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1er mai syndical : fête du travail?

Anonyme, Wednesday, May 9, 2007 - 20:42

NEFAC-Québec

Nos pas, nos cris, unis pour la démocratie : c’est le titre du rassemblement du 1er mai pour 2007. Si les syndicats se sont affairés à trouver un thème évocateur, ils se sont beaucoup moins attardé à mettre en place un plan d’action musclé pour le défendre. Le 1er mai des syndicats, c’est maintenant surtout l’apologie de la fête du travail.

Le texte suivant est extrait du dernier numéro de Cause Commune, le journal de la NEFAC au Québec. Disponible en ligne à www.nefac.net, à Montréal à l'Insoumise et au DIRA (2035-37 St-Laurent), à Québec à La Page Noire (412 3ième avenue), à Sherbrooke au local du RAJ et à Trois-Rivières(via nefa...@yahoo.ca).

Pendant que les plus précaires sont au travail en remplacement des travailleurs et des travailleuses à temps régulier (le 1er mai est d’ailleurs un congé payé obligatoire chez quelques syndicats de la fonction publique mais le travail, lui, ne chôme pas) et que les plus pauvres ne peuvent tout simplement pas se déplacer pour se rendre au point de rendez-vous, les syndicats, eux, n’organisent même pas une manifestation. C’est un rassemblement, point c’est tout.

Une campagne faible

Depuis les coupures drastiques des gouvernements successifs, et d’ailleurs beaucoup plus particulièrement depuis l’affront général de Charest à la légitimité syndicale, les syndicats ne savent plus sur quel pied danser. Le 1er mai a été l’occasion de démontrer une forte présence des travailleurs et des travailleuses, 100 000 personnes étant dans les rues en 2004. Pourtant, le 1er mai prend davantage des allures de fête que de combat : slogans transformés en chansons rigolotes et fête organisée au Kola Note le soir sont de la partie. C’est à se demander pourquoi il est encore souligné par les centrales syndicales. Mais qu’est-ce que nous fêtons au juste? L’heure est-il réellement à la fête, chers syndicats?! La dénonciation de l’appauvrissement tandis que les plus riches s’en mettent toujours plein les poches ne peut trouver écho que par une mobilisation massive et musclée.

Les centrales syndicales et les groupes communautaires de la table de concertation qui organise le rassemblement ont voulu tabler cette année sur un plan d’action très large autours du thème de la démocratie. Visiblement, le gouvernement Charest est loin de la logique concertationniste péquiste qui octroyait davantage de poids décisionnel aux têtes dirigeantes syndicales. Derrière ces revendications faiblement argumentées –critiquer la démocratie sans remettre de l’avant la différence entre démocratie directe et représentative est évocateur d’une incompréhension du pouvoir politique- se tient une campagne tout aussi faiblement organisée. Nul-le n’en doute, il ne manquera pas de sifflet au rassemblement, ni de cocktail à la soirée dansante. Mais où sont les occupations des bureaux de ministres qui votent pour des projets de loi anti-syndicale, les actions directes contre les bureaux de fonctionnaires qui appliquent les coupures et les futures manifestations pour dénoncer les attaques répétées aux droits des travailleurs et des travailleuses?

Un 1er mai le 1er.

Au moins, cette année, après avoir été critiquées de toute part, les syndicats sont revenus à la raison en organisant un rassemblement la journée même du 1er mai. Le 1er mai, après tout, ça ne se fête pas le 30 avril! Rappelons-nous que c’est avant tout pour des considérations logistiques que les groupes organisateurs avant l’an dernier décidé de devancer les activités de la Journée internationale des travailleurs et des travailleuses. Alors que partout dans le monde les exploité-e-s manifestaient leur mécontentement à la classe politique et économique le 1er mai même, ici, au Québec, les difficultés entourant des possibles journée de grève et la répression qui s’ensuit de facto ont eu raison de la désolidarisation des syndicats. La peur de quelconques représailles du milieu syndical est bien ancrée dans toute décision des élu-e-s et employé-e-s, à un point tel qu’elle prime sur les principes de base de tout syndicat. Les travailleuses et les travailleurs, pour leur part, ont assez gueulé de cette incongruité pour que le 1er mai soit cette année la bonne journée.

Regain syndical?

Seule lumière au bout du tunnel, une rumeur circule à l’effet que les professeur-e-s du Cégep de Rimouski oseront peut-être en 2007 faire une journée de grève le 1er mai, défiant ainsi la Loi C-43, mieux connu sous le Projet de loi 142 pour avoir décrété les conventions collectives de la fonction publique et leur avoir interdit d’entrer en moyen de pression. L’administration locale utilisera-t-elle la même tactique que le Vieux-Montréal lors du 1er mai dernier où elle décréta une journée pédagogique pour ne pas tergiverser avec les interprétations de la loi, de peur d’un côté de soulever la colère des étudiants et des étudiantes qui avaient voté une journée de grève et de l’autre, de leurs supérieur-e-s hiérarchiques? L’avenir nous le dira.

Chose certaine, les grandes centrales syndicales sont loin d’apporter de l’eau au moulin lorsqu’il est question de faire un retour au syndicalisme combatif. Peur d’être pris à la gorge par les médias qui ne font qu’une bouchée de tout mouvement social combatif, peur d’être pris à la gorge par les gouvernements qui votent comme bon leur semble des mesures répressives et peur d’être pris à la gorge par leurs propres membres conservateurs et libéraux, ils ne savent plus ramener sur la place publique des débats de fond. La démocratie représentative et bureaucratique semble bien avoir ramener tout beau principe progressiste si chèrement défendu par les syndicats d’autrefois vers un syndicalisme de service qui tient loin de lui tout conflit avec le gouvernement.

Union Locale de Montréal
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Subject: 
Loin d'être un phénomène récent
Author: 
gnomecommuniste
Date: 
Thu, 2007-05-10 09:58

Loin d'être un phénomène récent comme voudraient bien le penser certains néo-syndicalistes ou néo-réformistes, le syndicalisme s'est intégré depuis longtemps au capitalisme. Cette brochure de textes de Benjamin Péret et G. Munis le démontre très bien.

LES SYNDICATS CONTRE LA RÉVOLUTION

(La publication de ce texte aujourd'hui est dédiée à la NEFAC)

L’avenir des syndicats est indubitablement lié à celui du capitalisme, non à celui de la révolution. Leur aptitude à s’ajuster au devenir réactionnaire de la société a été largement ignorée, même des révolutionnaires les plus clairvoyants. Il faut faire une exception, cependant, pour un théoricien presque inconnu, Daniel de Léon, dont la pensée sur ce sujet s’est avérée prémonitoire. Dès 1905, Daniel de Léon vit que syndicats et partis ouvriers officiels recelaient de graves menaces contre-révolutionnaires. L’opuscule où il expose succinctement ses idées mérite la méditation de tous les révolutionnaires.

LES SYNDICATS CONTRE LA RÉVOLUTION
(La publication de ce texte aujourd'hui est dédiée à la NEFAC)

I. - LES ANTÉCÉDENTS

Toutes les sociétés qui se sont succédé jusqu’à nos jours ont connu des luttes intestines menées par les couches déshéritées contre les classes ou les castes qui les maintenaient sous leur domination. Ces luttes n’ont pu prendre une certaine envergure qu’à partir du moment où les opprimés, reconnaissant leur intérêt commun, ont réussi à s’associer, soit dans le but d’améliorer leurs conditions d’existence, soit en vue de la subversion totale de la société. Au cours des siècles passés, les travailleurs, face aux corporations comprenant patrons et ouvriers d’un même métier (où les premiers faisaient la pluie et le beau temps sous la protection ouverte des pouvoirs publics), les associations de compagnonnage ne groupant que les ouvriers ont représenté, entre autres choses, les premiers organismes permanents de lutte de classe.
Rest of the text:

Antérieurement encore, vers le Xe siècle, avaient déjà existé des « confréries ». C’étaient des groupements qui ont dû se trouver en lutte contre les couches supérieures de la société puisque des jugements ont ordonné, à plusieurs reprises, leur dissolution. On ne connaît toutefois aucun document susceptible de nous éclairer sur leur constitution et les buts qu’elles se proposaient.

L’objectif des organisations de compagnonnage n’était pas, comme en témoignent les nombreux jugements des tribunaux qui les condamnent systématiquement du XVIe siècle au XIXe siècle, d’aboutir à une transformation de la société, d’ailleurs inconcevable à l’époque, mais d’améliorer le salaire de leurs membres, les conditions d’apprentissage et, par là, d’élever le niveau de vie de la classe ouvrière tout entière.

Leur vitalité, malgré toutes les persécutions dont elles ont sans cesse été l’objet, leur résurrection, consécutive à de nombreuses dissolutions prononcées par les tribunaux, montrent qu’elles correspondaient à un besoin pressant des travailleurs de ces époques. En même temps, le fait que leur structure ne semble pas avoir subi de modifications importantes pendant plusieurs siècles, indique que leur forme et leurs méthodes de lutte correspondaient réellement aux possibilités du moment. Notons en passant que les premières grèves dont l’histoire fasse mention sont à leur actif dès le XVIe siècle. Plus tard, elles recourront aussi au boycott.

