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Comment la GRC aida Harper à devenir premier ministre (2de3)Anonyme, Saturday, September 20, 2008 - 06:09
Bureau des Affaires Louches
Il y a trois ans, la GRC influa sur une élection générale qui changea le cours de l'histoire du Canada. Dans cette deuxième partie d'une série de trois, le BUREAU DES AFFAIRES analyse comment l'intervention de la GRC durant les élections de 2005-2006 fit déraillé de la campagne libérale et propulsa le parti conservateur à la tête des sondages, contribuant ainsi à la victoire de Stephen Harper. La campagne électorale en était à sa quatrième semaine lorsqu'un événement aussi inattendu qu'inusité se produisit. Le 28 décembre 2005, la députée néo-démocrate Judy Wasylycia-Leis annonça que le commissaire de la GRC, Giuliano Zaccardelli, lui avait confirmé par écrit qu'une enquête criminelle avait été ouverte relativement à l'affaire des fiducies de revenu. (48) La brève lettre de Zaccardelli lui avait été envoyé par fax, cinq jours plus tôt. La nouvelle eut l'effet d'une bombe et allait devenir le point tournant de cette campagne électorale, qui, de l'avis de bien des observateurs, manquait franchement de pétillant. Bien entendu, les médias de l'ensemble du pays se ruèrent sans tarder sur la GRC pour en savoir plus. Dans un bref communiqué de presse, la GRC indiqua que son enquête portait sur "un bris de sécurité ainsi qu'un transfert illégal d'informations privilégiées avant l'annonce gouvernementale du 23 novembre 2005 concernant les changements au régime fiscal des dividendes et des fonds de titre à revenus fixes." Le communiqué prit également soin de préciser que la GRC "ne possède en ce moment aucune preuve d'actes illégaux ou répréhensibles de la part de quiconque, incluant le ministre des Finances." La GRC avait donc décidé, non pas que la loi avait été enfreinte, mais bien qu'il y avait là matière à enquête. Si cette décision n'équivalait pas à une déclaration de culpabilité contre Goodale ou le gouvernement libéral, elle n'en restait pas moins chargée politiquement. D'abord, elle mettait en doute la position qu'affichait Goodale depuis le début à l'effet que son cabinet n'avait absolument rien à se reprocher. Ensuite, elle embarrassait au plus haut point le premier ministre Martin qui n'avait cessé de défendre vigoureusement son ministre des Finances sur la place publique. Enfin, elle arrivait au beau milieu d'une campagne électorale... Par ailleurs, l'arrivée de la GRC dans le dossier des fiducies de revenu ne laissait pas indifférents les observateurs des marchés financiers, bien que certains d'entre eux se montrèrent ouvertement sceptiques quant à la pertinence même de cette enquête. "Ils ont eux-mêmes reconnu qu'ils ne détiennent aucune information et je me demande bien ce qu'ils espèrent trouver", commenta Ross Healy, président de la firme Strategic Analysis. (49) "Ça me semble être une perte de temps", ajouta-t-il. Tom Caldwell, président de la firme de courtage Caldwell Securities, fut également de cet avis. "J'ai le sentiment qu'une fois que la poussière sera retombée et que beaucoup d'argent aura été dépensé, l'enquête n'aura pas permis d'identifier clairement des coupables", affirma-t-il. Caldwell déclara même que sa propre firme avait accru ses investissements dans les fiducies de revenu quelques semaines avant l'annonce de Goodale après en être venu à la conclusion que le gouvernement Martin allait certainement mettre un terme à l'incertitude qui affligeait ce secteur particulier avant d'aller en élection. Utile ou non, l'enquête de la GRC ne tarda pas à causer des remous sur la scène politique fédérale, et surtout, à provoquer de sérieux maux de tête aux libéraux. Depuis le début, les libéraux avaient eu beau jeu de dire que la controverse entourant l'annonce du 23 novembre n'était rien de plus que "des allégations de l'opposition pendant une campagne électorale." Avec l'annonce de l'enquête de la GRC, les allégations venaient soudainement de gagner en crédibilité. "Les allégations sont suffisamment sérieuses pour commander une enquête criminelle de la GRC", observa le député bloquiste Yvan Loubier. "La GRC n'entame pas une enquête sans semblant de preuve." (50) Le Parti conservateur, le NPD et le Bloc québécois réagirent en réclamant tous en choeur la démission du ministre Goodale. "Il n'a pas le choix", estima Loubier. Pour le député bloquiste, c'est la réputation même du Canada sur les marchés internationaux qui serait en jeu. En tant que ministre des Finances, Goodale est le "véritable premier fiduciaire de la confiance des marchés financiers", soutint Loubier. (51) Selon lui, les allégations ayant donné lieu à l'enquête de la GRC pourraient non seulement miner la confiance des investisseurs mais aussi la stabilité économique du Canada, "deux ingrédients indispensables" à une bonne santé financière. Mais le principal intéressé n'avait aucune intention de céder sa place. "J'ai très hâte de démontrer que ma réputation d'homme intègre est absolument justifiée", déclara un Goodale combatif. "Qu'il soit innocent ou non ne dépend pas du ministre, mais de la police", remarqua le chef du NPD, Jack Layton. De son côté, Paul Martin réitéra toute sa confiance en Goodale. "Je connais très bien Ralph Goodale", déclara le chef libéral. En effet, la première rencontre entre les deux hommes remontait à la convention libérale de 1968, au cours de laquelle Goodale avait dirigé la délégation de Saskatchewan. "C'est une personne de grande, grande intégrité", assura Martin. (52) En fait, la réputation de droiture de Goodale ne semblait pas être surfaite. Élu député fédéral pour la première fois en 1974, à l'âge de seulement 24 ans, Goodale su éviter les scandales lors de sa longue carrière politique. Qui plus est, il fut même l'un des rares élus libéraux à recevoir les éloges du juge Gomery. Dans son rapport, Gomery avait en effet noté que Goodale avait mit fin "aux abus" dont faisait l'objet le programme des commandites à peine vingt-quatre heures après sa nomination au poste de ministre des Travaux publics, en 2002. Chrétien et son chef de cabinet, Jean Pelletier, "auraient dû faire en 1996 ce que M. Goodale a fait en 2002", écrivit Gomery. (53) Toutefois, avec l'enquête de la GRC dans l'affaire des fiducies de revenu, les louanges de Gomery à l'égard de Goodale n'étaient plus qu'un souvenir distant. En fait, l'opposition chercha même à retourner la réputation sans tache de Goodale contre les libéraux. "Je ne pense pas que cela aide tellement les libéraux quand l'un de leurs ministres qu'on dit parmi les plus honnêtes se retrouve mêlé à quelque chose d'aussi honteux", affirma le député conservateur Monte Solberg. (54) Il n'y pas à dire, les libéraux se trouvait dans un sérieux pétrin. Frank Graves, de la firme de sondages EKOS, n'hésita pas à comparer l'enquête de la GRC à une grenade dégoupillée qui venait d'atterrir dans les pantalons de Martin. "Je crois que les retombées potentielles de ceci peuvent être considérables - comme perdre une élection au lieu de la gagner", alla jusqu'à prédire le sondeur. (55) Les dommages politiques de l'enquête de la GRC ne se firent pas attendre. Deux jours après la confirmation de l'enquête de la GRC, la maison Decima dévoilait les résultats d'un sondage réalisé à l'échelle nationale auprès de 3820 personnes. Quatorze pour cent des électeurs indécis affirmèrent à la maison de sondage qu'ils avaient décidé de ne pas voter pour le PLC après avoir appris l'existence de l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu. (56) De plus, vingt-cinq pour cent des indécis sondés déclarèrent que la perspective d'accorder leur vote au parti de Paul Martin était devenu moins probable suite à ce nouveau développement. "Dans une course électorale serrée, ces chiffres peuvent évidemment devenir une source de préoccupation pour les libéraux", nota Bruce Anderson, président de Decima. Dans ce même sondage, 45 pour cent des répondants estimèrent que Goodale devrait démissionner de son poste de ministre, contre 38 pour cent qui estimaient qu'il devrait rester en place. Dans les pages éditoriales des grands quotidiens, les avis sur la question étaient plutôt partagés. Dans Le Devoir, l'éditorialiste Josée Boileau écrivit que Goodale confondait "qualités personnelles et exigences institutionnelles", alors qu'en fait, le concept de la responsabilité ministérielle "est bien plus large que la simple responsabilité individuelle." (57) Pour Boileau, l'enquête policière faisait désormais en sorte que le ministre et ses subalternes étaient "officiellement sur la sellette." Selon elle, "le fait que l'enquête touche un secteur où la plus grande prudence s'impose (...), le fait que seul l'entourage du ministre pouvait être au courant de cette annonce et le fait qu'un groupe de pression a été mis - plus ou moins clairement - sur la piste ce jour-là ne font qu'ajouter à la nécessité du départ de M. Goodale." Une position que ne partagea pas André Pratte de La Presse, pour qui "la responsabilité ministérielle ne signifie pas qu'un ministre doit démissionner dès que quelqu'un, quelque part dans son ministère a commis une erreur." (58) Bien qu'il conclua que Goodale pouvait "rester en poste", Pratte reconnu par la même occasion que la "crédibilité du ministre est tout de même entachée", et ce, non pas à cause d'une enquête sur "une fuite dont personne ne sait si elle s'est produite ou non", mais bien "en raison de sa gestion déficiente" du dossier des fiducies de revenu. Dans le National Post, l'éditorial souligna que l'enquête de la GRC ne pouvait arriver à un pire moment pour Goodale, mais ajouta qu'il fallait accorder le bénéfice du doute au ministre libéral. (59) Le Globe and Mail, The Gazette et The Vancouver Sun se prononcèrent également en faveur du maintien en poste de Goodale. Dans son éditorial, le Toronto Sun posa une question d'une redoutable pertinence : "puisqu'il s'enorgueillit de sa propre intégrité, pourquoi alors M. Goodale n'a-t-il pas appelé la GRC ?" (60) Plus hargneux, le quotidien Edmonton Sun fit valoir que Goodale aurait certainement démissionné s'il existait encore "une parcelle d'honneur et de décence au Parti libéral du Canada." (61) La GRC avait donc