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Informateur du SCRS et fervent promotteur du terrorismeAnonyme, Friday, September 14, 2007 - 02:48
Alexandre Popovic
Dans ce troisième article d'une série de cinq, nous nous pencherons sur les diverses controverses auxquelles l'informateur des services secrets canadiens Youssef Mouammar fut mêlé durant la décennie des années '90. Le SCRS et l'art de la De Youssef Mouammar à «Abou Djihad»: La transformation d'un Par Alexandre Popovic (Pour lire l'article précédent de cette série: http://www.cmaq.net/fr/node/28088) MONTRÉAL, le 14 septembre 2007. Avec les années, Joseph Gilles Breault alias Youssef Mouammar a berné beaucoup de monde. Il a berné les musulmans autour de lui qui le croyaient sincère. Mais il est également parvenu à berner de nombreux journalistes, à qui il a semble-t-il réussi à faire croire qu'il était un «leader musulman canadien». Et, conséquemment, les médias de masse ont induit en erreur le grand public, et ce, sur une période de temps significative. Mais Mouammar n'agissait pas seul. En fait, il n'était qu'un vulgaire instrument aux mains de puissants et énigmatiques parrains : le Service Canadien de Renseignement de Sécurité (SCRS). Mouammar et le groupe d'Abu Bakr Le nom de Youssef Mouammar peut parfois soudainement surgir dans l'actualité dans des circonstances où l'on s'en attendrait le moins. Par exemple, durant l'été de 1990, lorsqu'un certain Yasin Abu Bakr se rend célèbre dans le monde entier en prenant la tête d'une sanglante tentative de coup d'État contre le gouvernement des îles caraïbiennes de Trinidad et Tobago, le quotidien Toronto Star révèle alors l'existence d'un lien entre lui et Mouammar. Abu Bakr est un ancien policier qui se converti à l'islam pendant ses études d'ingénierie à l'Institut de polytechnique de Ryerson, à Toronto. Il retourne ensuite vivre à Trinidad et Tobago, où il devient le chef de Jamaat Al Muslimeen, un groupe islamiste paramilitaire. Le 27 juillet 1990, Abu Bakr et une centaine de rebelles armés se lancent à l'assaut du parlement trinidadien et prennent en otage le premier ministre Arthur Robinson et tout son cabinet. Durant la crise, Mouammar admet à un journaliste du Star que l'organisme qu'il préside, la Fondation Internationale des Musulmans du Canada (FIMC), avait versé des fonds au groupe de Yasin Abu Bakr par le passé, soit la somme de 2000$, en 1989, et 5000$ l'année précédente. (1) Notons qu'Abu Bakr était également soupçonné par le Département d'État du gouvernement américain d'avoir bénéficié du soutien du régime lybien dirigé par le colonel Mu'ammar al-Kadhafi, qui jouait le rôle de vilain du jour aux yeux des États-Unis, durant les années '80. Au bout de quatre jours de captivité, le premier ministre Robinson accepte de remettre sa démission, de tenir des élections anticipées et d'accorder l'amnistie aux rebelles. Selon un compte-rendu, les troubles auraient fait 30 morts, 150 blessés et environ 400 millions$ en dommages à la propriété, résultant d'explosions et de pillage (2). Un an plus tard, Abu Bakr et 113 autres de ses compagnons d'armes sont définitivement libérés de prison. Mouammar et «Les Protocoles des Sages de Sion» En novembre 1990, le quotidien The Gazette révèle que la FIMC est derrière la distribution d'une réédition du tristement célèbre pamphlet «Les Protocoles des Sages de Sion». Considérés depuis 1984 comme de la littérature haineuse anti-juive en vertu du Code criminel canadien, «Les Protocoles des Sages de Sion» se veulent un compte-rendu de prétendues réunions secrètes de dirigeants juifs aspirant supposément à la domination mondiale. Ce pamphlet est en réalité un faux écrit par Mathieu Golovinski, un agent provocateur à la solde de l'Okhrana, la police secrète de la Russie tsariste, vers la fin du XIXe siècle. L'Okhrana eu notamment recours aux «Protocoles des Sages de Sion» pour chercher à discréditer l'opposition russe en la faisant passer pour une partie intégrante d'un soi-disant complot juif. Le pamphlet fut ensuite utilisé pour justifier des pogroms anti-juifs en Russie, puis plus tard par l'Allemagne nazie, qui s'en servi pour légitimer ses campagnes de persécution anti-juives. En décembre 1989, la branche montréalaise de la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith apprend qu'une réédition des «Protocoles des Sages de Sion» est disponible en vente libre au Centre d'information sur l'Islam, rue Saint-Denis. Cette réédition avait initialement été publiée au Koweït, par la branche locale de la Fédération internationale islamique des organisations étudiantes. Face à l'inaction du ministère québécois de la Justice dans ce dossier, B'nai Brith décide d'alerter les médias montréalais sur cette affaire, près d'un an plus tard, en novembre 1990. Dans un article du journaliste Irwin Block, paru dans The Gazette, la FIMC est formellement identifiée comme étant une des sources d'approvisionnement de ladite librairie en exemplaires de cette réédition des «Protocoles des Sages de Sion». Dans un entretien téléphonique avec M. Block, Mouammar reconnaît avoir reçu de nombreuses copies du controversé pamphlet, trois ans plus tôt. (3) Mouammar affirme qu'il regrette toute cette affaire, parce que «cela donne une image extrêmement mauvaise de l'islam.» Mais à quoi pensait donc le chef d'une Fondation prétendant représenter la communauté musulmane du Canada en s'associant avec la diffusion d'une oeuvre notoire de littérature haineuse anti-juive ? Malgré le fait que «Protocoles des Sages de Sion» soit reconnus comme étant l'un des plus célèbres canulars littéraires de toute l'histoire de l'humanité, Mouammar a pourtant cherché à plaider l'ignorance. «Quand nous avons entendu dire que ça causait des problèmes, nous avons jeté dans les poubelles les exemplaires qui nous restait», se défend-il. Puis, il ajoute: «Nous avons vu que cela n'avait rien à voir avec la religion, alors nous l'avons jeté.» Regrets sincères ou molles dénégations faites sans grande conviction ? À vous d'en juger ! Mouammar et la guerre du Koweït Sur la scène internationale, l'année 1990 se termine sur une note pour le moins inquiétante. La menace d'un conflit armé entre l'Irak de Saddam Hussein et une coalition militaire multinationale dirigée par les États-Unis plane alors depuis plusieurs mois déjà, soit depuis l'invasion du Koweït par l'armée irakienne, le 2 août 1990. Alors que la tension ne cesse grimper, et ce, tant au Canada qu'au niveau international, Youssef