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Entre chien et loup (reprise d'un texte écrit autour du Sommet de 2001 : qu'est-ce qui a changé réellement depuis ?)

Anonyme, Thursday, August 9, 2007 - 02:30

Jean Rage

(D'une contestation de sommet à l'autre, qu'est-ce qui a changé fondamentalement depuis ?)

Réflexions sur les nouvelles mutations du capitalisme
Et sur les nouvelles conditions pour l'émergence
D'un mouvement révolutionnaire

Au regard du mouvement de contestation qui se déploie
actuellement face à la " globalisation " du
capitalisme, il est plus que nécessaire d'essayer de
comprendre où en est rendu le développement
capitaliste et dans quel cycle historique s'inscrit
cette contestation qui émerge depuis quelques années.
Car si une résistance à la restructuration
internationale de l'exploitation semble effectivement
prendre de l'ampleur, les bases sur lesquelles cette
résistance cherche son prolongement sont de toute
évidence discutables et à discuter.

La faiblesse des analyses et le manque évident de
compréhension des mutations actuelles du capitalisme
dans la dite " extrême-gauche " et la perte de sens
qui en découle quant au projet révolutionnaire sont
les principales raisons qui nous obligent à faire
cette critique ardue du mouvement actuel de
contestation. Cette critique qui va en irriter plus
d'une ou un se veut essentiellement une contribution
nécessaire au renforcement dialectique et
révolutionnaire du mouvement contestataire. Nous
reconnaissons sans problème que notre critique est en
grande partie négative/destructive et si nous la
reconnaissons comme telle, c'est parce que nous savons
pertinemment qu'elle contribuera davantage au
dépassement/renforcement du mouvement que l'attitude
généralisée d'évitement des conflits et de "
non-questionnement " qu'emprunte les différentes
organisations à l'intérieur du mouvement. (Selon nous,
cette attitude tire ses sources du " démocratisme
radical " qui fait la promotion de l'idéologie du
consensus et de la diversité des tactiques.) Donc,
loin de nous l'idée que certaines et certains ne
manqueront pas de nous coller de vouloir nuire au
mouvement par cette critique.

D'après nos réflexions, le mouvement qui émerge
actuellement est dans sa grande majorité emprunt de
deux formes dominantes d'une pratique
contre-révolutionnaire. D'un côté, nous définissons ce
qui historiquement à été qualifié de réformiste et qui
se caractérise par la mise en avant d'ajustement
structurel permettant aux contradictions du
capitalisme de s'atténuer de façon illusoire pendant
une durée indéterminée tout en donnant la chance à la
petite-bourgeoisie opprimée par le grand Capital de
défendre ses intérêts par le renforcement de l'État
(son appareil privilégié) et ainsi contribue à
l'affaiblissement général du mouvement de contestation
par un relâchement de la tension révolutionnaire. En
d'autres mots, le réformisme est le piège qui pousse
le mouvement révolutionnaire à refuser les
conséquences catastrophiques de sa mise en activité :
soit la provocation d'une crise dans le processus
d'accumulation capitaliste et la situation enfin créée
de ne pas reculer devant l'abolition du rapport de
production capitaliste. C'est principalement dans ce
sens que le réformisme est un piège dangereux et qu'il
faut absolument le rejeter. Croire comme le font
plusieurs que des réformes peuvent contribuer à
l'avancement du mouvement révolutionnaire c'est
oublier qu'historiquement le réformisme a été dans le
cœur de ce mouvement la contre-révolution permanente
qui a mené inévitablement à l'échec de la révolution
communiste du prolétariat et logiquement à son
écrasement par la bourgeoisie et la
petite-bourgeoisie.

