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Relire Marx à la lumière de la crise des subprimesmihelich, Friday, November 28, 2008 - 00:35
Giorgio Paolucci
Dans le but de situer économiquement l'intervention du GIO lors du débat publique du 29 novembre au Comité Social, nous soumettons d'avance notre traduction d'un texte en italien de notre courant sur la crise actuelle. Ce texte, écrit il y a plus d'un an est d'une très grande actualité. Nous le soumettons en tant que mise en situation des enjeux. Pour en savoir plus sur ce débat, voir la colonne des activités à venir du CMAQ . Bonne lecture! Relire Marx à la lumière de la crise des subprimes Malgré le fait que les banques centrales se soient littéralement saignées à blanc pour satisfaire la demande de liquidités des marchés financiers, la crise financière qui éclata au mois d’août dernier a maintenant atteint le système économique mondial. Les prévisions optimistes antérieures concernant l’avenir de l’économie globale font place au pessimisme. Les prévisions du PIB mondial ont diminué de 1,5% pour l’an prochain et de 1% encore pour l’année suivante. Cependant, en tenant compte des quelques statistiques disponibles, ces prévisions elles-mêmes posent de nombreux problèmes. En effet, au début de la crise, Bernanke – le directeur de la Federal Reserve – prévoyait des pertes d’environ 100 milliards de dollars sur le marché des subprimes. Il apparaît maintenant que ces pertes ont déjà atteint 400 milliards de dollars, mais même ce chiffre n’est pas le dernier puisqu’il a été calculé sur la base des pertes prévues par quelques unes des grandes banques, telles la Bank of America (4 milliards), Citigroup (2,2 milliards), Morgan Stanley (750 milliards), Merryl Lynch (2,24 milliards), etc. En réalité, il n’y a absolument personne, même parmi les banquiers et les gestionnaires de fonds, qui soit vraiment capable d’affirmer à combien s’élèveront les pertes. En réalité, la manière dont les CDO (obligations adossées à des actifs) fonctionnent ressemble à un système de vente pyramidal. Les CDO proviennent de prêts immobiliers consentis par les banques à des taux d’intérêts beaucoup plus élevés que le taux du marché à de petits propriétaires qui ne sont pas solvables, même s’ils sont endettés jusqu’au cou. Une fois accordés, elles créent un système autoreproducteur qui est transmis d’une banque à une autre et ensuite à des fonds d’investissement à hauts risques, pour finir dans des portefeuilles d’actions de fonds de pension et d’épargnants (particulièrement les petits), s’enflant comme une énorme vague à chaque étape du processus. Nous avons donc affaire à ce qui s’avèrent en réalité que des bouts de papier, qui la plupart du temps, ne peuvent être vendus avant leur terme. Conséquemment, leur valeur ne peut être déterminée sur le marché, sauf comme approximation à partir de quoi il est presque impossible de déterminer son montant total ou ses éventuelles pertes encourues. (1) Étant donné la nature frauduleuse et ambiguë des produits financiers dérivés, ce que sont précisément les CDO, la vaste majorité des économistes maintient que leur création est une anomalie dans le système plutôt qu’une caractéristique du capitalisme monopolistique contemporain. Ainsi, ils maintiennent que les crises qu’ils produisent ne sont que le résultat d’une production excessive de cette forme particulière de capital financier, qui pourrait être surmontée et réabsorbée à court et à moyen terme à condition qu’une bonne décision soit prise quant à la hausse ou à la baisse des taux d’intérêt. Cette fois cependant, la surproduction de ces dérivés a atteint des proportions telles que le système économique mondial n’a pu l’absorber qu’en passant sous les fourches caudines (2) d’une réduction de la croissance économique. Il y a danger que la crise des subprimes ait des répercussions tant pour le marché domestique américain que pour la demande globale des États-Unis, ce qui aurait à son tour une incidence négative pour la demande totale mondiale. Un nombre considérable de prêts immobiliers ont été accordés pour financer la consommation de familles qui, impressionnées par l’augmentation continuelle de la valeur de leurs maisons, ont accepté des hypothèques plus élevés ou des périodes de remboursement plus