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Se Déguiser en "Noir" au Carnaval Dunkerquois

..., Wednesday, April 2, 2008 - 16:53

Le carnaval Dunkerquois qui chaque année commence quelques jours avant le début du carême pour s’étendre pendant plusieurs semaines, est un moment de fête prisé où « on se déguise, on met de vieux habits, et on s’en fout plein la figure » pour l’occasion, comme le dit une de ses chansons populaires ; bien qu’il arrive en réalité que des carnavaleux achètent des tenues exprès pour l’occasion. Toutefois, il est des déguisements récurrents qui méritent notre attention : le déguisement en « Sauvage », en « Indigène » en « Afro-Américain » ou en « Noir ». A quoi renvoient-il au regard de l’histoire de la ville et de la culture de l’altérité ? Empruntant ses outils aux études postcoloniales et aux Black Studies, offrre une analyse postcoloniale de cet événement culturel.

Le déguisement d'apparence anodine en "Zoulou", en "sauvage", en Afro-Américain ou en "Noir" de certains carnavaleux au carnaval Dunkerquois , peut donner lieu à des situations anecdotiques quand on est noir de peau et qu'on a les " cheveux à l'Afro ". Et plus particulièrement quand on participe aux "bandes", au bals et aux "chapelles" de carnaval (1). En effet depuis 2003, je participe au carnaval Dunkerquois que j'ai découvert cette année-là par une famille de fervents carnavaleux ; de vrais "masquelourds" comme cela se dit, et je me suis trouvée a plusieurs reprises dans des situations embarassantes. En de nombreuses occasions en vérité, je me suis retrouvée face-à-face avec des masquelourds au visage et au corps peint en noir. Que faire dans cette situation quand cet aspect physique résonne avec le nôtre : sourire et lancer un "ben qu'est'ça dit ?" la salutation des carnvaleux ? Ou faire semblant de ne pas remarquer ce déguisement dans la bande de masquelourds à chapelle ou dans la bande ? Ou encore, se décider à demander au personnage déguisé s'il a des raisons particulières de se déguiser ainsi ? A quoi renvoient leurs déguisements, que nous rappellent-il au regard de l'histoire de l'altérité ?
Ces personnages déguisés performent dans une certaine mesure les techniques et le Minstrel Show du dix-neuvième siècle aux Etats-Unis, et réalisent ensuite une "performance raciale" située (2) qui met en lumière un racisme latent de certains travestissements contemporains. En effet, bien que certaines personnes affirment qu'au regard de l'histoire de la ville, les masquelourds peint en noir miment aussi les mineurs de la régions Nord-Pas-de Calais qui travaillaient au dix-huitième siècle ; les carnavaleux déguisés en "mineurs" sont plutôt rares sinon invisibles (je n'en ai jamais personnellement rencontré). L'histoire des mines du Nord commence par ailleurs au dix-huitième siècle et dure jusqu'à la fin du vingtième siècle où le 21 Décembre constitue la date de la dernière extraction de galette de charbon du Nord-Pas-de Calais. Les mineurs le soir au sortir de leur trois-huit étaient interpellés par le terme "geules noires" à cause de leur aspect physique et de longues heures passées au contact du charbon. Néanmoins, lorsqu'on mime le mineurs du Nord, il n'est pas indispensable d'employer les techniques théâtrales allant jusqu'au costume dit "indigène" tels que dans les spectacles de Minstrel Show ; qui distrayaient les spectateurs venus assister aux caricatures sur les Noirs des plantations aux Etat-Unis.
En effet l'histoire du Minstrel Show montre comment au dix-neuvième siècle aux Etats-Unis utilise la technique du Blackface qui est une technique de maquillage théâtrale d'acteurs blancs de peau, consistant à se noircir le visage pour jouer le rôle du personnage Noir dans les scènes. Le jeu d'acteur consistait cependant en une caricature des traits psychologiques et une accentuation des traits physiques des esclaves Noirs dans les plantations du Sud des Etats-Unis ou des affranchis du Nord (3). L'on s'accorde à dire que le premier sepctacle de minstrel show a lieu à New York City aux Etats-Unis en 1843, mais plus généralement on situe les premiers spectacles dans les années vingt. Ces spectacles dureront près de cent ans, avant de perdre peu à peu de la popularité. Car, si les premiers spectacles présentaient les Noirs comme stupides et superstitieux, doués par la danse et la musique. C'est dans ce dernier cadre que nous jugeons les déguisement en "Noir", en "Black", en "Indigène" ou en "Sauvage" comme une performance raciste témoignant d'un racisme latent.
Joués au départ par des acteurs Blancs, après la guerre de sécession ils seront interprétés par les Noirs eux-mêmes. Mais avec les luttes pour les droits civiques des années soixante et la ferveur contre le racisme aux Etats-Unis, le Minstrel Show et sa technique du Blackface considérés comme racistes disparaîtront totalement des grandes villes. Pourquoi continuer de le pratiquer pendant la période de carnaval en France si l'on se sent gêné en face d'un "Noir" ? Il est peut-être temps de prendre conscience que ce déguisement n'est pas anodin, et que la raison pour laquelle certains masquelourds se sentent gênés en ma présence est le fait qu'ils doivent soupçonner le caractère raciste du déguisement. Bien qu'ils ne se soient visiblement jamais interrogés sur le sens de leur accoutrement et semblent se confronter pour la première à une telle situation.
N'oubliant pas que le divertissement et la fête sont deux éléments fondamentaux du carnaval Dunkerquois, nous voulons interpeller les carnavaleux sur un investissement du sens du déguisement en "Noir", en "Indigène" ou en "Sauvage"... Par ailleurs, le déguisement en "Blanc" ne porte pas la même histoire politique et culturelle que ce dernier, c'est pourquoi il est impossible d'envisager la gêne dans une situation inversée : " le "Noir" est toujours mal blanchi ".

Il semble se trouver un privilège du déguisement en l'"Autre".

(1) Faire chapelle c'est ouvrir ses portes pendant la période de carnaval pour acceuillir les carnaleux qui font la bande, leur offrir une bière et une soupe à l'oignon. C'est un moment d'échange et de taquinerie avec des carvaleux que le propriétaire de la maison ne connait pas forcément, sur le rythme des chants de carnaval qui chantent sur un poste-radio, un lecteur cd ou bercé par les chansons de la bande qui passe.
(2) Judith Butler, philosophe qui a élaboré le concept de performativité du genre dans Gender Trouble, souligne combien "La question de savoir s'il était possible ou non de transposer la théorie de la performativité du genre à des question de race a été traitée par plusieurs auteur(e)s", parmis lesquels Homi Bhaba. Dans Judith Butler, Trouble dans le genre, 1990, Paris, La Découverte, 2005, p. 37.
(3)Franck W. Sweet, A History of The Minstrel Show,Septembre 2000, Backintyme



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