De l'autre côté, le mouvement de contestation est
emprunt de ce que nous définissons par activisme et
qui se caractérise par la mise en avant d'activités
d'agitation/propagande offrant l'illusion que la
révolution surgira spontanément d'actions radicales
d'une minorité agissante ou encore d'alternatives
autogestionnaires appliquant les principes de la
démocratie directe et ainsi contribue à la confusion
déjà immense des véritables objectifs du mouvement
révolutionnaire et au retour dangereux des "
avant-gardes ". Trop souvent, nous avons remarqué que
les groupes, collectifs ou coalitions s'attaquant à
des symptômes particuliers du capitalisme
aboutissaient inévitablement à donner la priorité à la
réussite de leurs activités d'agitations/propagande
qu'à la discussion/compréhension de leur rôle comme
organisations spécifiques dans la lutte totale contre
le capitalisme. Ce qui a pour résultat de remettre à
plus tard la rupture d'avec les bases de
l'exploitation et de l'oppression qui concernent tout
le monde pour simplement se consacrer à trouver des
solutions immédiates qui ne peut que satisfaire la
minorité agissante concernée par la problématique.
Bref, ces organisations évacuent plus souvent
qu'autrement le débat de fond afin d'éviter
l'éclatement sous la pression des contradictions qui
les hantent, ce qui accélère la dégénérescence de
l'activité théorique du mouvement révolutionnaire et
précipite le mouvement dans la perte de ces objectifs.
(Cependant, nous ne valorisons pas pour autant le
confusionnisme intellectuel et universitaire qui
décompose la théorie révolutionnaire en d'innombrables
thèses partielles et parcellaires qui à pour
conséquence de la rendre incompréhensible et
complètement inutile.) Au bout du compte, la "
propagande par le fait " est une pratique insuffisante
parce qu'elle cherche à créer les conditions pour une
révolution en diminuant les possibilités de sa
réalisation.

Ce qui nous amène à conclure provisoirement que le
mouvement révolutionnaire prolétarien qui se dessine
dans le cœur même du capitalisme depuis plus d'un
siècle et demi à travers le monde est une fois de plus
ballotté entre la voie réformiste et la voie activiste
sans toutefois réussir à s'affirmer comme mouvement
destructeur du capitalisme. Entre le jour tranquille
des réformes et la nuit sauvage des avant-gardes, le
projet révolutionnaire que porte historiquement le
prolétariat navigue en pleine confusion et c'est pour
sortir de cette confusion que nous présentons
aujourd'hui nos réflexions critiques sur la
composition du mouvement actuelle de contestation dans
ce qu'il y a de plus divergent en apparence et de
semblable en profondeur.

LA FIN D'UN CYCLE…

Maintenant que nous avons dégagé les deux tendances
contre-révolutionnaires que peuvent prendre les
différentes manifestations du mouvement de
contestation, nous allons pouvoir regarder plus en
profondeur le contexte historique et social dans
lequel s'inscrit ce mouvement contestataire. Sans
quoi, il nous est difficile de saisir les limites et
les tâches du mouvement révolutionnaire face aux
mutations actuelles du capitalisme et les raisons qui
nous font dire que les limites ne sont pas comprises
et les tâches pas assumées.

La période historique que nous subissons et que nous
nommons à tort et à travers " néolibéralisme " se
caractérise par deux événements incontournables : 1-
la fin du compromis social-démocrate entre la classe
ouvrière et la défense des intérêts capitalistes et 2-
la fin d'un cycle de contestation axé sur la
reconnaissance du prolétariat comme classe opposée à
la société bourgeoise/capitaliste. Bien que cela
puisse faire dire qu'il est impossible de revenir en
arrière, ces caractéristiques que peu de gens
cherchent à éclairer contiennent les principaux
éléments pouvant nous aider à démystifier ce qu'il est
convenu d'appeler la " mondialisation " de l'économie
capitaliste. Et contrairement à ce qui se fait
habituellement comme analyse par la gauche
révolutionnaire, cette démystification doit dépasser
la description des symptômes et en venir aux racines
du problème.

La fin d'un cycle de compromis n'est pas un événement
de peu de sens pour comprendre les conditions dans
lesquelles les capitalistes cherchent à sortir de la
crise. Elle marque non seulement la possibilité mais
aussi la nécessité du capitalisme à pousser davantage
sa logique d'accumulation et d'exploitation. Mais cela
ne veut pas dire que les grands capitalistes ne
chercheront pas le moment révolutionnaire venu à créer
des alliances avec la petite-bourgeoisie pour sauver
le capitalisme. En fait, ce qu'il faut comprendre
c'est que l'offensive capitaliste dite " néo-libérale
" puise ses origines dans la crise provoquée par le
mouvement de contestation des années 60 qui a touché
la plupart des pays industrialisés et des pays
sous-développés (entre autre par la décolonisation).
Les éléments déclencheurs de la crise des années 70 -
dont la crise du pétrole de 73 en est le couronnement
- sont en partie liés à une baisse du taux profit
relatif à une surproduction chronique d'après-guerre
mais aussi au fait que la classe bourgeoise à été
forcée d'abaisser son taux de profit afin d'acheter la
" paix sociale " face à la contestation
pré-révolutionnaire des années 60 et c'est cette
double perte de profit qui a finalement provoqué la
recrudescence de la compétition internationale. C'est
aussi à partir de cette crise qu'il faut voir ce qui a
conduit les organismes financiers (F.M.I. et Banque
Mondiale) à réévaluer les conditions d'exploitation
des pays sous-développés en premier lieu et des pays
industrialisés ensuite et qui a finalement provoqué la
récession des années 80. Donc, ce qui est convenu
d'identifier aujourd'hui comme " mondialisation " ou "
globalisation " n'est en réalité qu'une incontournable
restructuration profonde du capitalisme afin de
relancer l'accumulation de capital et les différents
accords de libre-échange que les grands capitalistes
cherchent à faire entre eux depuis plusieurs décennies
n'en sont que les conséquences logiques.

