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LDL: La suprématie du droit à l’égalité des femmes: une solution?

Anonyme, Wednesday, October 31, 2007 - 16:53

Le 30 oct. 2007, Le Devoir publiait ce matin une lettre ouverte de la Ligue des droits et libertés. La Ligue s'oppose totalement à la proposition d'affirmer dans la Charte québécoise la primauté du droit à l'égalité des femmes et des hommes sur tout autre autre droit.

- au nom de la Ligue des droits et libertés
par Nicole Filion (avocate) Coordonnatrice

Dans les différents épisodes du débat entourant les soi-disant accommodements raisonnables, il faut reconnaître que les droits des femmes ont été plusieurs fois écartés : des policières, de même qu’une monitrice de la SAAQ, ont été invitées à céder la place à leurs collègues masculins dans le but de respecter la liberté de religion de certaines personnes; le givrage des vitres d’un centre d’entraînement a mené à confiner les femmes au secret de leur corps. Il s’agit ici d’exemples parmi les plus percutants. Toutefois, selon l’étude de la jurisprudence dont fait largement état, dans son mémoire, le Conseil du statut de la femme, si ces cas avaient fait l’objet d’une plainte en discrimination, ils auraient été jugés contraires au droit à l’égalité entre les hommes et les femmes, constituant dès lors une contrainte excessive.

La Charte québécoise comporte tous les éléments nécessaires afin de garantir le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes, et cela, le Conseil du statut de la femme s’emploie à le démontrer avec beaucoup de rigueur. Dans ces circonstances et considérant le préambule de la Charte québécoise, de même que l’article 9.1 de cette dernière, l’ajout d’une disposition du même ordre que l’article 28 de la Charte canadienne, lequel aurait valeur interprétative, apparaît inutile afin que cessent les atteintes aux droits des femmes. L’intervention de l’État devrait à ce stade-ci être davantage consacrée à l’adoption et la mise en œuvre de différents programmes et mesures de formation et de sensibilisation aux droits de la personne, à l’intention de tout cadre de la fonction publique, voire de toute personne susceptible d’être confrontée à ce genre de situation. Les cas rapportés soulèvent en effet davantage des enjeux d’ordre social que des enjeux d’ordre juridique.

Il n’est pas dit cependant qu’en toute circonstance des mesures éducatives ou des programmes de sensibilisation sur la portée de nos instruments de défense des droits suffisent. Ainsi faut-il envisager, en regard de certains problèmes spécifiques et récurrents, l’adoption de mesures législatives visant à opérer un changement de fond dans notre société telles la Loi sur l’équité salariale, la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, etc…

Si par ailleurs, la proposition du Conseil du statut de la femme vise non pas à introduire dans la Charte québécoise une clause interprétative, mais plutôt à consacrer une forme de hiérarchisation des droits assurant la suprématie du droit à l’égalité des femmes et des hommes sur les autres droits, nous ne pouvons y souscrire car contraire aux principes fondamentaux d’interdépendance et d’indivisibilité des droits de la personne. Pour qui tient à ce que nos gouvernements reconnaissent que les droits économiques, sociaux et culturels ont la même valeur fondamentale que les droits civils et politiques, toute proposition de hiérarchisation de droits ne constitue en somme qu’un abandon des grands principes reconnus sur la scène internationale mais que les gouvernements successifs du Québec résistent à inscrire dans notre droit interne.

Comprendre le droit à l’égalité des hommes et des femmes dans la perspective d’une interdépendance des droits renforce ce dernier. Là où le bât blesse pour de trop nombreuses femmes, c’est qu’elles ne peuvent exercer en toute égalité leurs droits économiques, sociaux et culturels. Sans la mise en œuvre de ces droits, le droit à l’égalité est désincarné, vidé d’une partie de son sens, ramené à sa dimension formelle. Ce qui importe pour les femmes, c’est l’exercice en toute égalité de leur droit à un revenu décent, leur droit à la santé, à la sûreté, à la liberté…

Aussi, consacrer la suprématie du droit à l’égalité des femmes et des hommes risque d’entraîner certaines contradictions et pourrait porter atteinte à la pleine autonomie des femmes dans l’exercice de leur liberté de religion. N’a-t-il pas fallu d’ailleurs, pour faire admettre leur droit à l’égalité, que les femmes se battent pour faire reconnaître qu’elles sont des êtres de raison au même titre que les hommes et qu’elles jouissent par conséquent du libre arbitre.

Enfin, si l’atteinte au droit à l’égalité se traduit par une atteinte à la dignité humaine, il est difficile de concevoir que l’atteinte au droit à l’égalité des femmes et des hommes doive avoir un statut privilégié par rapport aux droits des autres groupes vulnérables : les femmes ne sont pas les seules vulnérables par rapport au potentiel de violations des droits.

Plutôt que d’introduire une disposition qui n’ajoute rien de substantif au droit à l’égalité des sexes ou qui encore suggère la suprématie de ce droit sur les autres droits, il faut revendiquer des modifications à la Charte qui auront une incidence réelle sur les conditions économiques et sociales qui font obstacle à la réalisation de ce droit. Ainsi faut-il plutôt réclamer que la Charte québécoise accorde aux droits économiques, sociaux et culturels une portée juridique équivalente aux autres droits et libertés.



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