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Pour une enquête publique sur les agents provocateursAnonyme, Monday, August 27, 2007 - 07:08
Alexandre Popovic
À Montréal et ailleurs, il y a longtemps que les rumeurs sur l'utilisation d'agents provocateurs lors de manifestations vont bon train. Avec l'affaire des trois agents (dé)masqués de la Sûreté du Québec au Sommet de Montebello, l'existence du phénomène tend à se confirmer. C'est le temps où jamais pour demander la tenue d'une enquête publique indépendante pour vider la question une fois pour toutes. AGENTS PROVOCATEURS Quand le mythe devient réalité Alexandre Popovic * MONTRÉAL, le 27 août 2007. Dans le milieu militant, la présence d'agents provocateurs au sein de manifestations a longtemps fait figure de légende urbaine: la plupart des activistes en ont déjà entendu parler, mais rares sont ceux qui peuvent avancer des preuves concrètes démontrant de façon convaincante l'existence de ce phénomène. Le rôle allégué des agents provocateurs est un refrain connut, particulièrement au Québec où l'on se souvient encore des coups tordus de la l'«escouade des méfaits» de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) durant les années '70. On connaît la chanson par coeur: pratiquement à chaque fois qu'une manifestation vire le moindrement à la casse, il se trouve presque toujours quelqu'un pour voir dans ces gestes la main invisible d'agents clandestins de l'État. Parfois, les soupçons apparaissent fondés, tandis qu'à d'autres occasions on semble plutôt avoir affaire à des accusations gratuites lancées à tort et à travers, parfois dans le but de discréditer des groupes précis ou certains types de tactiques controversées. Bref, ce n'est pas d'hier que ces énigmatiques agents provocateurs inspirent toutes sortes de rumeurs et autres théories de la conspiration à toutes fins pratiques invérifiables, alimentant la paranoïa des uns et le scepticisme des autres, selon le cas. Et il en fut ainsi jusqu'au Sommet de Montebello, qui réunissa sous forte protection policière les présidents américain George W. Bush Jr, mexicain Felipe Calderón et le premier ministre canadien Stephen Harper pour discuter du projet de Partenariat de Sécurité et de Prospérité (PSP), les 20 et 21 août 2007. Désormais, les preuves existent. Que les sceptiques se le tiennent pour dit: vous êtes confondus ! Et cela, on le doit à un simple vidéo amateur d'une durée de cinq minutes, filmé par un manifestant originaire de la Colombie-Britannique, le 20 août, et diffusé sur le site internet YouTube.com. Ces images fort révélatrices, qui ont été visionnées à pas moins de 190 000 reprises en l'espace de seulement trois jours, ont fait le tour de la planète dans le temps de le dire. Le court métrage montre trois types costauds, dont le visage est en bonne partie masqué par des foulards, qui se tiennent à proximité d'une ligne de policiers antiémeute de la Sûreté du Québec (SQ), dans le stationnement d'une station service de Montebello. L'un d'eux tient une roche dans les mains. Les trois individus sont rapidement confrontés verbalement par David Coles, président du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP), qui les informe qu'ils ne sont pas bienvenu à cet endroit en des termes on ne peut plus clair: "Put the rock down, this is our line. This is for old guys, grandmothers, grandfathers." Malgré son insistance, le dirigeant syndical se fait bousculer et envoyer paître par les types masqués. La scène attire l'attention et un attroupement prend forme. Quelques manifestants accusent alors les trois types d'être des policiers, certains allant jusqu'à chercher à leur arracher leur foulard. "These three guys are cops, everybody!", se met à crier Coles. "Put down the rock, cop!", dit-il ensuite. Si le but de ces types était passer inaperçus, alors le moins que l'on puisse dire c'est que c'est plutôt raté. D'ailleurs, au lieu de quitter, le trio s'approche de la ligne antiémeute. L'un d'eux se penche vers l'oreille d'un des policiers en uniforme de combat de la SQ, à qui il semble murmurer quelques mots. Puis, les trois types masqués feignent de forcer la ligne policière, et sont subséquemment immobilisés au sol, menottés et arrêtés. Certains observateurs n'ont pas manqué de souligner que la douceur utilisée par les policiers, qui contrastait grandement avec les quatre autres arrestations de manifestants survenus au cours de la même journée à Montebello. Aucun des trois types n'a offert de résistance tandis que les policiers ne déployèrent pas la rudesse coutumière dont ils font généralement preuve en pareille circonstance. Mais même cet