longues liés à cette nouvelle valeur. Les familles états-uniennes ont historiquement été parmi celles ayant une plus grande propension à s’endetter. Elles n’ont alors pas hésité à s’endetter jusqu’au cou sous l’illusion que la dette allait s’effacer toute seule. Au classement du championnat des familles les plus endettées au monde, avec une dette en rapport au revenu disponible de 128%, les États-Unis arrivent maintenant deuxième après le Royaume-Uni (148%) alors que le ratio italien n’est que de 50%. (3) Lorsque la Réserve fédérale américaine s’est vue forcée de rehausser les taux d’intérêts dans le but de contenir l’inflation suite à la dévaluation du dollar, l’illusion que les hypothèques se paieraient toutes seules s’est évanouie. C’est alors qu’un grand nombre de titulaires de prêts hypothécaires ne purent honorer leur dettes et durent faire faillite (aux États-Unis, les individus aussi peuvent se déclarer en faillite) (4) et leurs maisons furent vendues à l’encan. D’autres, pour éviter la faillite, ont vendu leurs maisons pour trois fois rien. En conséquence, non seulement le marché immobilier s’est écroulé mais aussi l’ensemble du système de financement du crédit à la consommation basé sur la réévaluation spéculative de la valeur des propriétés individuelles. Malgré cela, la majorité des économistes, tout en reconnaissant qu’une situation extrêmement périlleuse s’est développée, prétendent que les indices fondamentaux de ce qu’ils appellent «l’économie réelle» sont sains et ils maintiennent que cette crise du système international financier se résorbera sans grand cataclysme. Par exemple, Alan Sinai, un représentant éminent de l’école monétariste de Milton Friedman qui fut consulté dans les années 80 par la Réserve fédérale, par Bush senior et par Clinton, quoique très inquiet des répercussions possibles de la crise des subprimes, a déclaré dans une entrevue au journal italien La Repubblica en réponse à la question «Est-ce qu’il y aura une récession?» : «Pas nécessairement. Pour une période qui pourrait durer de six à neuf mois, nous serons dans une semi récession : mais l’économie ne tombera peut-être pas dans le rouge, ou si c’est le cas, cela ne durera qu’un trimestre, puis cela continuera lentement avec un taux de croissance annuel de 1% ou un peu plus.» Et à la question : «Mais tout cela provient-il de la crise de l’immobilier?», il répondit : «Oui, même si c’est difficile de le croire, l’importance de ce secteur aux États-Unis n’a pas d’égal. Nous pourrions entrer en récession même si le secteur manufacturier n’est pas en crise.» Ça vaut la peine d’examiner la contradiction gigantesque de la politique économique néo-libérale ici, ou, ce qui revient au même, de la politique économique des grands capitaux financiers et des banques. D’une part, cette dernière prétend que le capital que Marx a défini comme étant : le «capital moneyed (financier), pris dans l’acceptation de capital porteur d’intérêt» (5) est le capital «par excellence» comme le disait Marx et exige la libre production et circulation de marchandises comme des sources productrices inépuisables de richesse. D’autre part, à mesure que l’énigme de la crise s’éclaircit, elle admet que nous traitons avec une forme de capital qui est nettement distincte, encore selon Marx, «du capital productif (i.e. de la plus value – note de l’éditeur) et du capital marchand» pour pouvoir maintenir que la crise profonde du système financier n’affecte pas le secteur manufacturier. Or, ou bien c’est l’un ou c’est l’autre. Soit la prétention des responsables qui disent que la production sans entraves de capital porteur d’intérêts est une source de nouvelle richesse est un mensonge, soit ils mentent lorsqu’ils avancent que cela n’a aucune influence sur l’économie réelle. Mais ici, cela vaut la peine de se pencher un peu sur cette forme particulière de capital financier. La production de capital fictif en général La production de capital fictif n’est pas une invention du système capitaliste moderne. Marx avait déjà identifié cette forme particulière de capital financier parmi toutes les autres lorsqu’il examinait les éléments spécifiques du capital bancaire. Dans Le Capital, livre troisième, il a écrit : «Le capital bancaire se compose : 1. d’argent en espèces, or ou billets; 