Mouammar, lui, ne trouve apparemment rien de mieux à faire que de jouer au pompier-pyromane, prétendant éteindre un feu qu'il est lui-même en train d'alimenter. Mais avant d'examiner de plus près les interventions médiatiques de Mouammar lors de cette crise, une petite mise en contexte au niveau international s'impose. Pour l'administration de George Bush, qui est le premier ex-directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) à devenir président des États-Unis (4) et père de l'actuel président américain, il n'est pas question de laisser le dictateur irakien annexer le Koweït. Surtout que l'expansionnisme irakien donne des sueurs froides aux autres pétromonarchies voisines du golfe arabo-persique, à commencer par l'Arabie saoudite, où la famille royale, fidèle alliée de Washington, compte sur les États-Unis pour assurer sa protection. Alors que l'année 1990 tire à sa fin, le risque de guerre ouverte devient jour après jour plus réel au fur et à mesure que se rapproche l'échéance de l'ultimatum lancé à l'attention de l'Irak par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU) donnant à Saddam Hussein jusqu'au 15 janvier 1991 pour retirer inconditionnellement ses troupes du Koweït, à défaut de quoi l'usage de la force pourrait être utilisée. Dans le golfe arabo-persique, quelques 600 000 militaires américains et de pays alliés font alors face à 540 000 soldats irakiens. De leur côté, les Forces armées canadiennes contribuent de façon plus modeste à cette démonstration de force militaire, déployant deux destroyers et 18 chasseurs-bombardiers sous le motif officiel de veiller au respect de l'embargo commercial, financier et militaire imposé à l'Irak par l'ONU quatre jours à peine après l'invasion du Koweït. C'est alors que le régime irakien cherche à donner une nouvelle dimension au bras de fer qui l'oppose à Washington. Dans une tentative de rallier le monde musulman en sa faveur, le Parti Baas du président Hussein, qui n'a pourtant rien d'un islamiste lui-même, brandit ouvertement la menace d'un vaste djihad (guerre sainte islamique) anti-américain à l'échelle planétaire. Le 30 décembre, le parti Baas publie une déclaration dans laquelle il affirme que des guérillas musulmanes sont prêts à s'en prendre aux «intérêts vitaux» du gouvernement américain à travers le monde. Le même jour, Bagdad annonce avoir convoqué 350 représentants de groupes islamistes provenant de 17 pays musulmans différents pour prendre part à une «conférence populaire islamique» le 9 janvier prochain en vue d'élaborer «une stratégie destinée à contrer une éventuelle agression américaine». Qu'il s'agisse de bravades sans lendemain ou non, ces déclarations menaçantes vont avoir pour effet de fournir l'excuse nécessaire à toutes les agences de renseignement du monde occidental, dont le SCRS, pour avoir à l'oeil les membres des communautés arabo-musulmanes en général et les ressortissants irakiens en particulier. Ainsi, le 31 décembre 1990, les journaux canadiens révèlent que de hauts stratèges militaires, des membres des forces de l'ordre et des services de renseignements ont conçus un plan d'intervention «très spécifique» visant les ressortissants irakiens vivant au Canada. Certains d'entre eux sont déjà sous la surveillance des autorités canadiennes, lesquelles sont en contact avec leurs homologues américains, apprend-on également. (5) Notons que la source de cette information est identifié comme un «interlocuteur du service de renseignements» (autrement dit, le SCRS), «désirant garder l'anonymat». Cette intervention médiatique mérite un commentaire. Dans le monde de l'espionnage, révéler à une cible qu'elle est sous surveillance représente un véritable péché capital, une telle indiscrétion pouvant entraîner l'avortement d'opérations de renseignement sophistiquées. Or, tout porte à croire que ce coulage d'information de nature confidentielle fut cautionnée au plus haut niveau. Car dans le cas contraire, le service de renseignement en question aurait assurément déployé de vastes ressources pour identifier les auteurs de la fuite et les enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) se seraient mis de la partie en perquisitionnant les bureaux des médias, comme ils le font habituellement dans ce genre d'affaire. La question qu'il reste maintenant à poser est : quel était le but recherché par ce coulage d'information ? Une seule hypothèse semble possible : le SCRS veut que les communautés arabo-musulmanes sachent qu'elles sont dans le collimateur des services secrets. Pourquoi ? Hé bien, sans doute les penseurs du SCRS s'imaginent-ils qu'une fois que les membres de ces communautés se sauront sous surveillance, cela refroidira les ardeurs des plus agités d'entre eux. Autrement dit, le SCRS miserait ici sur un effet dissuasif. Quatre jours plus tard, Youssef Mouammar entre en scène. Alors que plusieurs intervenants cherchent à calmer le jeu et à apaiser les esprits, Mouammar, lui, dénonce le gouvernement, la police et même les médias canadiens, tel un franc-tireur fou ouvrant le feu sur tout ce qui bouge. «La police et le gouvernement canadien sont contrariés par la présence de musulmans au Canada», avance-t-il au journal The Gazette. (6) Selon Mouammar, Ottawa mijoterait un plan destiné à contrer une hypothétique menace de la part de musulmans canadiens. «Plusieurs personnes pensent qu'en cas de guerre dans le golfe Persique, il y aura des actes terroristes au Canada,» clame-t-il. Mouammar affirme aussi avoir vu des types à bord de camionnettes prenant des photos de musulmans quittant la mosquée après la prière du vendredi. «Nous sommes certains que plusieurs enquêteurs infiltrent et se renseignent sur différentes associations musulmanes au Canada», dit-il. «Nous sommes convaincus que de nombreux musulmans figurent déjà dans les fichiers de police.» Cette bruyante intervention de la part de Mouammar semble venir confirmer les propos de cette source anonyme des services secrets canadiens. Bref, Mouammar et le SCRS donnent l'impression d'agir en symbiose. Mais ce n'est pas tout. Comme il doit aussi continuer à se faire passer pour un fidèle défenseur des intérêts de la communauté musulmane, Mouammar appelle à la formation d'un comité parlementaire pour examiner les mesures prises par les autorités canadiennes à l'égard des minorités religieuses en général et la communauté musulmane en particulier. Enfin, Mouammar se plaint également de la récente couverture médiatique, reprochant aux grands