Il faut également comprendre que pour les
capitalistes, sortir de la crise veut tout simplement
dire accumuler des profits en capitalisant des
investissements et que tout le reste se justifie
autour de ce pôle. Que la consolidation de monopoles,
la concentration des richesses et le gonflement de la
spéculation financière, que l'ouverture de nouveaux
marchés comme le génie génétique ou les nouvelles
technologies de l'information et des communications,
que la privatisation de services essentiels comme
l'eau, la santé, l'éducation ou le transport, que la
destruction pure et simple de programmes sociaux
entiers et la déstructuration sociale du mouvement
ouvrier et du mouvement populaire et enfin, que la
redéfinition du rôle de l'État sont tous des aspects
de la même logique capitaliste d'une " sortie de crise
". Cette crise comme les moyens de s'en sortir ne font
cependant qu'aggraver la misère et l'exploitation déjà
intolérable et inacceptable et pousse donc les
contradictions entre capital et travail à leur apogée
: soit l'explosion de la contestation. Bref, le
capitalisme est un cercle vicieux dont la fin est la
fin du capitalisme.

Expliquer le capitalisme comme un mouvement
ininterrompu de crise dont la seule véritable sortie
dans une rupture radicale d'avec le cercle infini de
sa logique infernale est une explication qui donne
tout son sens à la critique du réformisme. La raison
en simple. Le capitalisme rentrant perpétuellement en
crise a besoin de trouver des solutions qui lui
permettent de s'adapter aux conditions qui a lui-même
créé afin de reprendre un nouveau cycle d'expansion.
Historiquement, la résolution des crises du
capitalisme a toujours été le rôle que la
petite-bourgeoisie ou les " nouveaux capitalistes "
ont joué : soit par la création de nouveaux marchés
(automobile, télévision, culture pop, etc.), soit par
l'implantation de nouvelles formes d'exploitation
(taylorisme, fordisme, etc.) ou encore soit par de
nouveaux modes de régulations étatiques (keynes,
fascisme/stalinisme, etc.). C'est cette résolution
temporaire de la crise par le réformisme qui permet au
capitalisme d'approfondir son développement et
d'étendre en concernant plus de monde sa logique
d'exploitation et d'accumulation jusqu'à ce que la
crise resurgisse plus profonde donc plus grave et plus
étendue donc plus générale. D'une fois à l'autre, les
réformistes arrivent avec de nouvelles solutions pour
sauver le capitalisme de sa crise et d'une fois à
l'autre, le capitalisme se révèle plus impitoyable et
dévastateur dans ses crises. En sommes, non seulement
le réformisme ne peut mettre fin au capitalisme, mais
le capitalisme ne peut survivre sans le réformisme.

