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La laïcisation du système scolaire n’aura pas lieu…

Anonyme, Friday, March 28, 2008 - 09:17

Marie-Michelle Poisson

En septembre 2008 il y aura objectivement plus de religion à l’école qu’il n’y en avait en 2000 au moment de l’adoption du projet de loi 118 abrogeant le statut confessionnel des écoles publiques du Québec.

"Plus de religion" c’est d’abord du temps d’enseignement consacré à une nouvelle discipline nommée « enseignement culturel des religions » qui couvrira l’ensemble du primaire et du secondaire. Cette discipline exposera tous les élèves à un éventail plus large de dénominations religieuses dont une prépondérance prescrite accordée au christianisme. Dans l’ancien régime d’option, uniquement les élèves dont les parents avaient choisi l’enseignement religieux n’étaient exposés qu’à une seule confession.


"Plus de religion" fait aussi référence à la création d’un nouveau service éducatif complémentaire d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire (SAVSEC) offert obligatoirement dans toutes les écoles, primaires et secondaires. Avant 2000, le service d’animation pastorale n’était présent que dans certaines écoles du réseau catholique de niveau secondaire et tendait à disparaître dans certains milieux faute de participants et aucun service de pastoral entièrement financé par l’État n’existait au primaire.

L’essentiel de la formation spécialisée des professeurs de culture religieuse ainsi que des animateurs de vie spirituelle sera assumée par les facultés universitaires de théologie et de sciences des religions.

En 2000, les postes de sous-ministre associés de foi catholique et protestante ainsi que les comités catholiques et protestants ont été abolis et remplacés par le Secrétariat aux affaires religieuses (SAR) et le Comité sur les affaires religieuses (CAR) qui veillent depuis au processus de déconfessionnalisation du système scolaire et sont considérés, selon le coordonnateur actuel du SAR, M. Roger Boisvert, comme les maîtres d’œuvre du nouveau programme d’Éthique et Culture religieuse (ECR) et du SAVSEC.

Ceux qui souhaitent une laïcisation effective du système scolaire québécois auraient tout intérêt à examiner de plus près les activités du SAR et un CAR puisque, au vu de ces résultats, tout porte à croire que le SAR et le CAR se comportent comme des lobby pro-religieux au sein du Ministère de l’éducation.

Madame Christine Cadrin-Pelletier, théologienne de formation, fut sous-ministre associé de foi catholique de1995 à 2000, responsable du Comité catholique avant d’occuper le poste de Secrétaire aux affaires religieuses de 2000 à 2005.
Le Car est constitué de 13 personnes nommées par le ministre de l’éducation dont au moins le tiers sont des personnes provenant de facultés universitaires de théologie et de sciences religieuses.
Le président actuel du CAR, M. Jacques Racine, a été Doyen de la Faculté de théologie de sciences religieuses de l’Université Laval et membre du Comité de prospective de l’Assemblée des évêques du Québec. M. Racine a siégé au CAR deux ans à titre de parent d’élève du primaire avant de devenir président du Car en 2006. De 2000 à 2006, la présidence du CAR a été assumée par Jean-Marc Charron. Il était alors doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal.

Le Car a publié plusieurs avis au ministre de l’éducation. Ces avis sont tous disponibles sur le site internet du ministère de l’éducation. L’avis de 2003, intitulé La formation des maîtres dans le domaine du développement personnel : une crise symptomatique fait un constat alarmant : dans l’attente des décisions ministérielles, le doute est si grand quant au sort des cours de morale et de religion que des départements de théologie et de sciences religieuses offrant la formation disciplinaire aux futurs maîtres ont dû fermer leurs portes ou sont menacés de fermeture. La situation, déjà critique en 2002, serait pire encore si l’enseignement religieux devait être réduit ou aboli définitivement.

En proposant au ministre de créer une nouvelle discipline appelée « Culture religieuse » et un nouveau service d’animation spirituelle, tous deux désormais dispensés obligatoirement à toutes les clientèles tout au long du primaire et du secondaire, le CAR, qui a aussi le mandat de veiller à l’élaboration des plans de formation des futurs professeurs d’ECR et des animateurs de vie spirituelle, a assuré la survie des facultés universitaires de théologie et de sciences religieuses jadis menacées de fermeture.

