à leur tour toutes sortes de conséquences néfastes. Aveuglés par ce progrès, la destruction continue. De vastes forêts couvraient la Mésopotamie, l’Afrique du Nord, l’Europe méditerranéenne et le nord de l’Amérique centrale, où maintenant le désert progresse chaque année suite au passage de la Civilisation. Voulons-nous continuer dans ce chemin jusqu’à ce que la Terre ressemble à la lune, que poussière stérile et atmosphère asphyxiante? Est-ce que l’anarchisme selon certains n’est qu’un projet social utopique qui restreint les gens de vivre librement pour que la « révolution » se fasse exactement tel que planifié par les idéologues? Est-ce que Flood et ses supporteurs préfèrent la simplicité ignorante (raser une forêt, planifier une production de monocultures par la logique cartésienne) que la stimulation de la mémoire qu’offre une diversité de productions et des interactions complexes? Est-ce que leur utopie pro-étatique sous-évalue la capacité mentale des humains vivant librement? De plus, une terre cultivée est une terre qui, souvent, a été défrichée, et Flood semble ignorer toutes les conséquences du défrichage. Vous savez, le défrichage, l’agriculture, amène l’érosion du sol (la pédosphère). En fait, la vie sur Terre dépend de la vie dans les premiers centimètres du sol. La dégradation des sols, phénomène unique à la civilisation agricole, a déjà fait ses ravages en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique du Nord, là où les déserts ne cessent de s’agrandir. Ce phénomène a contribué, et contribue toujours, directement au changement climatique. L’agriculture détruit le biofiltre qui retient et redistribue les éléments nécessaires à la vie comme le carbone, l’oxygène, l’hydrogène, l’azote, les métaux… Le sol retient 60% de l’eau douce du monde et filtre l’eau qui se trouve par la suite dans les nappes phréatiques. Au Québec, un gramme de sol forestier contient trois milliards de bactéries. En 1991, 10 millions de km2 de sols étaient gravement dégradés selon une étude GLASOD. Selon le PNUE, de 1981 à 2003, près de 14 millions de km2 de sols auraient perdu une partie importante de leur capacité à produire de la biomasse. Du côté de la forêt, ce n’est pas mieux. Chaque année, la Terre en perd l’équivalence de la superficie de l’Irlande. Et l’écocide continue. La forêt empêche l’érosion du sol, l’eau est maintenue entre les racines, les végétaux qui se décomposent génèrent de la matière organique. La déforestation, souvent due à l’agriculture et à l’élevage, change radicalement la structure du sol. La matière organique se libère dans l’atmosphère sous forme de CO2 (cela compte pour 18% des émissions de gaz à effet de serre), l’eau ruisselle et entraîne des éléments nutritifs. Dans les régions tropicales, les terres défrichées perdent leur fertilité en moins de cinq ans. Il y a aussi les pluies acides, les feux et la coupe des arbres qui perturbent le sol et diminuent sa productivité. Voyons de plus près les pratiques agricoles. Sans la décomposition des plantes sur le sol même, les sols cultivés deviennent rapidement infertiles. La solution civilisée est les engrais chimiques. Tout comme le corps humain qui absorbe moins bien les éléments des suppléments alimentaires, les sols et les plantes n’absorbent qu’une petite partie des engrais chimiques. Combien d’efforts gaspillés! De plus, la grande partie des engrais qui n’est pas absorbée cause de multiples problèmes. Par exemple, elle se retrouve dans les nappes phréatiques, dans les ruisseaux et dans l’eau de puits et elle nourrit de virulentes bactéries qui nous contaminent. L’azote non absorbé se retrouve dans l’eau, sous forme de nitrate, et dans l’air sous forme d’ammoniac - qui, mêlé au gaz d’échappement, forme le smog – et d’oxyde nitreux – qui est 310 fois pire que le CO2 dans le réchauffement climatique. Le phosphore, rejeté dans l’eau sous forme de phosphate, contribue à la prolifération des algues, ce qui étouffe la biodiversité des lacs et des rivières. Le sol prend des années avant d’éliminer le phosphore en surplus. Dans les régions arides, où le sous-sol est souvent riche en sel, l’irrigation est catastrophique puisque le sel remonte à la surface et tue la vie. Chaque année, de 2 500 à 5000 km2 de terres arables se font condamnées par la salinisation. Selon le PNUE, le cinquième des terres irriguées sont sujettes à cela. L’écocide se poursuit. Les méthodes pratiquées en agriculture, telles que le labour, sont aussi catastrophiques pour le sol. La machinerie écrase et détruit le sol, la structure du sol et la vie dans le sol. En plus de toute la flore indigène, elles détruisent des mycéliums et des champignons microscopiques. Or, c’est grâce à ces champignons que de nombreuses plantes peuvent fixer l’azote et le phosphore du sol et se protéger des attaques virales ou chimiques. Le rendement a commencé à ralentir, les sols se dégradent et s’épuisent. Les rendements agricoles ne sont plus ce qu’ils ont été. On s’arrête pas là, avançons… Ajoutons à tout cela la ville, l’urbanité, la société de masse. Les zones urbaines occupent 400 000km2 dans le monde. Elles se sont propagées sur les sols les plus fertiles de la Terre. En plus de la destruction du sol, on le contamine. En Europe de l’Ouest, on a recensé deux millions de terrains contaminés par des résidus industriels. Là où il n’y a pas de normes environnementales, ce sont des immenses territoires qui sont touchés par la contamination, parce que ces pays reçoivent les résidus toxiques de partout à travers le monde. L’Afrique stocke 30 000 tonnes de pesticides interdits ailleurs. Le plomb, qui n’est plus dans l’essence depuis les années 90, est toujours présent dans les sols. On y retrouve aussi de la platine et l’osmium, qui proviennent des ordinateurs et des pots catalytiques des voitures. Selon Daniel Nahon(15), 20 000 à 50 000 km2 de sols disparaissent chaque année, et la désertification menace 70% des régions arides de la planète. L’écocide amènera le génocide. Qu’est-ce que le maintien de l’agriculture (et la destruction des sols qu’elle provoque) combinée à une gestion ouvrière y changera? L’agriculture n’est donc pas une pratique durable et viable écologiquement(16). Rappelons l’argument de Flood : il y a plus de bouffe pour nous dans un champ que dans une forêt. Au moment de la récolte, peut-être, mais pas le reste de l’année. De plus, la forêt de chêne comme le suggère Flood contient d’autres plantes comestibles que les glands, de la nourriture pour les espèces vivants, des animaux qui s’y promènent, des propriétés médicales qui ne se retrouvent pas dans un champ de patate, des valeurs nutritives plus complètes et riches, une régénération riche du sol, sans produits cancérigènes ou dommageables pour le sol et l’eau, enfin, des peaux et fibres pour les vêtements et la construction, sans oublier une matière importante pour le feu. Finalement, une diversité et une abondance plus riche que les champs. Flood persiste : « la variante cultivée aura de beaucoup plus gros grains et en une plus grande proportion ». Ce qu’il occulte de nous dire c’est que la valeur nutritive est inférieure à la variante sauvage (qui offre des fruits et des graines de diverses tailles). Et qui n’aime pas mieux les fraises sauvages que les grosses fraises cultivées qui goûtent l’eau! Le paraître est-il plus important? Cela nous ramène à la question du prestige, de l’opulence, de la surconsommation et du gaspillage. Selon Flood, on manque de nourriture, on va tous mourir sans l’agriculture, il faut donc produire plus… Est-ce que vous savez combien d’aliments sont jetés à la ferme parce qu’ils ne conviennent pas aux goûts des consommateurs (le paraître), combien d’aliments sont jetés dans les magasins d’aliments, et combien d’aliments (ou parties comestibles d’un aliment) sont jetés dans les restaurants et les foyers? C’est une importante partie de la production initiale qui est jetée (à la poubelle, même pas au compost). Et l’argument des calories n’a pas de sens lorsqu’on pense à la nécessité calorique des individus. Comment comparer le travail effectué par des êtres libres (sans trop d’heures de travail et sans travail aliéné) avec le travail forcé et aliénant des civilisés? La construction de la civilisation (les murs de la cité, les palais, les industries, les aqueducs, etc.) et le travail agricole (intervention constant sur la nature, domestication, stockage, le transport des vivres, etc.) nécessite un travail d’esclave, il devient évident que les calories brûlées vont être plus élevées. Il faut avoir une conception mécaniciste de l’humain pour penser uniquement aux calories. Il y a d’autres choses que le travail dans la vie! Il ne faut pas oublier que le recensement du nombre d’habitants à l’époque de la colonisation européenne du reste de la planète s’est justement produit après le contact, c’est-à-dire après une invasion militaire, où les massacres, les viols, les déplacements forcés, la mise en esclavage (avec les conditions misérables de la nouvelle vie des esclaves et du transport d’esclaves) et la propagation de maladies contagieuses mortelles pour les non-civilisés ont provoqué une chute de la population indigène (ou devrais-je dire le plus grand génocide de l’histoire?). Il devient alors très difficile de minimiser la complexité de ces sociétés et leur capacité à soutenir une population de manière viable en utilisant des chiffres décontextualisés. À la même époque de ce génocide, où la vie de la très grande majorité de la population européenne (se nourrissant quasi exclusivement d’aliments issus de la culture du blé) vivait dans la misère, les populations non civilisées et non agricoles du globe ne semblaient pas exploiter leur environnement de manière non soutenable. Flood argumente que c’est à cause de la sur-chasse que les mammifères ont disparus. Il nous (techniquement et culturellement) projette dans le passé : il dépeint un portrait d’un chasseur avec une sagaie de type AK-47 en train de tirer dans le tas ne laissant aucun survivant… C’est tout le contraire de l’éthique du chasseur-cueilleur. La surpêche et la sur-chasse en Amérique du Nord ont été perpétuées par les colonisateurs qui en prenaient plus que ce qui en avaient de besoin. C’est entre autres une différence entre pratiques soutenables et non-soutenables qui distingue les indigènes des colonisateurs. Et la surpêche et la sur-chasse a été facilité par des moyens technologiques plus destructeurs des écosystèmes. Un exemple, le massacre des 60 millions de bisons de l’Amérique et des 20 millions d’antilopes pronghorn, comme souligné par Jensen (17), par la chevalerie de l’armée des États-Unis et des colons agricoles n’a pas été causé par la chasse visant l’autosuffisance, cela a été un acte nécessaire pour anéantir une culture non civilisée (les indigènes des prairies nord-américaines) et pour satisfaire l’expansion de la civilisation agricole. Il faut souligner que les populations de bisons et d’antilopes ont été chassées depuis plusieurs milliers d’années auparavant, sans qu’il y ait eu de sur-chasse. Les hypothèses des entrepreneurs de la recherche sur les événements passés (ex : la baisse des grands mammifères due à la chasse des hommes précapitalistes) sont celles qui justifient où nous sommes rendus aujourd’hui. C’est aussi un pattern culturel qui refait surface à chaque fois que notre édifice culturel (de croyances) est ébranlé par un pavé du camp de la vérité : cela a dû se passer ainsi, peu importe le cul-de-sac que nous propose la civilisation, on continue d’avancer… pas question d’abandonner. Voir le monde qu’à travers notre lentille culturelle (même les anarchistes transportent des croyances, des valeurs, des automatismes, des normes, des règles de conduites, des rôles, des comportements