Pendant toute cette période, qui va du XVIe siècle où les associations de compagnonnage apparaissent dans l’histoire déjà toutes constituées (ce qui indique qu’elles devaient exister depuis longtemps déjà) jusqu’au milieu du XIXe siècle (où la grande industrie naissante fait surgir les syndicats), les associations de compagnonnage contribuent puissamment à maintenir la cohésion entre les travailleurs, en face de leurs exploiteurs. On leur doit la formation d’une conscience de classe encore embryonnaire, mais appelée à prendre son plein développement à l’étape suivante, avec les organismes de lutte de classe qui vont leur succéder. Ces derniers - les syndicats - ont hérité d’elles leur fonction revendicative, réduisant ainsi les associations de compagnonnage à un rôle secondaire qui n’a pas cessé de s’amenuiser depuis lors. Il serait vain cependant d’imaginer qu’ils auraient pu exister plus tôt. Les associations de compagnonnage ont correspondu à une époque de stricte production artisanale antérieure à la Révolution française et se prolongeant pendant les vingt ou trente premières années du XIXe siècle, les syndicats constituent le prolongement dans l’époque suivante (celle du capitalisme ascendant, où les travailleurs ont encore besoin de se rassembler par corps de métiers), des organisations de compagnonnage dépouillées du secret qui les entourait et orientées vers la seule revendication économique, vers la défense des travailleurs, les autres objectifs passant au second plan et finissant par disparaître.

Par ailleurs, les associations de compagnonnage, du fait de la société féodale qui ne leur accordait pas le droit à l’existence, avaient un caractère de sociétés secrètes, avec tout l’appareil des rites para-religieux que comportent de telles sociétés, tandis que l’époque postérieure - surtout après 1830 - où les associations ouvrières se voient accorder un minimum de droits à l’existence, permet l’apparition au grand jour des groupements de compagnonnage et met aussitôt en évidence leur incapacité à mener contre le patronat la lutte énergique qui s’impose. Leur caractère restrictif (ne peuvent en faire partie que des ouvriers qualifiés) ne leur permet pas de réunir la totalité, ni même la majorité des travailleurs, but que se proposent les syndicats dès leur naissance.

Cependant, la classe ouvrière ne passe pas directement des associations de compagnonnage aux syndicats, d’ailleurs interdits sous quelque forme que ce soit pendant les premières décades du capitalisme moderne. Elle cherche intuitivement sa voie. Les sociétés de secours mutuels, nées peu avant la Révolution de 1789, marquent le premier pas dans la voie du rassemblement de tous les ouvriers d’un même corps de métier. Elles se proposaient de secourir leurs adhérents malades ou en chômage, mais lorsque la grève s’imposera comme la meilleure méthode de lutte contre le patronat, les mutuelles ouvrières apporteront parfois leur aide aux grévistes, abolissant toute distinction entre le chômage imposé et le chômage provoqué.

Ces « Mutuelles », peu nombreuses, ne rassemblaient guère que des ouvriers d’élite, relativement bien payés, car les cotisations qu’elles exigeaient de leurs membres étaient lourdes. Elles étaient donc inadéquates aux conditions de la grande industrie naissante, qui avait appelé à l’usine de grandes masses de travailleurs non qualifiés, émigrés des campagnes. Ce prolétariat en formation était alors dans une situation tragique qui exigeait impérieusement une amélioration sensible, même pour que le capitalisme pût continuer à se développer.

Les sociétés de « résistance », dont le nom indique clairement les buts qu’elles visaient, viennent alors assurer la relève des « Mutuelles ». Ce sont déjà des groupements de combat, mais conçus sur le plan défensif. Ils se proposent de maintenir le niveau de vie des travailleurs en s’opposant aux diminutions de salaires que le patronat pourrait tenter d’imposer et ce sont, en général, ces diminutions de salaires qui les font naître. Il va sans dire que, de la défense, on passe bientôt à l’attaque et la revendication ouvrière voit le jour. Cependant, bien qu’après 1840, à la faveur de la diffusion des idées socialistes, apparaissent dans la classe ouvrière les premières revendications politiques, les « Résistances », et les « Associations ouvrières » gardent avant tout un caractère d’organisation de combat sur le plan économique. Elles ne visent qu’accessoirement, et sous l’impulsion d’éléments politisés, à la subversion de l’ordre existant. En fait, leur but essentiel est d’ordre purement économique. Si le prolétariat prend alors conscience de sa force, il ne songe guère qu’à l’employer à la satisfaction de revendications immédiates.

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II. - LES SYNDICATS ET LA LUTTE DE CLASSES

Le premier syndicat ne surgit qu’en 1864. Toute idée de lutte de classe en est absente puisqu’il apparaît, au contraire, en se proposant de concilier les intérêts des travailleurs et ceux des patrons. Tolain lui-même ne lui donne pas d’autre but. Il faut aussi constater que le mouvement syndical ne part nullement des milieux les plus exploités de la classe ouvrière - du prolétariat industriel naissant - mais bien des travailleurs appartenant à des professions artisanales. Il reflète donc directement les besoins spécifiques et les tendances idéologiques de ses couches ouvrières.

Tandis que les cordonniers et les typographes, artisans par excellence, créent leur syndicat en 1864 et en 1867 respectivement, les mineurs, qui constituaient le prolétariat le plus durement exploité, ne créent leur premier syndicat qu’en 1876, dans la Loire (en 1882 dans le Nord et le Pas-de-Calais) et le textile, où les conditions de travail sont particulièrement effarantes, n’éprouve pour la première fois le besoin d’un syndicat qu’en 1877. D’où vient, à cette époque de fermentation des esprits, alors que les idées socialistes (et les idées anarchistes qui ne s’en distingueront que plus tard) se répandent dans toute la classe ouvrières des grandes villes, que les travailleurs les plus exploités répugnent si manifestement à l’organisation syndicale, tandis que ceux dont le niveau de vie est plus élevé la recherchent ?

Il faut tout d’abord rappeler que les premiers syndicats créés par des ouvriers de professions artisanales ne sont que des organismes de conciliation et non pas de lutte de classes. Ils ne le deviendront que plus tard. Par ailleurs, ils représentent la forme d’organisation qui convient le mieux à des professions rassemblant dans de multiples ateliers un nombre généralement assez faible d’ouvriers du même métier. C’était le meilleur moyen de rassembler les ouvriers d’un même métier disséminés dans les ateliers d’une ville, de leur rendre une cohésion que les conditions mêmes du travail tendaient à détruire.

Il faut aussi rappeler que le caractère artisanal d’un métier a souvent pour conséquence que patrons et ouvriers travaillant côte à côte, mènent le même genre de vie. Même si la situation économique du patron est très supérieure à celle de l’ouvrier, le contact humain qu’il maintient souvent avec ce dernier empêche que se crée le fossé séparant ouvriers et patrons des grandes industries. Entre patrons et ouvriers des métiers artisanaux, il reste aussi un minimum de solidarité de métier, totalement absente et même inconcevable dans la grande industrie. Toutes ces raisons concouraient le plus souvent à induire à la conciliation plutôt qu’à la lutte.

La situation des ouvriers du textile et des mines (pour reprendre cet exemple) était toute différente. Chez les mineurs comme dans le textile, de grandes masses d’ouvriers de professions diverses étaient rassemblées dans des usines ou des puits, soumises à des conditions de travail inhumaines.

Si les ouvriers des entreprises artisanales sont les premiers à s’organiser pour discuter de leurs intérêts avec les patrons, ceux des grandes industries, soumis à la plus impitoyable pression du capital, sont les premiers à percevoir ce qui les oppose irréductiblement au patronat, à s’insurger contre la situation qui leur est faite, à pratiquer l’action directe, à réclamer leur droit à la vie, les armes à la main, bref, à s’orienter instinctivement vers la révolution sociale. Le soulèvement des canuts lyonnais de 1831, ainsi que la grève des mineurs de 1844 le montrent assez. Tandis que, de 1830 à 1845, les typographes, par exemple, ne figurent pas une seule fois sur une liste des métiers qui ont encouru le plus grand nombre de condamnations, les mineurs y apparaissent trois fois (l’industrie minière est alors en plein développement) et les travailleurs du textile presque tous les ans.

La conclusion qui s’impose est que les ouvriers des grandes industries ne portaient aucun intérêt à une forme d’organisation se proposant une conciliation (qu’ils sentaient impossible) entre les classes adverses. Ils n’y viennent que plus tard et pour ainsi dire en rechignant, car ils sont poussés, par leur situation même, à des formes de lutte ouverte avec le patronat que le syndicat n’a pas envisagées, du moins à ses débuts. En fait, les travailleurs des grandes industries ne viendront à l’organisation syndicale qu’à partir du moment où celle-ci inscrira en tête de ses statuts des principes de lutte de classes. Ce sont d’ailleurs eux qui, de 1880 à 1914, mèneront les luttes les plus violentes sur le plan revendicatif. Moyennant cette concession à leurs aspirations, ils se résigneront à adhérer au syndicat pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’aucune autre forme d’organisation n’était concevable à cette époque. En outre, on avait alors devant soi la perspective d’un long développement progressif du capitalisme, d’où la nécessité d’accroître la cohésion de la classe ouvrière afin d’arracher au patronat des conditions d’existence plus satisfaisantes permettant une meilleure préparation des travailleurs à l’assaut final de la société.