2. de titres. Ceux-ci, à leur tour, nous pouvons les diviser en : effets de commerce, traites qui circulent, viennent à échéance de temps en temps et dont l’escompte constitue l’activité proprement dite du banquier; et valeurs publiques : valeurs d’État, bons du trésor, actions de toute nature, bref des valeurs rapportant un intérêt, qui se différencient essentiellement des traites.» (6) Et en relation avec les bons du trésor, il précisa immédiatement : «Prenons l’exemple de la dette publique (…). L’État doit payer chaque année à ses créanciers une certaine somme d’intérêts pour le capital emprunté. Dans ce cas, le créancier ne peut pas réaliser son prêt, il ne peut que vendre sa créance, le titre de propriété qui l’établit. Le capital lui-même a été mangé, dépensé par l’État. Il n’existe plus.» (7) Le bon que ce crédit représente est donc seulement du capital en apparence, dans le sens que son auto valorisation ne s’est pas réalisée en tant que capital investi dans la production de marchandises. Néanmoins, parce que ces bons ont – en tant que producteurs d’intérêts – leur propre marché autonome, ils peuvent être revendus et aux yeux de ceux qui investissent leur propre capital pour les acquérir, la valeur de ses capitaux paraît être indépendante du processus réel de production de plus value, et ainsi, « l’idée d’un capital considéré comme un automate capable de créer de la valeur par lui-même s’en trouve renforcée.» (8) Mais en réalité : «Il peut y avoir autant de transactions que l’on voudra : le capital de la dette publique n’en reste pas moins purement fictif et, à partir du moment où les titres de créances deviendraient invendables, la fiction se dissiperait (et on verrait que ce n’est pas un capital).» (9) Malgré des différences significatives, cela vaut également pour les actions puisque même celles-ci sont des bons représentant du capital qui a déjà été dépensé, ou qui est à la veille de l’être. Marx a écrit : «Même lorsque la créance –le titre – ne représente pas, comme c’est le cas pour la dette publique, un capital purement illusoire, la valeur-capital de ce titre est purement illusoire. Nous avons vu précédemment que le crédit donne naissance à du capital associé. Les titres tiennent lieu de titres de propriété représentant ce capital. Les actions de sociétés de chemin de fer, de charbonnages, de compagnies de navigation, etc., représentent un capital réel : celui qui a été investi et qui fonctionne dans ces entreprises, ou encore la somme d’argent avancée par les actionnaires pour être dépensée comme capital dans ces entreprises. Notons en passant qu’il n’est nullement exclu qu’elles représentent une simple escroquerie. Quoiqu’il en soit, ce capital n’existe pas deux fois, une fois comme valeur-capital des titres de propriété, des actions, la seconde en tant que capital investi réellement ou à investir dans ces entreprises. Il n’existe que sous cette dernière forme, et l’action n’est qu’un titre de propriété ouvrant droit, au prorata de la participation, à la plus-value que ce capital va permettre de réaliser. Que A vende son titre à B et B à C, ces transactions ne changent rien à la nature des choses. A ou B ont alors converti leur titre en capital, mais C a converti son capital en un simple titre de propriété ouvrant droit à la plus-value qu’on espère du capital par actions.» (10) Superficiellement, il semble que le capital s’est multiplié par trois, mais en réalité c’est toujours le même capital, le capital initial est déjà dépensé et ce qui apparaît comme une accumulation de capital réel ex nihilo (11) est en réalité l’accumulation d’un titre légal d’un revenu à un certain moment dans le futur. Maintenant, parce que ces bouts de papier ne sont pas calculés sur la base d’un revenu réel, mais sur l’attente d’un rendement futur, il y a toujours une part de conjecture et donc aussi une composante spéculative : soit de pertes lors de mauvaises périodes ou de gains sous des conditions favorables. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les bons gouvernementaux pour couvrir la dette nationale ou plus généralement les billets de trésorerie, le simple fait que le marché monétaire soit frappé par un problème quelconque qui provoquerait une hausse des taux d’intérêts leur causerait leur dévaluation. Il en est ainsi des actions. Un changement de situation pour n’importe quelle raison socioéconomique altérera les attentes de futures réalisations de plus value que ces actions représentent. En traitant des oscillations de la valeur, Marx concluait : «Si la chute ou la montée des cours de ces titres n’a pas de rapport avec le mouvement de la valeur du capital réel qu’ils représentent, la richesse de la nation est aussi grande avant leur dépréciation ou la hausse de leur valeur qu’après… Si cette dépréciation ne traduisait pas un arrêt réel de la production et du trafic par canaux et voies ferrées, ou l’abandon d’entreprises déjà en chantier ou la dilapidation de capital dans des affaires positivement sans valeur, l’éclatement de ces bulles de savon gonflées de capital-argent nominal ne ferait pas la nation plus pauvre d’un liard.» (12) Mais cela était valide pour le XIXe et le début du XXe siècle lorsque la production de capital fictif était largement limitée en temps et en espace. Les limites de la transformation du capital fictif en capital réel Hier Nous avons vu que, dans la mesure où ils représentent un droit à rendement futur, les actions et les bons représentant un capital fictif ouvrent leur propre marché et sont transférables en tout temps en argent – ou plutôt en dollars, en euros, en yens, etc., des billets de banque – qui pourront à leur tour être transformés en capital marchandise ou en capital productif de plus-value. Il est donc possible – par la simple métamorphose d’une forme de capital monétaire en une autre - de faire avancer la production de valeur, qui en réalité n’a pas encore eu lieu. L’espace de temps qui sépare ces deux moments ne peut être comblé que de deux façons : soit en substituant l’avance par un report de paiement de valeur équivalente, soit par la réalisation d’une production passée accumulée sous la forme d’argent-marchandise. Durant la phase d’expansion du cycle d’accumulation et à l’intérieur des limites d’un système monétaire dans lequel la circulation du capital monétaire est règlementée, et/ou limitée par les frontières nationales, et dans lequel les transactions internationales sont régulées par l’argent-marchandise (en général l’or ou l’argent), cela arrive quotidiennement. Lorsque le cycle réel de la reproduction du capital – qui se produit sur une base élargie – est en expansion, en fait dans tout cycle productif, la contradiction entre les avances et les reports de paiements que la quantité croissante de marchandises crée éventuellement, est aisément compensée et peut être ainsi maintenue à l’intérieur des limites des marchés financiers. De plus, le processus de production de capital fictif de la part des banques et les diverses institutions financières est sévèrement limité par les règlements qui présuppose l’obligation d’établir des réserves de plusieurs types, faisant en sorte qu’en période de difficultés sur les marchés financiers, les oscillations soudaines entre les gains croissants ou décroissants tendent à se compenser les uns les autres sans s’ingérer dans le processus de production de capital réel. Dans un tel système, même les bénéfices provenant de l’importation de marchandises de l’étranger sont déterminés par des limites bien définies. Dans un système de paiements internationaux basé sur l’argent-marchandise, les importations ne peuvent pas dépasser – sauf par l’ouverture de crédits de la part des pays exportateurs – les réserves d’argent-marchandise que le pays en question a accumulé et qui ne représentent rien d’autre que la production passée de valeur convertie en argent-marchandise et utilisées dans le système de paiements internationaux, généralement de l’or et/ou de l’argent. Ainsi, dans un système où la production de capital monétaire sous toutes ses formes est règlementée et les paiements internationaux sont en proportion de l’argent-marchandise, la production de capital fictif est à son tour sévèrement limitée pour que les crises pouvant être générées par les excès spéculatifs puissent être maîtrisées par la dévaluation de l’excédent de capital fictif produit à l’intérieur des marchés monétaires. Mais aujourd’hui, cela n’est plus le cas et la frontière entre le processus d’accumulation de capital réel ou fictif est devenue plus floue, créant ainsi une situation