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[France] Société Générale, « capitalisme financier » et cogestion

Luis GM, Sunday, February 3, 2008 - 08:35

Luis Gonzalez-Mestres

La situation de la Société Générale, suite à des pertes de 4.9 milliards d’euros dans des transactions spéculatives d’un trader et de 2 milliards dans la crise des subprimes, a été l'occasion de vibrantes mises en cause du « capitalisme financier ». Mais il ne semble pas que les vagues puissent aller très loin. C’est en réalité dans le contexte d’une dérive institutionnelle globale et permanente, qu’il conviendrait d'analyser ces incidents : faillite des prétendus contrôles et contre-pouvoirs, résultats pervers de la cogestion et des « grands consensus », opacité croissante du fonctionnement du système... De toute façon, les grands mouvements spéculatifs profitent invariablement aux super-riches dont les « gestionnaires » ne sont que des exécutants. Et qui fait les frais de la spéculation quotidienne des banques ?

Que faut-il entendre par « capitalisme financier » ? A lire les déclarations suscitées par l'affaire de la Société Générale, on pourrait même croire que le pouvoir du grand capital est mis en cause par un certain nombre de dirigeants politiques. En réalité, il n'en est rien. Ces critiques visent quelques responsables et, parfois, certains circuits et modes d'opération dont les dérapages sont devenus trop voyants. Mais il n'y a là aucune contestation du système économique et social.

De surcroît, le verrouillage s'est montré fort efficace. Même les analystes du monde des affaires étaient unanimes à ne pas croire qu'un trader seul ait pu être à l'origine des 4.9 milliards de pertes spéculatives. Pourtant, le PDG de la Société Générale, Daniel Bouton, est resté en place avec le soutien actif de responsables syndicaux qui ont entrepris de le présenter comme un rempart contre un éventuel rachat de la banque. Mais peut-on raisonnablement croire qu'une telle décision dépendrait du choix du PDG ?

Est-ce vraiment le rôle des représentants du personnel, que d'apporter leur caution à un PDG qui en 2007, outre les pertes spéculatives de la banque, a lui-même effectué des opérations d'acquisition et de cession de stock-options qui lui ont rapporté une plus-value supérieure à trois millions d'euros ?

D'ailleurs, les représentants des salariés qui siègent au Conseil d'Administration de la Société Générale pouvaient-ils ignorer l'existence des activités spéculatives de la banque dont il paraît logique de penser que les « petits épargnants » et l'ensemble des salariés sont les premiers à faire les frais ? Car, pour que les banques gagnent, il faut bien que quelqu'un perde.

D'après Libération, un employé des « ressources humaines » aurait trouvé « anormal que ce soit Bouton qui paye » et a ajouté : « Si un employé pique dans la caisse, ce n’est pas au patron d’être viré » . De son côté, un administrateur salarié de la banque déclare : « La Société générale a toujours eu un très fort esprit de corps... ». Ce que l'on appelle couramment « esprit maison ». Mais ne peut-on précisément considérer la cogestion comme étant l'une des causes des dérives du système ?

Rappelons que la Société Générale doit également s'expliquer devant les tribunaux dans le cadre de l'affaire du Sentier.

Les déboires spéculatifs de telle ou telle banque ne mettent pas en cause la stabilité de l'actuel système économique. Mais certains incidents peuvent dévoiler, ou rappeler, des pratiques et des informations. A bien d'égards, l'analyse de l'état de la société actuelle et de son évolution au cours des décennies récentes reste à faire ou à compléter.

Seulement, comment préserver la capacité de produire des analyses indépendantes, dans un contexte où les principales organisations syndicales pratiquent la cogestion et où les établissements scientifiques et universitaires tendent à se rapprocher de plus en plus du secteur privé ? Pas seulement par rapport à ce domaine précis de l'activité économique, mais de manière plus globale, y compris dans des disciplines comme l'Histoire, les théories sociales, l'écologie... Or, la plupart des phénomènes nouveaux de notre époque nécessitent des études actualisées vraiment indépendantes.

Les médias ont beaucoup parlé de l'affaire de la Société Générale. Des spécialistes s'y sont largement exprimés. Pourtant, on n'a à aucun moment vu passer un descriptif global du système permettant de comprendre dans la transparence son fonctionnement. Notamment, qui fait des bénéfices, pour le compte de qui et au détriment de qui.

Voir mes trois articles récents :

http://scientia.blog.lemonde.fr/2008/01/28/laffaire-de-la-societe-generale-et-le-systeme-financier/« L’affaire de la Société Générale et le système financier » (28 janvier)

http://scientia.blog.lemonde.fr/2008/01/31/laffaire-de-la-societe-generale-et-le-systeme-institutionnel/« L’affaire de la Société Générale et le système institutionnel (I) » (31 janvier)

http://scientia.blog.lemonde.fr/2008/02/02/l%e2%80%99affaire-de-la-societe-generale-et-le-systeme-institutionnel-ii/ « L’affaire de la Société Générale et le système institutionnel (II) » (2 février)

Luis Gonzalez-Mestres, lgm_sci@yahoo.fr
http://scientia.blog.lemonde.fr

scientia.blog.lemonde.fr


Subject: 
Société générale et déclarations d'autorités politiques
Author: 
Luis GM
Date: 
Fri, 2008-02-08 11:49

Des autorités françaises et européennes se sont exprimées sur l'affaire de la Société Générale. Mais leur seul souci semble être la préservation de la stabilité du système financier. La véritable question que les citoyens peuvent se poser, à savoir, celle de la légitimité de la spéculation boursière des banques, n'a à aucun moment été soulevée.