Certains professeurs de théologie et de sciences religieuses sont aussi consultés à titre de personnes-ressources lorsque le CAR est mandaté pour mener des consultations sur les nouveaux programmes ECR. Faut-il s’étonner si ces experts se montrent souvent nettement plus en faveur des compétences de Culture religieuse et en attendent de meilleurs résultats que les groupes sociaux ou religieux consultés, souvent plus sceptiques ou critiques quant à la pertinence de cet enseignement sur une si longue période et si tôt dans le développement de l’enfant ?

Depuis qu’elle a quitté ses fonctions de secrétaire aux affaires religieuses, Mme Cadrin-Pelletier a rédigé les deux plus importants avis du CAR soit : La laïcité scolaire au Québec. Un nécessaire changement de culture institutionnelle (octobre 2006) Le cheminement spirituel des élèves. Un défi pour l’école laïque (février 2007).
Le premier document prétend définir, en cinq points, le « modèle de laïcité ouverte de l’école publique québécoise » auquel la majorité des québécois est sensée adhérer.
Selon Henri Pena-Ruiz, « la laïcité ouverte est une notion polémique tournée contre la laïcité dont elle suggère qu’appliquée rigoureusement elle serait un principe de fermeture. ( …) Dans la bouche des certains détracteurs de la laïcité « ouvrir la laïcité » signifie restaurer des emprises publiques pour les religions. » (Flammarion 2003)
Le deuxième document s’évertue à démontrer comment et pourquoi « faciliter le cheminement spirituel de l’élève » est un rôle fondamental de l’école. Depuis leur parution ces deux avis font l’objet d’une campagne de communication active menée par le CAR auprès de toutes les instances jouant un rôle en matière d’éducation (groupes religieux, associations de parents d’élèves, syndicats, associations professionnelles, commissions de consultation, etc.).

L’idéologie véhiculée par le CAR est déjà perceptible dans plusieurs milieux et il y a de fortes chances, étant donnée la notoriété croissante du CAR, que les opinions exprimées dans ces deux documents constituent l’essentiel des conclusions du rapport de la Commission Bouchard-Taylor concernant la place de la religion à l’école. Une rencontre organisée par le CAR est d’ailleurs prévue le 16 avril prochain à Montréal dans le but de faciliter la réception et la mise en œuvre du programme Éthique et de Culture religieuse auprès de la catégorie de citoyens la plus importante numériquement après les catholiques ; la catégorie de ceux qui ne se réclament d’aucune religion.

Est-ce que le modèle québécois de « laïcité ouverte » tel que défini et promu par le SAR et le CAR est vraiment le type de laïcité qui convient à une société qui se veut moderne et démocratique ? Que dire de cette laïcité tellement « ouverte » au « fait religieux » qu’elle donne paradoxalement plus de place aux phénomènes religieux dans le système scolaire en 2008 qu’ils n’en avaient en 2000 ? Que dire de cette laïcité dont les premiers bénéficiaires objectifs sont d’abord et avant tout les facultés de théologies et de sciences religieuses ?

Si le comité sur les affaires religieuses avait réuni une plus grande diversité d’experts indépendants, il eut été possible que ceux-ci préconisent un autre « modèle de laïcité de l’école québécoise » prônant plutôt un enseignement « transversal » de la culture religieuse via certaines disciplines existantes comme l’histoire, la géographie, la littérature ou les arts sans qu’il n’y ait nécessité de créer une nouvelle discipline.

Un large débat public mené ouvertement aurait sans doute démontré qu’une majorité de québécois pensent qu’il n’est aucunement du ressort de l’école de « faciliter le cheminement spirituel de l’élève », que le Service d’animation spirituel et d’engagement communautaire n’a pas de raison d’être et que l’État n’a donc pas l’obligation de financer un tel service.

Pourquoi la culture religieuse est-elle devenue tout à coup plus importante que la culture scientifique, la culture philosophique, la culture artistique, la culture musicale ou encore l’éducation à l’économie ? Est-ce que seule la culture religieuse permet de comprendre la société québécoise actuelle ? Est-ce que seule la culture religieuse permet de donner du sens à l’existence et de favoriser le « vivre-ensemble » ? Certainement pas. Mais alors pourquoi la culture religieuse prend-elle tant de place en regard des autres formes de culture tout aussi essentielles au développement des enfants ?