Dès ses débuts, le syndicat ne se présente donc que comme un pis-aller pour les ouvriers des grandes industries. Il reste cependant acceptable à l’époque, à cause des survivances artisanales que comporte l’industrie. C’était une solution positive dans cette époque de développement continu de l’économie capitaliste qui s’accompagnait d’un accroissement constant de la liberté et de la culture. Sa reconnaissance par l’État et, à travers elle, du droit de réunion, d’association et de presse constituait une acquisition considérable.

Cependant, même lorsque le syndicalisme adopte des principes de lutte de classes, il ne se propose à aucun moment, dans le combat quotidien le renversement de la société : il se borne au contraire à rassembler les ouvriers en vue de la défense de leurs intérêts économiques, dans le sein de la société capitaliste. Cette défense prend parfois un caractère de combat acharné, mais ne se propose jamais, ni implicitement, ni explicitement, la transformation de la condition ouvrière, la révolution. Aucune des luttes de cette époque, même les plus violentes, ne vise ce but. Tout au plus envisage-t-on dans un avenir indéterminé, qui prend dès ce moment le caractère de la carotte de l’âne, la suppression du patronat et du salariat et, par suite, de la société capitaliste qui les engendre. Mais aucune action ne sera jamais entreprise dans ce but.

Le syndicat, né d’une tendance réformiste au sein de la classe ouvrière, est l’expression la plus pure de cette tendance. Il est impossible de parler de dégénérescence réformiste du syndicat, il est réformiste de naissance. A aucun moment, il ne s’oppose à la société capitaliste et à son État pour détruire l’une et l’autre, mais uniquement dans le but d’y conquérir une place et de s’y installer. Toute son histoire, de 1864 à 1914, est celle de la montée et de la victoire définitive de cette tendance à l’intégration dans l’État capitaliste, si bien qu’à l’éclatement de la première guerre mondiale, les dirigeants syndicaux, dans leur grande majorité, se retrouvent tout naturellement du côté des capitalistes auxquels les unissent des intérêts nouveaux issus de la fonction que les syndicats ont fini par assumer dans la société capitaliste. Ils sont alors contre les syndiqués qui, eux, voulaient abattre le système et éviter la guerre et ils le resteront désormais pour toujours.

Dans la période qui précède la première guerre mondiale, les dirigeants syndicaux n’ont guère été les représentants légitimes de la classe ouvrière que dans la mesure où ils devaient assumer ce rôle pour accroître leur crédit auprès de l’État capitaliste. Au moment décisif, alors qu’il fallait choisir entre le risque de compromettre une situation acquise [1], en appelant les masses à rejeter la guerre et le régime qui l’avait engendrée, ou renforcer leur position, en optant pour le régime, ils ont choisi le second terme de l’alternative et se sont mis au service du capitalisme. Ce n’a pas été le cas en France seulement, puisque les dirigeants syndicaux des pays impliqués dans la guerre ont adopté partout la même attitude. Si les dirigeants syndicaux ont trahi, n’est-ce pas parce que la structure même du syndicat et sa place dans la société rendaient, dès le début, cette trahison possible, puis inévitable en 1914 ?

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III. - LES SYNDICATS CONTRE LA REVOLUTION

Les révolutions russes de 1905 et 1917 ont fait surgir un nouvel organisme de combat qui part de la réalité sociale même : le comité ou conseil d’usine, démocratiquement élu sur les lieux de travail et dont les membres sont révocables à tout moment, On les voit apparaître à Saint-Pétersbourg et à Moscou à la fin de la révolution de 1905, dont ils marquent le point culminant. Cependant trop faibles et trop inexpérimentés encore, ils se montrent incapables de remplir la tâche qu’ils s’étaient assignée, le renversement du tsarisme.

Dès le début de la révolution de 1917, on les voit reparaître, cette fois plus sûrs d’eux-mêmes et, bientôt, ils couvrent le pays tout entier, sous l’impulsion de Lénine et de Trotzky, ils accomplissent la révolution d’octobre. Pendant ce temps, les syndicats se traînent à leur remorque, freinant le mouvement de toutes leurs forces. Aucune initiative révolutionnaire ne leur est due, tout au contraire. John Reed, dans ses Dix jours qui ébranlèrent le monde, les montre à diverses reprises hostiles aux soviets, au point que les cheminots doivent violer la discipline syndicale pour transporter de Pétrograd à Moscou les renforts nécessaires pour réduire la contre-révolution des junkers dans cette dernière ville.

Dans la révolution espagnole de 1936, on voit, dès les premiers jours de l’insurrection des comités surgir de toutes parts comme des champignons après une pluie d’orage, mais à l’inverse de la Russie où les soviets relèguent les syndicats à l’arrière-plan, ces derniers étouffent les comités (juntas). Résultat, le stalinisme triomphe sans que les syndicats s’y opposent réellement. Ils s’unissent même pour collaborer à son triomphe par un comité de liaison C.N.T.-U.G.T. et la révolution est trahie par le stalinisme qui ouvre la porte à Franco.

Les ouvriers, les soldats et les marins allemands, révoltés en 1918, ne songent pas un instant à s’adresser aux syndicats pour mener leur lutte contre le régime impérial, ils créent dans le combat leurs comités de lutte qui s’emparent des usines et des navires et chassent les autorités capitalistes. Les syndicats n’interviennent que plus tard, pour freiner la lutte, contenir la révolution dans des limites bourgeoises, c’est-à-dire la trahir. C’est ce spectacle qui éclaire définitivement les révolutionnaires allemands et montre à Hermann Gorter et à la gauche germano-hollandaise la route à suivre, faisant de lui, à cette époque, un des premier théoriciens du communisme de gauche et d’une véritable tactique classe contre classe.

Il est hors de doute que Lénine, aux prises avec la guerre civile, l’intervention étrangère et les difficultés quasi insurmontables de la restauration de l’économie russe, n’a pas évalué à leur juste valeur les problèmes soulevés par la gauche communiste allemande et hollandaise, qui faisait état de la situation particulière de leur pays, de son niveau général de culture, de la poussée révolutionnaire des masses qu’il fallait consolider quotidiennement. Bien que Lénine connût parfaitement l’Europe occidentale, il a été obnubilé par la révolution russe et les méthodes employées sous le tsarisme, pour qu’elle triomphe. Il n’a pas vu qu’elles étaient inapplicables partout ailleurs. Produit direct des conditions économiques, politiques et culturelles de la Russie tsariste, ces méthodes ne valaient plus rien une fois transportées en Europe occidentale où la situation des masses ouvrières, les rapports de celles-ci avec la paysannerie, l’état de cette paysannerie et enfin la structure du capitalisme n’avaient presque pas de points communs avec l’état de la Russie. Il n’a pas vu non plus le conflit larvé qui avait existé en Russie entre soviets et syndicats et que seul l’élan irrésistible de la révolution avait étouffé dans l’œuf en fortifiant les premiers aux dépens des seconds.

En Allemagne, où les syndicats, beaucoup plus puissants qu’en Russie, étaient dirigés par les réformistes les plus conséquents, on pouvait être convaincu que ceux-ci emploieraient tous les moyens en leur pouvoir pour saboter la révolution en marche. C’était pour eux une question de vie ou de mort. Par ailleurs, si les syndicats se montraient hostiles à la révolution et les comités d’usine favorables, il était clair qu’il fallait soutenir les seconds contre les premiers. Lénine s’y est opposé au nom d’une tactique de débordement des chefs par les masses ; mais, justement, les syndicats incarnent le pouvoir matériel des chefs qui disposent de tout l’appareil syndical et de l’appui direct ou indirect de l’État capitaliste, tandis que les masses n’ont rien que ces comités qu’elles créent pour faire échec au pouvoir de leurs chefs. Si, en Russie, les masses n’avaient pas créé leurs propres organes de lutte, les soviets, la révolution aurait été inévitablement canalisée et menée à la défaite par les seuls organes qui encadraient les masses, les syndicats.