intériorisés par les institutions dominantes de notre civilisation - la famille, l’école, le milieu de travail, le syndicat, la taverne, le club de fans,…) nous amène à nier l’écocide. Sans le développement d’un sens critique complétant notre analyse, on peut facilement tomber dans le panneau, dans ce cas-ci, dans la logique culturelle dominante qui nous positionne toujours comme étant socialement « supérieurs » qu’avant, faisant du déterminisme (l’évolution des espèces) social le fondement de l’argument des pro-civilisation. Mais au lieu que l’agriculture se soit développée au moment où que nous aurions « sur-chassé » les grands mammifères comme l’affirme Flood, n’est-ce pas plutôt celle-ci une des causes de l’extinction des grands mammifères tout comme l’expansion de l’agriculture sur les forêts est une des principales causes de l’extinction de plusieurs organismes vivants aujourd’hui? Je dis bien une des causes, parce que l’hypothèse anthropologique la plus vraisemblable est que la fin de la dernière glaciation a bouleversé le climat et le paysage des steppes occidentales : le climat froid et rugueux ainsi qu’une steppe (herbes) riches et abondantes ont favorisés le développement de mammifères énormes. Le contexte de la déglaciation (changement de climat et du type de végétation) a donc apporté graduellement un environnement qui n’était pas adapté aux grands mammifères. Ce contexte a surtout provoqué une évolution chez les animaux vers la réduction de leur taille, non pas une extinction généralisée. Plusieurs autres facteurs ont pu jouer un rôle dans l’extinction des grands mammifères sur la surface de notre planète. Il y a eu l’expansion des terres agricoles (et la production planifiée des denrées agricoles) pour nourrir les citadins et les esclaves concentrés dans les premières villes (les cités-État); il y a eu l’expansion de la pratique de l’élevage d’animaux domestiqués pour nourrir les mêmes catégories de personnes; il y a eu les tentatives de domestication des grands mammifères pour soutenir le travail des esclaves. Tous des facteurs reliés au phénomène social de la civilisation. Avec le retrait des glaciers, on a aussi assisté à une expansion de la forêt vers le nord. Il y a peut-être eu des peuples qui n’ont pas pu s’adapter à ces changements et ont opté pour raser la forêt et pratiquer l’agriculture, mais l’agriculture s’est développée en Mésopotamie, où il y avait de vieilles grandes forêts(18). De plus, lorsqu’on note que les peuples non-civilisés à l’époque de la colonisation européenne survivaient très bien dans les forêts, on voit l’intérêt de réfléchir sur les cofacteurs du développement de l’agriculture. Parmi celles-ci, il y a la propriété de la terre et des femmes, la domestication (10 000 avant J.C.), le pouvoir politique et la hiérarchisation de la société, la religion, la culture symbolique (travail et production organisé, entreposage, inventaire, taxes,…), la guerre… enfin, la domination de l’homme sur la nature et sur les « autres », la civilisation. L’argument du nombre ne tient donc pas la route. Les zones densément peuplées en Amérique précolonial qui n’ont pas tombées dans le joug de la civilisation démontrent bien la non-nécessité de celle-ci. Malheureusement, les croyances en la supériorité des civilisés sont quasi-fidèlement reproduites par les communistes libertaires proto-étatistes. Les pro-civilisation ne sont pas seulement ignorants du fonctionnement et des fruits de la nature, mais ils sont avant tout irresponsables envers les prochaines générations. Flood et les remâcheux de sa critique ne s’arrêtent pas un instant pour réfléchir au débat entamé et à toutes les questions que cela nous force à se poser, ils décident plutôt d’occulter le débat et d’avoir recours à des tactiques de diffamation : les niveaux de populations envisagés par les anarco-primitivistes devraient être obtenus par une mortalité massive de type massacre organisé. Ironiquement, Flood se défend rapidement d’utiliser une tactique diffamatoire en y associant quelques écrits d’« anarco-primitivistes ». Certaines citations sont effectivement inquiétantes, d’autres sont plus des visions pessimistes du futur qui nous attend si la destruction de la vie continue, d’autres ont vraiment aucun liens avec ce que Flood avance. Mais le plus grand problème de Flood c’est qu’il cite n’importe qui, n’importe quoi, en forçant trop souvent les liens entre deux concepts antagonistes (anarco-primitiviste et massacres organisés). Je n’envisage pas m’éterniser sur ce point étant donné que cela saute aux yeux de n’importe quelle personne qui connaît les sources. Prenons trois exemples. La citation de Miss Ann Thropy (apparue dans le journal d’Earth First! 1987) ne démontre qu’un extrait d’opinion. Plus important encore, ce journal ne se définissait pas « anarchistes », ni même « anarco-primitivistes » à cette époque! Il se positionnait plutôt comme des « écologistes profonds ». Cette tendance a dominé ce journal jusqu’à tout récemment. Même aujourd’hui, les groupes EF! ne partagent pas tous les mêmes idées. Quel tour de force de la part de Flood! Deuxième exemple : d’après Flood, Derrick Jensen serait favorable à une extinction massive de la population parce qu’il parle « d’aider le monde naturel à l’abattre [la civilisation] ». Vous y comprenez quelque chose? Je suggère fortement à ceux qui tiennent ce genre de discours de lire au moins un de ses bouquins et d’argumenter de manière plus cohérente et soutenue. Dans son livre A Language Older Than Words, Jensen nous rappelle tous les actes génocidaires survenus à partir de la colonisation européenne du monde. La courte citation de Jensen citée par Flood fait un peu plus de sens, non? Enfin, troisième exemple, et le pire : Flood cite un extrait d’un article de Steeve Booth apparu dans Green Anarchist (UK) où il prend la défense des tactiques des poseurs de bombes d’Oklahoma et du gaz mortel utilisé par le culte du sarin de Tokyo. Flood oublie de mentionner que Steeve Booth s’est retrouvé hors du collectif original de Green Anarchist et qu’il a démarré une nouvelle publication (aussi sous le nom de Green Anarchist, qui a été d’une brève durée) avec des positions clairement anti-primitivistes. Ainsi le château de carte de Flood s’écroule, en menant avec lui sa critique réactionnaire. En poursuivant le projet de la civilisation à terme (l’agriculture, l’élevage, la coupe de bois, la domestication de la vie, etc.), on pourra sûrement augmenter le niveau de la population mondiale, à tout le moins, de notre vivant. Mais certains refusent d’être des égoïstes orgueilleux, des bébés gâtés, et réfléchissent aux actions dans le présent et aux intérêts des futures générations. Poursuivre dans ce sens comme le suggère les communistes libertaires pro-civilisation ne résout pas le problème de la surpopulation, ils ne font que remettre à plus tard le problème, ne laissant pas d’autre option qu’un massacre organisé ou une catastrophe. Au lieu de réfléchir à la question soulevée par certains (l’augmentation de la population au taux actuel a déjà causé et continue de causer un massacre de populations indigènes et l’extinction de plusieurs espèces d’animaux et de plantes, qu’est-ce qui arrivera à la population lorsque la productivité baissera due à l’appauvrissement des sols, que la déforestation sera presque complète et que les humains seront complètement dépendants de l’État?), les pro-civilisations ferment les yeux et remettent le fardeau de la charge accumulée sur le dos de leurs petits petits enfants, quelle solidarité! Cela est complètement irresponsable de la part de soi-disant anarchistes. La décroissance comme proposition de solution Quels sont les facteurs de la croissance rapide et continuelle de la population? Réfléchissez bien à cette question, vous éviterez peut-être un jour de marcher sur un terrain tourbièreux. Mieux, vous n’allez pas couper les arbres aux alentours d’une tourbière existante à des fins agricoles et forestières, ce qui n’aura pas comme effet de l’étendre. Parmi les facteurs de croissance, on peut mentionner : l’inaccessibilité forcée (guerre, déplacement forcé, raid) aux plantes utiles aux femmes, la perte forcée (guerre, déplacement forcé, assimilation, acculturation, ethnocide) des savoirs concernant l’application thérapeutique de ces plantes, la perte d’un mode de vie favorisant l’espacement entre enfants (mode de vie semi-nomadique, allaitement prolongé, efforts musculaires soutenus, préservatifs naturels), la religion (la pression sur les personnes de se reproduire perpétuellement comme les animaux domestiqués), le capitalisme (la demande et les ventes doivent s’accroître pour rassurer les investisseurs), l’État (un État voisin pourrait t’envahir s’ils ont plus d’effectifs...), etc. Tout cela ne vous sonne pas familier? La croissance rapide et continuelle, sans aucun égard pour la biodiversité de notre planète, est une conséquence de la civilisation et de leur logique de création de richesse à partir de l'exploitation et du pillage sans fin de la vie. Les anarchistes anti-civ se sont inspirés des analyses des peuples primitifs de certains anthropologues, tels que Marshall Sahlins, Stanley Diamond, Pierre Clastres et Richard Lee, pour concevoir les bases pour des éco-communautés libertaires. Dans le domaine de l’alimentation, on apprend qu’ il y a abondance des choses essentielles à la vie, que leur régime alimentaire était riche et varié (suivant les saisons afin d’assurer une alimentation complète et d’éviter la sur-cueillette ou la sur-chasse), que le mode de vie semi-nomadique permettait d’être au bon moment pour leurs activités de cueillette et de chasse, qu’il n’y avait aucune pratique de contamination des lieux, que leur éthique écologique (toujours laisser plus que ce qu’on prend) favorise la régénérescence des espèces vivantes. Un de ces anthropologues dira aussi que les primitifs sont peut-être pauvres au niveau matériel comparativement à nous (possession d’objets inutiles), mais qu’ils ne manquent de rien d’essentiel, qu’ils ont des produits de meilleur qualité, qu’ils (ceux et celles pas endommagés par le contact avec la civilisation) vivent pleinement leur vie et qu’ils ne connaissent pas la misère comme la majorité des gens vivant sous la civilisation. Ils vivent (ou vivaient) en petits groupes, mais se rencontraient souvent avec les autres groupes pour former un regroupement plus large afin de partager les connaissances et les pratiques, de fêter les plaisirs de la vie, de discuter de certains problèmes, etc. Ce contact temporaire, mais perpétuel, favorise la cohésion et la paix sociale dans le groupe plus large. Les naissances sont espacées et la population assez stable, augmentant légèrement lorsque les conditions sont très favorables, diminuant légèrement lorsqu’elles sont moins favorables. Les primitifs sont aussi reconnus pour ne travailler que 2 à 4 heures par jour, en incluant toutes les tâches dites domestiques. Cela laisse largement le temps aux femmes et aux hommes d’avoir du plaisir (danser, jouer de la musique, nager, jouer,…) ainsi que d’éduquer les enfants (observation de techniques, jeux, récits, expédition, …). Les activités exécutées par un individu du groupe sont variées (pas de division du travail à temps plein) et donnent la priorité aux besoins primaires de tous (autonomie du groupe). Plus l’individu est libre, plus il se sent faisant partie du groupe. De plus, les désirs et les besoins des individus changent avec les phases de la vie de ces personnes, c’est-à-dire selon la capacité et les besoins d’une personne à un moment précis de sa vie. Les communautés prennent aussi en compte les besoins de tous les membres, ce qui pousse à rechercher un équilibre dans le groupe. Peu importe la