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Prachanda, premier ministre du Népal

Eric Smith, Saturday, August 16, 2008 - 18:35

Le Drapeau rouge-express

Dans un dénouement aussi spectaculaire qu'inattendu, le président du Parti communiste du Népal (maoïste), Pushpa Kamal Dahal (mieux connu sous son pseudonyme, «Prachanda»), a finalement été choisi comme premier ministre de la nouvelle République fédérale démocratique du Népal, lors d'un vote tenu vendredi à l'assemblée constituante. La veille, les deux partis qui s'étaient alliés avec le parti du Congrès il y a quelques semaines pour empêcher l'arrivée au pouvoir des maoïstes (savoir, le Parti communiste du Népal [marxiste-léniniste unifié] et le Forum des droits du peuple madhesi) avaient annoncé, contre toute attente, leur ralliement à la candidature de Prachanda.

Rappelons qu'à la mi-juillet, les trois partis avaient formé une «Sainte-alliance» pour empêcher l'élection à la présidence et à la vice-présidence du candidat et de la candidate soutenuEs par les maoïstes. Bien qu'il s'agisse là de deux postes plutôt honorifiques, ce coup de Jarnac témoignait de la volonté évidente des cercles impérialistes et expansionnistes indiens, ainsi que des réactionnaires locaux, de tout mettre en œuvre pour faire en sorte que la victoire clairement remportée par les maoïstes dans le cadre de l'élection à l'assemblée constituante tenue le 10 avril ne se concrétise.

Cette élection a eu lieu suite à 10 années de lutte armée contre une monarchie tyrannique qui a dominé le Népal pendant près de deux siècles et demi. Les partis politiques bourgeois, dont celui du Congrès, ne se sont ralliés à la révolte populaire qu'in extremis. En votant massivement pour les candidatEs maoïstes, les masses populaires ont spectaculairement exprimé leur rejet de la monarchie et des partis bourgeois corrompus et inconséquents. Le PCN (maoïste) a remporté la moitié des sièges ayant été alloués selon un système uninominal à un tour similaire à celui que l'on connaît ici. Les autres sièges ayant toutefois été répartis selon un mode de représentation intégralement proportionnel (cette exigence fut imposée par les maoïstes contre la volonté des autres partis, faut-il le rappeler), les maoïstes ne disposent toutefois pas de la majorité absolue au sein de l'assemblée, qui doit adopter une nouvelle constitution d'ici deux ans et déterminer par le fait même quel sera le futur régime politique du Népal. Le PCN (maoïste) a fait campagne en faveur d'un programme démocratique complet axé sur la destruction des rapports féodaux et la fin de la domination étrangère au Népal. C'est ce programme qu'il compte défendre dans le cadre des travaux de l'assemblée constituante. Ces tâches sont nécessaires pour favoriser le passage au socialisme.

Après l'élection, l'assemblée constituante s'est réunie une première fois au mois de mai, pour adopter une résolution proclamant la fin de la monarchie et la naissance de la république. Logiquement, un nouveau gouvernement provisoire aurait dû être rapidement mis en place sous la direction du parti maoïste, vainqueur de l'élection. Toutefois, les partis bourgeois se sont livrés à toutes sortes de magouilles pour empêcher la formation du nouveau gouvernement.

Le parti du Congrès, en particulier, a exigé qu'on lui confie les deux portefeuilles les plus névralgiques - ceux de l'Intérieur et de la Défense. Son ancien chef et premier ministre sortant, G.P. Koirala, âgé de 83 ans, s'est même dit prêt à reprendre du service. Le Congrès a aussi exigé la dissolution de la Ligue des jeunesses communistes - une organisation de masse de plus de 250 000 membres dirigée par les maoïstes (pour ce parti bourgeois, il semble que la «démocratie» et les droits et libertés ne valent que pour lui!).

Sous la pression des impérialistes et des expansionnistes indiens, les révisionnistes de l'UML et les séparatistes madhesis se sont d'abord rangés derrière le Congrès. Mais tout ce beau monde n'est jamais arrivé à s'entendre sur la formation d'un gouvernement excluant les maoïstes, notamment quant à la répartition des postes. Le nouveau président élu par l'assemblée constituante, Ram Baran Yadav, a alors demandé au leader du parti maoïste de tenter de former un gouvernement consensuel. Pendant dix jours, les maoïstes ont discuté avec les 24 autres partis représentés à l'assemblée constituante afin de résoudre l'impasse politique. À défaut d'entente sur un programme de gouvernement qui satisfasse les besoins et les revendications des masses, Prachanda a finalement fait savoir au président que cela s'était avéré impossible. Conformément à la constitution intérimaire, le président a alors convoqué une séance de l'assemblée constituante pour le vendredi 16 août, afin d'élire directement le premier ministre.