ultime effort pour se faire passer pour d'authentiques délinquants se retournera éventuellement contre le trio. Sur une photo prise par un autre manifestant lors de l'«arrestation», on peut en effet apercevoir clairement que les semelles de bottes des types masqués et celles des agents de la SQ portent le même petit emblème de couleur jaune au centre, laissant supposer qu'ils chaussent le même modèle. Pour couronner le tout, on apprend qu'aucun des trois types n'est accusé. Ce petit vidéo suscitera de nombreux commentaires de part et d'autres. Sur la scène politique fédérale, l'opposition ne tarde pas à s'emparer de l'affaire. Ainsi, les agissements des trois types masqués sont condamné par la porte-parole de l'opposition libérale en matière de justice, Marlene Jennings. Députée de la circonscription fédérale de Notre-Dame-de-Grâce-Lachine depuis juin 1997, Mme Jennings a été membre de la Commission de police du Québec (1988-1990), puis commissaire adjointe à la déontologie policière au Québec (1990-1997). Pour la députée Jennings, c'est une chose que d'avoir à l'oeil les trouble-fêtes potentiels, mais c'en est une autre que de jouer le rôle d'instigateurs. (1) Le critique du Bloc québécois en matière de sécurité publique, le député de Marc-Aurèle-Fortin, Serge Ménard, se met également de la partie. «On veut savoir quel était le rôle du cabinet du premier ministre Harper, du ministre de la Sécurité publique [Stockwell Day] et de leurs homologues du Québec dans la direction des forces de sécurité qui agissaient à Montebello», dit Ménard. (2) Rappelons que M. Ménard était le ministre de la sécurité publique du Québec lors du Sommet des Amériques à Québec, en avril 2001, lors duquel la police a fait usage de plus de 5000 canettes de gaz lacrymogènes, en plus de tirer des balles de caoutchouc par centaines. Avant de se lancer en politique, M. Ménard a aussi été avocat pour la Fraternité des policiers de Montréal, défendant notamment le constable Allan Gossett, qui avait abattu un jeune homme de race noire du nom de Anthony Griffin, alors que celui-ci avait le dos tourné, en novembre 1987. Dans un entretien avec The National Post, Doug Kirkland, un ex-policier d'Ottawa à la retraite qui compte une certaine expérience dans le domaine des manifestations, a réagit avec incrédulité aux images diffusés sur YouTube. Ne pouvant pas croire que les trois types masqués sont de la police, M. Kirkland préféra avancer l'hypothèse qu'il s'agisse plutôt de membres d'une agence de sécurité privée. «Honnêtement, je ne peut pas imaginer aucun policier en position de commandement mettre trois personnes plus mal assortis dans ce type de situation», dit-il. (3) Après avoir vainement cherché à nier l'évidence pendant deux jours, la SQ ne voit plus d'autre choix que d'avouer, par la voie d'un communiqué diffusé le 23 août (4), que les trois types masqués étaient bel et bien des leurs. Cette fois-ci, on peut dire que la Sûreté s'est vraiment fait prendre les culottes baissées ! Devant une performance aussi peu subtile, on se doute bien qu'aucun de ces trois zigotos ne risque de se retrouver en nomination pour le Jutra du meilleur acteur cette année ! Dans son communiqué, la SQ déclare être «maintenant en mesure de confirmer que ces individus sont des policiers de la Sûreté du Québec». Afin de limiter les dégâts, le communiqué dit aussi ceci: «Les policiers ont été repérés par les manifestants au moment où ils ont refusé de lancer des projectiles. En aucun temps, les policiers de la Sûreté du Québec ont agi comme agents provocateurs ou commis des actes criminels.» Le lendemain, la Sûreté tient un point de presse pour commenter à nouveau l'affaire. Voici le récit offert par l'inspecteur Marcel Savard, de la direction des enquêtes criminelles: «Ils avaient le mandat de repérer et d'identifier les manifestants non pacifiques ainsi que prévenir les débordements. Ils s'étaient donc intégrés à un groupe de manifestants qui comptaient des éléments extrémistes. Ces derniers ont identifié nos policiers, qui n'ont pu poursuivre leur mandat. C'est au moment où ils étaient repoussés par ce groupe qu'ils se sont retrouvés au sein d'un groupe de manifestants pacifistes.» (5) «C'est un incident qu'on n'aurait pas souhaité», admet d'ailleurs l'inspecteur Savard. De son côté, son collègue, l'inspecteur Marcel Rivard, laisse aussi entendre que la Sûreté pourrait agir autrement à l'avenir. «Si les méthodes sont à changer, soyez assurés que ce sera fait», dit-il. «Tout cela sera révisé et réévalué.» (6) Cet engagement ne veut évidemment pas dire que les taupes de la SQ ne récidiveront pas à la première occasion