potentiellement hautement explosive. Aujourd’hui Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, en juillet 1944 pour être plus précis, des modifications furent portées au système de paiements internationaux et aussi subséquemment aux systèmes monétaires nationaux. Avec le temps, ces modifications ont radicalement transformé les relations macroéconomiques entre la production de capital fictif et le processus d’accumulation de capital réel. Comme on le sait, c’est à ce moment que des délégués de divers pays qui étaient à la veille de gagner la Seconde Guerre mondiale se sont réunis dans la petite ville américaine de Bretton Woods pour former le Bloc occidental. Le but de la rencontre était la reconstruction du système monétaire international qui avait été jusqu’à ce moment sur l’étalon or et qui, lors de la crise de 1929 avait déjà fait preuve de plusieurs défaillances et que les États-Unis ne considéraient plus comme correspondants à leurs intérêts. Ce fut l’origine du système monétaire international de l’étalon dollar basé sur du papier-monnaie, comme s’il s’agissait d’argent-marchandise. La question du papier-monnaie devait cependant être garantie par la convertibilité du dollar en or et l’obligation de la Réserve fédérale américaine d’accumuler des réserves d’or pour soutenir un taux de change qui oscillait à environ 35 dollars l’once d’or. Avec ces éléments, le système fut présenté comme étant tout simplement une variante plus flexible du système d’étalon-or. Il n’était pas parfait, mais il était beaucoup plus sûr. En réalité cependant, même si les Accords prétendaient le garantir en mettant du papier-monnaie (le dollar) au cœur du système plutôt que l’argent-marchandise, cette clause de sécurité ne fonctionnera pas puisqu’elle permettait la création de crédit et de capital fictif à une échelle internationale, contrôlée uniquement par la banque centrale du pays qui initiait la production du papier-monnaie – les États-Unis. (13) Paoli G. Conti et E. Fazi ont écrit dans leur dernier livre Euroil : «Depuis environ 25 ans, les États-Unis ont maintenu leur rôle de direction incontestée et pendant ce temps le système d’étalon dollar a très bien fonctionné. L’économie internationale et le commerce traversèrent une longue période de croissance. Et presque tous les pays, en particulier ceux qui étaient sortis de la Seconde Guerre mondiale avec des économies dévastées comme l’Allemagne, l’Italie et le Japon, ont bénéficié de la stabilité du système.» (14) Mais avec l’explosion de la crise de la baisse du taux moyen du profit industriel – qui en commençant par les États-Unis a frappé l’économie mondiale et demeure non résolue encore aujourd’hui – la conversion du dollar en or ne pouvait plus être maintenue. Mais les États-Unis continuèrent à imprimer des dollars même s’ils avaient cessé d’accumuler les quantités de réserves d’or prescrites par les Accords de Bretton Woods. Ainsi, à l’été 1971, ils renoncèrent aux Accords et déclarèrent la non convertibilité du dollar. Cela imposa de facto un système de paiements internationaux fondé sur la production de capital fictif. En fait, quoi d’autre était ces dollars, émis sans couverture d’or, sinon une dette contractée par les États-Unis auprès du reste du monde sous une forme déguisée? La conséquence la plus importante et la plus immédiate de la renonciation des Accords de Bretton Woods, qui était équivalent à ce que les États-Unis refusent d’honorer leurs dettes, fut une dévaluation féroce du dollar et l’explosion d’un processus inflationniste violent pendant lesquels les États-Unis parvinrent à se décharger de sa crise sur le reste de la planète. D’un point de vue plus général, la déclaration de l’inconvertibilité du dollar constituait de facto un nouveau Bretton Woods pour les États-Unis, dans le sens où par ce fait, il sanctionnait ainsi un nouveau système de paiements internationaux, basé entièrement sur une monnaie inconvertible et sa circulation obligatoire à l’échelle internationale basée sur du capital fictif. Malgré la déclaration de non convertibilité, le dollar resta le moyen de paiement international par excellence tant sur le marché des matières premières, en particulier le pétrole, et comme monnaie de réserve des diverses banques centrales. Une situation se développa