Contre cette gauche allemande et hollandaise, Lénine écrivit alors La Maladie infantile du communisme, à laquelle Hermann Gorter répliqua par une Réponse à Lénine qui comporte une critique des syndicats encore entièrement valable aujourd’hui. Il dit en substance que les syndicats convergent vers l’État et tendent à s’y associer contre les masses, que les ouvriers n’y ont pratiquement aucun pouvoir, pas plus que dans l’État, qu’ils sont impropres à servir d’instrument pour la révolution prolétarienne et que celle-ci ne peut vaincre qu’en les détruisant. Disons-le bien haut, dans cette polémique (dont la IIIe Internationale ne nous fit connaître que l’argumentation de Lénine, omettant de publier celle des opposants), c’était Gorter qui avait pleinement raison. du moins sur ce point. Dans cette brochure, il oppose aux syndicats, où les ouvriers n’ont pratiquement pas d’autre pouvoir que celui de payer les cotisations, le comité ou conseil d’usine démocratiquement élu par les travailleurs sur les lieux de travail, dont les membres placés sous le contrôle immédiat et constant de leurs mandants sont révocables à tout moment. Ses comités sont de toute évidence l’émanation même de la volonté des masses en mouvement dont ils facilitent l’évolution. C’est pourquoi, dès qu’ils apparaissent, même sous la forme provisoire des comités de grève, ils sont autant aux prises avec les dirigeants syndicats, dont ils menacent le pouvoir sur les ouvriers, qu’avec les patrons. Les uns et les autres se sentent également menacés, et de la même manière, si bien qu’en général les dirigeants syndicaux, s’entremettent entre patrons et ouvriers pour faire cesser la grève. Je suis convaincu qu’aucun travailleur ayant participé à un comité de grève ne me contredira, surtout en ce qui concerne les grèves des dernières années. Il est d’ailleurs normal qu’il en soit ainsi puisque le comité de grève représente un nouvel organisme de lutte, le plus démocratique qu’on puisse concevoir. Il tend, consciemment ou non, à se substituer au syndicat qui défend alors les privilèges acquis en cherchant à réduire les attributions que le comité de grève s’est accordées. Qu’on juge alors de l’hostilité des syndicats à un comité permanent, appelé par la logique même des choses à se les subordonner et à les supplanter !

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IV. - CRITIQUE DU SYNDICAT

On a vu que le syndicat ne s’est à aucun moment proposé de but révolutionnaire, d’abord parce qu’il ne pouvait pas se les proposer à l’époque de sa création. Conçu en vue d’une action réformiste de la classe ouvrière dans la société capitaliste, il ne pouvait rien faire de plus que ce qu’il a fait. Son action a d’ailleurs été de premier ordre puisqu’on lui doit une amélioration considérable du sort de la classe ouvrière et la conscience de classe qui, vaille que vaille, anime aujourd’hui le prolétariat. A vrai dire, cette conscience de classe est plutôt le fait de l’action menée par la minorité syndicaliste révolutionnaire que de la pratique syndicale en général. C’était d’ailleurs tout ce que le syndicalisme révolutionnaire pouvait espérer obtenir et il l’a obtenu. Il ne pouvait pas envisager réellement le renversement de la société capitaliste autrement qu’en partant de l’erreur que constitue le syndicat, car celui-ci, révolutionnaire ou réformiste, est impropre à cette tâche. Ce n’est pas un simple accident que la guerre de 1914, en mettant à nu la nature réactionnaire des dirigeants syndicaux, a amené en même temps la disparition rapide du syndicalisme révolutionnaire, alors que la trahison réformiste aurait dû, à l’heure de la crise, amener un renforcement du syndicalisme révolutionnaire au détriment du réformisme. La classe ouvrière a senti instinctivement que le syndicat, même révolutionnaire, n’était pas l’instrument qu’il lui fallait pour entreprendre la transformation de la société. En fait, la résurrection du syndicalisme après la guerre de 1914 vient d’une simple routine que les révolutionnaires, trop peu nombreux, n’ont pas su briser, mais l’heure était déjà venue d’en finir avec eux.

Le syndicat résulte, en effet, d’une erreur initiale, peut-être inévitable à l’époque. Il est le meilleur moyen de maintenir la cohésion nécessaire entre des travailleurs de même métier dispersés dans de nombreux ateliers ; mais l’industrie, en se concentrant, rejetait à l’arrière-plan ces ateliers anachroniques et rassemblait dans une même usine des masses de travailleurs de professions souvent très diverses. Il fallait donc partir de ce fait réel qui indiquait le sens de l’évolution du capitalisme, du rassemblement sur un même point d’un grand nombre d’ouvriers, de la cellule sociale que l’usine constitue, à la fois dans le monde présent et pour la société future. Or le syndicat extrait les ouvriers de l’usine où sont leurs intérêts vitaux, pour leur en créer de superficiels en les dispersant en autant de syndicats que de métiers. Il détruit la cohésion naturelle prête à se former toute seule à l’usine même - et qu’il s’agissait de renforcer - au profit d’une organisation déjà périmée à sa naissance puisqu’elle reflète les intérêts et les tendances idéologiques de couches ouvrières représentant une survivance d’un état dépassé de la production.

Il y a, dans l’action ouvrière, une progression constante. Les organisations de compagnonnage groupent d’abord les ouvriers qualifiés, les syndicats rassemblent les travailleurs les plus conscients. L’heure est maintenant venue aux comités d’usine de représenter la totalité de la classe ouvrière pour l’accomplissement de sa tâche historique : la révolution sociale.

Par ailleurs ; le syndicat, dès qu’il a quelque importance, extrait ses dirigeants de l’usine, les soustrayant ainsi au contrôle nécessaire des travailleurs. Et, en général, une fois sorti de l’usine, le dirigeant syndical n’y retourne plus. Ces innombrables dirigeants syndicaux qui ont quitté l’usine se créent peu à peu des intérêts d’abord étrangers, puis opposés à ceux des ouvriers qui les ont élus. Ils aspirent avant tout à la stabilité de leur nouvelle situation, que toute action des travailleurs risque de mettre en péril. On les voit donc intervenir auprès des patrons dès qu’une grève menace d’éclater. D’abord parce que cette grève fait surgir une nouvelle autorité ouvrière, dont l’apparition en dit long sur les rapports réels entre syndiqués et dirigeants : le comité de grève, élu par l’ensemble des travailleurs de l’usine, syndiqués ou non, qui s’interpose entre le bureau syndical et le patronat, comme s’il voulait dire à ce dernier : « Le rôle du syndicat est terminé, le mien commence. »

Il faut tout de suite remarquer que la naissance de ce comité de grève démontre à elle seule l’incapacité du syndicat à diriger même une grève. Or, toute grève est une action révolutionnaire, au moins en puissance. Le fait que, dès qu’une action révolutionnaire même de faible envergure est jugée nécessaire par les travailleurs, il leur faut écarter le syndicat pour créer un nouvel organe de lutte adéquat à l’action à mener, montre à lui seul que le syndicat n’est pas une arme révolutionnaire. Si, pour une action révolutionnaire, il importe que les dirigeants de cette action soient sous le contrôle direct et constant de leurs mandants, il s’ensuit que les dirigeants syndicaux sont impropres à toute action révolutionnaire, puisqu’ils échappent totalement à ce contrôle. Ils l’ont montré d’ailleurs à maintes reprises et notamment dans toutes les crises révolutionnaires que l’histoire a enregistrées au XXe siècle.

Sortis de l’usine, les dirigeants syndicaux se trouvent bientôt ballottés entre les intérêts opposés des ouvriers qui les ont désignés et ceux des patrons. Ils commencent par défendre les premiers contre les seconds, restant ainsi sur un terrain de lutte de classes. Ils ne tardent cependant pas à quitter ce terrain, à mesure qu’ils prennent conscience de leur rôle d’intermédiaire entre les classes adverses et ils deviennent rapidement les agents d’une collaboration de classes s’exprimant par la conciliation des intérêts opposés de ces classes. Si, d’abord, ils s’opposent au patronat, ils ne tardent pas à se rendre compte que leur rôle principal n’est pas situé sur le plan de la lutte.

Ils prennent conscience de leur importance en tant qu’intermédiaires entre les classes ennemies et, au lieu d’animer le combat, ne songent plus qu’aux marchandages de l’armistice. Ce n’est pas la lutte qui justifie leur existence, mais leur valeur croît en proportion des résultats obtenus, à la fois aux yeux des patrons qui comprennent vite leur importance et les services de médiation qu’ils peuvent leur rendre, et aux yeux des ouvriers qui, peu à peu, s’en remettent aux seuls dirigeants du soin de trancher les litiges les opposant aux patrons. La lutte de classes, facteur nécessaire de toute action sociale positive s’en trouve rejetée au second plan, l’action directe des ouvriers s’endort, leur autodétermination disparaît, l’élan vers l’émancipation dégénère en accommodement dans le cadre du capitalisme.

Si l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, ce qui constitue le postulat de toute action révolutionnaire authentique, il s’ensuit que le syndicat, étouffant le pouvoir créateur de la classe ouvrière, s’oppose à cette émancipation qui, avec lui, deviendrait l’œuvre des dirigeants, s’ils étaient capables de l’entreprendre ou même s’ils souhaitaient s’y consacrer. Au contraire, on peut constater aujourd’hui qu’un Jouhaux ou un Frachon n’ont pas plus d’intérêts communs avec un manœuvre que le président de la République (antimilitariste et « internationaliste », en 1907) ou que le régent de la Banque de France, tandis que les intérêts de Jouhaux, du président de la République, du régent de la Banque de France et de bien d’autres sommités capitalistes sont étroitement liés contre les travailleurs.