venue. Enfin, la Sûreté continue de soutenir que la roche que leur agent tenait dans sa main lui avait été fournie par des manifestants, et que ceux-ci l'aurait encouragé à la lancer en direction de la police. «Ce qu'on voit dans la vidéo n'est qu'une partie des événements», plaide l'inspecteur Rivard. «On a fourni une roche à l'agent, qui n'a jamais eu l'intention de la lancer.» Explications qui sont aussitôt reprises intégralement par le ministre Stockwell Day, qui a évidemment rejeté les appels à tenir une enquête publique sur cette affaire. «Ils ont été encouragés à lancer des pierres et ils n'en ont pas lancé, c'est les manifestants qui ont lancé des pierres. Voilà l'ironie de l'affaire», dit M. Day. «Parce qu'ils ne se sont pas lancés dans des actes de violence, il a été noté qu'ils n'étaient probablement pas des manifestants. Je crois que ça en dit long sur les manifestants violents». (7) Or, M. Coles réfute catégoriquement cette version des faits : «Je témoignerai devant un tribunal que ces gars-là mentent». (8) Bien entendu, les aveux de la SQ ne font rien pour apaiser les critiques, bien au contraire. «Voir des policiers déguisés en manifestants, pierre à la main, comme on l'a vu cette semaine, est questionnable au plan éthique puisque leur présence dans la foule peut avoir l'effet contraire à celui recherché», dit le député Ménard. «Les agents masqués ont mis de l'huile sur le feu au lieu de désamorcer la situation», croit Martin Courcy, psychologue spécialisé en sécurité et en gestion de conflits et de crises qui a conseillé un certain nombre de corps policiers québécois, incluant la SQ. (9) Selon lui, le simple fait qu'un des agents masqués tenait une roche représente en soi un acte de provocation. «Dans ce cas-ci, ils n'ont pas désamorcé la situation, ils ont provoqué le conflit», affirme-t-il, tout en déplorant l'amateurisme flagrant des trois agents. «Ce n'était pas des professionnels de l'infiltration», conclut M. Courcy, qui s'était fait connaître du grand public par ses analyses qu'il a livré lors du Sommet des Amériques d'avril 2001 sur les ondes du Réseau de l'information. (10) «C'est d'une telle stupidité. Le blason de la Sûreté est terni», juge pour sa part Ronald Melchers, criminologue à l'Université d'Ottawa. «Les agents étaient déguisés pour l'halloween, pas pour une manifestation syndicale.» Criminologue à l'Université de Montréal, Denis Szabo estime quant à lui que les trois agents se sont fait démasqués comme des novices. «Les gens ont raison de trouver ça ridicule», dit-il. «Tout le monde sait qu'il y a de l'infiltration, mais il ne faut pas se faire prendre.» «L'habit ne fait pas le moine» Il n'y a rien de particulièrement étonnant à ce que la SQ persiste dans son refus de reconnaître que les agissements du trio s'apparentent à ceux d'agents provocateurs. Toutefois, compte-tenu de l'accablante preuve vidéo disponible sur YouTube et des témoignages rapportés par les médias de masse, il revient évidemment à la SQ de démontrer que les trois agents déguisés n'avait aucune intentions belliqueuses. Si les trois policiers avaient pour mission «de repérer et d’identifier les manifestants non pacifiques», comme le prétend la SQ dans son communiqué, comment la police provinciale peut-elle alors justifier le fait que l'un d'eux transportait une pierre, non pas dans sa poche, non pas dans son sac à dos, qui semblait assez bien remplis d'ailleurs, mais bien dans sa main à la vue de tous ? Comment le fait de se pavaner en possession d'un projectile potentiel a-t-il aidé ce policier en civil à être davantage efficace à remplir ses fonctions ? Son accoutrement d'«agitateur professionnel», avec foulard noir et pantalons de combat, n'était-il pas suffisant pour lui ? Après tout, même en supposant qu'un manifestant lui aurait vraiment donné cette pierre, cela ne l'obligeait pas à se promener avec en la tenant bien en évidence dans sa main ! Voici ce que répond à ce sujet l'inspecteur Savard : «Le policier doit d'abord assurer sa sécurité et s'assurer que ce qu'il présente comme image répond à l'environnement.» Steve Roberts, ex-enquêteur de la police de Montréal, abonde dans le même sens. «Ils ne doivent pas se faire brûler au travail», déclare M. Roberts sur les ondes de CTV, avant d'ajouter: «Alors s'ils sont avec un groupe qui lancent des roches, ils lanceront des roches eux aussi» Pour lui, il n'est donc pas question qu'un policier en civil se risque à faire les choses à moitié. À la limite, un tel raisonnement tiendrait davantage la route si ce policier en civil s'était retrouvé au beau milieu d'une bataille rangée opposant le Black Bloc