conséquemment qui n’était tout simplement pas imaginable du temps de Marx : les variations de la valeur d’un capital monétaire en circulation, exprimées dans une monnaie fixe, le dollar, n’étaient plus l’expression de la valeur réelle de la nation émettant cette monnaie – dans ce cas, la capacité réelle des États-Unis de produire de la richesse – mais du prix d’une marchandise ou plutôt des marchandises produites à l’étranger, comme le pétrole et presque toutes les matières premières d’importance stratégique. Le mécanisme fonctionne ainsi : une nation, disons le Japon a besoin de pétrole et l’achète à l’OPEP. Pour ce faire, elle doit obtenir des dollars des États-Unis en échange de marchandises : des autos de marque Toyota par exemple. Les États-Unis émettent des billets verts et les vendent au Japon en échange des autos. L’OPEP reçoit ces dollars en paiement du pétrole, il deviennent donc des pétrodollars : un terme qui est utilisé pour identifier une transaction de valeur américaine, fruit de la vente de pétrole dans le monde. Et nous parlons d’une quantité énorme d’argent. Selon une étude menée par la Unicredit Bank en 2006, les exportations de pétrole ont dépassées 840 milliards de dollars. Une partie de ses dollars est investie dans les économies des producteurs de pétrole…mais une autre partie, la plus importante est investie à l’étranger. Et lorsque l’on traite avec des dollars, la chose la plus naturelle est de choisir les États-Unis comme destination de ces investissements. Ainsi la boucle est bouclée. Les pétrodollars sont investis dans le logement, des actions, des bons du Trésor, le crédit et les prêts immobiliers, augmentant ainsi massivement la dette américaine : cette croissance continuelle de sa dette a maintenant atteint 3 000 milliards de dollars – ou l’équivalent de 27% du PIB du pays, ce qui est plus important que la somme de toutes les dettes du reste du monde. (15) Le triomphe du trafic bancaire sauvage Et cela ne s’arrête pas là. Une quantité importante de ces dollars continue de revenir aux États-Unis pour être réinvestie en bons du Trésor, en obligations, en actions, etc., c'est-à-dire en valeurs représentant du capital fictif. La déréglementation bien connue qui a libéralisé la production de capital monétaire a créé des conditions propices pour les nouveaux titres qui ont poussé comme des champignons. Il en résulte que les produits financiers dérivés ne proviennent plus, comme il arrivait par le passé, d’une dette publique ou privée ou de la formation d’une nouvelle compagnie par l’émission d’actions, mais de titres ou de bons en soi, ou directement de la spéculation sur la variation de leurs prix, sur les taux d’intérêts et/ou sur les prix des autres marchandises, en premier lieu le pétrole. Cela a donné naissance à un ensemble impressionnant de titres financiers basés sur du capital fictif. Dans la mesure où ils sont convertibles en argent, ils peuvent être offerts en échange, non seulement pour des Toyota comme dans notre exemple, mais pour une énorme quantité de marchandises produites à l’étranger. De cette façon, les limites qui empêchaient autrefois la valeur des importations d’excéder la valeur des réserves d’argent-marchandise du pays importateur (sauf à petite échelle et pour une brève période) et qui par le passé étaient inviolables, ont maintenant été rompues. Et ce n’est pas tout. Avec la déréglementation et la libéralisation complète de l’utilisation de capital fictif comme point de départ pour produire encore plus de capital fictif, la loi de Gresham – selon laquelle le mauvais argent chasse le bon – est maintenant confirmée et le capital fictif a rapidement pris le dessus sur la circulation interne du billet vert classique. Ainsi, sous bien des aspects, nous sommes revenus à la période entre les années 1830 et 1863, lorsque le National Banking Act fut adopté, pendant lesquelles un prétendu trafic bancaire sauvage dominait. C’était un système dans lequel des banques furent fondées seulement pour émettre du papier-monnaie sans valeur, exactement comme les CDO de notre époque ou les actions de Cirio, Parmalat et Enron. (16) Pour se faire une idée de l’importance énorme du phénomène, examinons la période allant de 1959 à 2003, lorsque la production d’argent virtuel qui croissait