division partielle et temporelle du travail dans ces communautés, chacune des tâches, chaque rôle, chaque geste revêtent la même importance aux yeux de tous, si ils contribuent à l’épanouissement de tous. Alors comment arriver à un niveau de population plus soutenable pour la biodiversité? Les anarchistes, tout comme bon nombre d’écologistes radicaux, se tournent vers la décroissance. Certains préfèrent lui rajouter le qualificatif de « volontaire », de « conviviale » ou de « libertaire » pour souligner l’aspect non-autoritaire du projet de décroissance. En ce qui concerne la décroissance dans la production/consommation, ce qu’il faut retenir c’est que la production peut facilement décroître (la quantité) en améliorant la qualité des objets utilisés, mais surtout en diminuant notre dépendance à ceux-ci (aux gadgets technologiques surtout) en ayant une vie non aliénante et en privilégiant l’expérience directe avec notre environnement. Quant à la décroissance de la population, certains pensent qu’elle devrait être envisagée afin d’harmoniser les rapports inter-espèces et de s’assurer d’un cycle naturel soutenable à très long terme. Même si la population s’est tellement multipliée dans les dernières décennies, c’est encore envisageable d’un point de vue libertaire. Pour défendre mon point, prenons un exemple tiré du monde des chiffres, ce qui devrait plaire à Flood. Dans un contexte de révolution mondiale, la population est libre, elle ne subit plus aucune obligation ou de pression de produire des bébés (la fin de la religion, de l’État, du capitalisme, des normes sociales, de la reproduction de l’institution contemporaine de la famille), elle s’est réappropriée des savoirs thérapeutiques et des pratiques traditionnelles (en plus d’un rééquilibre hormonal dû à la fin du plastique et des hormones présents dans la viande et les produits laitiers) afin d’éviter des accouchements continus… alors dans un contexte comme celui-là, en tenant compte qu’il y a des individus qui ne veulent pas d’enfants, que les homosexuels n’ont habituellement pas d’enfants (cela n’empêche pas que ces individus puissent participer pleinement à élever et éduquer les enfants de la communauté), qu’une amélioration des conditions de vie, d’hygiène, de la liberté individuelle et collective favorise historiquement un taux de natalité assez bas, disons aussi que le désir de décroître dans la population est partagé et que ceux et celles qui en veulent visent un enfant par deux personnes, cela prendra 4-5 générations (environ un siècle) avant d’atteindre un niveau soutenable pour une population mondiale de chasseurs-cueilleurs selon les plus sceptiques. Un siècle, ce n’est pas si pire si nous considérons que la destruction de la civilisation et le recontact à la vie sauvage (une dédomestication de nos manières de penser, d’interagir et de vivre, une réappropriation des savoirs oubliés, des moments d’expérimentations sociales, d’essais-erreurs, de découvertes de nouvelles techniques non-destructrices, un apprentissage de la cueillette, de la permaculture, de l’horticulture écologique) nécessiteront une période de transition étendue à travers au moins deux générations. Vous doutez d’une révolution mondiale, vous faites bien, les chiffres nous offrent toujours des abstractions loin de la réalité. Par contre, la faisabilité abstraite est là, maintenant c’est à nous de réfléchir, de théoriser à partir de nos expériences concrètes et d’élaborer une pratique révolutionnaire qui inspirera les gens. Flood affirme que l’exploitation agricole (agriculture et l’élevage) et forestière permettrait d’atteindre une population mondiale de 30 milliards d’habitants. Je ne pense pas que vous aimeriez vivre dans ce genre de goulags, gérés par un système totalitaire. De toute façon, son affirmation est grossièrement exagérée, surtout lorsqu’on sait que l’exploitation agricole et forestière appauvrit de plus en plus de sols et diminue chaque année les terres arables disponibles pour se nourrir. Les communistes libertaires sont complètement irresponsables d’envisager une telle perspective face aux générations futures. Voyez-vous la falaise à l’horizon? Vous serez probablement décédé avant d’arriver là, vous n’aurez pas à vivre avec les conséquences de vos actes égoïstes. Devons-nous croître la population et coloniser (expansion) toutes les espaces habitables, comme l’ont ordonné maintes fois les religions et les idéologies (surtout les conceptions économiques promouvant la croissance et le développement) de ce monde, aux dépens de notre bien-être individuel et collectif? Table rase de la société technico-industrielle, étatique et capitaliste, ou récupération de la mégamachine Flood rejette la validité de la réflexion anti-civ et aimerait vous convaincre de faire de même sans offrir des arguments valables. De quoi a-t-il peur? Il va jusqu’à prétendre que le « combat anarchiste pour la libération… implique d’adopter la technologie à nos besoins plutôt que de la rejeter »! C’est basé sur quoi ça? Son autorité de bon militant anarchiste? Il ne définit pas ce qu’il entend par « besoins », parce qu’il sait très bien que c’est un terrain glissant. Il devra parler de la nécessité de certains besoins créés par l’État, la religion et surtout par le capitalisme. Il devra aussi réfléchir aux structures (aux effets de celles-ci sur l’environnement) nécessaires à produire certaines technologies, même dites vertes. Sélectionner des technologies non aliénantes et non destructrice parmi celles développées jusqu’à présent, peut-être, mais les technologies sont souvent tellement intereliées entre elles que cela diminue encore plus le nombre de ces technologies. Ajuster et adapter les technologies pour qu’elles répondent à la viabilité écologique et à la non-hiérarchisation de la société, essayons, pourquoi pas. Créons et développons des technologies dans un contexte social où les individus sont libres et épanouis, et où nous n’exploitons pas la nature, ah, ça c’est stimulant. Pourquoi ne pas baser nos communautés libertaires sur les technologies qui ont fait leurs preuves en matière d’égalité d’accès à celles-ci (n’impliquant pas de division de travail et de travail forcé), qui ne modifient pas radicalement l’écosystème en place, qui sont faites de matériaux qui ne laissent aucun résidu nocif pour la santé dans sa fabrication, et qui est décomposable? Les habilités et les outils primitifs sont sans aucun doute une base répondant à ces quelques critères sur laquelle nous pouvons construire nos communautés libertaires. Flood se lance dans sa campagne de peur en brandissant le danger de l’anarco-primitivisme : « tout ce que nous aurons construit sera réduit en poussière ». Les anarchistes anti-civ veulent détruire les technologies construites par et pour des gens de pouvoir, sous un contexte social autoritaire dirigé par l’État, l’Église et les corporations, des technologies qui ont été souvent créées pour soutenir un génocide d’une très grande partie de la population mondiale. Table rase de la société actuelle pour enfin vivre (jouer, se reposer, créer…), c’est bien cela ce que propose l’anarchie. Une critique non fondée Flood essaie de donner une leçon de morale à ceux et celles qui osent parler de crise énergétique avec l’avènement de la fin des combustibles cheap que nous procurent le pétrole(19). Le premier problème de son argumentation est qu’il n’expose jamais les arguments des éco-anarchistes qui se prononcent sur le sujet, mais met plutôt des mots dans la bouche des autres. Le deuxième problème c’est que les anarco-primitivistes partagent un des arguments centraux de son analyse de la situation : celui que le pouvoir peut s’adapter à toute crise (en faisant la récupération de l’alternative) et essaiera même de faire du profit sur celle-ci. Mais au lieu de s’arrêter à des constats très probables, les anarchistes anti-civ abordent cette question sur le côté pratique du problème, en explorant la mise en pratique de la dédomestication, de l’entraide mutuelle, de la coopération volontaire, de l’autonomie, ainsi que la responsabilité individuelle et collective face aux actions entreprises, tout cela afin de combattre (ou du moins, être prêt à combattre) la récupération par l’État de la réponse à la crise et de combattre la tendance d’une partie des masses à se diriger vers un État protecteur et totalitaire suite à n’importe quelle « catastrophe » ou « crise ». Alors, le problème majeur de son argumentation est que les anarco-primitivistes sont très conscients que les crises affecteront principalement les populations pauvres de la planète (acculturées et dépendants de l’État pour l’organisation des secours) et non ceux qui détiennent le pouvoir (ni les relations sociales qui soutiennent le pouvoir). Les alternatives dites vertes (plastique fait à partir de maïs, piles, agro-carburants,…) détournent l’attention sur les causes du problème, tout en polluant autrement la biosphère. La récupération a déjà commencé. S’il n’a pas compris cela, c’est qu’il n’a pas lu sur la perspective anarchiste verte sur la crise énergétique. Il leur reproche d’avoir « oublier que l’on vit dans une société de classe » et que le problème est qu’il y a « un accès assez incroyablement inégal » aux ressources. L’accès inégal aux fruits de la nature est à la base même de la critique de l’organisation sociale hiérarchisée des anarchistes anti-civ. Flood doit maintenant expliquer ce qu’il veut dire par « accès aux ressources ». Qu’est-ce qu’il veut dire par généraliser la consommation d’un occidental aisé partout à travers le monde? Il est fréquent de rencontrer des communistes libertaires proto-étatistes qui adhérent au culte des marchandises. C’est ce désir intense de posséder tout ce qu’ils ne peuvent pas présentement qui poussent ces gens à accepter à bras ouverts la société industrielle. Or, chez les anarchistes anti-civ, l’accès égalitaire aux « ressources » ne veut surtout pas dire une « exploitation » non soutenable des fruits de la nature, c’est plutôt une question d’autosatisfaction des besoins fondamentaux de tous les membres du groupe, des besoins qui n’ont rien à voir avec le besoin de maintenir l’organisation hiérarchique et des exigences du système technico-industriel. Alors, dans une communauté anarchiste, les besoins seront satisfaits par les individus eux-mêmes, définis selon leurs désirs, et la volonté de moins travailler (dans un cadre où le travail n’est pas imposé) jouera un rôle décisif sur les besoins sociaux non primaires que les individus ressentiront. Pour reprendre un extrait d’un article anarchiste anti-civ, les sociétés non-civilisées sont inspirantes puisque ses membres « sont capables de fabriquer toutes les choses dont ils ont besoin au niveau individuel, familial ou villageois. Ils cultivent ou collectent leur propre nourriture, cousent leurs propres vêtements et façonnent des outils à partir de matériaux naturels. Les produits que ce genre de société produit sont conçus en fonction de leur culture régionale en adéquation avec les besoins spécifiques et les désirs des gens vivant dans leur propre environnement local. Ces technologies permettent aux gens de vivre de façon autonome, sans État et de manière égalitaire, ainsi que d’exprimer une vaste diversité culturelle et linguistique »(20). L’accès aux « ressources » est toujours égal puisque la terre n’appartient à personne et les membres de la communauté valorisent la satisfaction des besoins par soi-même, en famille ou en collectivité. L’autre partie de l’argument de Flood concerne plus spécifiquement la place de l’analyse de classe dans la réflexion anarchiste. Ici encore il démontre une méconnaissance de la théorie anti-civ en affirmant que l’analyse du social est absente de cette théorie. Le problème