à ses confrères en uniforme antiémeute. Compte tenu de ces circonstances pour le moins périlleuses, le policier aurait effectivement eu beau jeu d'argumenter que le fait de tenir une pierre dans ses mains aurait servi à protéger sa couverture, en lui permettant de mieux se fondre dans un environnement plutôt hostile. Or, dans le cas de la scène de Montebello immortalisée sur bande vidéo, on était bien loin de l'émeute. «Nous et des membres de d'autres syndicats et organisations étions sur place depuis plusieurs heures sans créer de problèmes», explique M. Coles pour décrire l'ambiance qui régnait à cet endroit juste avant l'incident. «Au moment des incidents, nous formions une ligne entre les policiers et un groupe de six ou sept jeunes manifestants qui étaient assis sur la route. La zone de turbulence était beaucoup plus loin.» (11) En fait, la scène captée sur vidéo se déroulait bien avant les échauffourées entre certains manifestants et policiers qui éclatèrent en fin de journée, le 20 août. La présence de cette pierre semblait si inutile et impertinente quelle contribua vraisemblablement à attiser les soupçons à l'égard de celui qui la tenait et à trahir ultimement son identité réelle. Maintenant, poussons à l'extrême le raisonnement mis de l'avant par l'inspecteur Savard. Imaginez, par exemple, une horde de manifestants aguerris faisant pleuvoir les cocktails Molotov sur les forces de l'ordre. Les agents en civil vont-ils les imiter aussi pour ne pas se faire «brûlés» ? On est en droit d'en douter... Personnellement, je peut vous dire que j'en ai vu souvent des flics en civil – qui se font aussi appelés agents dépisteurs dans le jargon policier – dans des manifestations à Montréal au cours des dernières années. J'en ai vus équipés de téléphones cellulaires. J'en ai vu équipés de caméra vidéo, dont un qui tenta tant bien que mal de me faire avaler qu'il n'était qu'un simple «journaliste» lors de la plus récente manifestation du 1er mai à Montréal (un «alibi» qui s'effondrera d'ailleurs de lui-même lorsque deux autres confrères, c'est-à-dire des agents en civil, accoururent à sa rescousse). Mais je n'en avait jamais vu avec des roches dans les mains jusqu'à présent. Peut-être avais-je mal regardé ? Alors, les trois agents masqués de Montebello étaient-ils des agents provocateurs ou pas ? Moi, j'ai pour mon dire que si ça sent la merde, si ça ressemble à de la merde et si ça goûte la merde, hé bien ça doit vraiment être de la merde ! Pas besoin de s'appeler Sherlock Holmes pour en arriver à une telle conclusion ! Plus sérieusement maintenant, cette affaire ouvre nécessairement la porte à toutes sortes de questions dont on trouvera difficilement les réponses à moins qu'une enquête publique indépendante ne soit instituée afin de faire toute la lumière sur l'utilisation des policiers en civil lors de manifestations. Le SCEP et le Syndicat canadien de la fonction publique ne sont d'ailleurs pas les seuls à exiger la tenue d'une enquête publique pour déterminer si la police a cherché à provoquer la violence lors des manifestations contre le Sommet de Montebello. Les éditorialistes du Toronto Star (12) et du Edmonton Journal (13) en ont fait autant. De plus, les résultats d'un sondage d'opinion mené par le quotidien torontois The Globe and Mail au cours de cette fin de semaine rapporte que 63% (ou 6596 votes) des participants sont favorables à une telle enquête, contre 37% (3860 votes) qui se prononcent contre. Même un journal comme le National Post, dont la réputation d'apologiste de la police n'est plus à faire, est à cours d'excuses pour justifier le comportement de la Sûreté, obligeant ainsi un de ces chroniqueurs, Yoni Goldstein (14), à faire quelque chose qui répugne le très-à-droite quotidien en temps normal, c'est-à-dire : donner raison à des manifestants altermondialistes ! La première question qui vient naturellement à l'esprit est la suivante : combien de fois est-ce arrivé par le passé que des policiers déguisés se soient fait passer pour des casseurs potentiels lors de manifestations ? Car on s'imagine bien que ce n'est certainement pas la première fois que la SQ a recours à de tels stratagèmes machiavéliques. Et combien y en avait-il d'autres de ces policiers déguisés ? Des témoins rapportent en effet avoir vu plusieurs autres types aussi louches que les trois qui sont en vedette sur le site de YouTube. La GRC avait-elle ses propres enquêteurs en civil au milieu des manifestants ? Sans oublier bien sûr les discrets agents du Service canadien de renseignement de sécurité: étaient-ils eux aussi fidèles au rendez-vous ? Deux présumés agents en civil – un homme et une femme -- furent rapidement repérés sur un campement, situé à quelques kilomètres du Château de Montebello, où dormirent de nombreux manifestants durant la nuit du 19 au 20 août. C'est d'ailleurs au cours de cette nuit-là que tous les masques à gaz qui traînait à cet endroit furent mystérieusement perforés à l'arme blanche. Les deux présumés agents ne semblent toutefois pas être en cause dans cet acte de sabotage puisque leur tente fut surveillée durant toute la nuit. Expulsés du camp dès la matinée au cours d'une assemblée, le duo protesta à peine de son innocence avant de plier bagage. Autre question : le policier masqué qui déambulait avec une roche bien en évidence dans la main a-t-il fait preuve d'un excès de zèle ou son comportement s'inscrivait-il dans le cadre d'une stratégie de provocation plus vaste destinée à la fois à légitimer les mesures de sécurité draconiennes entourant le sommet de Montebello et à ternir la réputation des opposants au PSP auprès de l'opinion publique ? Pourquoi, par exemple, avoir déployé l'escouade antiémeute autour du périmètre de sécurité, tôt en début de journée du 20 août, sous le regard incrédule des manifestants pacifiques mobilisés par le Conseil des canadiens, et ce, bien avant que le premier projectile ne soit lancé en direction des policiers, si ce n'est que pour mettre en place un climat de tension propre à favoriser les débordements en tous genres et à fournir l'excuse idéale pour que les flics puissent varger dans le tas ? Et pourquoi la police antiémeute a-t-elle usée de la force pour repousser une foule qui ne cherchait qu'à remettre aux responsables du sommet une pétition de 10 000 noms critiquant le PSP ? Les autorités auraient misé sur l'affrontement qu'elle n'aurait pas agit autrement. Il convient ici de remarquer que le droit à la «réunion pacifique» reconnut par la Charte canadienne des droits et libertés est loin d'être absolu. Ainsi, à partir du moment où ladite «réunion» perd son caractère pacifique, celle-ci cesse de jouir de la protection offerte par la Charte. Autrement dit, en cherchant à travestir le caractère pacifique d'une manifestation, le but recherché par la police se résume à priver les opposants de leurs droits démocratiques. Bref, lorsque «la paix est troublée tumultueusement», ce qui est ici un euphémisme pour définir juridiquement une émeute, ce sont les policiers qui jouissent alors de tous les droits. Enfin, il y a aussi cette déclaration provoquante qu'a fait le premier ministre Stephen Harper le 20 août, en réaction aux manifestations contre le sommet Montebello: «J'ai entendu dire que ce n'est rien. Quoi, il y en a quelques centaines? C'est pitoyable.» On aurait dit que ces propos, qui «ressemblaient presque à une invitation à faire mieux», comme le nota Hélène Buzzeti du quotidien Le Devoir (15), trahissaient un sentiment de déception chez le leader conservateur canadien. Comme si le leader conservateur canadien avait souhaité que le grabuge soit au rendez-vous à Montebello et que le Black Bloc se montre à la hauteur de sa réputation. Aussi, avec les révélations sur la présence de policiers infiltrés aux allures d'agents provocateurs, les paroles de Harper prennent un tout autre sens. Délire conspirationniste ? Peut-être. Mais un brin de paranoïa vaudra toujours mieux qu'une foi aveugle envers les autorités étatiques ! Des points d'interrogation qui s'accumulent Il convient de noter qu'il n'y a absolument rien de nouveau dans le fait que des policiers en civil infiltrent les rangs de manifestants. Il s'agit-là d'une pratique courante que les policiers d'ici et d'ailleurs utilisent depuis belle lurette. D'ailleurs, ces apprentis «James Bond» se font souvent repérer par les manifestants qui ont le sens de l'observation. Lorsqu'ils sont démasqués, les agents dépisteurs peuvent réagir différemment. Certains peuvent pousser l'audace jusqu'à nier agressivement leur appartenance aux forces de l'ordre. Dans le cas de Montebello, les trois agents en civil ont feint de forcer la ligne de policiers antiémeute pour se faire ensuite immobilisés, menottés et arrêtés. Aucun d'eux ne fut toutefois formellement accusé. Notons que ce n'est pas la première fois que la police procède à de fausses arrestations de faux manifestants (qui sont de vrais policiers). Il vaut la peine de rappeler ici le cas singulier du constable Benoît Charron, alias «Pat», Service de police de la ville de Montréal (SPVM), qui fut arrêté à au moins trois reprises lors de manifestations à Montréal, entre les années 2000 et 2002. Suite à l'arrestation de masse du 1er mai 2000, à Westmount, l'agent Charron fut