créée une situation dans laquelle le premier ministre Martin se retrouvait complètement pris au piège. Quoiqu'il fasse, le chef libéral semblait condamné à faire le jeu de l'opposition. S'il démettait Goodale de ses fonctions, alors l'opposition dira qu'elle avait raison depuis le début et que Paul Martin aurait dû l'écouter bien avant. Si, au contraire, il gardait Goodale en poste, l'opposition s'en prendra au jugement de Martin, en disant qu'il préfère protéger ses copains libéraux plutôt que la réputation du Canada sur les marchés internationaux. Bien entendu, les conservateurs ne se firent pas prié pour capitaliser sur les tribulations des libéraux. Le 30 décembre, ils lancèrent une nouvelle publicité télévisée dans laquelle ils firent leurs choux gras de l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu. (62) L'affaire des fiducies de revenu représentait d'autant plus un bon filon à exploiter que la liste de suspects potentiels quant à l'origine de la fuite d'informations privilégiées ne faisait que s'allonger. Car, évidemment, tous ceux qui savaient à l'avance la teneur de l'annonce que Goodale allait faire sur les fiducies de revenu étaient devenus des "suspects" susceptibles d'être interrogés par la GRC. Et parmi eux, on retrouvait nul autre que Paul Martin lui-même ! En effet, lors d'un point de presse tenu à Longueuil, le 30 décembre, Martin révéla qu'il l'a su "la journée même." "Moi je le savais, je peux vous le dire", déclara le premier ministre. (63) D'ailleurs, il n'était pas le seul. Certains membres de sa "garde rapprochée" furent également mis au parfum. "Il y en a, dans mon bureau, qui avaient besoin de savoir tout ce qui se passe. Ils l'ont su lorsque la décision a été prise", confia-t-il. La député néo-démocrate Libby Davies réagissa en affirmant que la GRC devrait également enquêter sur le bureau du premier ministre. L'affaire des fiducies de revenu venait donc de prendre une toute nouvelle dimension. D'ailleurs, Goodale chercha à tirer son vieil ami Martin de la position fâcheuse dans laquelle il s'était mit. Ainsi, Goodale alla dire sur les ondes du réseau CTV qu'il avait bien discuté des fiducies de revenu avec Martin avant de faire son annonce, mais qu'aucune décision finale ne fut prise à ce moment-là. (64) Selon lui, Martin lui aurait essentiellement donné carte blanche en lui disant que la décision lui revenait en tant que ministre des Finances et qu'il soutiendrait le choix qu'il fera, peu importe lequel. Bref, la version de Goodale contredisait celle de Martin. Lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne, Martin tenta de couper court aux spéculations à l'effet qu'il pourrait être interrogé par la GRC. "Personne ne m'a contacté, et au meilleur de ma connaissance, personne n'a contacté qui que ce soit au cabinet du premier ministre", déclara le chef libéral. (65) De son côté, Goodale fut interrogé pendant une heure par les enquêteurs de la GRC à Regina, en Saskatchewan, le 3 janvier. (66) Le lendemain, Martin demanda aux journalistes de cesser de lui poser des questions au sujet de l'enquête de la GRC. Mais la controverse ne cessa pas pour autant puisque deux autres membres du gouvernement libéral reconnurent à leur tour qu'ils avaient eux aussi été informés au préalable de l'annonce de Goodale. Ainsi, le ministre du Revenu, John McCallum, avoua lui aussi qu'il était dans le secret des Dieux. McCallum expliqua qu'il était normal que le ministre responsable de l'impôt soit informé en primeur des mesures fiscales que s'apprêtait à annoncer le ministre des Finances. McCallum confia également que deux employés de son cabinet en avaient aussi été informés. "Je suis assuré que les deux ne l'ont pas dit à quiconque, et je ne l’ai certainement pas dit à quiconque", assura-t-il. (67) Notons qu'avant de faire le saut en politique, McCallum avait été économiste en chef à la Banque Royale du Canada, qui fut l'une des sociétés dont les titres connurent un volume de transaction anormalement élevé dans les heures précédant l'annonce de Goodale. Le député libéral d'Hamilton, Tony Valeri, reconnut qu'il faisait parti de ceux qui avait été informé à l'avance de l'annonce de Goodale. (68) Compte tenu de ses responsabilités à titre de leader du gouvernement aux Communes, le cabinet de Valeri hérita de la tache de préparer une motion afin que les nouvelles mesures fiscales soient adoptés sans délai par le parlement. Valeri a cependant refusé de dire qui parmi les membres de son personnel était au courant de l'annonce avant qu'elle ne soit rendue publique. Le premier sondage publié en 2006 permit de mesurer l'ampleur des dégâts causés par l'annonce de l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu. Pour la première fois depuis le lancement de la campagne, les conservateurs de Harper menaient dans les intentions de vote. Mené auprès de 1000 personnes les 29 et 30 décembre, le sondage Ipsos Reid accordait 33 pour cent d'appuis aux conservateurs, soit un point de plus que les libéraux. (69) Quoique l'avance du parti de Harper demeurait faible, le président de la firme de sondage, Darrell Bricker, n'hésita pas à interpréter ces résultats comme une nouvelle tendance dans la campagne. Pour Bricker, il ne fit aucun doute que le momentum était désormais avec les conservateurs, eux qui tiraient de l'arrière par neuf points à la faveur des libéraux il y a deux semaines à peine. Brikcer attribua ces résultats à l'enquête de la GRC, mais aussi à la performance sans faille de Harper, qui était arrivé à projeter l'image d'un politicien de droite raisonnable, rassurant et rassembleur. Cette remontée des conservateurs fut confirmée par un sondage CPAC-SES Research réalisé à travers le Canada du 1er au 3 janvier. Ce sondage donnait une avance de 3 pour cent aux conservateurs (36 pour cent) face aux libéraux (33 pour cent). (70) Dans un sondage réalisé par la firme EKOS auprès de 1386 répondants les 3 et 4 janvier, les conservateurs détenaient une avance d'un peu plus de 6 pour cent sur les libéraux à l'échelle nationale. Les libéraux ne parviendront jamais à regagner le terrain perdu et à rattraper les conservateurs, qui ne cesseront de creuser l'écart avec le parti de Martin durant le reste de la campagne. Constatant l'impact politique que l'enquête policière sur l'affaire des fiducies de revenu était en train d'avoir sur la campagne électorale, le quotidien The Toronto Star appela la GRC à compléter son enquête le plus rapidement possible, de sorte que ses résultats soient connus avant le jour du scrutin, le 23 janvier. (71) Le porte-parole de la GRC Denis Constant avait d'ailleurs promis que l'enquête "ne traînera pas." Mais, comme on le verra par la suite, la GRC ne tiendra pas promesse. La police montée contre les libéraux ? L'enquête de la GRC sur les fiducies de revenu provoqua tout une polémique au Canada anglais qui n'a pas pratiquement pas eu d'échos chez les médias francophones québécois. Le leader syndical Buzz Hargrove fut l'une des premières personnalités qui critiqua publiquement la conduite de la GRC dans cette affaire. Président des Travailleurs Canadiens de l'Automobile (TCA) depuis 1992, Hargrove avait appelé à voter en faveur des libéraux dans toutes les circonscriptions où le candidat du NPD n'avait aucune chance de l'emporter Lors d'une émission à la radio de CBC, Hargrove déclara que la façon d'agir de la GRC dans le dossier des fiducies revenu n'avait pas été "appropriée" puisqu'elle avait offert un avantage "injuste" à l'opposition. "Le seul moment où les sondages ont bougé durant les trois ou quatre derniers jours fut lorsque la GRC annonça qu'elle allait mener une enquête", déplora Hargrove. (72) "La GRC n'est pas stupide", déclara Buzz Hargrove. "Ils savent que lorsqu'ils lancent une enquête en pleine campagne électorale, il va y avoir un impact." En fait, le principal reproche du chef syndical se situait au niveau de la médiatisation de l'enquête. "Je crois que l'enquête, si elle était appropriée, aurait dû être menée sans en faire une nouvelle importante", estima Hargrove. Selon lui, la GRC aurait dû attendre après les élections avant de révéler l'existence de son enquête. "Qu'est-ce qu'il y aurait eu de mal à l'annoncer trois semaines plus tard ?, demanda-t-il. "Cela n'aurait rien changé." Le chroniqueur politique vétéran Don MacPherson du quotidien The Gazette critiqua sévèrement la conduite de la GRC. "Il reste à voir si la GRC se montrera à la hauteur de son credo et qu'elle attrapera son homme dans l'affaire des fiducies de revenu," écrivit MacPherson.(73) "Mais la GRC pourrait déjà avoir attrapé son gouvernement", continua-t-il, en faisant bien sûr allusion au gouvernement Martin. "Il y a quelque chose qui pue ici, et ce ne sont pas les chevaux du fameux carrousel", ajouta le chroniqueur, un brin irrévérencieux. "Vous n'avez pas à être un libéral endurci pour vous demander ce que diable la GRC pensait qu'elle faisait en annonçant une enquête criminelle pendant une campagne électorale", écrivit Jeffrey Simpson, chroniqueur au Globe and Mail. (74) "Ce que la GRC a fait est inexplicable et anormal. Des amis informés qui connaissent bien les normes de la GRC sont déconcertés. Ils n'ont jamais vu quelque chose comme ça auparavant", continua Simpson. "Selon des sources qui sont familières avec ces questions, les pratiques normales de la GRC consistent à accuser réception de la lettre, remercier l'expéditeur et se la boucler." "Habituellement, nous apprenons l'existence d'une enquête seulement lorsqu'il y a des descentes, des saisies et des arrestations, autorisées avec des mandats émis par un juge", nota Don MacPherson. "Il y a de bonnes raisons pour cela. L'une d'elle est de protéger les réputations de personnes qui sont considérées comme étant innocentes jusqu'à preuve du contraire dans le système judiciaire. Une autre est d'éviter de mettre en péril l'enquête elle-même en donnant un tuyau aux criminels leur permettant ainsi de dissimuler ou de détruire des preuves, de fabriquer des alibis, d'intimider des témoins et ainsi de suite." Donald Black abonda dans le même sens. Personnalité influente du milieu des affaires de Regina, Black est un ami personnel de Goodale depuis vingt ans. Black est aussi l'un des membres du