journaux d'avoir publiés «plusieurs commentaires, photos et caricatures qui confondait la religion islamique avec les terroristes ou Saddam Hussein.» Mais lorsqu'il est invité à fournir un seul cas spécifique impliquant un journaliste, Mouammar se montre incapable d'en citer un seul. Soulignons que les propos pour le moins alarmistes que tient Mouammar ne passent pas inaperçus dans la presse anglo-canadienne. Ces déclarations en effet sont reprises non seulement dans les pages du quotidien The Gazette, mais aussi dans celles du Toronto Star (7), du Calgary Herald (8) et du Vancouver Sun (9). Notons toutefois que les dénonciations de Mouammar ne trouvent aucun écho dans la presse francophone québécoise. Chose certaine, Mouammar aurait voulut exacerber les tensions qu'il ne s'y serait pas pris autrement. En fait, ses interventions contribuent à mettre en place un climat de peur à travers le Canada. À Vancouver, Emile Nukho, président par intérim du Comité canadien-arabe anti-discrimination, confirme qu'une «atmosphère d'inquiétude» s'est développée depuis que les médias avaient fait état d'une surveillance accrue de la part des services de renseignement canadiens et américains. (10) Ce climat de paranoïa collective est d'ailleurs d'une grande utilité dans un contexte où le gouvernement conservateur de Brian Mulroney cherche à amener une opinion publique réticente face à une participation canadienne à la guerre, selon les sondages, à se résigner à accepter la mise en place d'une série de mesures de sécurité. En effet, des policiers armés de mitraillettes et des chiens de garde chercheurs de bombes font leur apparition dans les grands aéroports canadiens tandis que la fouille de tous les bagages devient systématique. Entre-temps, le 5 janvier, Mouammar est à nouveau abondamment cité dans un article du journal The Gazette. Cette fois-ci, il s'en prend à la population canadienne, qu'il accuse d'entretenir un racisme anti-musulman latent. «Dans la communauté en général, il y a une certaine quantité de racisme fondée sur la religion», déplore Mouammar. (11) «Il y a des gens qui pensent que si vous êtes musulman, ça veut dire que vous êtes automatiquement un terroriste et que vous supportez Saddam Hussein,» note-t-il, avant d'ajouter: «Mais évidemment c'est complètement faux.» Mouammar tient également à préciser que le conflit du golfe est politique et non pas religieux. «Saddam a fermé des mosquées en Irak», rappelle-t-il. «Le support des musulmans à son égard est loin d'être universel.» On aura comprit que Mouammar n'est pas un fan du despote irakien. Il convient de noter que Mouammar est loin d'être la seule personnalité à soulever des inquiétudes à l'égard du traitement des communautés arabo-musulmanes à l'approche du déclenchement des hostilités dans le golfe. Mais son ton virulent tranche nettement avec celui de tous les autres porte-paroles qui se sont exprimés publiquement à ce sujet jusqu'à présent. Bref, Mouammar détonne. Puis, Mouammar change brusquement son fusil d'épaule. Dans un article paru dans le quotidien The Globe and Mail le 12 janvier, le porte-parole de la FICM dit ne plus craindre le harcèlement des autorités canadiennes contre la communauté musulmane. (12) Désormais, c'est la montée alléguée de l'intolérance au sein de la population canadienne qui figure au centre de ses préoccupations. «Il y a déjà un certain degré de racisme dans la société en général», lance Mouammar. «Mais dernièrement», signale-t-il, «j'ai senti davantage d'hostilité, de peur, lorsque les gens réalisent que je suis musulman ou que je porte un nom arabe. Je veut qu'ils me voient comme un Canadien.» (13) Le 16 janvier, dix-neuf heures après l'expiration de l'ultimatum de l'ONU, la coalition multinationale dirigée par les États-Unis déclenche l'Opération «Tempête du désert», qui consiste en des bombardements à saturation contre des objectifs civils et militaires irakiens. En une seule nuit, des chasseurs-bombardiers des forces coalisées larguent sur l'Irak et le Koweït des centaines de missiles dont la puissance explosive combinée est équivalente à celle de la bombe atomique qui avait dévastée Hiroshima, en 1945. Durant cette période, les cas de harcèlement et de profilage racial se multiplient d'un bout à l'autre du Canada, ne se limitant plus aux Irako-Canadiens mais s'étendant aux citoyens canadiens originaires des divers pays du Proche-orient. Au 7ième jour de la guerre, James Kafieh, le président de la Fédération Canado-Arabe, révèle que son organisme a récemment reçu 55 plaintes contre le SCRS de le part de citoyens canadiens d'origine arabe vivant à Montréal, Toronto et Edmonton. (14) M. Kafieh dénonce notamment le fait que des agents du SCRS s'invitent sans s'annoncer chez des gens. Durant certaines visites, les agents de renseignement montrent même des photos de certains individus prises lors de manifestations en faveur des droits du peuple palestinien ou contre la guerre dans le golfe. (15) Après les allégations de prises de photos des fidèles musulmans sortant de la mosquée, voici maintenant des clichés de citoyens arabo-canadiens prenant part à des manifestations! Mais quel message le SCRS cherche-t-il à passer en exhibant ces photos, sinon celui-ci : restez donc chez vous, c'est encore la meilleure façon pour que votre tête ne se retrouve pas dans un des albums photos des services secrets canadiens ! Si l'on peut parler ici profilage racial, dans la mesure où les «enquêtes préventives» du SCRS visent exclusivement des membres des communautés arabo-canadiennes, il est tout aussi vrai de parler de profilage politique puisque les agents de renseignement montrent également de l'intérêt envers les prises de position des individus interrogés sur la guerre ou le régime de Saddam Hussein. Le SCRS évaluera à environ 200 personnes le nombre d'individus interrogés par ses agents, avant et pendant le conflit. (16) Un chiffre qui soulève le doute chez M. Kafieh. Se basant sur une formule utilisée par la Commission ontarienne des droits humains, selon laquelle pour chaque plainte reçue il existerait cinq autres plaignants potentiels qui préfèrent garder le silence, Kafieh en arrive à une estimation s'élevant à entre 500 et 1000 personnes. (17) Notons que tout ce branle-de-bas de combat sécuritaire n'aboutira à aucune accusation, ni à la découverte d'aucun complot terroriste quel qu'il soit. Et pendant ce temps, Mouammar, qui avait été l'un des premiers à monter aux barricades pour dénoncer le fichage