vient du fait que les communistes libertaires « marxistes orthodoxes » se bornent au concept de « classes » et occultent toutes les autres formes de hiérarchisation de la société, ainsi que les formes de domination qui caractérisent les civilisations. Pour exemplifier sa méconnaissance de la théorie anti-civ, je vais faire un résumé personnel de l’analyse du social que fait Fredy Perlmann dans son ouvrage Contre le Léviathan. L’auteur utilise le terme de zeks pour parler des ouvriers, des esclaves et des forçats qui sont le lot de la civilisation. À chaque début de civilisation, on note qu’elle a été initiée par des chefs (et leurs compagnons) qui veulent que leur nom soit rappelé à travers le temps (par exemple, Gilgamesh de la civilisation sumérienne ou les pharaons de la civilisation égyptienne), en édifiant des murs autour de la cité, en polluant les cours d’eau, en rasant les forêts environnantes, en bâtissant des pyramides, ainsi que des temples et des monuments prestigieux. Pour accomplir tout ceci, ils ont dû exploiter toutes les ressources possibles dans leur région respective. La civilisation est un être artificiel, une sorte de machine, et le mouvement de celle-ci est le résultat du travail forcé du 99% de la population, la masse est asservie à la machine, les engrenages sont engraissés par la misère de ces esclaves, et aucune révolte significative n’est possible s’ils restent domestiqués (soumis à l’exigence de la civilisation). La civilisation est la destruction de la biosphère afin d’obtenir plus de pouvoir. La guerre à la civilisation avec les mêmes moyens que celle-ci reproduira la civilisation, puisque les moyens déterminent la fin (l’organisation guerrière transforme radicalement la structure même de la communauté qui l’adopte). La civilisation n’engloutie pas seulement les vies humaines, mais toute la vie sauvage sur son passage, elle uniformise la nature en détruisant la diversité, elle essaie d’imposer un ordre dans un paysage chaotique mais fertile, elle stérilise la reproduction naturelle et débalance l’équilibre naturelle de la biosphère. Nous pouvons retrouver un autre exemple d’une analyse de la hiérarchie sociale dans les nouvelles d’actions publiées (plusieurs pages il faut souligner) dans le journal Green Anarchy, portant sur les actions des luttes des plus démunies de la planète (des indigènes, des paysans, pour les animaux, pour la Terre, des émeutes et des révoltes anarchisantes). La division hiérarchique de la société (dont les classes sociales sont un type) est au cœur de la théorie anti-civ. Cependant, elle ne se limite pas à la hiérarchisation économique de la société (la propriété des modes de production). Les communistes libertaires proto-étatistes semblent occulter les facteurs sociaux de la domination pour se limiter qu’au cadre d’analyse marxiste orthodoxe dans leur analyse. L’anthropologue Pierre Clastres a écrit(21) un jour que l’exploitation économique des individus a été possible suite à la domination politique de ceux-ci. Il a fallu l’établissement d’une contrainte (physique ou psychologique, mais réelle) sur les membres du groupe afin qu’ils se soumettent, s’aliènent, aux décisions du ou des dominants. Cette société policée a permis de faire accepter socialement le fait que les individus travaillent pour un autre (travail forcé) et que les « ressources » naturelles et les moyens de production appartiennent à certains (propriété). C’est tout le contraire de la coopération volontaire. Le modèle tribal a comme caractéristique d’inciter les membres à abandonner ceux qui tentent de s’approprier du pouvoir, les membres arrêtent de leur donner de l’importance, ils les méfient, ils dévalorisent ce type de comportement. Au début de la civilisation, il y a eu quelque chose qui les ont empêchés de prendre un autre chemin, c’est la domination politique par la violence physique. Les marxistes orthodoxes ont souvent la misère à sortir des sentiers battus. Enfin, tout ça pour dire que la théorie anti-civ nous force à garder à l’esprit le plus possible de facteurs sociaux lorsque nous analysons un phénomène, et surtout les interrelations entre les formes de domination. La réflexion anarchiste sur la civilisation a élargi nos perspectives sur les causes de la hiérarchisation sociale et sur les causes qui agissent comme obstacles à la plus grande liberté pour tous et toutes. Comme anarchiste, il faut examiner toutes les formes de domination (anthropocentrisme, ethnocentrisme, patriarcat, etc.) dans nos sociétés. Les anarchistes anti-civ n’ont fait que contribuer à cette tendance grandissante de pensée critique dans le milieu anarchiste contemporain. Le salissage final; une tentative désespérée de discréditer des anarchistes « Il y a une langue plus vieille de loin et plus profond que les mots. C'est la langue de la terre et c'est la langue de nos corps. C'est la langue des rêves et de l'action (…) Nous souffrons de la méperception du monde. Nous nous croyons séparer l'un de l'autre et de tous les autres par les mots et par les pensées. Nous croyons - rationnellement, nous pensons - que nous sommes séparés par la rationalité et que percevoir le monde "rationnellement" est de percevoir le monde tel qu’il est. Mais percevoir le monde "tel qu’il est" est aussi de le mépercevoir entièrement, de nous aveugler à un encore plus grand corps de vérité. » Derrick Jensen(22) À court d’argument, Flood et autres communistes libertaires proto-étatistes s’en prennent aux anarchistes critiques à leur organisation en forçant un lien entre les « mauvais » anarchistes et les nazis. Ils le font en associant « mouvement écologique » à « irrationnel » et donc à « Nazi » et plusieurs communistes libertaires proto-étatistes s’amusent à faire des liens entre le mouvement écologique et la politique nazi. C’est une formule mathématique fausse qui n’aboutit à rien. Dans son ouvrage Les naturiens, précurseurs de l’écologie, Dominique Petit note aussi ce révisionnisme historique de la part de certains soi-disant libertaires et écrit à ce sujet: « Les dérives politiciennes de l’écologie politique amènent actuellement une partie du mouvement libertaire à réinterpréter l’histoire de l’écologie et à lui découvrir, comme par hasard, une origine inavouable chez Pétain, voire chez les nazis (éco-fascime). Cette mystification a évidemment un seul but, déconsidérer l’ensemble de ce courant. Celui-ci remet en cause bien des comportements et des modes de vie : certains libertaires ne semblent guère prêts à abandonner le règne de « la marchandise ». La critique de la civilisation d’une perspective libertaire n’est donc pas un phénomène nouveau comme l’affirme Flood. Les naturiens, c’est un mouvement qui a pris naissance à Paris en 1894 et on a assisté à plusieurs publications prônant cette philosophie. Plusieurs naturiens ont tenté de bâtir des éco-communautés libertaires (des colonies libertaires). Certains des auteurs les plus connus de cette tendance sont: Philippe Pelletier, Émile Gravelle, Honoré Bigot, Henri Zisly et Tanguy l’Aminot. Une critique de la civilisation est aussi présente chez Henri David Thoreau, essayiste franco-américain au XIXe siècle. Voici deux extraits qui démontrent l’existence de la critique de la civilisation chez les naturiens : « La civilisation, en contraignant l’individu à travailler pour pouvoir manger, commet un abus de pouvoir. Car tout être a le droit de vivre sans produire, tant qu’il se contente des produits naturels… Dans la nature tous les hommes sont libres et indépendants; la propriété n’existe pas parce qu’on use des choses telles qu’elles sont, sans leur faire subir aucune préparation, ni transformation… Seul le retour à l’état naturel amènerait la suppression de la propriété » Henri Zisly(24) « Vivons, aimons, connaissons et protégeons la Nature mais ne la déifions pas, ne l’idolâtrons pas, n’y élevons pas de temples, ne fondons pas un nouveau culte sur les dogmes supprimés par les cerveaux libres, mais luttons pour l’existence des lois naturelles, les seules lois que nous admettions! Et nous serons heureux, tous et toutes, car la vie sera Joie et Bonheur, car la Terre sera peut-être un Paradis et l’Enfer social existant sera disparu avec la Civilisation, inepte, ignoble et immonde, qui l’a créé! A bas la Civilisation! Vive la Nature! » Henri Zisly(25). Notons aussi que le nazisme, le fascisme et le communisme autoritaire sont des produits de la civilisation occidentale et ils ont appuyés leurs méthodes autoritaires sur la science occidentale moderne. L’organisation sociale tribale ne transporte pas avec une finalité autodestructrice comme l’a démontré le nazisme. Pour les groupes d’humains, elle a fonctionné durant des centaines de milliers d’années, tandis que les civilisations se sont toujours autodétruites. Le lien entre mouvement écologique et nazisme est donc une manipulation de certains qui ne veulent pas abandonner le consumérisme offert par le capitalisme. De plus, la rhétorique nazie fait communément appel au principe de rationalité, d’utilité et d’efficacité (la suprématie des principes abstraits sur les émotions, les sentiments et les intuitions) et à d’autres grands traits de la modernité (industrialisation, fordisme, nationalisme, impérialisme, mass média, etc.). La « science » de la civilisation occidentale transporte avec elle la présomption d’un monde compétitif, violent et de lutte pour la domination afin de survivre. Avec cette présomption (et le fait que les scientifiques sont presque tous issus de milieux aisés), elle finit toujours par justifier le déroulement du monde tel qu’on le vit, l’ordre social établi (la hiérarchie sociale), les formes de domination appliquées (le patriarcat, l’espècisme, la religion, le salariat, etc.). Avec le changement de paradigme amené par la modernité (une interprétation du monde de type idéologique), la science occidentale s’est institutionnalisée et a poursuivi son instrumentalisation; elle s’est totalement soumise aux exigences de l’appareil technico-industriel. On forme des techniciens pour l’industrie, on les forme à isoler des objets pour mieux dominer notre environnent, on ne cherche pas à comprendre notre relation avec les êtres vivants (humains ou non) pour mieux vivre et s’entraider. Promouvant le détachement de ses propres expériences et ses sens (comme le font les scientifiques occidentaux), il devient concevable de tuer mécaniquement des êtres vivants sans affecter émotionnellement celui ou celle qui commet l’acte. Pire, ces scientifiques, ces experts des objets isolés, croiront au bon fondement de leurs actes. La science occidentale en est venue à rationaliser la torture d’êtres vivants en les transformant en des objets inanimés (ex : la vivisection) ou en « sous-hommes » dans le cas des nazis et autres fascistes (ex : l’esclavage, la torture, les camps d’extermination, etc.). Avant de pratiquer la vivisection sur les animaux de laboratoire, on leur coupe leur corde vocale et on banalise les conditions d’existence dégradantes (en appelant par exemple les cages des « condos »). En tant que chercheur (menant des expériences), nous faisons tout pour nous convaincre qu’ils (animaux) ne ressentent rien, absolument rien, ce ne sont que des bêtes après tout… Si on ressent quelque chose, il y a toujours le remède Descartes : il suffit de nous répéter que les sens doivent nous tromper… C’est le modèle théorique abstrait qui est la seule réalité… non? Je ne crois pas à ce type de science. La science occidentale (appliquée dans les usines, les bureaux, les laboratoires, les médias, les camps…) est venue soutenir le génocide commis par les nazis. Le génocide ne serait pas possible si les gens se fient sur leur expérience aux autres au lieu de les objectifier : regarder notre victime