Le gouvernement français et les institutions de l'Union Européenne ont réagi, au cours des deux dernières semaines, à la perte spéculative de 4.9 milliards d'euros par la Société Générale. Notamment, par un rapport du Ministère français de l'Economie et des Finances et par des déclarations du Commissaire européen aux Marchés Intérieurs et aux Services. Mais les préoccupations qu'ils expriment ne comportent aucune véritable critique de l'actuel système financier.



Suit mon article de ce jour sur mon blog :

http://scientia.blog.lemonde.fr/2008/02/08/l%e2%80%99affaire-de-la-socie...


L’affaire de la Société Générale et le système institutionnel (III)


Le rapport du 4 février du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi laisse sans réponse les véritables questions que les citoyens peuvent se poser.

Le vocabulaire des médias a "glissé" des derniers jours et, au lieu de l'affaire de la Société Générale, on évoque une "affaire Kerviel". Même si le Commisaire européen au marché intérieur Charlie Mc Creevy a clairement mis en cause la banque. Pour Mc Creevy, "il est inexcusable que toute la valeur de marché d'une institution financière puisse être mise en péril par une imprudence aussi abjecte de la part d'une des plus grandes banques européennes".

Le 4 février, le Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a remis à la Présidence de la République un rapport de 11 pages, accessible à l'adresse:

http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/sircom/secteur_bancaire_financier/rap_societe_generale080204.pdf

qui évoque pour l'essentiel la question du contrôle des opérations de marché des banques mais qui, comme le Commissaire européen, en reste à la question de ce contrôle ayant uniquement en vue la stabilité de l'actuel système financier. Pourtant, qu'ils s'agisse de commissaires européennes ou de ministères de pays membres, ces instances sont censées représenter les citoyens et qui auraient pu, à ce titre, soulever d'autres questions.

Le rapport du Ministère français évoque une "activité" (de Jérôme Kerviel) consistant à "gérer en parallèle deux portefeuilles de taille et de composition proches [auprès de marchés différents], l'un devant couvrir l'autre". Dans ces opérations, "le risque généré, mais également le résultat net dégagé, sont censés être faibles en comparaison des engagements bruts résultant des portefeuilles", explique le rapport. Pour le citoyen qui lit un descriptif pareil, il s'agit de spéculation pure.

Dès lors, la question semble aller de soi: est-ce admissible que les banques spéculent en bourse, de surcroît au quotidien, recourant à des moyens sophistiqués et avec de tels montants ? Sur ce point essentiel, le silence institutionnel peut surprendre. D'autant plus, qu'une telle spéculation "autonome" doit bien rechercher des bénéfices au détriment de "perdants" non identifiés. Peut-il s'agir des "petits clients" des banques ?

Le rapport ministèriel encourage "l''ensemble de la Place, établissements et autorités" à "dégager les meilleures pratiques et les règles de nature à renforcer la sécurité opérationnelle". Mais l'opinion publique peut s'intéresser à d'autres problématiques en rapport avec la spéculation bancaire. D'autant plus que, théoriquement, les banques sont censées assurer un service public.

Par exemple, à quels taux achète et vend une banque pour son compte via les "activités d'arbitragistes sur dérivés actions", et à quels taux opère-t-elle pour le compte des "petits clients" ? Un peu plus de transparence sur ce genre de questions serait sans doute apprécié par les "petits épargnants".

On reste d'ailleurs, à ce jour, sans un descriptif global du système permettant de comprendre dans la transparence son véritable fonctionnement "extra-technique". Notamment, qui fait des bénéfices, pour le compte de qui et au détriment de qui. C'est pourtant cette dernière question qui aurait le plus intéressé la grande majorité des citoyens.

Dans la pratique, pour l'actuel système bancaire, la notion de service public semble faire partie d'un univers lointain. Au point que, lorsque le gouvernement se plaint de ne pas avoir été prévenu avant le 23 février des problèmes de la Société Générale, l'ancien rédacteur en chef de Libération et directeur adjoint de l'Expansion Pierre Briançon lui répond dans Le Monde du 5 février:

"Les banquiers pensent devoir rendre des comptes à leurs actionnaires, au régulateur, ou à leurs salariés. Pas au pouvoir politique."

Pas plus qu'aux salariés dont les rémunérations transitent par les banques de manière imposée, ni aux "petits épargnants" qui leur confient leurs économies faute d'autre interlocuteur...

(fin de l'article)



Ajoutons que, dans un article que vient de diffuser Le Monde, intitulé : "De l'avantage pour la Société générale d'être une proie", Pierre Briançon estime que "Bien gérée, l'opération [de recapitalisation de la Société Générale] pourrait même aider la Société générale à tourner la page Kerviel, en lui permettant de se concentrer sur la défense des intérêts de ses actionnaires". Tout compte fait, le monde des affaires s'en tirera très bien, et la question de savoir sur qui (et au bénéfice de qui) sont pris les bénéfices de la spéculation des banques restera sans aucune enquête institutionnelle.


Luis Gonzalez-Mestres

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