des musulmans canadiens demeure étrangement muet comme une carpe et ne fait plus parler de lui dans les journaux. En fait, la seule intervention de Mouammar qui est rapportée dans les médias écrits durant la guerre consiste à dénoncer... Saddam Hussein ! Les prises de position de Mouammar semblent donc coïncider une fois de plus avec la politique étrangère d'Ottawa, comme on l'avait vu à l'époque de l'affaire de Salman Rushdie, deux ans plus tôt. Ici, c'est une attaque-missile irakienne contre l'Arabie saoudite lancée au même moment où le président Hussein lance un nouvel appel au djihad qui fait sortir Mouammar de ses gonds. «Dans la religion musulmane, la guerre sainte est invoquée lorsque ses disciples se voient dans l'impossibilité de pratiquer leur religion», explique Mouammar à la journaliste Caroline Montpetit du Devoir. «Hussein utilise surtout cet argument pour diviser la coalition anti-irakienne, alors que tout le monde sait qu'il est athé. Il bombarde l'Arabie saoudite, où se trouve La Mecque, ville sainte par excellente des musulmans.» (18) Le 21 janvier, soit le lendemain de l'attaque irakienne, qui n'a pas été d'un grand succès d'ailleurs, Mouammar fait distribuer auprès des médias un communiqué dans lequel il condamne Saddam Hussein, l'accusant d'être à la fois «un agnostique, un monstre et un agent de Satan.» Selon Mouammar, en prenant pour cible le royaume saoudien, le président irakien vient de dépasser les bornes. «Nous ne pouvons tolérer», lit-on dans le communiqué, «que cette terre soit bafouée par les barbares de Saddam Hussein, qui ne sont entraînés que pour violer, torturer et tuer.» Et Mouammar de conclure: «Les récentes attaques au missile contre l'Arabie saoudite sont une preuve supplémentaire que Saddam Hussein, l'agent de Satan, est un grand ennemi de l'islam.» (19) Les «enquêtes préventives» des services secrets canadiens sur les communautés arabo-musulmanes eurent un impact aliénant qui se prolongea bien au-delà de la guerre du golfe. Certains parleront même de conséquences sur la sécurité nationale du Canada, dans la mesure où les mauvaises relations qui se développèrent entre le SCRS et les communautés arabo-musulmanes limiteront la capacité de l'agence de renseignement à recruter du personnel arabophone. (20) Enfin, l'attitude pour le moins méprisante de John Bassett (21), président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), le soi-disant «chien de garde» du SCRS, achèvera de miner la confiance de nombreux membres des communautés arabo-musulmanes envers les services secrets canadiens. Ainsi, le CSARS ne s'est pas seulement contenté de blanchir ceux-ci, estimant qu'il n'existait «aucune preuve à l'effet que le SCRS s'est livré a du harcèlement» à l'égard des communautés arabo-canadiennes. Bassett a aussi cru nécessaire de blâmer M. Kafieh d'avoir « agit d'une manière on ne peut plus irresponsable.» Le président du CSARS s'est même abaissé à insinuer publiquement que les dénonciations de la Fédération Canado-Arabe étaient «probablement motivées par un 'agenda privé' ou un «désir de publicité.» (22) De son côté, Kafieh réagissa à ce douteux procès d'intention en déclarant que M. Bassett lui donnait l'impression d'être un «partisan enthousiaste» du SCRS. (23) Quant à la guerre elle-même, celle-ci prend fin le 28 février 1991, avec l'évacuation des troupes irakiennes du Koweït. Les pertes de la coalition pro-américaine se chiffrent à 240 morts et 776 blessés. Du côté irakien, l'ampleur des pertes en vies humaines s'élèverait à 40 000 militaires tués, 5000 civils tués lors des bombardements, auxquels il faut ajouter environ 100 000 morts civiles durant les mois qui suivront immédiatement la guerre, notamment des suites de l'embargo draconien imposé par l'ONU. (24) Malgré leur victoire écrasante, les États-Unis se gardent bien de renverser le dictateur irakien, qui en profite alors pour réprimer les soulèvements des chiites irakiens, dans le sud, et des kurdes, dans le nord du pays. Pour l'administration Bush, les avantages du maintien au pouvoir de Saddam Hussein semblent l'emporter sur les inconvénients appréhendés d'une intervention militaire américaine en sol irakien. Ainsi, la menace potentielle que représente en permanence le despote irakien procure aux États-Unis l'alibi idéal pour prolonger leur présence militaire dans la péninsule arabique. Par contre, la présence de troupes «infidèles» deviendra elle-même une source d'instabilité politique pour les régimes qui en sont les bénéficiaires, à commencer par l'Arabie saoudite où un vétéran notoire de la guerre d'Afghanistan multiplie les dénonciations publiques à l'endroit de la famille royale, qu'il juge inféodé à Washington. Cette figure montante de l'islamisme radical saoudien va bientôt faire parler de lui à l'échelle planétaire, au point où il réussira même à détrôner Saddam Hussein sur le podium du «vilain du jour» une décennie plus tard. Son nom: Oussama ben Laden. Mouammar et la crise politique algérienne Toujours considéré par de nombreux journalistes comme un porte-parole légitime, voire incontournable, de la communauté musulmane montréalaise, Youssef Mouammar se sert de sa position privilégiée de figure médiatique pour s'improviser en commentateur engagé de la crise politique algérienne. Alors que l'année 1992 devait représenter l'aboutissement du processus de démocratisation algérien, elle marquera plutôt le début d'une longue descente aux enfer pour ce pays du Maghreb. Suite aux émeutes d'octobre 1988, le Front de libération nationale (FLN), l'ex-parti unique qui gouverne l'Algérie depuis 1962, s'engage dans un fragile processus de démocratisation sous haute surveillance. L'Algérie assiste alors à l'émergence de partis politiques ouvertement islamistes. Le plus connut d'entre eux, le Front islamique du Salut (FIS), s'impose rapidement en tant que première force politique du pays. Le FIS aspire avant tout à généraliser l'application de la Charia (la Loi islamique). À sa fondation en mars 1989, le FIS se fixe une série d'objectifs politiques, parmi lesquels figurent «la réforme de la famille.» Il s'agit ici de «garantir le travail du père» tout en excluant les femmes du marché du travail, sauf celles qui sont divorcées et les veuves démunies. Le FIS souhaite également voir à la création de banques islamiques et «mettre un terme à l'expropriation abusive et à la redistribution féodale des terres.» Le 26 décembre 1991 se tient le premier tour des premières élections législatives