dans les yeux avant de tuer serait insupportable. La science institutionnalisée n’est qu’un instrument qui donne un certain pouvoir à certains (les experts). La recherche scientifique est devenue une question d’entrepreneuriat(26): il est très fréquent qu’on manipule les données et les résultats (en plus d’une méthodologie souvent douteuse) pour avoir de l’attention, ou pour satisfaire les exigences de l’organisme subventionnaire (telle que la côte de « scientificité »). Le terrain pratique de la science est donc un terrain de compétition pour obtenir des subventions. La positivité est acceptée sans question : ce qu’on observe devient la nature des choses. C’est ainsi que certains auteurs(27) ont pu théoriser que « la femme finit par considérer le pouvoir du violeur et à établir une relation, quoique repoussant initialement, qu’elle finit par accepter » et qu’une « démonstration du pouvoir implique que le futur le plus sécuritaire pour une femme est de tisser un lien avec un mâle violent ». En détruisant toutes les cultures indigènes pacifistes, en éliminant toute alternative pragmatique, la civilisation vient d’imposer sa vision de la nature humaine. Si vous voulez survivre aisément dans ce monde violent, hiérarchique, compétitif, le monde tel qu’il est présentement, un monde déterminé par l’évolution naturelle de l’espèce humaine (les gènes de la violence, etc.) selon les sociobiologistes, il faut écraser les autres. D’autres argumentent que la science (civilisée) est neutre, qu’elle n’est pas chargée de valeurs culturelles. Ceux-ci et celles-ci ne remettent pas en question les prémisses de ce qu’on nomme la « science », son instrumentalisation et ses conditions d’existence. Comment la science (civilisée) peut être neutre lorsque le corpus de celle-ci est décidé par l’industrie, lorsque le contexte social (société hiérarchisée) influence les cadres théoriques de la science, lorsqu’une mise en application d’une technologie (système technique) transforme qualitativement et quantitativement les relations sociales? De plus, les scientifiques occidentaux ne prennent jamais en compte les conséquences de leurs découvertes (par exemple, les déchets radioactifs, la pollution de l’air, de l’eau et de la terre, la destruction d’une partie de la biosphère, etc.). Les principes de base derrière la science devraient plutôt faire parti de notre mode de vie à tous et à toutes, et non pas être détachés des autres éléments de la vie. Cette science devrait être partie intégrante de notre culture, ayant comme objectif de s’insérer dans les nombreuses relations qu’entretient la biosphère. Elle ne devrait pas être représentée par une unité spéciale (les experts) de l’organisation sociale, qui tire un pouvoir sur le reste de la population qui, elle, est dépendante des premiers. La science des non-civilisés ressemblent aux expériences que nos enfants ont avec le reste de la biosphère : ils s’émerveillent devant elle, ils sont curieux et cherchent à comprendre, ils perçoivent certaines choses que nous ne pouvons pas dû à notre éduction autoritaire. Enfin, je ne comprends pas pourquoi Flood ne s’attaque pas aux textes critiques de la science parus dans les revues anarchistes anti-civ, dans leurs livres et sur certains sites web. Ce n’est pas vraiment sérieux son affaire et je doute très fort que les gens comme lui veuillent en débattre honnêtement. Je vais approfondir ce point dans ma prochaine partie (À propos de la neutralité technologique). Un autre problème avec ceux qui traitent les anarchistes anti-civ de nazi est qu’ils reproduisent le discours dominant sur l’évolution des connaissances, faisant souvent appel à l’opposition abstraite science-mystique, rationalité-irrationalité. La vie est plus complexe qu’un modèle théorique dualiste simpliste. Il existe d’autres manières de rationaliser ce qu’on perçoit, ressent, observe et expérimente. Les anarchistes anti-civ ne sont pas des adeptes de l’irrationalisme, ils sont fondamentalement contre la destruction de la vie. Par exemple, les méthodes d’expérimentation prônées par ceux-ci s’inspirent de la "science non-civilisée", c’est un regard scientifique qui examine la totalité du problème à résoudre (une approche holistique au problème) et non seulement un de ses symptômes. L’étude d’un phénomène prend en compte son contexte, la science elle-même fait partie d’un contexte social, d’où elle prend toute sa signification. Dans la culture indigène Cris, le mot « santé » inclut de facto l’environnement naturel, attendu comme espace écologique. Les phénomènes, les concepts, sont intereliés et inséparables. L’humain fait partie de la nature, la dominer revient à se dominer, à se soumettre aux experts et à ceux qui dominent socialement. La science non-civilisée est un élément culturel parmi d’autres : tous peuvent y contribuer et se l’approprier. La science, fondée sur l’expérience directe et subjective, a alors comme effet l’émancipation de l’individu face à aux forces sociales pouvant le contraindre. Dans les cultures non-civilisées, il est rare d’observer un individu se soumettre à la volonté d’un autre, ce n’est même pas envisageable. Toute personne qui tente d’imposer sa vision des choses est ignorée, voire rejetée, parce qu’elle va à l’encontre du principe de l’expérience directe, d’expérimenter soi-même, de la réflexion approfondie, du partage de ses réflexions et de la discussion de groupe. Ce type de science nécessite aussi une réflexion sur soi afin de remettre en question ses propres (pré)conceptions (i.e la pensée critique), parce que le pouvoir peut aussi s’exercer à travers des croyances enfouies dans notre conscience : lorsqu’un individu agit selon une (pré)conception, il peut parfois agir selon la volonté d’un autre (souvent par ceux qui détiennent le pouvoir). En résumé, la science n’est pas séparée des autres composantes culturelles de la société; elle forme avant tout une conception du monde, un regard que l’on porte sur le monde, sur la société. Dans les communautés non-civilisées, la science est entremêlée à une forme de spiritualité (promouvant un respect de la biosphère, ainsi que des interprétations des événements de manière plus subjectives). Elle n’est pas séparée de celle-ci. Les balises de la science étaient établies selon les modes de subsistance, les relations sociales, le rapport à la nature, etc. Les sens étaient mis à contribution, le réel était surtout basé sur des expériences directes avec ce qui est étudié. En vivant près des plantes, on arrivait facilement à prévoir le cycle naturel de celle-ci; en côtoyant des animaux, on apprenait beaucoup sur leurs comportements. L’observation attentive de l’environnement direct (l’observation, l’écoute et autres manières de ressentir) prend une place importante dans l’analyse des faits. Tous les sens du corps humain sont mis à contribution dans la démarche de compréhension d’un fait. En fait, les adultes ne freinent pas la curiosité des enfants, au contraire, elle est encouragée. L’interprétation consciente des signaux provenant de nos sens peut se développer et se raffiner, elle n’est pas reléguée à l’inconscience. La rigueur se traduit dans l’attention mise sur tous les composants de l’objet (odeurs, mouvements, détails visuels, sons, …) et surtout sur les relations qu’il possède avec les autres éléments de l’environnement. Enfin, ce paradigme scientifique nous aide à interpréter les phénomènes naturels et à prévoir les événements. La science civilisée, tout comme la politique, l’économie et la religion, a toujours accompagné et légitimé les différentes formes de coercition, que ce soit l’Holocauste, la destruction des peuples indigènes, les coups à blanc ou les viols. Et comme le souligne Jensen, il y a un facteur qui unie ses formes de coercition : la réduction au silence des victimes. Ainsi, pour commettre ses actes d’atrocités, il est nécessaire « de réduire au silence les victimes avant, durant et après l’exploitation ou l’annihilation, et la nécessité au même moment de réduire au silence sa propre conscience et sa propre sensibilité consciente des relations est indéniable »(28). Les différents actes d’atrocités partagent donc entre eux des mécanismes de réduction au silence (science, politique, économie, religion). Les usages de la science dans de tels actes démontrent clairement les conséquences des impératifs scientifiques modernes : en nous séparant de la nature, en nous plaçant au-dessus de celle-ci et en présentant nos croyances comme un système rationnel afin de légitimer la droiture de nos actions, nous arrivons à réduire au silence les objets d’étude, les autres, ceux et celles que nous voulons dominer, la nature que nous voulons dominer. Une autre manière que Flood a trouvé pour lier les anarco-primitivistes et les nazis c’est en disant qu’ « un bon tiers du parti Nazi allemand est venu des mouvements d’adoration de la forêt et de la terre », sauf que Flood oublie de décrire ces mouvements là. Pour les écolos fascistes, la forêt et la terre agricole sont vues comme un lieu privilégié pour élever des hommes forts et travaillants pour la nation. C’est le travail de bûcher du bois et de labourer la terre qui est l’objet de l’adoration plutôt que les arbres, les ruisseaux et les animaux sauvages. Les valeurs préconisées par ces « mouvements d’adoration de la forêt et de la terre » sont la discipline, le travail, le respect de l’autorité, les symboles traditionnels, la force virile de l’homme, etc., cela n’a vraiment rien à voir avec les réflexions anarchistes anti-civ. La valorisation du travail, de la force, des symboles et de la discipline sont plutôt des éléments qui se retrouvent dans les organisations gauchistes et communistes libertaires traditionnels. La propagande de la gauche durant la guerre civile espagnole nous donne plein de bons exemples(29). Un membre de la NEFAC m’a aussi affirmé que ce qui définit et rassemble les exploités de ce monde est le travail salarié et non pas le fait qu’ils ne vivent plus librement, qu’ils ne sont plus maître de soi et de leurs désirs, qu’ils ont perdu la liberté de respirer, manger, chier, aimer, interagir et entraider comme ils le désirent. L’accent devrait plutôt être mis sur toutes les caractéristiques d’un être vivant de manière libre. Selon lui, la seule manière d’arriver à la révolution est en combattant le capital dans les milieux de travail et par le travail de militantisme à travers une organisation anarchiste (la médiation de la lutte). À force de travailler, ils n’ont plus le temps pour vivre un peu de joie, de créer, et de réfléchir sur leurs actions. Ce n’est pas en partant « courir avec les cerfs » comme le souligne Flood que les nazis ont produit des armes et la machinerie de guerre, ou qu’ils ont pu rassembler des juifs, des gitans, des opposants, etc. dans des camps de travail et de la mort. C’est en travaillant. Le fascisme et le nazisme se sont appuyés sur une partie importante de la classe ouvrière pour exécuter leurs politiques. Benito Mussolini, instructeur de formation, ancien socialiste et syndicaliste révolutionnaire, ayant eu des liens avec certains socialistes libertaires, a gagné l’appui d’une partie importante des ouvriers et de la petite bourgeoisie avec les grands travaux publics et en organisant des travaux d’infrastructures pour améliorer les villes. Flood souligne que nous (les travailleurs) formons 99% de la population; et oui, dans le cadre occidental de la propriété des moyens de production encadré par un État. Ce sont aussi les ouvriers qui ont travaillé dans les usines d’armement, ce sont des ouvriers qui ont persécuté les étrangers dans les rues, ce sont les médecins qui ont injectés du formol dans les cœurs de ceux et celles qui ne pouvaient plus ou pas travailler dans les camps. C’est