Ce qui est manifeste dans le réformisme, c'est que
l'État devient l'organe privilégié dans la régulation
du capitalisme et à vrai dire, il ne pourrait en être
autrement par le fait même que l'État est l'appareil
de consolidation juridique et politique du
capitalisme. Bien qu'aujourd'hui on parle d'un
démantèlement de l'État ou de la fin de sa "
providence ", l'État intervient toujours mais
seulement plus de la même façon ni pour les mêmes
motifs. En effet, le rôle de l'État ayant été pour
quelques décennies planificateur de la " paix sociale
" par la mise en place de programmes sociaux et la
reconnaissance de droits politiques et de
revendications économiques, il s'en est suivi que
l'État ne pouvant laisser durer ces concessions sans
compromettre l'accumulation du capital, donc le
capitalisme lui-même, il a changé de rôle. Donc, il
devient évident que l'État n'est pas différent dans
son rôle lorsqu'il planifie la démolition du mouvement
syndical et le saccage des programmes sociaux dans les
années 80 et 90 après avoir éteint les ardeurs
contestataires des années précédentes (60-70).
Conséquemment, il devient tout aussi ridicule et
absurde de crier au scandale quand l'État concocte en
modèle réduit à la nation des programmes d'ajustement
structurel qui ont pour résultat : 1-de niveler vers
le bas les salaires, les normes sur le travail et
l'environnement et de contraindre les
travailleuses/travailleurs et sans-emplois au " cheap
labor ", à la misère et à la maladie, donc de baisser
les coûts de production; 2- de rentabiliser ou tout
simplement de favoriser la privatisation des services
publics (en poussant à la création d'une économie
parallèle de survie dite " économie sociale ") et de
financer les secteurs de la recherche universitaire
pouvant permettre de nouveaux produits de voir le
jour, donc d'ouvrir de nouveaux marchés; 3- et enfin,
de baisser les impôts des grandes entreprises et de
subventionner à fond la caisse ces mêmes grandes
entreprises pour garantir leur expansion et leur
succès dans la concurrence, finalement de favoriser le
taux de profit des entreprises. Nous pouvons donc voir
que l'État intervient bel et bien dans l'économie et
toujours aussi directement et que rien ne sert de
gueuler sur tous les toits que l'État se désengage
puisque c'est faux. Sans oublier que l'intervention
répressive de l'État policier lors des dernières
manifestations contestataires contre le nouvel ordre
mondial du capitalisme à Seattle comme à Prague et que
l'organisation militaire du " contrôle de foule " à
Québec lors du Sommet des Amériques ne fait que
confirmer le rôle de l'État dans le capitalisme.

La défense des intérêts de l'État, communément appelé
" État de providence ", est le discours qui domine
dans la gauche actuelle en générale, mais aussi dans
la gauche dite révolutionnaire. Les premières
manifestations de ce " néo-réformisme " au Québec se
retrouvent principalement dans le milieu des années 90
avec le M.D.E. (Mouvement pour le Droit à l'Éducation)
- la " coalition y " pour Québec - et la grève
générale étudiante de 96. Ici, la sauvegarde des
compromis qui ont permis d'étouffer le mouvement de
contestation pré-révolutionnaire des années 60-70 est
devenue, à travers ce mouvement étudiant, le leitmotiv
du nouveau mouvement de contestation. Ce qu'il faut
appréhender dans cette forme de contestation, c'est
qu'une opposition à la privatisation des services
publics (dans le cas mentionné ci-haut, l'éducation)
et au démantèlement des programmes sociaux (encore
dans le même cas, les prêts et bourses) a peut-être
semblé louable à première vue mais en réalité n'a fait
qu'entretenir l'illusion déjà grande d'un capitalisme
à visage humain et prolongé la confusion quant aux
objectifs du mouvement révolutionnaire. Ensuite, bien
que de telles perspectives réformistes et défensives
aient pu favoriser une mobilisation large et massive,
elle n'en a pas permis pour autant le développement du
mouvement révolutionnaire et par conséquent, la
possibilité de produire autres choses que des
réformes. Et enfin, que le cycle de contestation qui
s'est amorcé à ce moment ne signifie pas que le temps
est à la généralisation des concepts réformistes,
concepts qui ne peuvent que chercher à contenir la
contestation dans une perspective de réformes, mais au
contraire qu'il est plus que jamais temps d'affirmer
et de discuter du projet révolutionnaire. Pour tout
ça, il est donc nécessaire de critiquer les
insuffisances et les incohérences du mouvement
contestataire émergent. Insuffisances et incohérences
qui se retrouvaient particulièrement bien synthétisées
dans les pages du défunt journal " Démanarchie " qui
d'un côté se proclamait de l'anarchisme
lutte-de-classiste et de l'autre scandait au triomphe
d'une grève qui ne demandait rien de plus qu'un
aménagement institutionnel de l'éducation à
l'intérieur du cadre capitaliste.