pluralistes depuis l'indépendance de l'Algérie. En dépit d'un taux d'abstention très prononcé, le scrutin est marqué par une nette victoire du FIS, qui rafle 47.3% des suffrages. Avec 188 des 430 sièges que compte l'Assemblée nationale, le FIS semble assuré de former le prochain gouvernement algérien. Le Front des Forces Socialistes (FFS) de Hocine Aït Hamed, un des chefs historiques de la guerre d'indépendance, arrive deuxième, avec vingt-cinq sièges. Le FLN subit quant à lui une sévère raclée, et doit se contenter de seulement quinze sièges. Précisons que 199 sièges restent encore à pourvoir lors du second tour prévu pour le 16 janvier suivant et qu'il ne manque au FIS que 28 sièges pour avoir la majorité absolue. À Montréal, Youssef Mouammar réagit à ces résultats par voie de communiqué en clamant que la FIMC est «très heureuse de l'éclatante victoire remportée par le FIS.» Le communiqué réclame également «la libération immédiate de tous les membres du FIS arrêtés.» (25) Les leaders du FIS sont en effet emprisonnés à la prison militaire de Blida depuis six mois. Puis, le 11 janvier, coup de théâtre: le président algérien Chadli Bendjedid, qui avait envisagé la «cohabitation» avec le FIS, annonce sa démission en direct à la télévision. Les blindés se déploient ensuite dans les rues des grandes villes du pays. Le coup d'état «constitutionnel» de l'armée algérienne vient de commencer. Le lendemain, le «Haut Conseil de sécurité» algérien, qui a pris «provisoirement» la direction du pays, annonce l'annulation du second tour du scrutin. Naturellement, cette dramatique aggravation de la situation politique devient le sujet de discussion de l'heure au sein de la diaspora algérienne. Le 13 janvier, La Presse publie un article intitulé «La crise politique algérienne divise les Algériens de Montréal.» Pour nous expliquer ce qui divise «les Algériens de Montréal», le journaliste Raymond Gervais donne la parole à deux personnalités locales, soit Ali Haouchine et... Youssef Mouammar. (26) D'un côté, nous avons M. Haouchine, qui présente une position de type «démocrate.» Pour lui, les Algériens, notamment les femmes, sont menacés par l'intégrisme prêché par le FIS, à qui il reproche d'utiliser la religion à des fins politiques. Puis, de l'autre côté, il y a Mouammar, qui affiche un parti-pris pro-FIS évident. Dans son article, M. Gervais cite d'ailleurs un extrait d'un communiqué émis par la FIMC de Mouammar: «Le peuple algérien qui a démocratiquement élu le 26 décembre dernier des représentants du FIS aux élections législatives, doit pouvoir par le même processus, confirmer sa décision en infligeant une écrasante défaite aux ennemis de l'Islam unis derrière le FLN et le Front des forces socialistes (FFS).» Une semaine plus tard, La Presse publie la lettre d'un lecteur fort mécontent de l'article de M. Gervais. Le lecteur dénonce le fait que ledit article «ne reflète pas du tout la réalité de notre communauté, qui est majoritairement démocratique.» Il déplore également que l'article ai «largement cité» les propos tenus par «l'intégriste Youssef Mouammar», qui, rappelle-t-il, «n'est pas un Algérien». Enfin, la lettre s'en prend aux positions émises par Mouammar, en écrivant que «sa dénonciation du FFS comme «ennemi de l'Islam» - le FIS lui-même n'est jamais allé si loin - relève à la fois d'une ignorance inouïe des réalités algériennes et d'un fanatisme débridé.» (27) Pendant ce temps, la situation se détériore rapidement en Algérie. Le FIS réagit au coup d'état en appelant l'armée et le peuple à lutter contre le pouvoir. Le 14 janvier, l'armée confie le pouvoir à un «Haut Comité d'État», présidé par Mohamed Boudiaf, un ex-membre fondateur du FLN exilé au Maroc depuis vingt-huit ans. Le 9 février, l'état d'urgence est instauré, de nombreux droits constitutionnels sont suspendus. Les membres du FIS sont arrêtés par milliers et l'usage de la torture se généralise. Les prisons sont tellement pleines que des camps d'internement sont mis sur pied dans le désert du Sahara. La crise politique algérienne franchit dès lors le point de non-retour. Ces événements ne sont que le prélude à la longue guerre civile qui va meurtrir et terroriser une bonne partie de l'Algérie pendant près de dix ans. Quant à Youssef Mouammar, il n'a pas finit de fourrer son nez dans la crise algérienne, loin de là. Un nouvelle orientation Au cours de la même année, Mouammar voit sa propre carrière prendre une nouvelle orientation. C'est en effet à partir de 1992 que Mouammar lance une campagne internationale d'intimidation, consistant essentiellement à faxer des communiqués de menaces en Algérie, en France, en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni et ailleurs. Employant une rhétorique volontairement incendiaire, les communiqués incitent ouvertement le recours à la violence, allant jusqu'au meurtre, notamment contre les adversaires du FIS et autres soi-disant «ennemis de l'islam.» La liste des groupes et individus désignés pour cibles ne cessera de s'allonger, au point où à un certain moment elle incluera même le légendaire juge anti-terroriste français, Jean-Louis Bruguière, dit «l'Amiral» ! Bizarrement, Mouammar ne déploie pas beaucoup d'efforts pour camoufler le fait qu'il est l'auteur de ces menaces écrites. Il pousse même l'audace jusqu'à les signer de son propre nom, du moins au début. On peut cependant imaginer qu'un individu qui dispose de «commanditaires» aussi puissants que ces intrigants maître-marionnettistes du SCRS puisse facilement se sentir envahi par un sentiment d'impunité totale. Les événements qui vont suivre vont d'ailleurs lui donner entièrement raison. Car si les communiqués de Mouammar font l'objet de diverses enquêtes policières, son auteur, lui, ne sera jamais formellement inculpé, ni au Canada, ni ailleurs, pour ses écrits enflammés. La raison est simple: Mouammar travaille encore et toujours pour les services secrets de l'État canadien, ce qui le place définitivement au-dessus des lois, qu'elles soient canadiennes ou internationales ! Le lien GIA-Canada: c'était lui ! En novembre 1994, des journaux canadiens rapportent l'existence d'une connexion canadienne avec le Groupe islamique armé (GIA), considéré comme étant le plus radical des groupes de guérillas algériens opposé à la junte militaire. Or, un journaliste de La Presse va bientôt découvrir que ce mystérieux lien canadien avec le GIA repose essentiellement sur un seul homme, un Montréalais du nom de... Youssef Mouammar ! Il