Mercredi, un premier revirement s'est produit, alors que les porte-parole de 16 petits partis représentés à l'assemblée constituante ont annoncé qu'ils soutiendraient la candidature de Prachanda. Puis, le lendemain, ce fut un nouveau coup de théâtre lorsque l'UML et le Forum des droits du peuple madhesi ont fait savoir qu'ils appuieraient eux aussi sa candidature. Avec pour résultat que le chef du PCN (maoïste) l'a facilement emporté, obtenant les votes de 464 membres de l'assemblée constituante, contre seulement 113 pour son opposant du parti du Congrès, Sher Bahadur Deuba (ex-premier ministre à l'époque du massacre du palais royal en 2001, qui a porté le despote Gyanendra au pouvoir).

Selon la presse, le nouveau premier ministre a quitté le centre des congrès où siège l'assemblée constituante en déclarant simplement être «ému et heureux». Des centaines de partisanEs l'ont tout de suite retrouvé pour célébrer sa victoire. Un autre dirigeant du PCN (maoïste), Baburam Bhattarai, s'est adressé aux médias en disant ceci: «Le Népal voit poindre une aube dorée aujourd'hui. Nous avons déjà fini d'arracher les racines du féodalisme au Népal: l'institution monarchique, vieille de 240 ans. Sous la direction de Prachanda, le grand programme du nouveau gouvernement sera le nationalisme, le républicanisme et la transformation socio-économique.»

La composition du nouveau gouvernement provisoire sera annoncée dès lundi. Le cabinet sera composé de 24 ministres, dont 9 du PCN (maoïste), 6 de l'UML et 4 du parti séparatiste. Selon les premières indications, les maoïstes se réserveront les portefeuilles de l'Intérieur et de la Défense.

Il aura donc fallu plus de quatre mois avant que le résultat de l'élection, que les observateurs internationaux ont unanimement qualifié de légitime et incontestable, se concrétise - encore qu'il reste à voir dans quelle mesure le programme gouvernemental des maoïstes pourra être mis en application.

Le parti du Congrès, qui est le principal parti bourgeois au Népal, demeurera donc dans l'opposition. Son candidat, Deuba, a déclaré: «Nous garderons un œil sur les activités gouvernementales des maoïstes pour nous y opposer si elles virent à l'autocratie.» (Drôle de programme pour un parti qui a historiquement toujours soutenu l'autocratie royale, mais enfin...)

Le premier ministre sortant et vétéran du Congrès, Koirala, a quant à lui prédit (menacé?) que le nouveau gouvernement «ne tiendra pas plus de deux mois». C'est le même individu qui, selon ce que rapporte un quotidien népalais, aurait rencontré les chefs de l'armée, de la police et de la police militaire en début de semaine pour les enjoindre «d'exercer leur influence pour prévenir la formation d'un gouvernement dirigé par les maoïstes». Toujours selon ce quotidien, le commandant en chef de l'armée, Rukumandag Katuwal, aurait alors suggéré à Koirala d'être lui-même «plus pro-actif», ajoutant: «Officiellement, vous êtes encore premier ministre... Nous sommes prêts à répondre à quelque ordre que ce soit de votre part... Nos trois organes de sécurité sont avec vous.»

Comme on peut le voir, le dénouement heureux de cette semaine est loin d'avoir réglé tous les problèmes auxquels les maoïstes sont confrontéEs. La nomination de Prachanda au poste de premier ministre et la formation du nouveau gouvernement, attendue dans quelques heures, représentent néanmoins une importante victoire pour les masses révolutionnaires du Népal. Celles-ci vont maintenant s'attaquer à l'avancement des tâches révolutionnaires et démocratiques, à la réforme agraire, à la construction d'un nouveau pouvoir populaire et à la destruction du vieil appareil d'État sur lequel les rapports sociaux d'oppression et d'exploitation qui caractérisent le Népal demeurent fondés. Tout cela, dans un contexte international qu'on ne peut certes qualifier d'aisé pour les révolutionnaires.

D'où l'importance de développer et renforcer la solidarité avec le PCN (maoïste) et les masses populaires du Népal, dont la victoire actuelle et les victoires à venir seront aussi celles des masses opprimées du monde entier.

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Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 188, le 17 août 2008.
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