comité exécutif de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières qui était présent lors de la rencontre controversée avec le ministre Goodale le matin du 23 novembre. "Nous avons vu la GRC annoncer publiquement qu'elle menait une enquête. Je trouve ça très intéressant. Si jamais ils enquêtent sur moi, j'espère qu'ils l'annonceront publiquement, comme ça j'aurai le temps de brouiller les pistes", lança-t-il sarcastiquement sur CTV. (75) Les responsables du site web StockHouse.ca jetèrent eux aussi un doute sur la manière dont la GRC s'y prenait dans l'affaire des fiducies de revenu. On se rappellera que le réseau CTV avait allégué, plus tôt en décembre, que deux messages mis en ligne sur le forum de discussion du site quelques heures avant que Goodale ne fasse connaître sa décision quant aux fiducies de revenu ressemblaient drôlement à l'annonce que le ministre des Finances s'apprêtait à faire. Cette révélation tomba quelque peu dans l'oubli jusqu'au 5 janvier, jour où l'entreprise Stockgroup Information Systems Inc., qui est propriétaire du site web StockHouse.ca, cru bon de diffuser un communiqué de presse dans lequel elle révéla que la GRC n'avait toujours pas prit contact avec elle. (76) Voilà qui était plutôt curieux de la part d'un corps policier qui avait alerté le pays tout entier pour faire savoir qu'elle avait lancé une enquête sur "un bris de sécurité ainsi qu'un transfert illégal d'information privilégiée." "Si la GRC enquête là-dessus, alors nous sommes surpris qu'ils n'ont pas tenté de parler aux gens qui communiquèrent cette information à l'avance via notre site", affirma au Globe and Mail Bruce Nunn, le vice-président au marketing de Stockgroup. (77) Nunn précisa que la compagnie n'avait pas l'habitude de divulguer l'identité de ceux qui participent au forum mais qu'elle se pliera à une ordonnance émise par un tribunal le cas échéant. Bien entendu, la GRC ne pouvait rester silencieuse face à des critiques de plus persistantes qui risquaient de mettre à mal son image auprès de la population. Question de ne pas donner le dernier mot à ses détracteurs, la Gendarmerie lança donc une contre-offensive sur le front des relations-publiques. Le sergent Paul Marsh, porte-parole du quartier général de la GRC, à Ottawa, se chargea de défendre les actions de la Gendarmerie dans l'affaire des fiducies de revenu. "Si nous commençons à choisir le moment de nos enquêtes ou si nous retardons nos enquêtes en fonction de considérations politiques, alors nous devenons nous-mêmes politisés, et ce n'est pas ce que nous voulons", déclara le Sgt Marsh lors d'un entretien avec La Presse Canadienne. (78) Voilà qui allait de soit. Mais là n'était pas la question : la principale critique adressée à la GRC, faut-il le rappeler, était d'avoir fait en sorte que l'existence de son enquête soit connue du public. D'ailleurs, il n'est pas inutile de noter ici que la conduite de la GRC contrastait avec celle de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario et la Securites and Exchange Commission, deux organismes jouant le rôle de chien de garde des marchés financiers nord-américains qui avaient reçut tous deux des demandes d'enquête relativement à l'affaire des fiducies de revenu. En effet, aucun de ces deux organismes n'avaient voulut confirmer ou nier l'existence d'une enquête au sujet des volumes de transaction suspects qui précédèrent l'annonce du ministre Goodale. (79) Le Sgt Marsh a donc dû essayer d'expliquer pourquoi la GRC n'en avait pas fait autant. "Nos pratiques normales sont de ne pas identifier qui ou quoi pourrait faire ou ne pas faire l'objet d'une enquête criminelle", reconnu le porte-parole de la GRC. Mais le Sgt Marsh rappela que c'était la députée Wasylycia-Leis qui avait prit l'initiative de révéler l'existence de l'enquête policière dans l'affaire des fiducies de revenu. "Le NPD a contacté les médias de manière proactive le 28 (décembre)", expliqua le policier. "Une des pratiques habituelles de la GRC, d'un point de vue des relations médiatiques, est de confirmer l'évidence", ajouta-t-il. Le porte-parole de la GRC précisa par ailleurs que si Wasylycia-Leis n'avait pas rendu publique la lettre du commissaire Zaccardelli, alors la GRC se serait abstenu de contacter les médias à ce sujet. En d'autres mots, la GRC prétendait, à qui voulait bien l'entendre : ce n'est pas de notre faute, c'est celle du NPD ! Comme c'est commode de pouvoir se cacher derrière une politicienne de l'opposition pour ne pas avoir à répondre de ses actes ! Récapitulons : en écrivant à Wasylycia-Leis pour l'informer qu'une enquête criminelle allait être entreprise sur l'affaire des fiducies de revenu, le commissaire Zaccardelli se trouvait à fournir des munitions à une politicienne de l'opposition en pleine campagne électorale. Et maintenant, il faudrait croire que la possibilité que cette politicienne se servent de munitions aussi redoutables contre ses adversaires libéraux n'aurait jamais effleurée l'esprit à un officier vétéran de la GRC comme Zaccardelli qui, de part ses fonctions, était vraisemblablement fort bien initié aux rouages de la politique politicienne ? La GRC cherchait-elle à jouer les imbéciles ou prenait-elle plutôt le peuple pour une bande d'abrutis ? Lors d'un entretien avec un journaliste du Globe and Mail, le Sgt Marsh plaida qu'il n'y avait rien d'inhabituel pour la GRC d'informer un plaignant d'un changement significatif dans l'évolution du dossier. Cette explication fut toutefois accueillit avec scepticisme par le chroniqueur MacPherson, qui décrivit, sur un ton des plus sarcastiques, comment la lettre de Zaccardelli à Wasylycia-Leis s'apparentait à un débordement de courtoisie de la part du commissaire de la GRC. "C'était particulièrement aimable puisque Wasylycia-Leis n'était pas plus une victime que n'importe quel investisseur canadien et n'avait pas plus d'information à sa disposition sur un crime possible outre ce que quiconque, incluant la GRC, pouvait avoir lu dans les journaux", nota-t-il. "Encore plus aimable, la lettre de Zaccardelli n'indique pas qu'elle est confidentielle, ni ne demande à Wasylycia-Leis, une candidate néo-démocrate se présentant pour sa réélection, de ne pas divulguer l'information politique explosive quelle contient." Réalisant probablement que son argument consistant à mettre la responsabilité sur le compte du NPD se heurtait à un certaine incrédulité, le porte-parole de la GRC changea subtilement son fusil d'épaule. Désormais, il adopta la ligne suivante : à quoi bon de garder secrète une enquête qui, de toute façon, aurait été impossible à cacher des médias et aurait finit par être connue du grand public ? Selon le Sgt Marsh, en temps normal, il aurait été possible de déclencher une enquête criminelle sans faire du bruit. Mais en période électorale, les choses se présentaient différemment. Dès la fin de novembre, le NPD avait rendu publique l'existence de sa plainte écrite, suite à quoi les journalistes se mirent à téléphoner quotidiennement au quartier général de la GRC pour savoir s'il y avait du nouveau dans ce dossier. Avant que la GRC ne décide de lancer une enquête criminelle, les relationnistes du corps policier fédéral eurent beau jeu de répondre aux journalistes que, non, il n'y avait rien de nouveau. Mais, selon le Sgt Marsh, une fois que fut prise la décision de lancer une enquête criminelle en bonne et due forme, la GRC pouvait difficilement répondre aux journalistes qu'elle ne ferait plus aucun commentaire, tel que le veut la norme lorsqu'une enquête est en cours, sans mettre la puce à l'oreille chez les membres de la presse. Bref, ce n'était plus la faute au NPD. C'était maintenant la faute aux médias qui ne cessait de harceler cette pauvre Gendarmerie qui ne savait plus où donner de la tête ! Il restait que cette étrange explication avait de quoi laisser quelque peu perplexe. À première vue, on croirait entendre parler le représentant d'un modeste détachement de police de campagne qui n'avait pas l'habitude de traiter avec des journalistes aguerris des grands centres urbains. Pourtant, il s'agissait bien d'un porte-parole de la GRC, le plus important corps policier de tout le Canada. Mais pourquoi donc la GRC s'était-elle senti obligée de dire aux journalistes qu'il n'y avait rien de nouveau relativement au dossier des fiducies des revenu alors qu'elle aurait pu s'abstenir de tout commentaire dès le début ? En répondant qu'il n'y avait rien de neuf, la GRC n'encourageait-elle pas indirectement les journalistes à rappeler de nouveau, au cas où il y aurait des développements ? Si elle s'en était tenu à sa pratique habituelle, qui consiste à refuser de discuter de plaintes faites par des membres du public, les journalistes auraient sans doute vite compris qu'ils n'arriveraient à rien en téléphonant jour après jour à la GRC. Cet argument sur l'impossibilité d'assurer la confidentialité de l'enquête fut d'ailleurs repris par Norman Inskter, commissaire de la GRC de 1987 à 1994. Lors d'un entretien avec le Globe and Mail, Inskter fit valoir que la "machine à rumeurs de Bay Street" se serait rapidement emballée dès que les premiers enquêteurs fédéraux auraient commencés à rencontrer des courtiers en valeurs mobilières et d'autres acteurs des marchés financiers pour leur poser des questions sur l'affaire des fiducies de revenu. Peut-être bien. Mais depuis quand la GRC se laisse-t-elle dicter sa conduite par la possibilité de rumeurs ? En fait, ce qui rendait cette explication particulièrement boiteuse, c'était qu'aucune enquête policière de ce monde ne peut être totalement à l'abri de fuites. Et lorsqu'une telle fuite survient, les relationnistes policiers n'ont qu'a déclarer qu'ils ne peuvent ni confirmer, ni infirmer l'existence de l'enquête, comme ils en ont d'ailleurs l'habitude. Il était évident qu'il était hors du pouvoir de la GRC d'empêcher les rumeurs de courir. Cependant, il était tout aussi évident qu'une rumeur aura toujours moins de poids qu'une lettre officielle du commissaire de la GRC confirmant formellement l'existence d'une enquête criminelle. En fait, il devrait sembler évident qu'une rumeur d'enquête policière n'aurait jamais eu autant d'impact auprès de l'électorat, et ce, même si elle venait