convient tout d'abord de noter que le GIA va lui-même devenir très controversé au sein de la mouvance islamiste, tant algérienne qu'internationale. Contrairement aux dirigeants du FIS, désormais dissous par les militaires, le GIA s'oppose farouchement à toute idée de «dialogue» avec la «junte impie» de même qu'à «toute trêve et toute réconciliation» pour mettre un terme à cette guerre civile qui a déjà coûté la vie à plus de 11 000 personnes à ce moment-là. Bref, le GIA se dit partisan du djihad jusqu'au renversement du régime et à l'établissement d'une république islamique en Algérie. C'est le GIA qui revendique la plupart des enlèvements et assassinats d'étrangers. La majorité des attentats contre les intellectuels, les journalistes ou les artistes lui ont d'ailleurs été imputés. Pourtant, à l'époque, des doutes pèsent déjà sur la véritable nature du GIA. Ainsi, même le journal français Le Monde, réputé sérieux, n'hésite pas à écrire que le GIA est «largement infiltré, au moins à ses débuts, par les services de sécurité algériens.» (28) Le 8 novembre 1994, à l'aube, une opération anti-terroriste d'envergure impliquant 300 enquêteurs de la police judiciaire et des Renseignements généraux est lancée dans diverses grandes villes de la France sous la direction du juge d'instruction parisien Jean-Louis Bruguière. Ce vaste coup de filet mène à l'arrestation de 95 personnes soupçonnées de participer à un réseau d'aide au GIA et aux maquis algériens. La plupart des présumés membres de ce réseau, surnommé le «réseau Chalabi» en référence aux frères Brahim et Mohamed Chalabi qui sont réputés en être les têtes dirigeantes, sont mis en examen pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.» Lors d'une conférence de presse, le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, parle des ramifications du «réseau Chalabi» dans les régions de Lille, Lyon et Marseilles, mais aussi à l'extérieur de l'Hexagone. Le ministre Pasqua cite à ce titre l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Italie et révèle même, en grande primeur, l'existence d'un lien avec le Canada. (29) Le lendemain, la nouvelle est reprise par au moins trois grands journaux du Canada anglais, qui rapportent que le réseau appréhendé en France était «lié au Canada.» L'un d'eux, le quotidiens Times-Colonist, de Colombie-Britannique, choisit même cette histoire pour en faire sa Une, sous le titre: «Un lien canadien est exposé alors que la France cible un réseau d'intégristes musulmans». Les deux autres journaux qui consacrent des articles sur cette affaire sont The Gazette et The Toronto Star. (30) Deux jours après les rafles en France, La Presse publie à son tour un article évoquant l'existence d'une soi-disante «filière canadienne d'appui logistique au Groupe islamique armé (GIA).» (31) L'article, signé par le journaliste Éric Clément, cite le porte-parole du ministre Pasqua, Pierre de La Coste, qui ne ménage pas ses efforts pour minimiser les implications possibles de cette connexion canadienne alléguée. «On en est au stade du renseignement», explique M. de La Coste. «Le réseau semble être soutenu et avoir des contacts au Canada mais il ne faut pas en tirer des conclusions alarmistes. Il semble que le réseau international soit plus développé en Angleterre qu'au Canada.» Contacté par La Presse, le SCRS se refusa à tout commentaire. Même chose du côté de la GRC et de la Sûreté du Québec. Citant une source diplomatique anonyme, le journaliste Clément indique que la GRC aurait «enquêté» il y a quelques années sur «un groupuscule d'islamistes purs et durs qui avait envoyé depuis le Canada à des journaux algériens de violents communiqués, notamment un qui encourageait l'assassinat du président Mohamed Boudiaf» (qui fut d'ailleurs lui-même assassiné par un sous-lieutenant de l'armée, le 29 juin 1992). Le communiqué en question a d'ailleurs été publié par un journal algérien. Plus intéressant encore, le journaliste Clément rapporte que l'«un des organisateurs du groupuscule était un «Canadien français» qui a connu le défunt ayatollah iranien Khomeiny lorsqu'il était réfugié en France.» La source diplomatique précise qu'à l'époque, ce même individu «voulait monter un groupe d'intégristes au Canada.» Bien que l'article n'identifie pas l'individu en question, il doit nous être permis d'avoir nos doutes à son sujet. Ainsi, par une «coïncidence» (!) pour le moins extraordinaire, Mouammar vivait en France à la même époque où Khomeiny s'y trouvait, avec un visa de touriste, pendant quelques mois, soit en 1978-1979, juste avant de regagner l'Iran qui était alors en pleine ébullition révolutionnaire. Un mois plus tard, soit le 14 décembre 1994, l'affaire des communiqués violents rebondit à la Une de La Presse. Cette fois-ci, un nouvel article de M. Clément, écrit en collaboration avec son collègue Gilles Toupin, confirme non seulement que les communiqués provenaient bel et bien de Montréal, mais révèle par-dessus le marché qu'ils étaient rédigés sur du papier à entête de la FIMC et étaient signés «Dr Youssef Mouammar» ! (32) L'un de ces communiqués, daté simplement du «04.05.92», et portant d'ailleurs l'ancien numéro de télécopieur de la FIMC, incite la «Communauté Musulmane Internationale et Algérienne en particulier de lutter sur le sentier d'Allah, par tous les moyens possibles, pour éliminer les membres du Haut comité d'État, les préfets, les commissaires de police, les généraux, les colonels, leurs familles et leurs collaborateurs, qui s'opposent anticonstitutionnellement et illégalement par la force à la volonté librement exprimée du peuple Algérien». Un autre communiqué, celui-là daté du 9 février 1994, se veut également un plaidoyer endiablé en faveur de la lutte armée, invitant «tous nos combattants à frapper de toutes leurs forces pour débarrasser le pays de ces despotes au pouvoir». À la longue liste de personnes ciblées déjà citées dans l'extrait ci-haut s'ajoute cette fois-ci «les étrangers qui refusent de quitter l'Algérie». Mouammar nia tout, en plaidant à qui voulait bien l'entendre qu'il était possible de faxer un document en imprimant le numéro de celui d'une autre personne. Mais la députée libérale Fatima Houda-Pépin, première femme musulmane québécoise à être élue à l'Assemblée nationale, est loin d'être dupe. Estimant que le temps est venu «de tirer la sonnette d'alarme», Mme Houda-Pépin affirme au journaliste Clément que l'intégrisme musulman est devenu une question extrêmement grave au Québec. (33) Profitant