Ces balivernes réformistes, nous les retrouvons encore
aujourd'hui non seulement dans la nouvelle
internationale réformiste - dont le " Sommet des
peuples " en est l'expression la plus récente - mais
aussi dans la panoplie de groupes communautaires de
toutes tendances et dans les différentes coalitions de
lutte contre la " mondialisation " (ou plus
concrètement au Québec, contre la ZLEA). Du P.D.S.
(Parti de la Démocratie Socialiste, paravent du groupe
trotskiste Gauche Socialiste) au FRAPRU (FRont
d'Action Populaire en Réaménagement Urbain) en passant
par SalAMI et la coalition OQP 2001 (Opération Québec
Printemps 2001), nous voyons resurgir les mêmes
vieilles revendications pour un État au service des
citoyens et citoyennes. Que ce soit pour taxer la
richesse des capitalistes - que ces richesses se
présentent sous forme financière ou sous forme
productive n'y change rien puisque le capital c'est le
capital et qu'une taxe sur le capital ne fait qu'en
justifier l'existence implicitement - ou que ce soit
pour adopter une " loi sur la pauvreté " - que cette
loi permette à l'État de perfectionner et de légitimer
son contrôle social sur les pauvres ne vient pas à
l'idée de ses protagonistes - ou encore que ce soit
pour créer un " revenu minimum garanti " ou la semaine
des " 35 heures " - proposition qui questionne le
salariat que pour mieux le réaffirmer ensuite - ou
enfin que ce soit pour un investissement dans le "
logement social ", dans la santé ou l'éducation
quémandé au gouvernement, toutes ces solutions "
citoyennistes " ne sont que poudre aux yeux sur les
réels mécanismes d'appauvrissement et bouées de
sauvetage pour imposer une régulation du capitalisme
lorsque celui-ci sera menacé par sa contestation.
C'est dans le sens où ces réformes se révéleront tôt
ou tard contre-révolutionnaires que nous qualifions de
" gardien de la paix social " pour le capitalisme les
bureaucrates communautaires et les militantEs
professionnelLEs qui les propagent et les défendent.
Ce qui est d'autant plus déconcertant, c'est de
constater que les révolutionnaires, eux aussi parfois,
se font un devoir pour ne pas dire une raison d'être
de participer à cette supercherie réformiste et d'en
défendre idéologiquement les vertus - pour s'en
convaincre, on a qu'à penser aux membres de la section
québécoise de Fédération des Communistes Libertaires
du Nord-Est (NEFAC) qui militent et travaillent au
Comité populaire St.-Jean Baptiste de Québec
(avant-garde du réformisme radical en milieu
communautaire et groupe membre du FRAPRU) ou encore
aux membres de Gauche Socialiste et à ceux du Parti
Communiste du Québec qui militent auprès des membres
d'ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions
financières pour l'Aide aux Citoyens - Taxe Tobin)
dans la coalition OQP 2001. Définitivement, l'extrême
gauche révolutionnaire a les deux pieds dans les plats
réformistes.

Bien que les derniers-nés de la lutte anticapitaliste,
la CLAC (Convergence des Luttes Anti-Capitaliste,
Montréal) et la CASA (Comité d'Accueil du Sommet des
Amériques, Québec), soient le fruit d'une rupture
d'avec les deux seules coalitions réformistes
d'actions directes - SalAMI pour Montréal et OQP 2001
pour Québec - qui s'apprêtaient à construire le
mouvement de résistance contre le Sommet des
Amériques, ces deux coalitions anticapitalistes qui
s'affichent " non-réformisme " dans leur principe de
fondation n'ont pas su tirer les conclusions qui
s'imposaient à eux : construire une théorie et une
pratique réellement anti-réformiste et révolutionnaire
à l'intérieure du mouvement de contestation. C'est
plutôt à l'intérieur de ces coalitions que s'est
manifestée l'opposition révolutionnaire. Donc,
derrière de grands principes sans profondeur, il nous
a été loisible de constater qu'il se cache une
tendance radicale et révolutionnaire du réformisme.

LE PROLÉTARIAT SE MEURT…

Jusqu'à ce jour, le réformisme n'est jamais venu seul.
Une tendance opposée en apparence mais complémentaire
dans ses profondeurs pratiques a aussi accompagné le
mouvement contestataire vers sa confusion actuelle. Ce
que certains et certaines caricaturent avec l'image
d'une " poule sans tête " a effectivement gangrené le
mouvement et cette gangrène c'est l'activisme. Mais
l'activisme d'aujourd'hui n'est pas le même que celui
des anarchistes de la fin du siècle dernier popularisé
sous le terme " propagande par le fait ". La
différence historique d'une grande importance pour
toutes analyses critiques du mouvement contestataire
se pose entre un prolétariat naissant et un
prolétariat en phase de disparition sans suppression,
un prolétariat qui se meurt sans mourir.