de Bay Street. Bref, sans la lettre de Zaccardelli, l'opposition aurait fait beaucoup moins de millage sur l'affaire des fiducies de revenu. Voyez-vous l'opposition demander la tête d'un ministre des Finances à cause d'une rumeur d'enquête policière ? "Nous devons être indépendants et être perçus comme tel", plaida également le Sgt Marsh pour convaincre l'opinion publique du bien-fondé des agissements de la GRC. Or, si l'intention de la GRC était de projeter l'image d'un corps policier indépendant politiquement, force est de constater qu'elle échoua puisqu'elle n'échappa pas aux accusations de parti-pris. En fait, compte-tenu du contexte électoral de l'enquête sur l'affaire des fiducies de revenu, le mot "indépendant" résonnait davantage comme une volonté de se distancer du pouvoir libéral. "Damned if you do, damned if you don't", déclara avec fatalisme Normand Inkster. En d'autres mots, quoi que fasse la GRC, elle sera toujours condamnée. C'était là oublié que la GRC contribua à son propre malheur par la manière plutôt discutable qu'elle prit pour gérer les communications entourant son enquête sur l'affaire des fiducies de revenu de même que la controverse qui s'ensuivit. Et que serait-il arrivé si le commissaire Zaccardelli n'avait pas eu l'"amabilité" d'écrire à la députée Wasylycia-Leis pour l'informer qu'une enquête avait été lancée sur l'affaire des fiducies de revenu ? Dans le pire des scénarios, certains membres de l'opposition auraient peut-être accusés la GRC d'avoir caché l'existence de son enquête pour protéger politiquement les libéraux durant la campagne électorale. Mais la Gendarmerie s'en serait probablement tirée facilement. Elle n'aurait eu qu'à rappeler qu'il n'était pas dans ses habitudes de faire des déclarations publiques au sujet d'une enquête qui était encore en cours. La poussière serait sans doute vite retombée et la controverse n'aurait certainement pas fait aussi long feu que celle que cause Zaccardelli par ses indiscrétions avec la députée néo-démocrate. Bref, avec des explications aussi peu convaincantes, il restait difficile de se débarrasser de l'impression que la médiatisation d'une enquête criminelle embarrassante au plus haut point pour les libéraux faisait l'affaire de la GRC. D'ailleurs, en parlant des libéraux, que disaient-ils de tout ceci ? Des libéraux qui répliquent Au début, le PLC s'abstint prudemment de tout commentaire au sujet de la controverse grandissante concernant la conduite de la GRC dans l'affaire des fiducies de revenu. Pour un parti qui accumulait scandale sur scandale, s'en prendre publiquement à la GRC était une entreprise périlleuse politiquement qui pouvait facilement se retourner contre lui. La dernière chose dont les libéraux avaient besoin à ce stade-ci, c'était de se faire accuser d'entrave au travail de policiers enquêtant sur certaines grosses huiles du parti. Ce n'est qu'après que certains chroniqueurs politiques chevronnés comme Don MacPherson et Jeffrey Simpson s'attaquèrent aux agissements de la GRC que les libéraux vinrent à bout de leurs hésitations. Cependant, si le PLC voulait s'exprimer sur cette épineuse question, il se devait de procéder avec le plus grand des doigtés. Cela expliquait sans doute pourquoi la tache délicate de critiquer l'intervention de la GRC dans la campagne fut confiée à deux ex-agents de la Gendarmerie qui se présentaient sous la bannière libérale en Alberta. Dans un entretien avec La Presse Canadienne, Brad Enge, candidat libéral dans la circonscription de Edmonton-Spruce Grove, exprima sa désapprobation à l'égard de l'enquête de la GRC. "Je crois qu'il s'agit d'un manque de jugement", déclara Enge, qui fut membre de la GRC durant de vingt-deux ans où il oeuvra dans la section de l'anti-terrorisme, l'escouade des stups et la division des relations communautaires. (80) Enge alla jusqu'à mettre en doute la raison d'être de l'enquête de la GRC. Selon lui, le parlement fédéral, ou encore la police provinciale de l'Ontario, auraient pu s'en charger. "Lorsqu'une fuite impliquant un ministre ou son bureau survient au Parlement, le président de la Chambre des communes a le pouvoir de faire enquête", plaida Enge, ajoutant que ladite enquête aurait très bien pu attendre après les élections. "Je suis contrarié de voir que la GRC fait des déclarations en pleine campagne électorale", affirma pour sa part Andy Hladyshevsky, qui était candidat libéral dans la circonscription d'Edmonton-Strathcona. Hladyshevsky était lui aussi un ancien membre de la GRC, mais dans une moindre mesure puisque son expérience dans la Gendarmerie se limitait à avoir été agent spécial pendant six mois il y a trente ans dans le grand Nord canadien. Il clama que la GRC avait terni sa propre réputation. Selon lui, le corps policier regrettait probablement ses déclarations publiques sur l'affaire des fiducies de revenu. "Je pense que si on leur demandait aujourd'hui, ils diraient qu'ils auraient mieux fait de se taire et de faire leur travail", affirma Hladyshevsky. Enfin, un troisième candidat libéral critiqua publiquement lui aussi l'enquête de la GRC. Wes Penner, qui se présentait dans la circonscription de Provencher, au Manitoba, déclara sur les ondes de la station de radio AM1250/Mix 96 News que la façon de procéder de la GRC était extrêmement inhabituelle. (81) Penner alla jusqu'à se demander tout haut si la GRC n'avait pas un parti pris contre son parti. Bien que Penner n'avait jamais été membre de la GRC, il pouvait néanmoins se targuer d'en avoir été un proche collaborateur. Ainsi, le 22 décembre 2005, le candidat libéral se vit remettre le prix "Community Service Award" par le détachement de la GRC de Steinbach. La GRC honora Penner pour sa contribution au programme de délation citoyenne "Crimestoppers." Membre du conseil d'administration de "Crimestoppers" depuis trois ans, Penner rémunérait personnellement les mouchards. "Je rencontrais les dénonciateurs anonymes dans des champs ou dans des cages d'escaliers", raconta-t-il sur sa page web. (82) "Quand ils me donnaient le bon mot de passe, je leur remettais un sac d'argent." L'incrédulité à l'égard de la conduite de la GRC était telle qu'elle transcenda même les allégeances politiques. En effet, un ancien ministre du défunt Parti progressiste-conservateur du Canada joignit sa voix pour s'indigner de l'intervention de la GRC dans campagne électorale. Avocat et lobbyiste, Ron Atkey représenta une circonscription de Toronto durant les années '70. Il fut également membre l'éphémère gouvernement de Joe Clark à titre de ministre de l'Emploi et de l'Immigration. De 1984 à 1989, Atkey présida le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), un organisme dont le mandat consiste à avoir le SCRS à l'oeil. Fait particulier, Atkey joua aussi un rôle lors de l'enquête publique sur l'affaire Arar. Le mandat de Atkey consistait alors à conseiller le juge O'Connor sur les questions de divulgation de documents gouvernementaux pouvant avoir une incidence sur la sécurité nationale. "La GRC aurait pu demeurer silencieuse et ne pas injecter ça dans la campagne électorale", affirma Atkey au Globe and Mail, en faisant référence à l'enquête sur l'affaire des fiducies de revenu. (83) Atkey alla même plus loin que les libéraux dans sa dénonciation de la Gendarmerie. "Il y a eu beaucoup de spéculation à l'effet qu'un changement de gouvernement ne dérangerait pas la GRC", allégua-t-il. En effet, Atkey n'était pas le seul à se poser de telles questions. "Il est difficile d'imaginer que la GRC n'avait pas réalisée les dommages qu'elle était en train de causer", écrivit le chroniqueur Sean Durkan du magazine Embassy, d'Ottawa. (84) "Il est également difficile d'imaginer que la GRC serait malheureuse de voir les conservateurs accéder au pouvoir compte tenu de leurs positions en faveur de la loi et de l'ordre et de la probabilité qu'ils augmenteront le financement de la police", poursuivit Durkan. "L'annonce de l'enquête était-elle un geste calculé ? Peut-être ne le saurons-nous jamais, mais c'est une théorie de la conspiration qui a ses mérites." Certains libéraux continuèrent à dénoncer l'enquête de la GRC jusqu'à la toute fin de la campagne. La veille du scrutin, John Duffy, un influent conseiller très proche du premier ministre Martin, critiqua lui aussi cette "enquête ridicule de la GRC" lors de son passage à l’émission "Question Period" sur le réseau CTV. Lobbyiste chez la firme Strategy Corp Inc, Duffy avait travaillé pour Paul Martin lors de sa première course au leadership du PLC, en 1990. Après avoir capitalisé sur l'enquête policière sur l'affaire des fiducies de revenu, les conservateurs se posèrent en défenseurs de la GRC lorsque la conduite de celle-ci fut critiquée dans les rangs des libéraux. Dans un communiqué de presse émis plus tard durant la campagne, le parti de Harper repris les propos de Duffy et des candidats Enge, Hladyshevsky et Wenner pour accuser les libéraux de "blâmer la GRC pour leurs échecs de campagne." (85) "Le jeu du blâme a commencé dans le camp libéral et les premiers désignés sont les hommes et les femmes de la GRC.", dénonça le communiqué. Il n'en demeurait pas moins que l'affaire des fiducies de revenu joua un rôle d'une importance cruciale dans la campagne. On a pu le constater lorsque le quotidien La Presse, réputé pro-libéral, annonça qu'il donnait formellement son appui au Parti conservateur du Canada. Parmi les différentes raisons évoquées par l'éditorialiste André Pratte pour expliquer ce revirement, on retrouvait le fait que de "nouvelles allégations sont venues hanter le PLC" en plein campagne électorale. (86) "On ne peut pas bien gouverner quand on nage constamment dans les odeurs du scandale, réel ou présumé", écrivit Pratte. Lorsque la campagne commença à tirer à sa fin, de plus en plus d'observateurs politiques s'entendirent pour accorder à l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu un rôle majeur dans cette élection. "S'il y a eu un moment où le vent tourna durant cette campagne, ce fut entre noël et le nouvel an, lorsque la GRC annonça qu'elle enquêtait sur le ministère des Finances au sujet de possibles fuites criminelles concernant la question des fiducies", écrivit le commentateur politique Rex Murphy dans