de la période des questions, la députée libérale requiert l'intervention du gouvernement, alors dirigé par Jacques Parizeau du Parti québécois, interpellant plus spécifiquement le ministre de la Justice, Paul Bégin, lui demandant quels moyens «entend-il prendre pour mettre fin à ces incitations au terrorisme et à l'assassinat politique qui sont diffusées au Québec et à l'étranger à partir du territoire québécois.» Mais le ministre se montre incapable de répondre. (34) Il faudra attendre plusieurs années avant d'obtenir la confirmation non seulement de la collusion entre Mouammar et le GIA, mais aussi du rôle de facilitateur que joua le SCRS au niveau des communications entre les deux. Ainsi, dans un long article du journaliste André Noël, paru dans La Presse en décembre 2001, on apprenait que le SCRS se chargeait de traduire de l'arabe au français les messages en provenance du GIA que recevait Mouammar. Le GIA figure aujoud'hui sur la liste canadienne des entités terroristes. (35) Mouammar et la destruction d'Israël À l'automne 1994, Youssef Mouammar fait également parler de lui dans les grands journaux montréalais en raison de sa virulente propagande anti-israélienne, qui constitue une autre facette de sa campagne d'intimidation internationale. D'abord, le 29 octobre le journal The Gazette révèle qu'une lettre anti-israélienne portant l'en tête de la FIMC avait été interceptée en France par le Centre Simon Wisenthal. «Nous devons déclarer une guerre sans pitié contre les sionistes et leurs alliés jusqu'à ce que le drapeau de l'islam flotte au-dessus de Jérusalem,» (36) lit-on. La lettre incite tous les musulmans à «torpiller et à saboter» l'accord de paix israélo-palestinien jusqu'à «la disparition définitive d'Israël de la carte du monde.» (37) Bien que ce document soit signé «Dr Youssef Mouammar», Mouammar lui-même affirme qu'il s'agit d'un faux fabriqué par des gens désireux de nuire à la Fondation et à lui-même. «Des extrémistes de n'importe quel camp aurait pu faire ça pour me discréditer,» plaide-t-il. The Gazette rapporte toutefois que le groupe de Mouammar se dit favorable à l'usage du terrorisme en vue d'accomplir la destruction d'Israël et la création d'un état palestinien, tout en précisant que la violence doit rester à l'intérieur des frontières israéliennes et des Territoires occupés. Puis, le 15 décembre, le journaliste Éric Clément de La Presse rapporte que Mouammar est au centre d'une nouvelle controverse anti-israélienne. Cette fois-ci, l'affaire concerne un message proféré sur un ton menaçant qu'il a laissé sur le répondeur du Comité Canada-Israël, le 15 octobre précédent. (38) «Oui bonjour mon nom est Youssef Mouammar de la Fondation musulmane du Canada,» peut-on entendre au début du message. «L'heure est venue que vous pogniez les bateaux et que vous retourniez. Israël n'a jamais été chez vous. La Palestine appartient aux Palestiniens et vous allez vraiment sortir d'Israël... et après, vous sortirez d'ailleurs. Et il faut être convaincu de ça.» Deux jours plus tard, un membre du Comité Canada-Israël apporte la cassette du message de Mouammar à la police montréalaise. Les policiers rendent la cassette à Daniel Amar, du Comité, quelques jours plus tard. Amar résume ainsi la conversation qu'il a eu avec les policiers : «Quand je leur ai demandé s'il y aurait une suite, l'un d'eux m'a dit que cela ne justifiait pas une enquête. «Vous trouvez?» lui ai-je répondu. Il m'a alors dit que si je n'étais pas content, je n'avais qu'à contacter cette personne (M. Mouammar).» Contacté par téléphone par La Presse la veille de la parution de l'article de M. Clément, Mouammar admet qu'il était «peut-être» l'auteur du message. En dépit de ce quasi-aveux, l'affaire en restera là. «Selon nos directives, ce n'est pas un crime haineux», affirme la police de Montréal. Un point de vue que ne partage pas M. Amar, qui voit quelque chose d'haineux dans le fait que Mouammar eut proclamé haut et fort son désir «de sortir les Israéliens d'Israël mais aussi d'ailleurs, donc sous-entendu du Québec et du Canada.» (39) Mouammar et la journaliste Gillian Lusk Alors que l'année 1994 touche à sa fin, il est devenu clair que Mouammar commence à générer beaucoup trop de publicité négative. C'est probablement pour cette raison qu'il est sur le point d'adopter un profil bas au niveau médiatique. Mais avant qu'il ne fasse cela, un nouvel article du journaliste Clément paraît dans La Presse, en février 1995, révélant que Mouammar vient de faire une autre victime, cette fois-ci une journaliste britannique qui sera plus tard identifiée comme étant Gillian Lusk. Voici son histoire. (40) Au début de l'année 1994, Mme Lusk prend part à une émission radiophonique européenne au cours de laquelle elle critique le régime soudanais, alors sous l'influence du Front islamique national de Hassan al-Tourabi. Mme Lusk écrit d'ailleurs sur le Soudan depuis 1975. Puis, le 2 janvier 1994, une station de radio reçoit un communiqué signé «Dr Youssef Mouammar», décrivant la journaliste comme étant une «ennemie de l'islam.» «Le Peuple Musulmans (sic) doit éliminer tous les ennemis de l'islam et Mme Lusk en fait partie,» clame le communiqué. Gillian Lusk ne prend pas cette menace à la légère. Ne se sentant plus en sécurité chez elle, elle part vivre chez un ami pendant quelques temps. Elle fait aussi changer ses serrures et installe un système d'alarme. Enfin, elle porte plainte à la police britannique, laquelle entre en contact avec la GRC et le SCRS. Le 11 janvier suivant, un représentant de la GRC la rencontre en Europe et cherche à la rassurer. Le 20 janvier, le SCRS communique à son tour avec Mme Lusk. Une personne affirmant avoir appris cette affaire par un agent secret canadien déclare à La Presse que «la journaliste a trouvé que les services secrets canadiens avaient pris l'affaire de façon très décontractée, comme si les agissements de Youssef Mouammar ne les inquiétaient pas outre mesure, comme s'ils le connaissaient très bien.» Le SCRS a ainsi dit à la journaliste Lusk que «M. Mouammar n'était peut-être pas si dangereux qu'il en avait l'air», que «ces menaces de sa part étaient une habitude» et qu'il était «bien connu des autorités.» On apprendra beaucoup plus tard que la GRC avait souhaité que des accusations soient portées, mais un procureur de la Couronne provinciale avait estimé que les preuves étaient insuffisantes. Un «Comité de surveillance» dépourvu d'autorité À la même époque, le CSARS décide qu'il est