inculpé de trois infractions criminelles sous la fausse identité qu'il donna aux policiers et à son avocat, ce dernier l'ayant représenté devant la cour municipale durant les trois années de procédures judiciaires qui suivirent cet événement sans savoir que son client était en réalité un constable en devoir. À ma connaissance, rien n'indique que le comportement du constable Charron fut digne de celui d'un agent provocateur lors des manifestations auxquelles il a prit part. Il n'en demeure pas moins que ce cas particulier illustre de façon éloquente jusqu'où la police est prête à aller en terme de mensonge et de duperie pour dissimuler les activités plutôt questionnables des agents de l'État. Je m'en voudrais de passer sous silence les conséquences possibles sur le plan judiciaire de la présence de policiers déguisés en fauteurs de trouble. Ceux qui, comme moi, ont déjà subit un procès pour «attroupement d'illégal» savent pertinemment bien que les procureurs de la poursuite n'ont aucune hésitation à «colorer» leur preuve en invoquant la présence de gens masqués, auxquels elle attribue des intentions malveillantes du fait de la dissimulation délibérée de leur identité. Pour ne citer qu'un exemple, dans le jugement daté du 14 novembre 2000 rendu dans la cause la Reine c. Aubré, la juge Louise Baribeau de la cour municipale de Montréal écrit ceci: «Dans le présent dossier la preuve démontre que certains des manifestants étaient masqués et certains insultaient les clients du restaurant. Il est évident de la preuve qu'il ne s'agissait pas d'une manifestation purement pacifique.» Grâce à la magie de l'internet, lorsque les procureurs de la poursuite tenteront d'influencer le jugement du tribunal en présentant des images de manifestants au visage camouflé, la défense pourra alors inviter le juge à faire une petite visite sur YouTube... Il est rare de connaître l'étendue de ce type de présence policière clandestine, qui peut parfois prendre des proportions étonnantes. Je citerai ici le cas de la manifestation de la Journée internationale contre la brutalité policière du 15 mars 2000, à Montréal. Vous savez, il s'agit de cette fameuse manif lors de laquelle trois restaurants McDonalds et un poste de quartier furent saccagés avant que les bataillons antiémeute du SPVM ne reçoivent l'ordre d'intervenir. La répression policière s'était soldée par 112 arrestations. Ce qui est moins connu, cependant, c'est qu'il se trouvait pas moins de dix-neuf policiers en civil infiltrés au coeur de la manifestation, tel qu'il le fut révélé à l'occasion de l'enquête préliminaire qui s'était tenue à la cour municipale de Montréal dans cette affaire. Pour une foule comptant plus ou moins 300 personnes, il s'agit d'un nombre important. Bien entendu, compte tenu du déroulement particulier de cet événement, on serait tenté de croire que ces dix-neuf policiers en ont vu de toutes les couleurs ce jour-là. Or, il semble au contraire que non puisque leurs observations avaient apparemment si peu de valeur qu'aucun d'entre eux ne fut assigné à témoigner lors de l'enquête préliminaire et du procès qui s'ensuivit. Les explications pour le moins boiteuses des procureurs de la poursuite à ce sujet en ont d'ailleurs laissé plus d'un perplexe, en particulier à la lumière du fait que la plupart des auteurs des nombreux actes de vandalisme qui sont survenus ce jour-là n'ont jamais été identifiés. Notons que la poursuite s'est toujours objectée à divulguer l'identité de ces dix-neuf policiers. La tenue du sommet du G20, à Montréal, en octobre 2000, fut un autre événement qui attira une quantité significative de policiers en civil. Après avoir été contrainte par la cour supérieure du Québec de divulguer le nombre d'agents dépisteurs assignés à la manifestation contre la réunion du G20, les procureurs de la couronne révélèrent la présence de vingt-quatre agents en civil de la SQ et d'au moins huit autres policiers du SPVM. Il n'est pas superflu de noter ici que certains des participants à la manifestation croient avoir identifié au moins un agent provocateur sur l'une des bandes vidéo qui fut déposée en preuve au procès. En effet, le comportement d'un individu habillé de blanc, que l'on peut apercevoir haranguant la police et lançant au moins deux projectiles en leur direction, laisse place au doute en raison du fait qu'il n'a jamais arrêté en dépit qu'il fut visiblement à la portée des policiers, lesquels préférèrent plutôt coffrer une vingtaine de manifestants assis par terre et faisant de signes de «paix». Les mêmes questionnements réapparurent ensuite lorsque les vitrines de certains commerces du centre-ville