au nom des valeurs « supérieures » que les gens se sont détachés de leur expérience directe avec leur environnement et ont tués des milliers, des millions d’être vivants. Les seuls qui sont partis courir dans les forêts sont ceux et celles qui ont tenté de s’enfuir de ces horreurs. Ce n’est pas la première fois que cela arrivait. Le génocide des indigènes (Tasmanie, Terre-Neuve, l’Est des États-Unis, etc.) a été l’œuvre non seulement des militaires (ils ont certainement participé) mais avant tout l’œuvre des colons agricoles (des travailleurs agricoles). En Tasmanie par exemple (tout comme à Terre-Neuve), ces derniers ont organisé une excursion d’un bout à l’autre de l’île pour chercher et tuer tous les indigènes qui restaient. Le capitalisme n’était qu’à un stade très embryonnaire dans ce coin du monde. Par contre, la Civilisation (la Destinée de l’homme civilisé) était entrée à grands pas depuis le tout début de la colonisation. Enfin, la valorisation du travail n’a apporté que la haine des humains libres et beaucoup d’ouvriers sont même prêts à défendre leur propre aliénation pour maintenir leur distance envers les autres plus « inférieurs » qu’eux. Faut-il plus de technologies pour résoudre les problèmes sociaux et écologiques? « L’humanité s’est inventé mille et une techniques pour se libérer d’un certain esclavage qui se fait sentir quand il faut chaque matin allumer le feu dans le poêle ou s’éclairer à la chandelle, mais l’humanité n’a peut-être fait que raffiner tous les esclavages » Jean Désy(30) Nous allons poser notre regard sur la technologie, puisque Flood et certains communistes libertaires ont tendance à défendre le complexe technico-industriel(31) au lieu d’être critique face à celui-ci. D’abord, nous allons nous pencher sur l’argument de Flood lorsqu’il affirme que la technologie (telle que développée par la civilisation) est « supérieure », prouvant ainsi sa croyance en la positivité de la technologie et portant ainsi un jugement de valeur ethnocentrique sur les formes de technologies développées dans les communautés non-civilisées. Ensuite, nous allons argumenter contre l’affirmation de Flood que la technologie est neutre afin de soutenir son idée que la société révolutionnaire pourra procéder au choix des technologies qu’elle désire avoir (on délaisse celle-là, on garde celle-là, etc.). Cette vision de la technologie occulte l’idée de la technologie comme système et la conçoit plutôt comme de simples « outils » (une conception propre aux sociétés primitives et non-civilisées). La neutralité technologique occulte aussi le contexte social des technologies (naissance, développement, impacts, résultats de celles-ci). Si la technologie civilisée est supérieure, comment pouvons-nous rejeter certaines d’entre elles et en garder d’autres? Flood désire rejeter les centrales nucléaires, les centrales au charbon, etc., comment pense-t-il faire rouler les grosses industries? Et finalement, nous allons voir comment le type de technologie dépend du type de société, qu’il existe des conséquences et des impacts liés aux technologies hors du contrôle gestionnaire de celles-ci. Nous allons aussi voir comment une révolution technologique détermine une transformation sociale et que seule une révolution sociale et écologique remettant en question les fondements de la société (par exemple, notre dépendance au système technologique) peut à son tour déterminer un ensemble de pratiques et de techniques Aussi, Flood ne rejette pas l’idée des experts, il sait très bien que certaines industries ne peuvent pas être gérées à la légère. Et enfin, une société industrielle se voulant révolutionnaire et démocratique pose comme problème les milles et une réunion par semaine que la technologie et la division du travail imposent. La positivité de la technologie ou comment justifier l’ethnocide des cultures non civilisées Selon Flood et ses semblables, une société non-civilisée mise en contact avec la civilisation abandonnera son mode de vie (et techniques primitives) pour adopter celui des civilisés, qui sont « supérieurs » selon lui, sans dire selon quels critères. Portant ce préjugé ethnocentriste teinté d’ignorance dans son interprétation du contact avec les peuples autochtones, Flood affirme que « d’autres comme les Inuits ont été en contact pendant de longues périodes et ont donc adoptés des technologies supérieures à celles développées localement. Ces derniers groupes font complètement parti de la civilisation et ont contribué au développement de nouvelles technologies dans cette civilisation ». OK, par où commencer? En affirmant cela, Flood légitime, entres autres, la colonisation (l’ethnocide) des peuples autochtones de l’Amérique du Nord en appuyant le discours officiel des États colonisateurs sur ceux-ci. En marchandant avec certaines tribus(32), en leur donnant des outils pouvant tuer plus d’animaux pour la traite de fourrure, les empires coloniaux ont établi une relation de dépendance des peuples autochtones envers la civilisation pour le déroulement de la chasse et ont favorisé l’esprit de compétition entre les peuples autochtones(33). Plus le temps s’est écoulé, plus les marchands donnaient moins de munitions et de fusils, et de moindre qualité, et exigeaient de ces peuples plus de fourrures en échange. Après quelques temps, les membres des communautés autochtones perdaient leurs habilités de chasser avec leurs techniques traditionnelles, ne pouvant plus satisfaire leurs besoins fondamentaux sans l’aide des civilisés. Lorsque le poste de traite du coin fermait ses portes ou ne leur approvisionnait pas avec de nouveaux fusils et de munitions en signe de punition pour leur rendement, cela causa des périodes de famine (de vrais massacres) chez ces peuples. Alors, en plus d’avoir causé des guerres meurtrières et de propager des bactéries de maladies mortelles sur des objets d’échange(34), la civilisation a compris l’importance de les rendre dépendant des technologies civilisées afin d’arriver à les soumettre une fois pour toute. Une fois qu’ils sont dépendants, la Civilisation s’est attardée à la destruction de leur culture (ethnocide) en leur envoyant un paquet de missionnaires, en construisant des églises dans leur communauté une fois sédentarisée, en les obligeant à signer des papiers renonçant à leurs droits sur les terres colonisées et en les forçant à se sédentariser (en employant une coercition physique et économique), en forçant tous les enfants à fréquenter les écoles résidentielles où leur langue et coutume était interdit (acculturation) et où beaucoup d’enfants sont morts de maladies dues à la malnutrition, à la proximité et à une mauvaise gestion des égouts, ainsi qu’aux mauvais traitements donnés aux enfants (torture, médicaments, viols, enfants battus, etc.). Ceux et celles qui sont revenus vivants dans leurs communautés en voulaient à leurs parents (en plus de ne pas pouvoir communiquer ensemble), ce qui causa l’effondrement total des communautés et l’augmentation (parfois l’apparition) des maux sociaux tels que l’abus d’alcool et de drogues, l’abus sexuel, violence conjugale, suicides, etc. Après tout cela, les civilisés se trouvent tellement supérieurs lorsqu’ils affirment qu’ils sont tous des paresseux… Mais revenons à nos Inuits. Flood mentionne que les technologies civilisées étaient supérieures à celles développées localement. En fait, leurs technologies (pêche sur glace, chasse au phoque sur glace, kayak de mer, harpon et propulseur, igloo, lumière grâce à la graisse, etc.) étaient ingénieuses et parfaitement adaptées à leur écosystème (l’approvisionnement se fait dans l’écosystème et ces technologies ne produisent pas de déchets nocifs pour la santé) L’appât de la nouveauté, la relation de dépendance installée et l’attaque de leur culture sont des causes qui expliquent pourquoi ils ont adopté les technologies dites supérieures des civilisés, cela n’a pas été dû à un genre d’éclair magique de la rationalité occidentale civilisée. Flood va jusqu’à dire qu’ils « ont contribués au développement de nouvelles technologies dans cette civilisation », peut-il nous fournir des exemples? Faisons un détour par l’histoire des traîneaux tirés par des chiens, trait souvent associé aux Inuits. Tout récemment, un groupe de vieux Inuits ont dénoncé le massacre de milliers de chiens de traîneaux par le gouvernement canadien au début de l’époque des motoneiges. Ils ont accusé le gouvernement d’avoir procéder à ce massacre pour obliger les Inuits à adopter (et non pas volontairement comme le prétend Flood) cette nouvelle technologie ultra polluante (CO2, moteur à deux temps, pétrole venue de l’extérieur, pollution par le bruit, érosion des sols, etc.). Le gouvernement canadien rétorqua qu’il avait procédé ainsi parce qu’il y avait plusieurs chiens abandonnés dans les rues, les anciens ont répondu que les quelques chiens errants ne peuvent justifier le fait que des chiens non-abandonnés ont été tués, et par milliers. Flood n’est qu’un ignorant. « Développement », « techno-logie » et « progrès »; des concepts positifs en soi? Le concept de « développement » et de « progrès », qui sont souvent attachés au concept de « technologie », n’est qu’un véhicule idéologique pour la destruction, la soumission et le remplacement des cultures indigènes par la culture industrielle occidentale. L’industrialisme entraîne avec lui une particularité : il propage l’illusion de l’accès au bonheur par la consommation marchande. C’est ce besoin artificiel de consommer qui fait sa force et la consommation de produits industriels (standardisés) entraîne un anéantissement de toutes les autres formes de production et implique toujours une forme de destruction de la biosphère. C’est aussi un point commun entre les capitalistes et la majorité des groupes socialistes, communistes et anarcho-syndicalistes; ils proposent tous de poursuivre et même d’accélérer la production industrielle. C’est cette attitude que les mouvements écologiques déplorent dans leur critique du « productivisme » et du « scientisme », définis ici par la « fétichisation du développement des forces productives (…) censé assurer le progrès matériel et moral de l’humanité » et la « croyance que les sciences et les techniques détiennent la clef de tous les problèmes de l’humanité »(35). Dans la brochure intitulée Crise écologique et capitalisme(36), les auteurs argumentent que le productivisme, c’est-à-dire la recherche d’une croissance continue, « tend à faire croire que les problèmes sociaux (pauvreté, chômage, exclusion, etc.) sont le fait d’une insuffisance quantitative de l’activité économique et du volume de production ». Les auteurs nous incitent à poser la question de l’utilité de l’activité économique. En effet, il faut se poser la question à savoir si la production proposée engendra un appauvrissement de la vie sociale. Une perte de qualité (par exemple de l’alimentation)? Une accentuation de l’exploitation et de l’aliénation? Et quant est-il de la technologie (et surtout la hyper-technologie) qui éloigne la possibilité d’une maîtrise collective sur les moyens de production? Les technocrates, seuls aptes à en contrôler le fonctionnement, ont un pouvoir considérable dans notre société et mine le projet d’une société réellement égalitaire. Il y aussi des coûts sociaux, écologiques et humains importants associés avec toute technologie. Argumenter qu’une technologie (elle est souvent intereliée à d’autres) est un moindre mal pour la société, pour l’écologie ou pour les psychés nous éloigne de plus en plus d’un contexte social soutenant des relations sociales libres, d’un mode de vie viable écologiquement, d’une activité humaine non aliénée et plaisante. Le danger de la foi en la science et la technique (le fétichisme de la science) « induit