le Globe and Mail. (87) "Lorsque l'annonce de la GRC a été faite, ce fut une intrusion brute et dramatique", poursuivit Murphy avec son style loquace. "Dans cette période post-Gomery, toute enquête impliquant les libéraux, en tant que parti ou gouvernement, devenait une grosse nouvelle. Mais qu'une telle annonce survienne au beau milieu d'une course serrée d'un calme plat, cela lui assurait de devenir un coup de trompette politique. La sonnerie fut amplifiée du fait que l'enquête ciblait le ministère de Ralph Goodale. Même soigneusement enveloppée d'assurances que la GRC n'avait aucune preuve que le ministre avait enfreint la loi, sa résonance fut séismique." Pour Murphy, il ne fit aucun doute que le "coup de trompette" eut un effet salutaire sur la campagne des conservateurs. "Avec toutes ses annonces quotidiennes, Harper n'avait pas réussit à charmer l'électorat canadien", rappela-t-il "Il avait énoncé suffisamment de politiques pour remplir un petit classeur mais le support national des conservateurs plafonnait encore à 28 pour cent. Bien que ces 28 pour cent représentait un niveau décent dans une campagne, en l'absence d'une trouvaille extraordinaire, les conservateurs semblaient destinés à demeurer à cette basse altitude." "Le possible scandale des fiducies de revenu fut le moment clé de la campagne jusqu'à présent", nota Murphy, à dix jours du scrutin. "Il changea la psychologie des deux plus importantes campagnes, ravigota les énergies des conservateurs et sapa celle des libéraux. Ce fut le doigt qui donna le petit coup sur la poutre horizontale entre les "conservateurs qui font peur" et les "libéraux tortueux." Le momentum des conservateurs remonte à ce moment", conclua-t-il. Cette analyse fut partagée par deux enseignants en sciences politiques. Pour le politicologue Alain G. Gagnon, de l'UQAM, l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu fut "le point tournant de la campagne". (88) Comme Goodale demeura en poste, "le Canada anglais, qui pouvait accepter beaucoup de choses pour imposer l'unité nationale, a vu là l'arrogance des libéraux et leur système de copinage", affirma Gagnon. "Les conservateurs avaient besoin d'un scandale, et l'affaire Goodale a été un événement majeur. Ils ont été chanceux, ils avaient la baraka quelque part", ajouta son collègue Christian Dufour, de l'ENAP. L'ex-chef de cabinet de Joe Clark et stratège conservateur Goldy Hyder n'hésita pas à décrire l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu comme un "cadeau" pour le parti de Harper. (89) Le NPD tira également profit de la controverse puisque l'enquête de la GRC aida les néo-démocrates à recevoir des appuis qui autrement seraient allés aux libéraux. "Cela rappela aux gens tout ce qu'ils n'aiment pas au sujet des libéraux", observa le directeur de campagne du NPD Brian Topp. C'était là une situation qui ne manquait pas d'ironie quand on sait que les néo-démocrates avaient été des défenseurs de la première heure de la cause de Maher Arar. À tel point que Monia Mazigh, l'épouse de Arar, se présenta même comme candidate pour le NPD dans la circonscription d'Ottawa-Sud durant cette élection. Les fantômes d'Option Canada Revenons à la journée du 5 janvier 2006. Ce jour-là, le Globe and Mail titrait en une que Paul Martin refuserait désormais de répondre à toutes autres questions à propos de l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu. (90) De toute évidence, le chef libéral voulait se débarrasser de cette bruyante casserole qu'il traînait derrière lui afin de se concentrer son attention à vendre son programme auprès de l'électorat, question de se donner une chance de rattraper les conservateurs qui prenait de l'avance dans les sondages. Or, en soirée, le site internet du Globe and Mail publiait un article révélant que la GRC s'intéressait à un autre scandale libéral : l'affaire Option Canada. (91) C'est ainsi qu'une seconde tuile s'est abattu sur la tête des libéraux alors que la poussière n'était pas encore retombée sur l'affaire des fiducies de revenu. Les journalistes du Globe and Mail ne précisèrent pas comment ils avaient appris que la GRC avait commencée à se pencher sur le dossier d'Option Canada, sinon qu'une "source" dont l'identité n'a pas été dévoilée leur révéla que les policiers examinaient plus particulièrement la façon qu'une somme de 300 000 dollars avait été distribuée. Résultat : le lendemain, l'affaire Option Canada était devenue la nouvelle du jour, de sorte que la conférence de presse quotidienne que donna Paul Martin fut dominée par des questions concernant l'intérêt de la GRC envers Option Canada. (92) Et dire que le chef libéral venait de demander aux journalistes de ne plus lui poser des questions au sujet de l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu... Les adversaires des libéraux ne tardèrent pas à chercher à capitaliser sur ce nouveau pépin. "Si les libéraux sont réélus, les Canadiens peuvent s'attendre à un gouvernement embourbé dans des scandales, de la corruption et des enquêtes policières", déclara le leader conservateur Stephen Harper. "Le simple fait que la GRC a décidé de jeter un oeil là-dessus suggère qu'il y a quelque chose qui vaut la peine d'être examiné", affirma pour sa part le chef néo-démocrate Jack Layton. (93) Rappelons qu'Option Canada avait été mis sur pied par des dirigeants du Conseil de l'unité canadienne (CUC), un organisme pro-fédéraliste, moins de huit semaines avant le référendum sur la souveraineté du Québec du 30 octobre 1995. À peine dix-sept jours après sa fondation, Option Canada commença à recevoir de généreuses subventions du ministère de Patrimoine Canada sous prétexte de promouvoir le bilinguisme. Ainsi, Patrimoine Canada versa à Option Canada des fonds publics fédéraux totalisant 4.8 millions de dollars, voire 5.2 millions de dollars, dépendamment des sources, entre le 24 septembre et le 20 décembre 1995. Personne n'avait jamais vraiment su à quoi avait servi tout cet argent. En fait, l'existence d'Option Canada fut un secret bien gardé tout au long de la campagne référendaire. Le scrutin référendaire s'était solda par la victoire du camp du NON, qui l'emporta de justesse avec 50.58 pour cent des suffrages contre 49.42 pour cent pour le OUI, ce qui représentait une mince différence de 54 288 votes. Le secret entourant l'existence d'Option Canada fut brisé lorsque le quotidien anglophone The Gazette publia une série d'articles à son sujet, en mars 1997. La principale controverse entourant Option Canada tenait au fait que les subventions allouées à ce mystérieux organisme pourraient fort bien avoir été dépensées de façon illégale par le camp du NON lors du référendum. Notons que la Loi sur les consultations populaires prévoyait que les deux camps devaient respecter un plafond de dépenses s'établissant à 5 millions de dollars maximum chacun afin de livrer bataille à armes égales. De plus, la loi obligeait les comités du NON et du OUI à comptabiliser toutes leurs dépenses, à défaut de quoi celles-ci devenaient illégales. Le tollé soulevé par l'enquête du quotidien The Gazette fit évidemment des vagues à Ottawa. La ministre du Patrimoine de l'époque, Sheila Copps, nia que l'argent des subventions avait été utilisée dans le cadre du référendum mais refusa du même souffle de lever le voile sur les dépenses d'Option Canada. (94) En août 1997, un rapport de vérification interne de Patrimoine Canada avait conclut que le processus d'attribution de fonds à Option Canada avait "manqué de la rigueur qu'on est en droit de s'attendre quand d'importantes sommes sont accordées à un client qui n'a pas été contrôlé." Le vérificateur général du Canada d'alors, Denis Desautels, de même que le directeur général des élections du Québec de l'époque, Pierre-F. Côté, avaient tous deux cherchés à faire la lumière sur les dépenses d'Option Canada, mais n'avaient jamais réussi à mettre la main sur les documents financiers de l'organisme, qui fut dissout en mars 1998. L'affaire Option Canada refit de nouveau surface au cours de l'année 2005. D'abord, lors des travaux de la commission Gomery, qui révélèrent que l'agence de publicité BCP avait facturée des sommes totalisant 2.6 millions de dollars à Option Canada pour la conception d'affiches et l'organisation d'une vaste offensive médiatique en faveur du NON, durant l'automne 1995. Puis, le journaliste d'enquête Normand Lester fut contacté par une "âme charitable", selon l'expression qu'il employa dans son livre sur Option Canada (95), qui lui proposa de lui remettre une boite de documents contenant une foule d'informations sur les dépenses d'Option Canada, à la condition qu'il s'en serve "journalistiquement" et qu'il les fasse ensuite parvenir à la vérificatrice générale du Canada une fois qu'il n'en aura plus besoin. "Les documents ont été récupérés au cours du mois de novembre dans une boîte près d'un bac à déchets derrière un petit centre d'achat de banlieue dans la région de Montréal", raconta Lester. Lester révéla à la mi-décembre, soit deux semaines après le déclenchement de la campagne électorale, qu'il était désormais en possession des documents d'Option Canada et qu'il comptait s'en servir pour publier un livre à ce sujet, en janvier 2006. "Tout le monde pensait que les documents administratifs, comptables et financiers d'Option Canada n'existaient plus, qu'ils avaient été détruits. Or, surprise! Normand Lester les a", lança le journaliste sur un ton triomphaliste. Cependant, le fait que la source de Lester avait attendu dix ans après le référendum de 1995 avant de sortir les documents d'Option Canada de leur cachette laissait planer un doute sur ses motivations réelles et soulevait quelques questions. Pourquoi des documents si compromettants avaient-ils été conservés précieusement durant tout ce temps alors qu'ils auraient pu disparaître facilement à tout jamais dans une machine à déchiqueter ? La personne qui avait détenu les documents d'Option Canada les considéraient-ils comme des munitions de réserve, à être utilisés stratégiquement au moment opportun en cas de besoin ? Chose certaine, les documents d'Option Canada s'étaient retrouvés entre les mains de Lester juste à temps pour la campagne électorale. Ainsi, l'opération aurait été soigneusement