montréalais volèrent en éclat lors d'une manifestation contre la tenue d'un mini-sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en juillet 2003. Aucun des auteurs des actes de vandalisme ne furent appréhendés. Par contre, l'escouade antiémeute du SPVM encercla une foule pacifique comptant plus de 300 personnes, de nombreux pâtés de maison plus loin. Les accusations d'«attroupement illégal» portées contre les opposants à la réunion de l'OMC furent ensuite abandonnées en raison du refus de la part du SPVM de se conformer à une ordonnance rendue par quatre juges de la cour municipale de Montréal qui lui enjoignait de divulguer à la défense les communications orales des policiers lors de cette opération. Quel genre de secrets pouvait-il être si important à protéger aux yeux du SPVM au point d'en arriver à saboter les procès d'«attroupement illégal» de plus de deux cents accusés, lesquels sont aujourd'hui partie prenante d'un recours collectif contre la ville de Montréal ? Encore une fois, force est de constater que l'esprit cachottier des policiers n'inspire guère la confiance, bien au contraire. Toutes ces questions sans réponses qui s'accumulent avec les années représentent autant d'arguments en faveur d'une enquête publique indépendante portant non seulement sur les pratiques de la SQ, mais aussi celle du SPVM, en matière de tactiques d'infiltration de manifestations et de mouvements politiques dissidents. Enfin, comment passer sous silence la célèbre affaire Germinal, un groupe d'affinité mis sur pied en vue du Sommet des Amériques, d'avril 2001, qui avait été infiltré par deux agents de la GRC -- Nicolas Tremblay et André Viel -- pendant plusieurs mois. Notons que le groupe Germinal existait préalablement à l'infiltration policière, ce qui signifie que les agents doubles sont montés à bord d'un train qui était déjà en marche. Une fois que la répression s'est abattu, les membres de Germinal demeurés en liberté n'ont pas hésité à dire que leur groupe prônait l'autodéfense contre les forces de l'ordre et que son objectif consistait à abattre la clôture faisant office de périmètre de sécurité autour du site qui accueillera la rencontre des 34 chefs d'États et de gouvernement des Amériques. Quant aux deux agents d'infiltration, ils se montrèrent des partisans enthousiastes des objectifs visés par le groupe Germinal. Donc, l'escouade conjointe de policiers de la SQ et de la GRC qui enquêtait depuis des mois sur ce groupe attendit jusqu'à trois jours avant l'ouverture du Sommet pour procéder au démantèlement spectaculaire du groupe Germinal dans un grand coup d'éclat médiatique. Lors d'une importante conférence de presse tenue le 18 avril 2001, qui sera largement couverte par tous les grands médias d'un bout à l'autre du pays, les porte-paroles policiers annoncent l'arrestation de six jeunes individus qu'ils accusent d'avoir comploter un méfait causant un danger réel pour la vie des gens et des biens, de possession de «substances explosives» avec l'intention de s'en servir et de vol de matériel militaire. Sous le flash des appareils-photos des photographes des grandes quotidiens, la police exhiba fièrement le matériel saisi lors des perquisitions chez les membres du groupe. Le «butin» incluait cinq boucliers et cinq bâtons, quatre lance-pierres avec des billes de verre et d'acier, cinq masques à gaz et trois pièces pyrotechniques, ainsi que des casques et... des copies du défunt journal anarchiste Le Trouble (qui avait d'ailleurs pour devise «Quant tu l' cherches, tu l'trouves»). Un septième individu faisant l'objet d'un mandat d'arrestation sera par la suite arrêté à son tour. Mais avant, il cherchera à rétablir les pendules à l'heure lors d'une rencontre avec un journaliste du Devoir (16). Il affirmera que les «substances explosives» dont parle la police sont en fait quatre bombes fumigènes, qui ne font que produire un épais nuage de fumée non-nocive, et trois simulateurs de grenade (aussi appelés «Thunder Flash»), c'est-à-dire des «petits bâtonnets imitant le bruit d'explosifs». Enfin, il reprocha au principal agent d'infiltration d'avoir agit comme un agent provocateur, en incitant notamment les membres du groupe à bien s'équiper et à s'armer davantage. «Sans lui, on aurait tout de même fait ce qu'on voulait faire, mais on aurait été beaucoup moins équipés. (...) Il nous a notamment fourni le matériel pour les boucliers, soit du styromousse et du ruban adhésif. Après être devenu un membre en règle, le policier a insisté pour se charger de certaines tâches, comme la nourriture lors de notre camp d'entraînement.» Considérés comme des «dangers» pour la