Historiquement, il est bien connu que dans le cœur de
sa logique, le capitalisme a provoqué et provoque
encore des crises en organisant les rapports de
production sur des bases d'accumulation de capital et
d'exploitation du prolétariat. Également, si l'on
considère que c'est sur cette classe que prend forme
la dite exploitation et que varie la grandeur
d'accumulation, il devrait être admis que la réaction
contestataire du prolétariat est la cause toute
naturelle de ces crises. Cependant, et là se situe les
nouvelles conditions de la lutte de classes
aujourd'hui, le capitalisme a réussi en bonne partie à
intégrer le prolétariat dans la gestion du rapport
contradictoire capital/travail. En premier lieu, par
le déracinement/conditionnement historique qu'a opéré
le capitalisme autant au niveau de
l'institutionnalisation du prolétaire comme individu "
citoyen " d'un État démocratique ou d'une " société
civile " (avec ce que cela implique comme droits mais
aussi devoirs) qu'à celui de la dépossession des
moyens de productions, de l'immigration et de l'exode
rural. En second lieu, par la
fragmentation/intégration qu'ont provoqué les organes
de régulations corporatifs (syndicats, coopératives,
associations…) et étatiques (partis, organismes
gouvernementaux…) propre à la classe ouvrière et à la
petite-bourgeoisie. Pour enfin se conclure, dans les
années 60, par une expression contestataire dont la
forme dominante fut une mouvance d'identités
fragmentaires dont les représentations les plus
connues sont les mouvements de défense de droits des
noirs, des femmes, des gays et lesbiennes, des
communautés autochtones… et les groupes radicaux
étudiants, écologistes, pacifistes… Mouvement et
groupes qui, pour la plupart, se sont perpétués
jusqu'à aujourd'hui sous des aspects éclatés allant de
simples comités gestionnaires à des groupuscules
d'actions directes.

La fin du cycle que nous venons d'observer rapidement,
est celui du prolétariat s'affirmant en tant que
classe antagoniste à l'intérieur du capitalisme. Une
fin de cycle qui tient ses origines dans l'échec du
prolétariat à se supprimer comme classe en produisant
le communisme contre toutes les formes d'autogestion
du salariat, de l'économie marchande et de sa misère
et trouve son aboutissement dans cette confusion
fragmentaire dont la plus évidente caractéristique est
son apologie de la démocratie (défense de droits,
lutte contre les abus de pouvoir, etc.). Cette simple
observation est déjà lourde de conséquence, car elle
nous permet maintenant de constater qu'au moment de
son effervescence contestataire dans les années 60-70,
cette mouvance fragmentée à la recherche de ses
racines révolutionnaires a directement contribué à
l'écrasement de son mouvement de contestation général
par le fait qu'elle a été incapable de dépasser d'une
façon critique les identités dissemblables - qui
donnent à chacun leurs raisons d'exister - afin de
prendre réellement en compte le problème de classes de
la société capitaliste marchande. Cette incapacité est
pour nous le résultat d'une idéologie où le principe
de l'unité - mouvement de masses - et de la
négociation - collaboration de classes - cherche
absolument à faire converger les luttes dans un
mouvement de revendication de droits à l'intérieur du
cadre démocratique de l'État - et du capitalisme - en
refusant d'établir le noyau de rupture : la révolution
communiste. Il est toutefois évident que ce mouvement
de citoyens et citoyennes ne peut produire la rupture
nécessaire contre le capitalisme puisqu'il va de soi
que cette rupture doit se faire aussi avec le "
démocratisme radical " auquel adhèrent ces activistes
de la citoyenneté et de l'autogestion généralisée.
C'est pourquoi nous en sommes venus à poser la
question de la pertinence d'une telle mouvance en
évaluant la part de confusion qu'elle tend à propager
dans le réel mouvement révolutionnaire qui se dessine
sous la terre du Capital et la part d'efficacité
qu'elle produit quant au développement d'une
conscience de classe révolutionnaire.