Est-ce qu’un comité de psychologues de la petite enfance aurait trouvé souhaitable que de jeunes enfants soient exposés si tôt à la diversité des cultures religieuses ? Est-ce qu’un comité de philosophes aurait trouvé adéquat que l’Éthique et la Culture religieuse se retrouvent dans un seul et même programme avec les risques d’amalgames conceptuels que cela comporte ? Est-ce qu’un comité de gestionnaires scolaires aurait jugé pertinent qu’une large part des ressources allouées aux services éducatifs complémentaires soient consacrés au SAVSEC plutôt qu’à des services de psychologie ou d’orthophonie ? Enfin, est-ce que les jeunes générations souhaitent vraiment perpétuer la multiplicité des différences culturelles et religieuses héritées de leurs parents ou ne sont-elles pas plus intéressées à construire une société nouvelle à partir de bases communes et universelles ?

Le SAR et le CAR, dont l’origine remonte à l’ancien comité confessionnel catholique qui existait avant la création du ministère de l’Éducation en 1964, constituent les derniers bastions des privilèges historiques consentis aux pouvoirs religieux. L’abolition du SAR et du CAR permettrait enfin une réelle ouverture du débat pour la mise ne place d’une laïcité authentique.

P.S. La religion reprend tellement de place à l'école qu'aucune place ne sera faite à la philosophie pour enfant alors que le Québec est pourtant fort de 25 ans d'expertise reconnue internationalement en ce domaine.


P.P.S. La laïcité scolaire est aussi une tradition culturelle québécoise puisque de 1829 à 1836 existent 1375 écoles de syndic, 53 377 élèves et plus de 1 300 maîtres d’écoles certifiés. Ces écoles votées par une majorité des élus de la Chambre d’assemblée constituent le premier véritable « décollage scolaire »[1] sur le territoire canadien français. Le pouvoir colonial britannique voit d’un mauvais œil cet instrument d’émancipation du peuple et met donc fin subitement, en 1836, au financement de ces écoles publiques et laïques qui bientôt ferment l’une après l’autre. Le mécontentement populaire contribue aux soulèvements de 1837-38. Les rebellions mâtées, les administrateurs coloniaux croient plus prudent de confier l’éducation à des entités loyalistes. Le clergé catholique canadien-français, constitué en bonne partie de prêtres militants « ultramontains ultramontés » ayant fuit la République française, farouches défenseurs de la monarchie contre les «libres penseurs» qualifiés de «corrupteurs de la jeunesse» devient le partenaire idéal auquel la Couronne peut confier l’éducation de ses sujets. En 1840 l’Église retrouve son statu légal mis en veilleuse depuis la conquête. En 1867, l’article 93 de la Constitution Canadienne assure les privilèges de l’enseignement confessionnel catholique et protestant. Puis, en 1875, suite aux pressions constantes d'Église convaincue que l'éducation lui reviennent de droit, le ministère de l’instruction publique est aboli. On crée alors le Conseil de l’instruction publique constitué de deux comités confessionnels, l’un catholique et l’autre protestant.

« Les effets de cette décision sont démocratiquement douteux : on passe d’un ministère élu et responsable devant l’Assemblée législative à un surintendant non responsable publiquement de ses actes mais exécutant des décisions des Comités catholique et protestant de l’Instruction publique. Ces comités constituent un ministère sans le nom et sans responsabilité, à cette nuance cruciale, toutefois, que le Comité catholique est aussi composé ex officio des évêques de la province de Québec et d’un nombre égal de laïcs. " ( Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec)
Lors de la création du ministère de l’éducation du Québec, en 1964, les Comités catholiques et protestants sont maintenus au sein du Conseil supérieur de l’éducation. Ces comités ont droit de regard sur tous les programmes d’enseignement et peuvent influencer les ministres sur les aspects religieux des enseignements et, privilège exceptionnel dans l’organigramme ministériel, sont soutenus dans leur travail par des sous-ministres associés de foi catholique et de foi protestantes.

Vice présidente du Mouvement Laïque Québécois
Mouvement laïque québécois
www.mlq.qc.ca


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