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V. - LE SYNDICAT, ORGANE DE L’ÉTAT CAPITALISTE

Les syndicats ont atteint le terme de leur évolution indépendante, ils sont entrés, depuis 1914, dans une nouvelle période, celle de leur intégration à l’État capitaliste. Ils y tendaient depuis longtemps, mais il a fallu la guerre de 1914 et les services qu’ils ont alors rendus au capitalisme dans l’Union Sacrée pour que l’État leur accorde des places dans ses conseils. Il est vrai qu’ils démontraient ainsi leur pouvoir sur la classe ouvrière et devenaient, de ce fait, de précieux auxiliaires du capitalisme. Je remarquerai en passant que le premier pas décisif a été donné dans ce sens, en France, par Jouhaux, représentant des ouvriers allumettiers, travailleurs du plus vieux trust de l’État capitaliste français. Il est impossible de voir là un simple hasard.

Les nationalisations (le monopole des tabacs et allumettes n’est pas autre chose) donnent à la bureaucratie syndicale une perspective de durée, en tant qu’organisme particulier de la société capitaliste, perspective qui lui manque dans le seul exercice du syndicalisme. Elles en font des instruments directs de l’État, au même titre que les juges ou les flics. Cette bureaucratie, d’abord cantonnée dans l’économie, d’où elle agissait sur l’État, est devenue un rouage de cet État qui contrôle toute l’économie. En France, ce contrôle est encore indirect dans bien des secteurs, mais économie et État ont déjà fusionné dans d’importants domaines (électricité, gaz, charbon, transports, etc.), si bien que syndicalisme et État capitaliste tendent à se souder en un seul corps pour instituer, comme en Russie, un capitalisme d’État auquel conduit automatiquement l’évolution du capitalisme en voie de dégénérescence.

Cependant, le capitalisme est loin d’être animé d’une pensée unique l’entraînant dans une seule direction. Par ailleurs, la dépendance relative où la France est tombée par rapport aux États-Unis d’une part, la division du monde en deux blocs rivaux d’autre part, ne pouvait pas manquer, en l’absence d’un puissant mouvement révolutionnaire, de se refléter dans le syndicalisme, dans la mesure où celui-ci est lié à l’État et, conjointement à lui, pèse de tout son poids sur la classe ouvrière. La division même du monde en deux blocs devait inévitablement amener, dans ces conditions, la division syndicale. Il y a lieu de remarquer que celle-ci s’est produite, après la guerre, au moment même où chaque bloc rassemblait ses forces pour se lancer dans la « guerre froide ». Tout ouvrier un tant soit peu averti sait aujourd’hui que la C.G.T. est une simple agence de la police russe dans la classe ouvrière française et représente les intérêts d’une bureaucratie syndicale (et politique) liée au capitalisme d’État et au totalitarisme moscovite dont elle est l’ardente propagandiste, cependant que F.O. est l’instrument de Washington et de ses restes de capitalisme libéral, par le truchement des syndicats américains inféodés à leur État. Quant à la C.F.T.C., elle représente assez bien les tendances neutralistes d’une partie du capitalisme français qui craint la guerre et compte sur les prières du pape pour l’éviter.

Par ailleurs, on sait que les syndicats, théoriquement « apolitiques », sont devenus - C.G.T. en tête - de simples agences des partis politiques au sein de la classe ouvrière. Mais c’est une politique que celle-ci n’a pas choisie et qui lui est ainsi imposée de l’extérieur. En échange, le comité d’usine est appelé, de par sa structure même, à constituer une sorte de laboratoire où se constituera la politique de la révolution sociale, à la faveur de l’éveil de la classe ouvrière à la vie sociale et révolutionnaire, que ce comité d’usine favorise au maximum.

Il n’y a pas lieu de s’étonner si, dans ces conditions, les ouvriers désertent les syndicats liés aux diverses tendances du capitalisme sans pour cela se précipiter en foule dans ceux de la C.N.T., par exemple. Pourquoi auraient-ils plus confiance dans un syndicat que dans un autre ? Le fait que la C.N.T. soit dirigée par des travailleurs révolutionnaires honnêtes ne garantit à aucun degré qu’elle sera apte à remplir sa mission révolutionnaire, le cas échéant, ni même qu’elle ne dégénérera pas comme les autres centrales syndicales, puisque c’est la structure même du syndicat, où les dirigeants échappent au contrôle des travailleurs, qui favorise cette dégénérescence. Certes, aucune organisation, si parfaite et si bien adaptée qu’elle soit à son but révolutionnaire, n’est assurée contre la dégénérescence. Il y a lieu toutefois d’opposer à celle-ci le maximum d’obstacles. Or le syndicat, au lieu d’opposer des obstacles à la dégénérescence, la facilite de toutes les manières.

Le syndicat s’est donné pour objectif la défense des intérêts ouvriers dans le cadre de la société capitaliste. Dans le passé, il a largement rempli son rôle puisque, de 1890 à 1913, les grèves se soldent - tant en période d’essor que de dépression économique - par un pourcentage de succès oscillants de 47,7 % en 1911-13 à 62,3 % dans la période la plus favorable, en 1905 1907. J’ignore le pourcentage des grèves victorieuses pendant les dernières années, mais il n’est certainement comparable en rien aux résultats obtenus à cette époque. Le serait-il d’ailleurs que le niveau de vie des travailleurs n’en serait nullement amélioré puisque les prix, dans leur hausse, précèdent toujours les salaires qui s’essoufflent en vain à essayer de les rattraper, si bien que la distance entre eux s’accroît sans cesse au lieu de se réduire. La conclusion qui s’impose est donc que la lutte revendicative est devenue vaine, la situation du capitalisme français étant si précaire qu’il ne peut plus consentir le moindre avantage aux travailleurs. Là, ce n’est plus la forme d’organisation qui est en cause, car aucune autre, sur ce plan, ne pourrait mieux faire, mais le but poursuivi qui est inadéquat à l’époque présente et disproportionné aux sacrifices et aux efforts qu’il exige. La grève revendicative est entièrement périmée, de même que le syndicat dont elle était l’objectif unique. Il s’ensuit que, si l’État capitaliste est désormais incapable d’améliorer le sort de la classe ouvrière, cette dernière n’a plus d’autre ressource que de le détruire. Mais ce n’est pas le syndicat qui pourra remplir cette tâche puisqu’il est conçu en vue de la lutte revendicative dans le cadre du système capitaliste qu’il ne se propose nullement de briser. Seul, aujourd’hui, le comité d’usine est en condition de mener les travailleurs à l’assaut de la société car, cellule révolutionnaire maintenant, il constitue en même temps, dès sa création, la cellule sociale de demain.

La dégénérescence des syndicats est en outre caractérisée par l’introduction dans l’organisme économique qu’ils sont des divers courants politiques du capitalisme, montrant ainsi tout ce qu’a d’arbitraire la séparation de l’économie et de la politique. A l’époque où Marx et Bakounine étaient d’accord, les syndicats qu’ils préconisaient étaient des organismes économiques élaborant leur politique. Ce n’est que plus tard, à la faveur de la division du mouvement ouvrier, que des syndicats, se limitant au seul plan économique, ont pu se constituer sous leur forme aujourd’hui traditionnelle. Ils étaient d’ailleurs à cette époque le seul moyen de rassembler la classe ouvrière pour mener la lutte revendicative qui, dans l’esprit des syndicalistes de cette époque, constituait implicitement ou explicitement la préface à la lutte politique. Cependant, cette division a toujours été plus apparente que réelle et profonde, puisqu’aux meilleures époques les syndicats, hormis les dirigeants, étaient animés d’un véritable esprit révolutionnaire. Or, la révolution constitue l’intervention politique suprême. La F.A.I. espagnole, par exemple, représentait, bien qu’elle s’en défendît, l’organisation politique de la C.N.T. Il était normal que, dans une période de développement continu du capitalisme, le syndicat, situé sur le plan économique, eût la première place, mais il n’en va pas de même en période de crise. Pour en revenir à l’exemple de la C.N.T.-F.A.I., si en période calme la F.A.I. rentrait dans l’ombre, tandis que la C.N.T. apparaissait au premier plan, en période révolutionnaire la F.A.I. dirigeait et il était normal qu’il en fût ainsi.

Cependant, ce rapport entre F.A.I. et C.N.T. ne résulte pas de la vie même de la classe ouvrière, puisque la F.A.I. représente une minorité de la C.N.T. constituant une organisation organiquement extérieure à celle-ci et assumant en fait sa direction. La politique de la C.N.T. est celle de la F.A.I., mais la C.N.T. n’a pas été appelée à la déterminer, à peine à l’accepter. Tout au contraire, il s’agit d’aboutir à une politique décidée directement par la classe ouvrière et il n’y a pas aujourd’hui d’autres assemblées capables de la déterminer que celles des travailleurs se réunissant sur les lieux mêmes de travail pour exprimer leur volonté et désigner les délégués qui auront pour mission d’appliquer les décisions prises.