L'un des aspects de cette confusion que nous
retrouvons dans l'activisme est de croire que la fin
de ce cycle veut dire que la contestation a changé de
base et qu'il faut trouver un nouveau sujet
révolutionnaire à activer. Cette question des plus
absurdes fut posée dans les années 60-70 par la "
nouvelle gauche " et c'est ces derniers qui ont fourni
tous les éléments théoriques (féminisme, écologie
sociale, pacifisme, etc.) utiles à son expansion. Que
le prolétariat ne soit plus le sujet révolutionnaire à
l'intérieure même du capitalisme, c'est le genre de
conclusion qui tire ses sources dans l'idéologie
bourgeoise de la " fin des idéologies " et à laquelle
participe nombre de militants et militantes qui
cherchent à agiter les masses et à propager les
dernières idées à la mode radicale (…de la
contre-culture aux squats autogérés, de l'antifasciste
à l'antimondialisation, de…). Mais c'est le contraire
que tend à prouver le développement du capitalisme. En
effet, le capitalisme par l'expansion continue de son
champ d'activité, c'est-à-dire par l'accaparement de
plus vastes territoires ou secteurs de production sous
sa logique d'exploitation et par une dépossession des
moyens de production ou de subsistance à une plus
grande échelle de populations, a contribué à
multiplier le nombre de prolétaires sur la surface de
la planète. Ce n'est pas le prolétariat qui fond comme
neige au soleil mais seulement sa masse ouvrière par
la force des moyens techniques apportés par la
troisième vague d'industrialisation et la recherche
scientifique et universitaire et par une expansion
importante du secteur tertiaire de l'industrie : les
services. Donc, bien qu'aujourd'hui, la tentation soit
grande de vouloir donner à toutes les luttes la même
importance stratégique que celle de la révolution
communiste produite par le prolétariat, la pratique
révolutionnaire exige toujours de se concentrer sur la
question centrale de la révolution (et sur la
conscience de classes qui en découle logiquement) :
l'abolition du capitalisme. Car si nous voulons
sérieusement et réellement mettre fin au patriarcat,
au racisme et à toutes autres idéologies imbéciles qui
déciment le monde, il est urgent que les conditions
structurelles, organisationnelles et institutionnelles
d'exploitation et d'oppression, le capitalisme, soient
complètement effacées de la surface du monde.

Deux autres aspects de la confusion apportés par
l'activisme sont incontournables pour notre analyse du
mouvement actuel de contestation, celui de l'idéologie
du " consensus " et de la " diversité des tactiques "
et celui de l'idéologie des " alternatives ". Ces
idéologies qui creusent leurs racines dans l'absence
d'une conscience de classes font d'un côté la
promotion de l'unité du mouvement de contestation en
détruisant toutes possibilités de débats et de
développement théorique et de l'autre encourage un "
vivre autrement " en se contentant d'aménager des
zones temporaires d'autogestion de la misère
capitaliste. En d'autres mots, au nom d'une
mobilisation massive et citoyenne et pour des
solutions immédiates et citoyennes aux problèmes de
l'exploitation capitaliste, les critiques
révolutionnaires sont tout simplement évacuées.

Les différentes coalitions qui se sont mises sur pied
ces dernières années pour lutter contre la "
mondialisation " du capitalisme, nous fournissent les
meilleurs exemples concrets de ces idéologies. À
commencer par celles qui font la propagande de
l'action directe non-violente et organisent des
campagnes de désobéissance civile afin de perturber
les nombreuses réunions de la classe dominante (O.M.C.
à Seattle, F.M.I. à Prague, ZLEA à Québec…). Ces
coalitions qui varient dans leur discours se
rejoignent dans leur pratique, principalement en
réduisant les problèmes à des questions de mauvaises
gestions démocratiques, en créant de faux débats sur
la question de la violence pour éviter les vrais
débats sur la nature réformiste de leurs principes et
enfin, en organisant des actions pour gagner l'opinion
publique à leurs idées et non pour préparer la
révolution. Mais ce qui est dit pour les coalitions
non-violentes est aussi valable pour les autres
coalitions qui se réclament d'une diversité des
tactiques. En fait, ce dernier principe qui est né
d'une volonté de faire perdre du terrain aux
non-violents et d'en finir avec les divisions internes
au mouvement de contestation se retrouve à devenir un
prolongement de ce qui a été dit pour les coalitions
non-violentes. Car reconnaître la diversité des
tactiques pour la CLAC et la CASA n'a pas voulu dire
reconnaître la nature de classes de cette diversité
mais seulement de prendre inconsciemment les moyens de
se déresponsabiliser tout en jetant le blâme sur
personnes ou encore sur la police. La CLAC et la CASA
ne se sont démarqués des non-violents qu'au niveau de
la solidarité qu'ils ont manifesté avec tout le monde
emprisonné (casseurs ou pas), mais en revanche, ils ne
se sont guère démarqués au niveau du " démocratisme
radical " de leurs discours et de leurs attitudes. En
réalité, ils ont endossé tout ce qui existait comme
contradictions autant en ce qui concerne les actions
en elles-mêmes qu'en ce qui concerne les raisons qui
se cachaient derrière ces actions. Bref, la diversité
des tactiques ne s'est résumée qu'en une simple
responsabilité collective de l'activisme.