initialement au même rythme que le nombre de dollars émis sur la base de la valeur réelle des marchandises produites et vendues, augmenta progressivement par un ratio de un à dix. (17) Depuis 2003, la Réserve fédérale a cessé de la calculer, du moins officiellement, prétendant que l’un des index utilisés : Ne semble pas contenir d’informations utiles sur l’activité économique… En conséquence, le Conseil (de la Réserve fédérale – le traducteur) a jugé que les coûts surpassent les bénéfices. (18) Avec la possibilité de payer les importations avec de simples bouts de papier nommés dollars ou avec une carte de crédit émise sur la base d’un hypothèque, qui comme nous l’avons vu avec les hypothèques sur l’immobiliers pourraient se payer d’elles-mêmes, la disparité entre les importations et les exportations a augmentée de façon exponentielle ces trois dernières décennies et le déficit de la balance des paiements : «en 2006, a atteint la somme exacte de 862 milliards, ce qui est dix fois le montant de l’Espagne, le deuxième pays sur la liste des États avec des déficits de la balance des paiements». (19) Mais il est possible que nous puissions rendre le phénomène plus clair en citant F. Rampani dans La Repubblica du 15 août 2007 : «Lorsqu’un journaliste américain a tenté de vivre un an sans l’étiquette «made in China», il a réalisé que cela était impossible sans régresser à l’époque archaïque de Robinson Crusoé.» L’idée que le capital représente quelque chose qui se valorise en soi a assumé une forme tellement matérielle et concrète que ce qui demeure une simple abstraction de valeur a pénétré les veines du système à un point tel qu’elle est devenue une forme tellement concrète et matérielle, qu’elle a pris en main le processus entier de l’accumulation capitaliste à l’échelle mondiale. L’interpénétration entre les deux sphères, abstraite et réelle, s’est répandue dans le système à tel point qu’il est devenu presque impossible de délimiter où l’une commence et l’autre se termine. Ainsi, les États-Unis ne pourraient survivre une seule matinée s’ils n’avaient à leur disposition la plus grande des armées pour intervenir chaque fois que la déception menace d’être démasquée. De ce fait, si on veut comprendre la crise des subprimes et ses conséquences possibles, il faut la situer dans l’ensemble du processus de l’accumulation global de capital et la situer dans la forme transformée de la domination impérialiste moderne. Dans un discours donné au Congrès, le 15 février 2006, le sénateur républicain Ron Paul déclara : «Lorsqu’un pays avec une armée puissante et d’énormes réserves d’or commence à se dédier à la construction d’empires d’argent facile, avec lesquels il maintient son propre bien-être, c’est le signe inévitable de son propre déclin… Aujourd’hui, le principe tient toujours. C’est le processus qui diffère. L’or n’est plus la monnaie choisie par le «royaume». À sa place, nous avons le papier. Aujourd’hui, la loi est «celui qui imprime le papier fait la loi», du moins pour le moment. Alors que l’or n’est plus utilisé, le mécanisme reste le même, entraîner et obliger les pays étrangers par notre supériorité militaire et le contrôle sur l’impression de l’argent de produire et donc de financer notre propre pays.» (20) Maintenant, puisque cette crise des subprimes découle du fait que cette impression d’argent vacille, il est évident que nous ne parlons pas seulement d’une bulle qui éclate, mais d’une crise de l’ensemble du mécanisme de contrôle du processus d’accumulation du capital à l’échelle mondiale. De ce fait, l’idée que tout peut être réajusté par la simple injection de plus de capital fictif dans les veines du système est une illusion, du moins en ce qui concerne «le capital avec des capacités d’auto expansion automatiques». Pour dire vrai, une crise de dimension planétaire approche, une crise qui pourrait faire paraître 1929, comme un simple hoquet. Giorgio Paolucci Tiré de Prometeo 16, série VI (décembre, 2007) Notes (1) Pour une compréhension plus approfondie de cet aspect technique des prêts hypothécaires subprimes, voir les articles La crise des subprimes ébranle l’économie mondiale et Les effets de la spéculation financière, parus dans Battaglia Comunista, septembre 2007. |
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