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VI. -LE COMITE D’USINE, MOTEUR DE LA RÉVOLUTION SOCIALE

Nul ne niera que la société capitaliste est entrée dans une période de crise permanente qui l’induit à rassembler ses forces défaillantes en concentrant de plus en plus entre les mains de l’État tous les pouvoirs politiques et économiques par le truchement des nationalisations. A cette concentration des pouvoirs capitalistes, va-t on continuer à opposer des forces ouvrières dispersées ? Ce serait courir à l’échec définitif. Et une des raisons principales de l’apathie actuelle de la classe ouvrière réside dans la série interminable des échecs subis par la révolution sociale au cours de ce siècle. La classe ouvrière n’a plus confiance dans aucune organisation parce qu’elle les a toutes vues à l’œuvre, ici où là, et que toutes, y compris les organisations anarchistes, se sont montrées incapables de résoudre la crise du capitalisme, c’est-à-dire d’assurer le triomphe de la révolution sociale. Il ne faut pas avoir peur de dire que toutes sont aujourd’hui périmées. Au contraire, c’est seulement en partant de cette constatation, dont on ne doit pas chercher à réduire la portée par des considérations plus ou moins circonstancielles ou en rejetant sur les autres les conséquences de ses propres erreurs, qu’on sera en mesure de réviser toutes les doctrines (qui ont aujourd’hui ceci de commun qu’une bonne partie en est périmée) et peut-être d’aboutir à une unification idéologique fondamentale du mouvement ouvrier en vue de la révolution sociale. Il va sans dire que je ne songe nullement à préconiser un mouvement à pensée monolithique, mais un mouvement unifié à l’intérieur duquel les diverses tendances jouiraient de la plus ample liberté de se manifester.

D’autre part, il n’en reste pas moins que l’action s’impose d’une manière immédiate. Elle doit obéir à deux principes généraux. D’une part, elle se doit de faciliter le regroupement idéologique que je préconise et, d’autre part, elle doit cesser de considérer la révolution sociale comme devant être l’œuvre de générations futures dont il s’agit de préparer la tâche. Nous sommes devant le dilemme : la révolution sociale et un nouvel essor de l’humanité ou la guerre et une décomposition sociale dont le passé n’offre que de bien pâles exemples. L’histoire nous offre un répit dont nous ignorons la durée. Sachons l’utiliser pour renverser le cours de la dégénérescence etfaire surgir la révolution. L’apathie actuelle de la classe ouvrière n’est que provisoire. Elle indique, à la fois, cette pertede confiance dans toutes les organisations dont je viens de parler et un état de disponibilité dont il dépend de nous, révolutionnaires, de profiter pour le transformer en révolte active. L’énergie de la classe ouvrière ne demande qu’à s’employer. Encore faut-il lui donner non seulement un but - elle le pressent depuis longtemps - mais les moyens d’atteindre ce but. S’il s’agit pour les révolutionnaires d’aboutir à une société fraternelle, il nous faut dès maintenant un organisme où puisse se former et se développer cette fraternité. Or, à l’heure actuelle, c’est sur le plan de l’usine que la fraternité ouvrière atteint son maximum. C’est donc là que nous devons agir, non en réclamant une unité syndicale chimérique aujourd’hui dans l’état actuel du monde capitaliste et qui, par ailleurs, ne pourrait se produire que contre la classe ouvrière, puisque les syndicats ne représentent plus que les différentes tendances du capitalisme. En fait, il n’y aura de « front unique » syndicaliste qu’à la veille de la révolution sociale et contre elle puisque les centrales syndicales sont également intéressées à la torpiller pour assurer leur survivance dans l’État capitaliste. Désormais parties intégrantes du système capitaliste, elles le défendent en se défendant. Ses intérêts sont les siens et non pas ceux des travailleurs.

Par ailleurs, un des plus puissants obstacles à un regroupement ouvrier et à une renaissance révolutionnaire est constitué par l’appareil des bureaucrates syndicaux, à l’usine même, à commencer par l’appareil stalinien. L’ennemi du travailleur est, aujourd’hui, le bureaucrate syndical tout autant que le patron qui, sans lui, serait la plupart du temps impuissant. C’est le bureaucrate syndical qui paralyse l’action ouvrière. Le premier mot d’ordre des révolutionnaires doit donc être : À la porte tous les bureaucrates syndicaux ! Mais l’ennemi principal est constitué par le stalinisme et son appareil syndical, car il est le partisan du capitalisme d’État, c’est-à-dire de la fusion complète de l’État et du syndicalisme. Il est donc le défenseur le plus clairvoyant du système capitaliste puisqu’il indique, pour ce système, l’état le plus stable qu’on puisse concevoir aujourd’hui. Cependant, on ne saurait détruire un organisme existant sans en proposer un autre mieux adapté aux nécessités de la révolution sociale. Celle-ci s’est justement chargée de nous montrer chaque fois qu’elle est apparue, l’instrument de son choix, le comité d’usine directement élu par les travailleurs réunis sur les lieux mêmes de travail et dont les membres sont révocables à tout moment. C’est le seul organisme qui puisse, sans changement, diriger les intérêts ouvriers dans la société capitaliste tout en visant la révolution sociale, accomplir cette révolution et, une fois sa victoire acquise, constituer la base de la société future. Sa structure est la plus démocratique qu’on puisse concevoir, puisqu’il est directement élu sur les lieux de travail par l’ensemble des ouvriers de l’usine qui contrôlent son action au jour le jour et peuvent le révoquer à tout moment pour en nommer un autre. Sa constitution offre le minimum de risques de dégénérescence à cause du contrôle constant et direct que les travailleurs peuvent exercer sur leurs délégués. En outre, le contact constant entre responsables et électeurs favorise au maximum l’initiative créatrice de la classe ouvrière appelée ainsi à prendre sa destinée dans ses mains propres et à diriger directement ses luttes. Ce comité, qui représente authentiquement la volonté ouvrière est appelé à gérer l’usine, à organiser sa défense contre la police et les bandes réactionnaires du stalinisme et du capitalisme traditionnel. La révolution ayant vaincu, c’est lui qui devra indiquer à la direction économique régionale, nationale puis internationale (elles aussi directement élues par les travailleurs), la capacité de production de l’usine, ses besoins en matières premières et en main-d’œuvre. Enfin, les représentants de chaque usine seront appelés à former aux échelles régionale, nationale et internationale, le gouvernement nouveau, distinct de la direction économique, dont la tâche principale sera de liquider l’héritage du capitalisme et d’assurer les conditions matérielles et culturelles de sa propre disparition progressive. A la fois économique et politique, il est l’organisme révolutionnaire par excellence, c’est pourquoi sa constitution même représente une sorte d’insurrection contre l’État capitaliste et ses sbires syndicaux, car il rassemble toutes les énergies ouvrière contre l’État capitaliste, même doté de pouvoirs économiques. Pour la même raison on le voit surgir spontanément aux moments de crise sociale aiguë, mais à notre époque de crise chronique, il est nécessaire que les révolutionnaires le préconisent dès maintenant s’ils veulent en finir d’abord avec l’ingérence des bureaucrates syndicaux dans les usines et rendre aux travailleurs l’initiative de leur émancipation. Détruisons donc les syndicats au nom des comités d’usine démocratiquement élus par l’ensemble des ouvriers sur les lieux du travail et révocables à tout moment.

B. PÉRET.

(Publié dans le « Libertaire » des 26 juin, 10 et 24 juillet, 7 et 21 août et 4 septembre 1952.)

G. MUNIS
LES SYNDICATS CONTRE LA RÉVOLUTION

Aucune contradiction ne peut exister entre l’aspect économique et l’aspect politique d’une conception révolutionnaire, même en imaginant entre les deux la plus nette démarcation organique et fonctionnelle. La même assertion est valable pour n’importe quelle conception réactionnaire. Ainsi l’interpénétration actuelle, l’accord et la collaboration entre les syndicats - organes économiques - et les partis politiques - organes idéologiques - nous donnent la clef des uns pour les autres, de quelque côté qu’on les prenne. Cet énoncé découle d’un vieux principe inaltérable, plus que prouvé par la raison et vérifié par les hommes au cours d’une expérience millénaire : toute idée ou action politique se dégage d’un substrat économique à l’égard duquel elle joue ensuite un rôle à la fois directeur et répressif. Au cours de ce travail nous examinerons sous différents aspects, l’interpénétration du politique et de l’économique, et nous jugerons les syndicats en mettant en scène leurs inspirateurs actuels.