calculée pour nuire politiquement aux libéraux de Martin qu'on n’aurait guère pu faire mieux. L'affaire Option Canada bénéficia d'une médiatisation considérable, en particulier au Québec, et causa un tort appréciable à la campagne du PLC, notamment en ramenant le souvenir du scandale des commandites que les libéraux cherchaient à faire oublier. "La guigne colle décidément à Paul Martin et son parti", nota la chroniqueuse Hélène Buzzetti dans Le Devoir. (96) "Pour la seconde fois pendant la campagne électorale, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est appelée à se pencher sur des agissements du gouvernement libéral", écrivit-elle. "Ce nouveau dérapage de la campagne libérale ne pouvait survenir à un plus mauvais moment." Lorsque le Globe and Mail révéla que la GRC essayait de tirer au clair certaines des dépenses d'Option Canada, le ministère du Patrimoine canadien dû mandater un de ses représentants pour clarifier la situation auprès des médias. "Diverses informations nous ont permis de croire que des irrégularités se sont produites dans la gestion de fonds fédéraux et c'est dans cette perspective que nous avons demandé à la GRC de s'intéresser à cette question", expliqua le porte-parole du ministère, Jean-Guy Beaupré, qui nia tout rapport avec le livre à venir des journalistes Lester et Philpot. De son côté, la caporale Monique Beauchamp de la GRC confirma qu'une demande d'assistance par écrit avait été reçu de la part de Patrimoine Canada. (97) La caporale précisa également que la GRC en était encore au stade des vérifications préliminaires et qu'elle n'avait pas encore décidée si elle allait lancer une enquête criminelle et bonne et du forme dans ce dossier. Cette nuance se perdra toutefois dans la couverture médiatique. Lorsqu'il réagissa à cette affaire, les propos de Paul Martin s'apparentaient davantage à une justification d'Option Canada plutôt qu'à une condamnation, ce qui était tout de même curieux de la part de celui qui avait promis de gouverner dans la plus grande transparence. "Ça fait 10 ans que le Bloc attaque cet organisme parce qu'il est voué à l'unité du pays" déclara-t-il. "Les péquistes sous Jacques Parizeau ont mis en place un ministère qui a dépensé des millions et des millions pour promouvoir la séparation. Je vais toujours défendre l'unité de mon pays." Bien que les irrégularités du fédéral à l'époque référendaire s'étaient produites sous Jean Chrétien, la controverse interpellait directement Paul Martin, notamment parce qu'elle impliquait un de ses proches, soit Claude Dauphin. Après avoir été le président d'Option Canada, Dauphin fut nommé conseiller principal pour le Québec au cabinet de Paul Martin, alors ministre des Finances du gouvernement Chrétien. Dauphin occupa ce poste de 1997 à 2001. "Je demande à M. Martin, aujourd'hui, de rejoindre Claude Dauphin et de lui demander de faire la lumière", exigea le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. Mais, au lieu de cela, Martin rendit plutôt un vibrant hommage aux convictions fédéralistes de son ami Dauphin, qui reçut plus de 21 000 dollars pour avoir été le "président honoraire" d'Option Canada. "Claude a été nommé par Robert Bourassa comme délégué général du Québec à Boston, et quand M. Parizeau a pris le pouvoir, il a demandé à chaque délégué général de faire une profession de foi pour la séparation du Québec. Claude Dauphin a refusé et a donné sa démission. Ça, c'est Claude", lança le leader du PLC lors d'une allocution prononcée devant des militants libéraux. De plus, les allégations contenues dans le livre de Lester éclaboussa certains membres du gouvernement Martin. Pensons au ministre des Affaires étrangères Pierre Pettigrew, qui empocha des honoraires de plus de 13 000 dollars de la part d'Option Canada pour ses services d'expert-conseil. Ou encore à la ministre du Patrimoine, Lizza Frulla, qui était la vice-présidente du camp du NON en 1995, et dont le mari, le publiciste André Morrow, factura 10 000 dollars à Option Canada pour ses services. (98) Comble de malheur, la campagne de Martin avait décidée de jouer la carte de l'unité nationale contre Harper. La stratégie consistait à vendre le PLC comme une formation plus apte assurer la défense du fédéralisme que le parti de Harper, qui était encore perçu comme étant anti-Québec par une portion de l'opinion publique québécoise. (99) Avec l'éclatement de l'affaire Option Canada, les libéraux voyaient donc leur propre stratégie se retourner contre eux. Harper ne se fit d'ailleurs pas prier pour enfoncer le clou. "Le fédéralisme ne peut continuer d'avoir l'image de la corruption au Québec. C'est un grand danger pour le pays", déclara le chef conservateur. Le lendemain de cette déclaration, La Presse dévoilait les résultats d'un sondage CPAC-SES Research selon lequel 23 pour cent des Québécois seraient désormais d'avis que Harper ferait un meilleur premier ministre que Martin, qui arrivait en deuxième position avec 18 pour cent d'appuis. (100) Notons que l'enquête d'opinion fut réalisée du 4 au 6 janvier, ce qui couvrait en partie la période où l'affaire Option Canada commença à faire les manchettes. Il s'agissait-là d'une remontée pour le moins spectaculaire. En effet, deux jours après le déclenchement des élections, le 29 novembre dernier, un sondage établissait le taux de confiance des Québécois à l'égard Harper à seulement 13 pour cent, contre 28 pour cent à Martin. "Stephen Harper a réussi à faire oublier son passé", observa Jean-Herman Guay, professeur de sciences politiques à l'Université de Sherbrooke. "L'homme a commencé sa carrière politique en attaquant l'accord du lac Meech, en ne reconnaissant aucune spécificité pour le Québec." Selon le politologue, les scandales étaient en partie responsables de la débandade libérale. "Il y a d'abord eu l'affaire Goodale, puis le scandale d'Option Canada, qui vient renforcer la perception que les libéraux gèrent mal les choses et qu'il y a une odeur de corruption", nota-t-il. Guay indiqua aussi que le regain de popularité de Harper au Québec pourrait se traduire par un accroissement de ses appuis dans le reste du Canada. "Les gens vont se dire : ce type-là est capable d'être significatif pour les Québécois et pourrait donc faire la réconciliation nationale", analysa-t-il. Fait exceptionnel, la percée des conservateurs auprès de l'électorat devint si spectaculaire qu'à un certain moment, la firme EKOS éprouva même de la difficulté à en croire ses propres sondages ! Ainsi, la veille du débat des chefs, le président d'EKOS, Frank Graves, indiqua à La Presse qu'il préférait doubler son échantillon de 500 répondants avant de rendre public les résultats de son sondage qui soulevait la possibilité d'un gouvernement conservateur majoritaire. (101) "Nos données sont si surprenantes qu'il serait irresponsable de les dévoiler à un moment aussi critique que l'aube du débat", expliqua Graves. Le lendemain, EKOS se décida à publier son sondage dans lequel les conservateurs se voyaient accorder 39 pour cent d'appuis, creusant ainsi un écart de plus de 12 points de pourcentage avec le PLC qui plongeait à 26 pour cent. (102) Le sondage révélait notamment que les libéraux étaient en train de couler à pic en Ontario, où les troupes conservatrices récoltaient 43 pour cent des intentions de vote, contre seulement 33 pour le parti de Paul Martin. "De façon réaliste, les conservateurs peuvent maintenant espérer former un gouvernement majoritaire", affirma Paul Adams, directeur exécutif chez EKOS. La semaine suivante, un sondage Decima indiquait que les conservateurs avaient triplés leurs appuis au Québec depuis le début de la campagne. (103) Au-delà des sondages, l'arrivée de la GRC dans le dossier Option Canada sembla aussi avoir eue un impact psychologique sur la campagne libérale. En effet, un sentiment de persécution commença à prendre racine dans l'esprit de plusieurs libéraux, qui estimaient que la conduite de la GRC à leur égard ressemblait de plus en plus à une forme d'acharnement. Une telle situation n'avait évidemment rien de particulièrement rassurant et d'encourageant pour le reste de la campagne. Comme on peut se l'imaginer, avoir la GRC à ses trousses n'était pas tout à fait la meilleure façon de se mériter la confiance de l'électorat... "Dans l'atmosphère paranoïaque qui est en train de s'installer dans la campagne libérale, il doit se trouver des gens proches de Paul Martin pour penser que la GRC le fait exprès", écrivit le chroniqueur Vincent Marissal de La Presse. (104) "Ils n'ont peut-être pas tout à fait tort, parce que deux enquêtes en deux semaines en pleine campagne électorale, c'est pour le moins inusité." "En multipliant les enquêtes durant cette campagne électorale, la GRC devint le quatrième adversaire politique pour les libéraux du premier ministre Paul Martin", écrivit de son côté la chroniqueuse Susan Delacourt du Toronto Star. (105) "Que ce soit par inadvertance ou non, les actions de la GRC font le jeu de l'opposition", observa Delacourt, qui est aussi l'auteure d'un ouvrage sur la course au leadership de Paul Martin de 2003. La chroniqueuse rapporta également que "certains théoriciens de la conspiration se demandent si cette vague d'enquêtes représentent une façon de faire payer les libéraux" pour avoir pris certains décisions qui contrarièrent la GRC, dont la création une commission d'enquête sur l'affaire Arar. Delacourt évoqua également une autre théorie. Lorsque Gomery déposa son rapport, Harper affirma que la GRC ne s'était pas montrée assez dure avec les libéraux pour le scandale des commandites et allégua qu'il y aurait eu davantage d'accusations de portées si un autre parti avait été au pouvoir. Démoralisés et déstabilisés, les libéraux commençaient à avoir de plus en plus de mal à dissimuler leur désarroi. L'affaire de la publicité électorale libérale attribuant à Harper l'intention de déployer "des soldats armés dans nos villes" en fut un exemple éloquent. Devant la polémique que souleva ce message, Martin reconnut lors d'une émission du réseau CTV qu'il avait approuvé cette publicité même s'il reconnaissait lui-même qu'il ne l'a trouvait "pas très bonne." Les libéraux étaient peut-être en train de devenir les victimes d'une vendetta sournoise