société, cinq des accusés furent détenus pendant plus de quarante jours avant de pouvoir être libérés sous conditions, incluant un couvre-feu de 21h à 7h. Le 21 mai 2002, le juge Pierre Rousseau déclara les sept accusés coupables de toutes les accusations portées contre eux. Ils écopèrent de peine d'emprisonnement avec sursis, prévoyant notamment de demeurer chez eux 24 heures par jour, sauf exception, durant les deux premiers mois de la sentence. À la lumière de tout ceci, on peut difficilement s'empêcher de s'interroger sur jusqu'où peuvent aller les agissements clandestins des policiers en civils. Va-t-on attendre que les choses dérapent sérieusement, que des agents doubles provoquent des incidents graves, avant que les autorités gouvernementales se décident à mettre sur pied une enquête publique pour se pencher sur le phénomène ? Une enquête publique ? L'affaire des trois agents masqués au Sommet de Montebello n'a pas seulement éclaboussée la police. Les politiciens, plus particulièrement les ministres responsables de la sécurité publique, tant au niveau provincial que fédéral, sont eux aussi sur la sellette. Étonnamment, malgré le fait que la SQ relève ultimement du gouvernement du Québec, l'affaire semble avoir fait davantage de vagues sur la colline parlementaire d' Ottawa plutôt que dans les milieux politiques de la ville de Québec. Mario Dumont, le leader de l'Action démocratique du Québec et chef de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale, n'avait pas grand chose à dire à ce sujet, à part de demander au ministre de la sécurité publique Jacques Dupuis une explication, laquelle ne viendra jamais d'ailleurs. La porte-parole du ministre a en effet affirmé que M. Dupuis ne commentait jamais les opérations policières tandis que Dumont n'a fait aucune critique du travail policier. Maintenant, au risque de me voir accusé de faire preuve d'une étonnante naïveté, j'avoue que j'ai effectivement tendance à croire les politiciens lorsqu'ils plaident l'ignorance dans ce genre d'affaire. En fait, je crois qu'il s'agit d'une ignorance délibérée, ou, si vous préférez, de l'aveuglement volontaire. Je pense que les politiciens sont généralement assez intelligents pour réaliser qu'il est dans leur propre intérêt d'en savoir le moins possible sur les activités clandestines de la police, dans l'espoir justement de réduire leur imputabilité au stricte minimum. D'ailleurs, cette façon de raisonner n'est pas sans rappeler le genre d'attitude qui est si commune et typique aux milieux criminels: le moins qu'on en sait, le mieux que c'est. Aussi, si les politiciens préfèrent ne pas trop poser de questions aux responsables policiers, c'est souvent parce qu'ils craignent les réponses. Et à voir comment les policiers agissent, on peut difficilement leur donner tort. C'est pourquoi les politiciens préfèrent jouer à l'autruche, quitte à sermonner les policiers si jamais, par la force des choses, la vérité sur leurs activités secrètes venaient à faire surface, comme cela vient d'arriver dans la foulée du sommet de Montebello. Là où s'arrête la déresponsabilisation politicienne, c'est au niveau des motivations qui poussent les policiers à agir de la sorte. Car c'est bien pour protéger les intérêts du gouvernement et de l'élite dirigeante que la police politique se livre depuis toujours à toutes sortes de coup tordus contre la dissidence. Quand les enquêteurs de la SQ sont allés interroger des militants défusionnistes, en octobre 2003, cette démarche coïncidait encore, et toujours, avec les intérêts du gouvernement. Quelles soient fondées ou non, les allégations d'agents provocateurs à Montebello viennent de semer le doute dans l'esprit du public, un doute qui risque fort de prendre racine de façon durable. Désormais, à chaque fois qu'une manifestation tournera au vinaigre, le public sera en droit de se demander si les fauteurs de trouble étaient des agents de l'État. Seule une enquête publique destinée à aller au fond des choses sera en mesure de dissiper cette suspicion. Si la confiance du public envers l'institution policière a encore un minimum de signification pour le gouvernement du Québec, alors une enquête publique indépendante s'impose. * Ex-militant du Collectif opposé à la brutalité policière, l'auteur est aujourd'hui représentant d'un recours collectif intenté contre la ville de Montréal et certains policiers en rapport avec l'arrestation de masse du 1er mai 2000, à Westmount. Sources: (1) The Canadian Press, «Opposition demands probe into police 'provocateurs' at summit», Joan Bryden, August 22, 2007. |
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