Comme Benjamin Péret l’a démontré dans le travail ci-dessus, les syndicats sont apparus en tant qu’organismes défensifs de la classe ouvrière, face à des conditions de travail sous-humaines, se présentant ainsi, sur le plan industriel, comme le prolongement des anciennes confréries et corporations. Leurs aspirations se situent dès le premier regard plus bas encore que celles du réformisme. Ce dernier, déployant des analyses idéologiques et économiques, prétend démontrer que, par le truchement de la démocratie capitaliste, il serait possible d’atteindre le socialisme par évolution légale, et sans qu’il soit besoin d’actes révolutionnaires. Pour les syndicats il ne s’est jamais agi ni d’évolution ni de révolution, encore moins de socialisme. Leur désir ne va pas au-delà de l’obtention, pour le travailleur exploité, de conditions moins intolérables et moins humiliantes, mais aussi, le temps l’a montré, plus rentables pour le capital. Malgré cette tare, les syndicats primitifs étaient des organismes, sinon révolutionnaires, du moins d’esprit ouvrier et de composition saine par rapport à la corruption et au faux caractère de classe de ceux de maintenant.

À la fin du siècle dernier et au début de celui-ci apparaît le syndicalisme dit révolutionnaire, éclectisme de circonstance, glané tout à la fois dans la conception marxiste, dans le prétendu apolitisme anarchiste et dans la routine revendicative des vieux syndicats. Il n’y a aucun paradoxe dans le fait que la période de plus grande influence et de plus forte poussée d’un tel syndicalisme coïncide avec celle de la pleine exubérance réformiste.

Sorel et Bernstein, outre qu’ils étaient contemporains, avaient plus de points communs que d’inconciliables. Tandis que le premier offrait dans le syndicalisme la panacée aux problèmes du devenir historique, l’autre, et toute sa tendance avec lui, voyait dans le parlementarisme et dans les exigences même de l’accumulation du capital, l’heureux mécanisme d’une évolution certaine et harmonieuse vers la société socialiste. En réalité, syndicalisme révolutionnaire et réformisme étaient unis par le même lien à la formidable poussée économique de la bourgeoisie. C’était le moment où celle-ci atteignit le zénith de ses possibilités civilisatrices, consentant le maximum de liberté et d’illusions à ceux qui, sans échapper totalement à son complexe idéo-économique, gesticulaient à gauche. Pour cette raison, la faillite de 1914 entraîna avec elle les syndicalistes et les réformistes. La C.N.T. espagnole ne constitue même pas une exception, bien que la neutralité militaire de son pays lui épargnât les phrases et les attitudes capitulatrices de la C.G.T. française. Sa faillite particulière, comme nous le verrons plus loin, se produisit à l’instant de la révolution prolétarienne, en 1936-39.

La force numérique et la pesée sociale des syndicats crût sans cesse à partir de 1914, et si, dans quelques pays, comme la France, la première a diminué considérablement au cours des dernières années, la seconde continue à augmenter. On eût dit que le désastre de 1914 était indispensable pour que les syndicats atteignent leur plénitude. Cela se comprend car jusque là le capitalisme redoutait une force destructrice de leur part, et il n’avait pas eu l’occasion de voir - sauf peut-être en Angleterre - la collaboration qu’ils pouvaient lui apporter. Mais dès la fin de la première guerre mondiale, de nombreuses expériences de contrôle « ouvrier » dans les usines surprirent les capitalistes, par leurs effets satisfaisants. Ils atténuaient la lutte des travailleurs contre le capital, facilitaient les opérations de la production et par-dessus tout faisaient monter le rendement. Les syndicats se dessinaient, non seulement comme défenseurs de la patrie - cette entité spécifiquement capitaliste - mais comme collaborateurs efficaces du mécanisme même de l’exploitation. Cela fit leur fortune et leur ouvrit des horizons encore insoupçonnés. Cependant, ce fut à partir de ces années 36-37, années qui pour bien des raisons posèrent une borne très importante dans l’histoire du mouvement ouvrier mondial, que les syndicats prirent leur orientation définitive. Ils mirent en évidence les aptitudes grâce auxquelles ils sont devenus l’un des plus solides piliers de la société actuelle.

À vingt ans de distance la révolution russe et la révolution espagnole furent la première et la dernière explosion d’une même offensive du prolétariat mondial contre le capitalisme, offensive jalonnée par d’incessantes attaques dans beaucoup d’autres pays. Entre-temps, la bureaucratie stalinienne parachevait son capitalisme d’État, et juste au moment où la révolution espagnole battait son plein se débarrassait par le pistolet et par la calomnie de tous les communistes authentiques. Cette destruction modifia de manière décisive tous les facteurs organiques de la lutte de classes et vicia tous les facteurs idéologiques. Depuis longtemps l’intervention russe dans le mouvement ouvrier mondial était négative ; en Espagne le parti de Moscou entraîné par ses propres nécessités de conservation, s’avéra la principale force de police contre-révolutionnaire. En juillet 1936, il s’efforça - heureusement en vain - d’empêcher le soulèvement du prolétariat qui mit en pièces l’armée nationale sur la plus grande partie du territoire. En mai 1937, ce même parti mitrailla le prolétariat, soulevé cette fois contre sa politique réactionnaire, le vainquit, le désarma et écrasa la révolution. Ce que les militaires n’avaient pas réussi en juillet 1936, le stalinisme l’accomplit dix mois après.

Pour la première fois Moscou agissait, hors de son territoire, directement en force contre-révolutionnaire. Jusqu’à présent on n’a pas bien évalué - il s’en faut de beaucoup - les vastes conséquences réactionnaires de cet événement. Là prennent leur source tous les faits d’importance mondiale qui s’ensuivent, depuis le pacte Hitler-Staline et la seconde « grande guerre » jusqu’à la politique de « coexistence pacifique », et les soulèvement tels que ceux d’Allemagne orientale, de Pologne et de Hongrie, qui se situent, non sur le plan du prolétariat espagnol de mai 1937, mais tout au plus sur le plan de l’insurrection de juillet, avec cette fois à la place des militaires franquistes, l’armée et la police staliniennes. Imre Nagy et les siens étaient à la Hongrie ce que le front populaire était à l’Espagne en 1936 : le sous-produit d’un soulèvement révolutionnaire, mais non l’âme de la révolution.

Il est significatif que ce soit à partir de 36 que les syndicats, dévoilant toutes leurs caractéristiques latentes, se manifestent incontestablement comme organismes auxiliaires du capital. Que dans un tel développement, ce soit le stalinisme qui accapare la plus grande influence syndicale, sauf les exceptions définies par les Trade-Unions anglaises et américaines, est très naturel. L’empirisme économique du capitalisme trouve dans l’empirisme contre-révolutionnaire russe une expression politique supérieure, qui l’inspire et le complète tout à la fois ; l’un et l’autre se confondent et fusionnent jusqu’à la perfection dès que le milieu propice se présente. Or, désormais, ce milieu existe, sous une forme plus ou moins achevée, et ce n’est pas autre chose que le capitalisme à son étape actuelle, si l’on considère chaque pays, même arriéré, comme un cas non pas isolé, mais inscrit dans le système mondial.

Prenons en premier lieu la zone occidentale qui se vante de sa démocratie, et plus concrètement, de son droit de grève. En réalité. on concède cette liberté non aux travailleurs, mais aux représentants que la loi leur reconnaît : les syndicats. Toute grève déclenchée par les travailleurs eux-mêmes suscite à son encontre une coalition de l’État et des syndicats qui cherchent à la briser, tantôt par la défaite directe des ouvriers, tantôt en ramenant ceux-ci à la légalité arbitrale. Depuis que la grève révolutionnaire française de 1936 a été brisée par les hommes de Moscou (Thorez : « Il faut savoir terminer une grève ») et par ceux de la S.F.I.O.. réunis (cabinet Blum et police commandée par des « Socialistes ») presque tous les pays ont connu des grèves menées à l’échec par les syndicats, parce qu’elles contrecarraient leurs règles économiques et politiques. Ainsi la grève a été, de fait et de droit, confisquée par les syndicats. Mais ce n’est pas tout. Au-delà du fait toujours exceptionnel de la grève, dans les rapports quotidiens entre capital et travail - qui sont la forge de la lutte des classes - les syndicats apparaissent, non seulement comme amortisseurs entre les deux camps, mais comme messagers du premier auprès du second et comme agents d’adaptation du second au premier. Toutes les manifestations naturelles de la lutte du travail contre le capital, une fois accaparées par les syndicats, se retournent contre le travailleur, au profit du capital.

Il suffit de rappeler certains faits pour que l’argumentation soit indéniable. Les comités d’usines, aussi bien que les délégués de département, d’atelier, de profession ne sont pas l’expression de la libre volonté des travailleurs, quel que soit, selon le pays, le mode de leur élection. Ils sont une représentation des syndicats, en marge desquels les travailleurs n’ont le droit d’élire personne : même les fameux « shop-stewards » britanniques ont besoin de l’assentiment des Trade-Unions. Dans la plupart des pays, la loi a décidé que les syndicats reconnus par elle représentent la classe ouvrière. Celle-ci n’a donc plus le droit de se faire représenter selon sa volonté, et encore moins de créer des organismes différents des syndicats, pour diriger ses luttes et au besoin pour traiter avec le patronat ou l’État. Droits de la classe ouvrière et droits syndicaux sont manifestement deux choses contradictoires. De là l’opposition entre les travailleurs et les comités d’usines ou les délégués départementaux, opposition toujours latente, heurt aigu dès qu’il se présente un conflit d’une certaine envergure avec le patron et choc direct si la lutte s’amplifie. Au cours des vingt dernières années, toutes les grèves qui méritent ce nom ont dû être déclarées contre la volonté des syndicats et en débordant leurs représentants dans les usines ; les travailleurs ont dû élire d’eux-mêmes des comités de grève. Cependant chaque fois que ces comités de grève élus par les ouvriers ou les assemblées d’usine se sont laissés influencer par les dirigeants syndicaux, le capital a eu le dessus.