de la GRC, mais cela ne les rendait pas nécessairement plus sympathiques pour autant aux yeux de l'opinion publique. Comme la commission Gomery l'avait amplement démontrée, les libéraux n'avaient pas hésité à recourir à des combines fumeuses pour prolonger leur règne à Ottawa. Et maintenant, c'était désormais leur tour de faire les frais d'un stratagème pernicieux. Ne dit-on pas que celui qui vit par l'épée, périt par l'épée ? Et le grand gagnant est... Stephen Harper Le 23 janvier 2006, l'électorat canadien rendit son verdict après cinquante-cinq jours de campagne. Le Parti conservateur fut couronné vainqueur avec 36 pour cent des suffrages et Stephen Harper devint le nouveau premier ministre du Canada. Toutefois, avec ses 124 sièges à la Chambres des communes, le gouvernement conservateur allait être minoritaire. Le Parti libéral dû se contenter de 30 pour cent des voix, ce qui se traduisait par 103 sièges au parlement et faisait de lui l'Opposition officielle. L'affaire des fiducies de revenu n'affecta pas la popularité de Ralph Goodale auprès de ses électeurs puisqu'il fut réélu haut la main dans sa circonscription de Wascana, qu'il représentait depuis 1993, en récoltant 7500 voix de plus que son plus proche adversaire. Pierre Pettigrew et Liza Frulla, les deux ministres libéraux dont les noms avaient été associés à l'affaire Option Canada, eurent moins de chances car ils furent tous deux défaits. Les candidats libéraux Enge, Hladyshevsky et Wenner qui avaient critiqués publiquement l'enquête de la GRC dans l'affaire des fiducies de revenu n'ont pas été élus. L'élection d'un gouvernement conservateur ne fut pas le seul événement majeur de cette journée de scrutin. Lorsqu'il s'adressa à ses partisans pour concéder la défaite, Paul Martin annonça du même souffle qu'il démissionnait de la chefferie du PLC, ce qui signifiait que les libéraux allaient devoir se trouver un nouveau leader au cours des mois à venir. L'ex-ministre des Affaires étrangères Bill Graham fut nommé chef du parti à titre intérimaire. Le paysage politique canadien venait d'être transformé de fonds en comble en l'espace d'une seule soirée. L'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu ne fut pas oubliée dans l'analyse des résultats électoraux. Un texte du Richard Blackwell publié dans le Globe and Mail au lendemain de ce scrutin historique nota que toutes les enquêtes d'opinion importantes menées par les principales firmes de sondage du Canada indiquèrent que le point tournant de la campagne survint lors du temps des fêtes. (107) C'est durant cette période que survinrent deux événements qui menèrent au déclin des libéraux de Paul Martin dans les intentions de vote et la montée des conservateurs de Stephen Harper dans les sondages. Le premier événement mentionné fut la fusillade lors du Boxing Day sur Yonge Street, une importante artère commerciale du centre-ville de Toronto, qui coûta la vie à une jeune fille âgée de quinze ans. La médiatisation de cette tragédie amena l'opinion publique à se montrer plus ouverte au discours sécuritaire de la droite conservatrice. Quant au deuxième événement, il s'agissait bien évidemment de la révélation à l'effet que la GRC avait lancée une enquête criminelle concernant une possible fuite au ministère des Finances au sujet d'une annonce relativement au régime fiscal des fiducies de revenu, en novembre 2005. Toujours dans le Globe and Mail, le chroniqueur Jeffrey Simpson commenta une nouvelle fois la controverse entourant le rôle de la GRC durant la campagne. "Trop de variables sont réunies pour qu'une seule d'entre elles puissent expliquer la victoire que les conservateurs ont remporté de justesse", nota-t-il. (108) "Toutefois, le consensus parmi les partis est que l'enquête de la GRC contribua au moment critique de la campagne, si elle ne l'a pas entièrement créé." Simpson prit soin de souligner que les libéraux commirent eux-mêmes de nombreux faux pas tandis que les conservateurs purent compter sur des publicités électorales bien pensées. Il rappela aussi que l'écart entre les deux partis avait commencé à se rétrécir peu avant que la GRC ne fasse les manchettes avec son enquête sur l'affaire des fiducies de revenu. Il n'en insistait pas moins sur le rôle que cette enquête joua durant la campagne. "Outre cette enquête, aucun autre événement ne fit basculer si rapidement les chiffres en faveur des conservateurs. Rarement a-t-on déjà vu, en tenant pour acquis que cela se soit déjà produit, une campagne durant laquelle un parti se mit à bondir en tête si rapidement comme les conservateurs l'ont fait immédiatement après noël." Pour le chroniqueur, la conduite de la GRC semblait s'apparenter à une sorte de mystère insoluble. Ainsi, Simpson rejeta autant les explications avancées par la GRC que les théories de la conspiration. "Dans les circonstances, elles ne peuvent être écartées, mais aucune d'elles ne semblent crédibles", écrivit-il à ce sujet sans élaborer davantage. "Quelle qu'en soit la raison, en s'impliquant dans la campagne, la GRC ébranla la foi que certains d'entre-nous avions dans son jugement", conclua-t-il. "Nous ne regarderons plus la GRC tout à fait de la même façon à l'avenir." Goodale lui-même commenta publiquement la controverse entourant l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu, en disant qu'elle avait "clairement eue un impact" sur l'issue du scrutin. (109) Goodale précisa toutefois qu'il ne ressentait aucune rancune à l'égard de la GRC, qu'il dépeignit comme "la meilleure force policière de toute la Terre." Néanmoins, Goodale se montra davantage critique envers ses adversaires des autres partis, en soulignant que l'enquête policière fut "utilisée par l'opposition pour infliger le maximum de dommages politiques." Le 31 janvier, lorsque Harper rencontra le commissaire de la GRC Giuliano Zaccardelli pour la première fois depuis l'élection, les médias notèrent que les deux personnages évitèrent toute discussion concernant l'enquête sur l'affaire des fiducies de revenu. (110) Zaccardelli s'éloigna des journalistes lorsque l'un d'eux posa une question à ce sujet tandis que Harper disparu à l'intérieur de sa voiture de service. Il ne fallait tout de même pas s'attendre à ce que Harper remercia publiquement la GRC d'avoir fait déraillé la campagne de ses adversaires libéraux ! La controverse entourant l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu continua à refaire surface sporadiquement dans l'actualité politique canadienne durant le reste de l'année 2006. Lors d'un reportage diffusé au bulletin de nouvelles de Radio-Canada, l'ex-ministre et députée libérale Lucienne Robillard estima que la décision de Zaccardelli d'annoncer le déclenchement d'une enquête criminelle en pleine campagne électorale était surprenante. (111) Selon elle, il n'y avait pas urgence d'agir. Dans ce même reportage, Alain-Robert Nadeau, qui avait été avocat à la GRC durant les années '90, affirma qu'il était d'avis que Zaccardelli devait certaines explications. Cette opinion fut partagé par l'ex-vice premier ministre John Manley, qui avait quitté la vie politique dans les mois qui suivirent l'accession de Martin au poste de premier ministre. Zaccardelli "devrait certainement s'expliquer", affirma Manley lors d'une entrevue sur le réseau CPAC, une station de télévision d'Ottawa. (112) Pour Manley, il ne faisait aucun doute que la GRC "avait influencée les résultats de l'élection", ce qui constituait "une première." L'affaire était également prise au sérieux par l'ex-ministre libéral John McCallum. "Au minimum, c'était intriguant, et l'on pourrait même aller jusqu'à dire que c'était choquant", commenta-t-il au Toronto Star. (113) L'un des critiques les plus féroces de Zaccardelli fut l'ex-ministre libéral Wayne Easter, qui avait notamment été solliciteur général du Canada, c'est-à-dire patron politique de la GRC et du SCRS. "Vous ne lancez pas une enquête durant une campagne électorale à moins que cette enquête soit parfaitement solide", s'indigna Easter. "Ça peut influer sur la réputation d'individus comme cela arriva à M. Goodale... Ça peut influencer une élection." (114) Selon Easter, le gouvernement Martin aurait dû montrer la porte à Zaccardelli dès que sa lettre à la néo-démocrate Wasylycia-Leis fut rendue publique. "Appeler à une enquête durant une élection, envoyer une lettre à un des partis d'opposition, c'est un motif de congédiement", affirma-t-il catégoriquement. Mais Anne McLellan, qui était la ministre responsable de la GRC au moment de la campagne, n'était pas convaincue pas que cela aurait été la bonne chose à faire. "De quoi est-ce que ça aurait eu l'air ?", demanda-t-elle. (115) Par contre, McLellan indiqua qu'elle aurait lancée une enquête sur la manière de procéder de la GRC si les libéraux avaient été réélus. Les critiques contre l'intervention de la GRC durant la campagne électorale ne venaient pas que des rangs libéraux. Dans son livre intitulé "In The Long Road Back: Conservative Journey, 1993-2006", Hugh Segal n'hésita pas à exprimer des inquiétudes au sujet de la conduite de la GRC. Aujourd'hui sénateur, Segal est un des plus importants stratèges politiques de la grande famille conservatrice canadienne. Lors des élections générales de 2005-2006, il fut le co-président de la campagne nationale du Parti conservateur. Son implication dans la politique partisane remontait aux années '70, où il se présenta sous la bannière du défunt Parti progressiste-conservateur lors des élections générales de 1972 et de 1974, sans succès. Il occupa de nombreux postes importants, dont celui de chef de cabinet du premier ministre Brian Mulroney. "La décision de divulguer qu'une enquête était en cours bien avant que qu'il ne soit déterminé qu'il existait quelque chose ressemblant à une preuve suffisante pour porter une accusation m'a frappé comme étant extraordinaire", écrivit Segal. (116) "Cela eut pour effet de déplacer le spectre de la corruption de Chrétien au camp de Martin. Dit simplement, cela alimenta la sous-thématique 'il est temps d'un changement' qui peut si facilement menacer n'importe quel gouvernement. Le précédent de la GRC s'engageant dans cette voie devrait inquiéter tout le monde, que cela ait été perçu ou subi de façon