De l'autre côté, l'idéologie des " alternatives " fait
son chemin sous le concept flou de la "
réappropriation " et dans la pratique militante qui
l'accompagne : l'agitation et la propagande. Par "
réappropriation ", il est habituellement entendu de
libérer des espaces sociaux (lieux de production et
lieux de reproduction) de la domination capitaliste.
L'erreur fondamentale de cette conception du problème
et de sa solution, c'est de penser le capitalisme
comme un système idéologique extérieur à la société,
c'est-à-dire justement comme une domination ou un "
spectacle " (pour reprendre un terme à la mode). Mais
le capitalisme, bien qu'il soit une domination qui a
aussi son corollaire dans l'aliénation, est avant tout
un rapport de production sur lequel s'est construit
cette domination idéologique, ces rapports sociaux "
spectaculaires ". Par conséquent, libérer un espace
quel qu'il soit du capitalisme implique directement la
transformation de la société dans ces fondements
matériels, sinon le projet tombe dans la pure utopie.
Pour paraphraser les surréalistes, changer la vie
exige de transformer le monde. Donc, cela veut tout
simplement dire que toutes tentatives de "
réappropriation " de notre vie ou de notre milieu de
vie se heurte systématiquement à une exigence
révolutionnaire. Par exemple, faire l'expérience de la
démocratie directe comme nous le proposent les
anarchistes, c'est faire l'expérience de l'autogestion
technique de situations prédéterminées par le
capitaliste, c'est-à-dire très loin d'être communistes
ou libertaires. Mais l'illusion utopiste serait de peu
d'intérêt si ce n'était qu'elle rajoute à la confusion
en conditionnant au militantisme. En effet, pour se
réaliser, la " réappropriation ", ou les multiples
alternatives qu'elle produit comme autant de causes à
défendre, réclame une pratique militante d'agitation -
donner l'exemple - et de propagande - diffuser les
mots d'ordre - qui pousse les organisations
révolutionnaires dans une logique " avant-gardiste ".
Pour prouver la justesse de leurs idées et offrir des
exemples à suivre au mouvement de contestation, les
organisations révolutionnaires (marxiste-léninistes,
anarchistes et communiste-libertaires) s'enferment
dans une logique où le développement théorique et
pratique du prolétariat est négligé au profit d'une
dispute de chapelles révolutionnaires. Puisque la
révolution sera l'œuvre du prolétariat lui-même, nous
pensons que le rôle de l'organisation révolutionnaire
est d'apporter sa contribution critique au mouvement
afin que nous prenions conscience comme classe des
limites qui s'imposent et des tâches qui nous
incombent.

Nous pouvons donc conclure que le prolétariat, malgré
un déracinement et une fragmentation qui l'aurait fait
" spectaculairement " disparaître, est toujours
présent dans le cœur du capitalisme et que la limite
et la tâche du mouvement révolutionnaire, s'il veut
sérieusement préparer une révolution victorieuse, est
définitivement contenu dans sa capacité de se défaire
du réformisme et de l'activisme. Et c'est parce que
l'idéologie de la fin du prolétariat bat son plein
qu'il nous a paru important de reprendre la théorie
révolutionnaire dans ce quelle a de plus fondamental
pour nous : le projet révolutionnaire, le communisme,
et le sujet qui en porte la possible production, le
prolétariat, et ainsi nous pensons également
contribuer à mettre fin à la confusion qui règne dans
le mouvement contestataire d'aujourd'hui.

Section francophone de l'agence de presse anarchiste
ainfos.ca/fr


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