une fuite en avant. Plutôt que de chercher à traiter un problème à la racine, les efforts sont concentrés sur la recherche d’une solution technique à ce problème. L’appareillage technique se complexifie plus encore, et la société accroît sa dépendance à l’égard d’une caste de spécialistes ». Après avoir argumenté pour l’augmentation et la poursuite de l’effort technologique, Flood dit « Je ne suis ni un « expert des transports » ni un travailleur de l’industrie du transport donc je ne peux pas faire plus que penser à ce que ces changements pourraient être ». Il admet que l’avis d’un expert du transport sera plus écouté que ceux des autres. Les milliers de très grosses assemblées formelles que les communistes libertaires nous proposent serviront comme une vitrine pour légitimer des décisions prises d’avance par les technocrates. Après que l’engouement révolutionnaire du début s’écroulera(37), imposeront-ils aux gens des assemblées obligatoires? Les anarchistes anti-civ proposent un démantèlement du complexe technico-industriel et un recontact à la vie, c’est-à-dire l’importance pour tous et toutes de réapprendre tous les savoirs préindustriels qui soutiendront une vie sociale non-hiérarchique et une autonomie individuelle et collective (comme dans les cultures humaines non-civilisées) et qui pourraient soutenir la société de manière viable écologiquement (qui ne nuit pas à l’écologie d’un lieu). À propos de la neutralité technologique Flood argumente qu’il faut « récupérer » des technologies existantes et en développer des nouvelles. Il parle aussi de « changer la nature de la production », mais ne propose que « de grandement augmenter la production de vélo, motos, trains, bus, camions et mini-bus ». Cela prouve que Flood ne veut pas procéder à une réelle révolution sociale et écologique, il ne propose qu’une réforme de la société industrielle occidentale actuelle, ce qui nous ramène au problème de départ, le communisme libertaire n’est qu’une utopie réformiste nous amenant directement à une crise écologique. Dans l’article de Jesse Cross-Nickerson paru dans Green Anarchy(38), il nous expose les deux arguments qui soutiennent l’affirmation que la technologie est neutre : « tous les humains utilisent la technologie et les sciences que nous utilisons pour les améliorer sont moralement neutres ». Dans un premier temps, les outils utilisés par les peuples non civilisés du passé et du présent n’équivalent pas à des versions primitives et brutes de technologies modernes. Ils sont quantitativement et qualitativement différents. Une centrale hydroélectrique ne peut pas être comparée à un sceau pour recueillir de l’eau, ni même à un moulin à vent : la rivière n’est pas bloquée, les trajets des poissons au lieu de reproduction ne sont pas bloqués, les terres ne sont pas inondées, le mercure n’est pas relâché. La rivière n’est pas à la seule disposition des humains, elle n’est pas une « ressource » qui pourrie en attendant une gestion par l’homme. En Inde comme au Québec ou au Brésil (et ailleurs de le monde), les États ont déjà procédé ou vont procéder à la construction de barrages et centrales hydro-électriques qui vont transformer radicalement les fleuves, rivières et affluents en des séries de réservoirs. Cela transforme l’écologie en entier, plus précisément tous les bassins fluviaux. Cela affectera des millions de gens, des millions de kilomètres carrés de forêts, des millions d’animaux et de végétaux. La technologie affecte le monde à une plus grande échelle que les pratiques primitives : « Les gens (et tous les organismes) modifient toujours l’environnement dans lequel ils vivent, mais le pouvoir de l’industrie moderne de raser des forêts, d’endiguer des fleuves, de miner le sommet des montagnes, d’altérer la chimie du sol, de l’eau et de l’air, d’affecter le régime pluvial, d’augmenter la température et de mener un nombre incalculable d’espèces à l’extinction excède largement les dommages causés par la plus destructrice des cultures non modernes ». Jesse Cross-Nickerson, De la neutralité de la technologie La civilisation et la technologie affectent toute la biosphère. Il n’y a jamais quelque chose de comparable dans les sociétés primitives et non-civilisées. Outre la différence quantitative entre ces deux formes de « technologies », il y a la différence qualitative qui les oppose. Les « primitifs » sont autonomes; ils sont capables de fabriquer toutes les choses dont ils ont besoin au niveau individuel, familial ou villageois. La nourriture, les vêtements, les outils, tout, et ils sont produits à partir de matériaux naturels (pierre, produits d’animaux, bois, fibres végétales), en fonction de leur culture régionale et en adéquation avec les besoins spécifiques et les désirs de gens. La technologie moderne est à l’extrême opposé, elle « mobilise et coordonne littéralement des milliards d’individus sur plusieurs continents dans des systèmes qui fabriquent et distribuent des lignes de produits industriels identiques ». Les industries (les ouvriers) fabriquent des biens pour les autres; la seule relation qui existe est purement économique (exploitation, consommation). La différence peut être résumé ainsi : « la production locale, unique et à petite échelle est remplacée par une chaîne d’assemblage globale ». Flood affirme d’un côté que « une future société anarchiste rechercherait à abolir le travail ennuyeux et monotone des lignes d’assemblages », et d’un autre côté il suggère de « grandement augmenter la production de vélo, motos, trains, bus, camions et mini-bus ». L’industrialisation a été initiée par un regroupement forcé des artisans sous une direction, une division du travail et une uniformité de la production (élevage de moutons uniquement), par la suite il y a eu la mécanisation du travail (soutenue par une source d’énergie polluante), ensuite, une division plus extrême du travail et, finalement, un renforcement de la surveillance, du contrôle et de la discipline des ouvriers. L’industrie, c’est ça. Le mode de production industriel et technologique est le pillage de la nature et du travail des humains, ainsi qu’un contrôle social de ces derniers. Vous voulez préserver cela, ou vous ne voulez pas? Les ouvriers doivent obéir à des ordres, ils ne sont pas libres de fabriquer ce qu’ils désirent. La technologie a mis la population dans une dépendance à l’égard de l’État et des experts scientifiques. En conclusion de ce point, la technologie industrielle « n’a pas amélioré les techniques du passé. Elle les a remplacées par quelque chose de quantitativement et qualitativement différent » et qu’en « reconnaissant que ces deux formes de technologie agissent dans, et engendrent, des contextes économico-politiques aussi radicalement différents, nous pouvons affirmer que la technologie n’est pas neutre, mais chargée des valeurs de la culture qui l’a créée ». Le deuxième argument qui soutient l’affirmation que la technologie est neutre est « les sciences que nous utilisons pour les améliorer sont moralement neutres »(39). Beaucoup de gens prétendent qu’elle est neutre et objective, ils nient qu’elle est chargée de valeurs culturelles. D’abord, nous savons tous que les activités scientifiques sont financées par des subventions du milieu privé ou d’une institution étatique. Ils ont tous un intérêt évident dans la technologie développée (tout en se créant une image envers le public et en profitant de crédits d’impôts). La recherche fondamentale n’est rien comparée à l’ampleur du financement de la recherche appliquée et commandée. Mais plusieurs anti-civ s’en prennent à l’origine du problème de la science de la civilisation occidentale, aux bases philosophiques de la science, aux méthodes et aux hypothèses de la science. Par exemple, Francis Bacon avait « pour maxime que « la connaissance c’est le pouvoir » » et que la science est « toujours liée à des applications possibles, toujours faite pour contrôler et dominer la nature ». Au moment de l’étude scientifique, les éléments de la nature sont déjà, c’est-à-dire au préalable, vus comme des « ressources naturelles » qu’il suffit d’exploiter, à une « réserve permanente » d’énergie et de matériaux pour la technologie. La principale différence entre la science non-civilisée et celle de la civilisation occidentale réside dans le fait que la première se base sur l’observation de la nature et l’autre sur l’interférence et le contrôle. Descartes aussi participa à l’hégémonie de la science moderne et de sa conception du monde. En plaçant le processus de la pensée rationnelle (européenne) au centre subjectif de l’univers (en rejetant les perceptions à partir de nos sens et de nos expériences directes), une caste d’individus européens aisés s’est mise au centre de cet univers et, par conséquence, elle a pu nier l’existence propre des autres êtres vivants. En fait, elle s’est mise à percevoir les autres (les animaux, les non-européens,…) comme n’ayant aucune représentativité, aucune subjectivité, que des simples machines à disséquer. Comme l’affirme Nickerson-Cross, la « fonction de chaque chose devait être définie et contrôlée par l’homme rationnel ». Et comme l’affirme Jensen, « En substituant l’illusion de la pensée désincarnée à l’expérience (la pensée désincarnée étant bien sûr impossible pour quelqu’un possédant un corps), en substituant des équations mathématiques aux relations du vivant, et plus important, en substituant le contrôle, ou la tentative de contrôle, à la participation complète à la nature sauvage et aux processus imprévisibles du vivant, Descartes est devenu le prototype de l’homme moderne »(40). Nickerson-Cross conclut donc que la science n’est pas neutre et objective, elle est « complètement chargée de valeurs culturelles ». Les résultats scientifiques sont des « inventions et des abstractions produites et répliquées dans un environnement technologique construit ». Elle fabrique la vérité(41). John Zerzan aussi s’en prend à ceux et celles qui argumentent que la technologie n’est qu’un outil, le mettant sur le même pied d’égalité. Il argumente que les outils sont conçus come une extension du corps humain et non pas comme un système technologique. La technologie (et sa complexité) nécessite une expertise dans sa manipulation, une coordination centralisée des procédures, un nombre important d’heures de travail et de type de travail obligatoires pour subvenir au bon fonctionnement de la technologie, une maîtrise et un contrôle des facteurs externes, et elle apporte comme conséquence une soumission de l’activité humaine pour la mettre à sa disposition, des produits standardisés de moindre qualité, des impacts nuisibles non visibles à première vue, et un nouveau pattern culturel soumis aux exigences technico-industrielles. La technologie est alors définie comme « l’ensemble de la division du travail / production / industrialisme et son impact sur nous et sur la nature »(42). Elle est devenue omniprésente dans nos environnements et elle nous soumet à elle. Nous en sommes au point où nous passons par elle dans notre rapport avec le monde naturel et même dans nos relations aux autres. Le contrôle que la technologie nous a procuré réduit considérablement notre contact avec le monde vivant. Le développement technologique est allé de pair avec l’aliénation des humains, avec le travail forcé de la majorité de la population et la division du travail à temps plein imposée. La division du travail, quant à elle, réclame « un contrôle relativement complexe de l’action en groupe; en fait, elle exige que la communauté toute entière soit organisée et fermement dirigée »(43). Il existe une différence qualitative énorme entre le travail collectif et partagé, et le travail différencié, avec des rôles, des statuts, des distinctions, i.e la