négative ou positive, sans égard aux intentions innocentes de la GRC. Bien ou mal, c'est arrivé et ce fut d'une aide immense pour les conservateurs." Lors d'un entretien avec le quotidien Ottawa Citizen, Segal chercha à ménager la GRC. Le sénateur conservateur prétendit qu'il ne croyait pas que la Gendarmerie était intervenue "délibérément" durant la campagne électorale. (117) Selon lui, la GRC aurait "omis de comprendre que le simple fait de confirmer une enquête criminelle en cours sans un brin de preuve pour porter des accusations" pouvait créer une impression de malhonnêteté. Segal maintenait qu'il y avait matière à inquiétude, et ce, pour tous les partis puisque aucun gouvernement ne pouvait être totalement à l'abri de telles incursions policières dans le processus électoral. "Nous devrions tous nous sentir inconfortables parce que si un jour ça peut arriver au gouvernement-A, alors ça peut arriver au gouvernement-B", soutint-il. Course à la chefferie libérale Alors que le PLC tentait tant bien que mal de digérer sa défaite du 23 janvier et de tourner la page, l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu revint hanter les libéraux durant la course à la succession de Paul Martin, et ce, d'au moins deux façons. D'abord, elle aurait figuré parmi les motifs qui incitèrent Goodale à ne pas postuler pour ce poste convoité. C'était du moins l'avis de Wayne Easter. "J'ai été l'une des personnes qui poussait pour que Ralph Goodale pose sa candidature. Il ne pouvait pas parce qu'il y avait ce nuage qui flottait au-dessus de lui", affirma-t-il, en faisant allusion à l'enquête de la GRC. Goodale, qui occupait désormais le poste de leader de l'Opposition officielle à la Chambre des communes, avait effectivement jonglé avec la possibilité de se porter candidat après avoir initialement fermé la porte à cette éventualité. Toutefois, lorsqu'il mit fin au suspense après quelque semaines de réflexion, Goodale ne mentionna pas l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu parmi les facteurs qui l'amenèrent à décliner l'opportunité de tenter sa chance dans la course à la chefferie. Goodale expliqua plutôt qu'il n'était pas prêt à consacrer les cinq ou dix prochaines années de sa vie à composer avec les pressions liées à la fonction de chef de parti. (118) L'ex-ministre des Finances parlait d'ailleurs en connaissance de cause, lui qui avait été chef du Parti libéral de Saskatchewan de 1981 à 1988. Il mentionna aussi que son français laissait encore trop à désirer. Par contre, il ne pouvait faire aucun doute que l'enquête de la GRC porta ombrage à la candidature de Scott Brison. Étoile montante du PLC, Brison était un transfuge progressiste-conservateur qui était passa du côté des libéraux, qui le récompensèrent en lui donnant le poste de ministre des Travaux publics au sein du gouvernement Martin. Brison n'avait pas encore officialisé sa candidature lorsque le Globe and Mail révéla, le 7 mars, que la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) avait fait suivre aux enquêteurs de la GRC un courriel plutôt suspect que le politicien vedette avait envoyé la veille de l'annonce du ministre sur les fiducies de revenu. (119) Dans son message, Brison prédisait qu'il y aurait de bonnes nouvelles pour les marchés financiers cette semaine-là. "Je pense que tu seras satisfait bientôt, probablement cette semaine", avait-il écrit à Dan Nowlan, un ami de longue après que celui-ci se soit plaint par courriel "que le gouvernement fait stagner le marché des actions." Déjà là, la conduite de Brison apparaissait pour le moins problématique. Surtout que Brison ne pouvait plaider un quelconque manque de familiarité avec le fonctionnement des marchés financiers pour atténuer sa faute, lui qui fut pendant plusieurs années le critique en matière de finances pour les caucus progressiste-conservateur à la Chambre des communes et qui occupa le poste de vice-président aux placements chez la firme de courtage Yorkton Securities. Mais la bourde du prétendant au trône libéral gagna en ampleur encore lorsque le gagne-pain de Nowlan fut révélé au grand jour. Non seulement Nowlan était-il le directeur général de Marchés Mondiaux CIBC, la firme de courtage de la banque, mais il était aussi réputé être un véritable spécialiste des fiducies de revenu à Bay Street par-dessus le marché ! (120) Mais ce n'était pas tout. Marchés Mondiaux CIBC fut la principale acheteuse des titres Fonds de revenu Pages Jaunes durant les heures précédant l'annonce du ministre Goodale. Les titres de Pages Jaunes, l'une des plus importantes fiducies de revenu du Canada, avaient connut une augmentation de 230 pour cent de leur volume de transaction ce jour-là. Le courriel de Brison y était-il pour quelque chose ? Lorsque l'existence de son courriel fut coulée dans les journaux, Brison comprit rapidement qu'il était dans de beaux draps. Brison révéla dès le début que la GRC l'avait questionné le 18 janvier, soit à cinq jours du scrutin. (121) Quant au courriel qu'il avait envoyé à Nowlan, Brison commença par tout nier en bloc, puis tenta ensuite de plaider l'amnésie. Le lendemain, Brison décida toutefois de faire volte-face et de se mettre à table en rendant public sa fameuse correspondance par courriel avec son ami Nowlan. "Je n'étais pas au courant de cette décision quand j'ai envoyé mon courriel", affirma Brison en faisant référence à l'annonce de goodale. "Ma correspondance avec l'employé de CIBC ne communique rien de plus que ce qui faisait parti de spéculations publiques à ce moment-là", ajouta-t-il en guise de défense. Brison semblait toutefois oublié qu'il était membre du cabinet fédéral lorsqu'il rédigea son courriel. Ce n'était pas la "spéculation" sans grande valeur de l'homme de la rue dont bénéficia Nowlan, mais bien de celle d'un ministre du gouvernement qui avait accès à de l'information privilégiée. Enfin, Brison concéda que si c'était à refaire, il éviterait d'envoyer un tel courriel. Bien que Brison n'avait que lui-même à blâmer pour s'être mit dans un tel pétrin, il restait que quelqu'un quelque part avait coulé l'existence de ce courriel embarrassant dans les médias. Dale Palmeter, un vétéran stratège de Brison, suggéra qu'un rival libéral pourrait être derrière cette fuite aux médias. (122) Étonnement, bien que cet épisode eut pour conséquence de faire de Brison la risée des médias de l'est à l'ouest du pays, l'ambitieux politicien décida malgré tout de se risquer à faire le saut dans la course à la succession de Paul Martin. Lors de la convention libérale, Brison arriva en sixième position sur huit candidats avec seulement 4 pour cent des voix. La victoire revint à l'ex-ministre Stéphane Dion, qui fut élu chef du PLC au quatrième tour avec 54 pour cent des votes des délégués. Fait intéressant, une fois devenu chef de l'Opposition officielle, Dion décida de faire de la question des fiducies de revenu un de ses cheval de bataille politique contre les conservateurs. Ce choix stratégique s'expliquait par le fait que gouvernement Harper avait décidé de faire ce que les libéraux avaient seulement envisagé sans jamais passer à l'acte, c'est-à-dire imposer les fiducies de revenu. En effet, le 31 octobre, le ministre des Finances Jim Flaherty prit les marchés par surprise en annonçant qu'Ottawa allait mettre un terme aux avantages fiscaux dont jouissaient les fiducies de revenu d'entreprises en imposant à hauteur de 31.5 pour cent les distributions versées aux fiduciaires. Ces mesures fiscales s'appliquaient à toutes les futures fiducies qui verraient le jour après cette annonce tandis que celles déjà existantes verront leur exemption d'impôt prendre fin en 2011. Cette décision suscita une nouvelle turbulence sur les marchés financiers canadiens, lesquels réagirent si mal que la valeur boursière des fiducies de revenu chuta de 25 milliards de dollars en seulement 24 heures. Dans le sud des États-Unis, un courtier en valeurs mobilières de la Louisianne fut si contrarié qu'il envoya deux courriels qui lui valurent de se retrouver avec deux accusations d'avoir proféré des menaces contre le ministre Flaherty. (123) "Vous avez ruiné ma vie et celle de plusieurs de mes clients et j'ai entendu dire que vous trouviez ça drôle", aurait notamment écrit Lloyd Tiller, qui perdit 250 000 dollars suite à la décision de Flaherty. "Quand je vous mettrai la main dessus, je le jure devant Dieu sur la Bible que ça ne sera pas drôle. Vous devriez être pendu ... vos trois fils devraient eux aussi être pendus." La GRC réagissa aux courriels en haussant d'un cran les mesures de sécurité autour du ministre Flaherty. L'annonce du ministre Flaherty sur les fiducies de revenu fut sans contredit l'une des décisions les plus controversées de la première année au pouvoir des conservateurs. Rappelons d'abord que les conservateurs avaient violemment critiqué la décision du ministre Goodale d'imposer un moratoire sur les futures de revenu, à l'automne 2005. Cette mesure avait été dépeinte comme une attaque en règle contre les personnes âgées, qui comptaient parmi les plus importants détenteurs de titres de fiducies de revenu. De plus, en imposant les distributions versés aux détenteurs de parts de fiducie, les conservateurs furent prit en flagrant délit de bris de promesse électorale. Le parti de Harper s'était en effet engagé, avant et pendant la campagne électorale, à ne pas toucher au régime d'imposition avantageux des fiducies de revenu. "Un gouvernement conservateur stoppera l'attaque des libéraux envers les économies de retraite et préservera les fiducies de revenu en ne prélevant aucun nouvel impôt", pouvait-on lire à ce sujet dans la plate-forme électorale conservatrice. (124) Naturellement, les libéraux de Dion cherchèrent à exploiter politiquement la grogne des détenteurs de parts. Ils dénoncèrent le volte-face des conservateurs dans ce dossier en proposèrent d'abolir la taxe de 31.5 pour cent sur les fiducies de revenu pour la remplacer par un impôt de 10 pour cent qui sera remboursable pour tous à l'exception des investisseurs étrangers. Sources : (48) La Presse Canadienne, "La GRC s'invite dans la campagne: elle enquête sur un présumé délit d'initié", 28 décembre 2005. |
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