temps de sonner la fin de la récréation. Le CSARS demande alors à l'agence de renseignement de couper les ponts avec son informateur qui se montre de plus en plus embarrassant. Il faut aussi dire que c'est l'époque de la lutte au déficit, sous la direction du gouvernement libéral de Jean Chrétien. Avec un déficit annuel atteignant 42 milliards$, la précarité des finances publiques du Canada est telle qu'Ottawa présente la situation comme un nouveau péril éclipsant tous les autres, incluant celui de la soi-disante menace terroriste. Même le SCRS n'est pas épargné par les compressions budgétaires. Ainsi, le 28 mars 1995, le SCRS apprend que son budget sera amputé de 23 %, passant de 207 millions$, pour l'année en cours, à 159 millions$, en 1997-1998. Dans ce contexte, les services dispendieux d'un informateur comme Mouammar n'ont plus leur place. Cependant, lutte au déficit ou pas, le SCRS ne prend apparemment pas d'ordres de qui que ce soit. Les services secrets canadiens ne pouvant apparemment envisager la vie sans Mouammar, le SCRS va donc continué à travailler avec sa «taupe islamiste» préférée en la rémunérant via une «petite caisse noire» ! De toute façon, que vouliez-vous que le CSARS fasse d'autre ? «Le rôle du CSARS est de conseiller et de mettre en garde,» (41) lit-on sur son site web. Autrement dit, le CSARS n'a qu'un pouvoir de recommandation et ne peut exercer aucune autorité pour contraindre le SCRS à faire quoi que ce soit. Le chien de garde peut japper, si l'envie lui prend, mais ne peut pas mordre. Ainsi l'a voulut le législateur canadien ! Bien entendu, le CSARS n'était pas particulièrement enchanté lorsqu'il découvrit que le SCRS n'en avait fait qu'à sa tête. Dans son rapport annuel 1997-1998, le Comité écrit qu'il fut «inquiété» par la décision du SCRS de «rétablir ses rapports avec la source à la suite de la suspension.» (42) Le rapport indique par ailleurs que cette décision du SCRS aurait été principalement basé sur «la possibilité que la source lui fournisse par la suite d’importants renseignements.» Le CSARS ne précise cependant pas si les contribuables canadiens en ont vraiment eu pour leur argent... «Abou Djihad» entre en action De 1996 à l'an 2000, le nom de Youssef Mouammar disparaît purement et simplement des journaux canadiens. Ce n'est pas que le «Dr Mouammar» a décidé de prendre sa retraite. C'est juste que le volubile personnage n'a eu d'autre choix de se faire discret puisqu'il est supposé de ne plus vivre au crochet du SCRS. Or, non seulement Mouammar continue-t-il sa campagne d'intimidation, mais ses menaces écrites deviennent de plus en plus violentes. Cependant, Mouammar se devait de se montrer un petit peu plus prudent dans ses méthodes de travail, car le SCRS n'avait aucun intérêt à ce que son informateur soit identifié comme étant à l'origine de communiqués menaçant le recours à d'horribles actes de terrorisme meurtrier. Une telle affaire n'aurait sans doute pas été sans rappeler la sombre époque où une informatrice de la police de la ville de Montréal, Carole Devault, alias «Poupette», avait rédigée une dizaine de communiqués signés du Front de libération du Québec (FLQ), durant les années '70 (43). Mouammar dû donc procéder à certains ajustements opérationnels. Jusqu'à présent, il signait ses communiqués «Dr Youssef Mouammar» sur du papier à entête de la FIMC. Désormais, à partir de 1996, la signature change pour «Abou Djihad» du soi-disant «Front Islamique Mondial». Mais l'auteur demeure le même. Bien que Mouammar cessa de faire parler de lui dans la presse canadienne, le but visé par sa campagne d'intimidation consistait à générer une couverture médiatique mettant en évidence la menace du terrorisme islamiste. Ainsi, l'une des caractéristiques communes des nombreux communiqués que l'informateur du SCRS expédia tant au Canada qu'à l'étranger, entre 1996 et 1999, était qu'ils étaient systématiquement destinés à des organes d'information médiatiques. Voici quelques exemples: -Le 24 juillet 1996, le «Front islamique mondial» envoie un fax au bureau de Washington de l'Agence France-Presse, déclarant: «Les populations civiles américaines et françaises doivent s'attendre à des actions importantes, principalement aux États-Unis et en France, ainsi les hommes, femmes et enfants de ces pays pourront aussi connaître l'horreur des bombes et la douleur de perdre des êtres chers.» (44) -En novembre 1997, lorsque Mouammar décide de prendre pour cible le juge français Jean-Louis Bruguière, en le menaçant d'une «vengeance impitoyable et exemplaire», la taupe du SCRS n'oublie pas d'inclure les médias de masse sur sa liste d'envois : des copies sont ainsi faxés à des journalistes français en poste à Paris et à Montréal. (À l'époque, des agents du SCRS interviennent pour empêcher la GRC de révéler au juge Bruguière que Mouammar travaille pour eux). -Le 4 mars 1998, un communiqué du «Front islamique mondial pour promouvoir l'internationalisation de la lutte armée» menaçant le métro de Montréal d'un attentat terroriste à l'arme biochimique est remis à un employé du réseau souterrain de transport en commun et transmis à certains médias, dont le Journal de Montréal. «Sur chacune des lignes du métro de Montréal, il y a une bombe,» lit-on. «Si nos textes ne sont pas rendus publics à la radio et à la TV internationales, les trois bombes seront déclenchées simultanément par trois frères combattants à l'heure que nous jugerons (le 4 mars entre 8 heures et 22 heures).» Ainsi, l'accès aux médias se trouve au centre des revendications de cette nouvelle initiative de l'informateur du SCRS ! -Enfin, de mars à juin 1999, Mouammar expédie de 40 à 50 communiqués à des journaux américains et européens, ainsi qu'au Liban. Dans seize d'entre eux, Mouammar revendique même la contamination des produits de Coca-cola en France et en Belgique ! (Cette mystérieuse affaire de contamination, qui eut lieu en juin 1999, força d'ailleurs le géant américain des boissons gazeuses à organiser le plus important rapatriement de produits de toute son histoire : 160 millions de bouteilles et de canettes Coca-cola doivent être retirées du marché.) (45) Dans le quatrième article de cette série de cinq, nous examinerons comment Mouammar fut à l'origine d'un plus gros canulars de l'histoire du journalisme au Québec. Notes et sources: (1) Toronto Star, «Leader of revolt studied at Ryerson», Andrew Duffy and Jennifer Gould, July 29 1990, p. A1. |
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