hiérarchie sociale. Le développement technologique a donc été un moyen pour soutenir cette hiérarchie naissante, mais aussi pour renforcer cette aliénation, c’est-à-dire pour rendre plus efficace le travail des esclaves, et pour mieux surveiller leur travail et comptabiliser leur production. Finalement, un incontournable de la critique de la technologie est bien sûr Jacques Ellul et plusieurs anarchistes anti-civ se sont basés sur ces travaux. En fait, c’est lui le premier qui voit dans la technologie tout un système autonome. Il affirme que « C’est maintenant la technique qui opère le choix ipso facto, sans rémission, sans discussion possible entre les moyens à utiliser... L'homme (ni le groupe) ne peut décider de suivre telle voie plutôt que la voie technique »(44). La technologie nous impose plus de travail pour faire fonctionner celle-ci; c’est nous qui nous adoptons aux exigences de la technologie, c’est nous qui devenons à son service, pas le contraire. Il énumère plusieurs exemples qui démontrent son point dans ses livres. Les plus importants ouvrages qui abordent cette réflexion sont La technique ou l'enjeu du siècle (1954), Le système technicien (1977) et Le bluff technologique (1988). La société hiérarchisée a créé la technologie à ses fins, la technologie détermine maintenant le vécu et les relations sociales, tout en détruisant la biosphère. Les technologies développées pour purifier l’air, pour traiter l’eau usée, pour soigner les malades, etc… sont complètement inutiles si nous ne contaminons pas l’eau, si nous ne produisons pas de déchets non décomposables, si on sait comment composter notre marde, si nous prenons le temps de bien se nourrir, de se reposer, de connaître les propriétés thérapeutiques des plantes qui nous entourent, de prendre soins des enfants, de ne pas se tuer à la tâche. C’est seulement une révolution qui peut amener un tel changement, c’est par une actualisation de pratiques sociales nous offrant une plus grande liberté, une plus grande autonomie, qui doit être concrétisée dès aujourd’hui si nous voulons inspirer la population vers des éco-communautés libertaires. Flood propose plutôt une révolution dans la gestion des entreprises couplée avec un développement raffiné de la technologie. C’est une contradiction qu’il (et ses partisans) doit aborder de front : les technologies complexes sont des technologies qui éloignent la possibilité de les maîtriser par un grand nombre de personnes, en plus de demander beaucoup de travail dans sa conception, sa fabrication, son transport et son entretien. Et que vont faire les organisations communistes libertaires avec les populations qui refusent d’exploiter les « ressources naturelles » présentes dans leur région et nécessaires aux technologies des premiers? De plus, vont-ils forcer la population à travailler dans les mines? Vont-ils exiger des produits en échange(45)? Vont-ils construire des camps d’éducation populaire pour tous ceux et toutes celles qui ne croiront pas à leur utopie? Je ne pense pas que Flood et les anarchistes pro-civilisation réalisent ce qu’impliquent de faire rouler la Machine, de faire fonctionner toutes les infrastructures technico-industrielles qu’ils tiennent tant à cœur (l’énergie demandée et ses conséquences écologiques – exploitation non viable et production de déchets touchant non seulement qu’eux –, le nombre d’heures de travail souvent désagréable et aliénant, la coordination centralisée du travail et la spécialisation obligatoire). Il y a aussi l’espace demandé (d’immenses territoires) par ces infrastructures et pour obtenir un mode de vie civilisé qui pose problème (par exemple, l’inondation et la contamination de territoires loin des centres urbains). Que proposent-ils dans les cas de désaccords (ce qui va arriver presque tout le temps)? Des référendums nationaux à répétions? Puis que feront-ils avec ceux et celles qui ne sont pas prêts de contaminer leur environnement pour les besoins de la civilisation et qui s’en foutent de la majorité abstraite? Que feront-ils avec les gens qui ne travailleront pas plus que pour la satisfaction simple de leurs besoins fondamentaux (et de ceux et celles autour d’eux qui vont dans ce sens), c’est-à-dire qui ne travailleront pas pour soutenir les infrastructures rêvées par certains? Enfin, que feront-ils pour atteindre l’efficacité demandée par plusieurs productions? Les anarchistes anti-civ nous invitent à réfléchir à tous les aspects de la technologie : le contexte social de son apparition, les exigences pour fabriquer et maintenir une technologie, les impacts et la transformation sociale qu’engendre une technologie, la perte d’autonomie provoquée par la technologie et la relation de dépendance qu’elle peut créer chez des utilisateurs face à celle-ci et à des experts, et finalement, la division du travail obligatoire issue du système technique mise en place et la relation hiérarchique qui émerge de cette organisation du travail. La société de masse implique : une concentration de la population dans un lieu physique (proximité), une infrastructure sanitaire pour éviter une catastrophe due à la proximité (système d’aqueduc et d’égout, gaspillage de terre arable, contamination des terres et des nappes phréatiques), un système d’exploitation intensive de la périphérie pour soutenir cette concentration (fertilisant, engrais, pesticides et insecticides chimiques pour les activités agricoles; l’exploitation de grandes mines à ciel ouvert ou non, contamination des lacs et des nappes phréatiques pour l’extraction des minerais; l’exploitation forestière intensive pour soutenir la demande des centres urbains), une soumission de l’activité des groupes humains vivant dans la périphérie aux intérêts du centre urbain, une acculturation des savoirs spécifiques aux régions et une domination culturelle du centre urbain, un système routier, ferroviaire, navigable et aéronautique pour le transport des « matières primaires » et « transformées » vers les centres urbains et entre les centres urbains demandant une consommation énorme de carburants fossiles ou non (impliquant quand même une contamination, ie. les piles), des industries de transformation de la matière première (procédés consommant beaucoup d’énergies et contaminants l’environnement avec les produits ajoutés et/ou les résidus de la transformation), une production industrielle de produits standardisés, uniformes, de moindre qualité demandant à une majorité d’individus de s’aliéner au travail avec des gestes répétitifs et routiniers, une production énergétique impliquant une destruction environnementale (déchets radioactifs, piles, contamination des sols, des rivières, des nappes phréatiques, pollution de l’air – CO2, méthane, particules de métaux lourds –, pollution visuel et par le bruit) et une consommation standardisée, imposée et contrôlée. Enfin, le projet communiste libertaire tel que proposé par Flood n’aborde pas la contradiction entre la diversité des désirs humains dans une société anarchiste et l’uniformisation et la centralisation des actions individuels afin de maintenir les infrastructures technico-industrielles. L’industrie et la technologie imposent une division du travail et des hiérarchies engendrés par ses infrastructures. La division du travail et des statuts d’experts (pouvoir) ont à leur tour des impacts négatifs sur les relations de travail et entre producteur-consommateur. Enfin, tout en poursuivant la destruction des équilibres écologiques des bio-régions, l’autogestion des infrastructures technico-industrielles exigera mille-et-une réunions, le développement de bureaucraties (pouvoir politique) pour faire fonctionner ces nombreuses assemblées et pour coordonner les activités de ces fédérations à grande échelle et, finalement, la continuité de la représentation politique dans ces instances. Imaginez 6 millions de personnes présentes à une assemblée de la centrale hydro-électrique. Si vous fixez à 50 (par exemple) le nombre de participants à ces assemblées, ça fait quand même 1 délégué pour 120 000 personnes. Croyez-vous que tout le monde pourra jaser avec son délégué? Cela prendrait aussi 120 000 assemblées pour réaliser une rotation complète de la tâche de délégué. Conclusion Les organisations communistes libertaires n’offrent pas d’alternatives viables écologiquement, ni de projets réalistes. Elles n’affrontent pas les problèmes de la destruction de la biosphère (ex. l’épuisement des sols), la pollution des éléments naturels (contamination de l’air, de l’eau et de la terre), la baisse et l’extinction des espèces animales et végétales, et la rupture des équilibres écologiques. Il est encore temps d’abandonner votre job de militant, de cesser de fétichiser l’Organisation, de vous éloigner des militants paraissant agir. Si certains veulent faire un musée de l’anarchisme tel que présent au 19e siècle, allez-y, rien ne vous l’empêche. La vie sur terre est profondément bouleversée par la civilisation. Il est grand temps de commencer à réfléchir par soi-même et de présenter des perspectives révolutionnaires ouvertes, humbles, basées sur des expériences vécues et des rêves. Nous devons nous adapter à notre contexte social, aux circonstances, aux liens sociaux présents et que nous pouvons créer dans nos communautés, et à notre bio-région. Nos réflexions théoriques doivent inspirer une pratique révolutionnaire émancipatrice et autonome. L’anarchie est un processus, elle est vécue par tous et toutes, et elle est perpétuellement en train de se réaliser. Mettons fin à notre culture mortifère (voir les autres – humains et non humains – comme des objets manipulables), à nos relations dictées par le pouvoir au lieu de l’entraide. Nous ne pouvons pas décider à la place des autres, nous sommes que responsable de nos actions individuelles, de notre groupe affinitaire, et de notre communauté. Nous pouvons conclure que la réflexion anarchiste sur la civilisation ne peut être ignorée. Il est tout-à-fait pertinent de réfléchir sur les questions soulevées par cette réflexion. En étant pour la diversité et le respect des formes d’organisation sociale non-hiérarchique, je serais ouvert à créer des liens avec des communautés communistes libertaires, mais pour éviter des conflits post-révolutionnaires entre anarchistes, je trouve cela primordial qu’ils abordent de manière critique les questions de : - L’anthropocentrisme (conception du monde où l’homme est séparé de la nature et est placé au centre du monde) / par rapport au biocentrisme (conception du monde où l’humain fait partie de la nature, où il s’intègre harmonieusement dans les relations présentes dans la biosphère); Kipawa Note en bas de page Par exemple, la proposition de guerre de HO contre plusieurs anarchistes (2007), les menaces d’HO proférées contre John Zerzan en mai 2008 pour sa venue à Montréal et les critiques de la NEFAC (à partir des arguments d’Andrew Flood pour la plupart) à l’atelier sur l’anarco-primitivisme et l’anthropologie à la journée des ateliers anarchistes du salon du livre anarchiste de Montréal (2008). « Ce colon américain avait raison quand il a écrit "Aussi longtemps que nous nous gardons occupés à labourer la terre, il n'y a aucune crainte que n'importe lequel d'entre nous devienne sauvage." Aussi longtemps que nous nous gardons occupés (…) à bâtir des digues pour bloquer des rivières, à prendre des notes dans des classes ennuyeuses et à compter les heures de nos journées de travail assommantes, il n'y a aucune crainte que n'importe lequel d'entre nous devienne sauvage. Ni, et ça revient un peu au même, il n’y a aucune crainte que n'importe quel d'entre nous devienne qui nous sommes vraiment » Derrick Jensen, A Language Older Than Words, Traduction libre
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