Les contrats collectifs de travail avaient pour but de restreindre l’arbitraire patronal dans les multiples domaines où il peut s’exercer : conditions et horaire de travail, intensité de l’exploitation (productivité horaire), éventail des salaires par catégorie (hiérarchisation), embauche et licenciement, liberté politique, droit de parole et d’assemblée dans les usines, règlements intérieurs de celles-ci, etc.. Les contrats collectifs sont devenus, entre les mains des syndicats auxquels la loi reconnaît aussi le monopole de la discussion et de la signature, un formidable instrument d’assujettissement du prolétariat au capital en général, aux syndicats en particulier, si bien que les syndicats sont devenus, dès maintenant, partiellement ou totalement dépositaires de l’exploitation. Licenciement et embauche sont livrés le plus souvent à la merci du capital, sauf, dans les cas de syndicalisation obligatoire (closed shop), qui loin de garantir le travail aux ouvriers, octroient aux syndicats la prérogative de son adjudication, coercition économique réactionnaire au plus haut degré. Nous le verrons plus loin, en parlant des syndicats dans la zone orientale. Les contrats de travail sanctionnent et encouragent la division de la classe ouvrière en groupes hiérarchisés que les différences de salaires et les préjugés attachés à la catégorie et à la fonction technique du travailleur opposent les uns aux autres. Les syndicats mettent un soin tout instinctif à la hiérarchisation du prolétariat, sans laquelle celui-ci formerait un bloc compact face au capital. La nécessité de démembrer le prolétariat par la hiérarchisation, et de l’éloigner ainsi de son seul intérêt suprême, est aussi absolue pour les syndicats que pour le capital. Pendant un siècle le mouvement ouvrier s’est battu contre la hiérarchisation, et il l’avait ruinée en grande partie comme préjugé, tout en rétrécissant ses bases matérielles. Au cours de ces dernières décennies les syndicats et leurs inspirateurs politiques ont réussi à rétablir largement le préjugé et multiplié les catégories. La plupart des travailleurs, même les plus défavorisés, estiment aujourd’hui naturelle et « juste » la hiérarchisation. Enfin, si l’idée originelle des contrats collectifs était de mettre un frein à l’arbitraire du capital en attendant de le supprimer, aujourd’hui ils constituent une réglementation presque parfaite des exigences fonctionnelles du système. En discutant et en signant les contrats collectifs, les syndicats se comportent comme s’ils faisaient partie intégrante des accapareurs des instruments de production. Aux États-Unis et dans d’autres pays, de nombreux syndicats sont importants actionnaires de compagnies qui exploitent leurs syndiqués, ce qui, loin de préfigurer une société socialiste, les transforme en bénéficiaires de l’exploitation dans le plein sens économique et idéologique du terme. Et là où ils ne participent pas à l’élaboration des plans d’exploitation, ils réclament cet honneur.

Les lieux de travail, les grandes usines en particulier, arènes de la lutte des classes, permettent aux ouvriers les plus révolutionnaires une action idéologique et pratique permanente de grande envergure. Mais cette action, ce sont encore les syndicats qui la rendent impossible. Très souvent les contrats collectifs stipulent que l’activité politique et la distribution de propagande à l’intérieur de l’usine sont des délits, sans parler des discussions et réunions indispensables à toute action ouvrière. Il y a de longues années que les syndicats se sont acoquinés avec la direction patronale chaque fois qu’il s’est agi de renvoyer des ouvriers révolutionnaires. C’est maintenant devenu une clause écrite noir sur blanc dans les contrats collectifs, ou bien subrepticement admise, puisque inscrite dans tous les règlements patronaux des usines. Les syndicats et leurs inspirateurs politiques se chargent eux-mêmes de faire la police contre les distributeurs de propagande révolutionnaire, au besoin de les matraquer. En Italie, les leaders syndicaux staliniens ont accordé aux industriels le droit de congédier, sans préavis ni indemnisation, les ouvriers coupables de distribution de propagande ou d’agitation [2]. En France, la plupart des règlements d’usines en permettent autant, et l’interdiction de penser va si loin que même les ouvriers les plus rebelles ont peur de s’exprimer et laissent faire. La situation n’est pas meilleure en Allemagne, en Angleterre, ou aux États-Unis, pas plus qu’en Russie ou en Espagne. Ainsi, grâce à l’action convergente du capital et des centrales syndicales, la classe ouvrière se trouve réduite à la clandestinité, même sur les lieux de travail, là où on l’exploite et où elle laisse sa peau.

Il est indispensable que le prolétariat récupère sa liberté politique, ce qui est impossible sans jeter par-dessus bord l’actuelle légalité syndicalo-patronale. L’entière liberté des hommes en ce qui concerne l’exercice de leur travail contient en germe la future démocratie révolutionnaire et le communisme. Le communisme, oui, car ceux qui se disent aujourd’hui communistes ne le sont pas, et par répulsion bien légitime envers ceux-ci, ceux qui le sont réellement évitent souvent d’en revendiquer le nom.

Dans le domaine strictement économique la situation de la classe ouvrière ne fut jamais pire. Tout ce que l’on dit dans le sens contraire est du bourrage de crâne. La journée de huit heures, qui aurait dû être remplacée depuis longtemps par celle de quatre ou de cinq heures au plus n’existe encore que sur le papier. Dans de nombreux pays, le refus de faire des heures supplémentaires est cause immédiate de renvoi, et partout, l’introduction du soi-disant « salaire de base », (norme en Russie), délibérément mesquin, des primes et bonifications à la productivité, etc., non seulement forcent le travailleur à accepter « de son plein gré » des journées de dix à douze heures, mais abolit en fait le salaire journalier ou horaire, en imposant à nouveau l’ignoble travail à la pièce. Depuis son origine le mouvement ouvrier s’est efforcé d’en finir avec cette forme d’exploitation, la plus vieille de toutes, qui épuise physiquement le travailleur et l’abêtit intellectuellement. Il avait réussi à le faire disparaître dans presque toute l’Europe. Il y a encore vingt ans la plupart des ouvriers considéraient déshonorant d’accepter n’importe quel travail à la pièce. Aujourd’hui ce travail est à nouveau la règle, moins parce que le capital l’a imposé que par la fourberie des syndicats ; en réalité nous avons là une preuve de leurs affinités ultimes.

Dans l’aspect le plus profond de l’exploitation, celui de la productivité par tête et à l’heure, le prolétariat se voit acculer à une situation terrifiante. La production qu’on lui soutire chaque jour s’accroît prodigieusement. D’abord les innovations techniques, qui retirent à l’ouvrier toute intervention créatrice dans son travail, mesurent ses mouvements à la seconde, et le transforment en un « mécanisme de servitude » vivant, assujetti à la même cadence que les mécanismes métalliques ; ensuite le chronométrage, traquenard atroce et répugnant, force les hommes à travailler chaque fois davantage avec le même outillage et pendant la même unité de temps ; en troisième lieu la discipline de chaque établissement rogne sur la plus petite suspension de travail, même pour allumer une cigarette ou pour déféquer ; la production que l’on arrache par ces moyens à chaque homme est énorme, comme, dans la même proportion, son épuisement physique et psychique.

Toucher ce problème, c’est mettre le doigt dans la plaie de la société actuelle et des syndicats qui en font partie, et il n’y a aucun moyen de le résoudre sans bouleverser la relation actuelle entre instruments de travail et travail salarié, entre production et distribution, bref sans être amené à la révolution. Mais pour le traiter comme il convient, il est nécessaire de voir au préalable ce que les syndicats représentent en Russie, prototype dont l’imitation est obligatoire dans tout son domaine oriental, et même au-delà.

Tout ce que l’on a dit sur l’œuvre réactionnaire des syndicats et la détérioration de la condition prolétarienne en Occident est encore plus valable pour le monde russe. Depuis que, sous l’égide de Staline, le capitalisme d’État s’est installé en Russie, tout le vieux monde bourgeois y a pris des leçons d’exploitation. De répression policière également, mais ici on se limite à parler des relations entre capital et travail et du rôle des syndicats. Ainsi donc si les syndicats en général, partout et depuis longtemps, constituent une force complémentaire du capital au sein de la classe ouvrière, la contre-révolution stalinienne, en leur donnant un très forte poussée dans ce sens, et en leur offrant un exemple à faire envie, leur révéla leur propre destinée intrinsèque. Presque toutes les mesures qui depuis 1936 aggravent l’exploitation du prolétariat en Occident et sa condition d’objet ont leur modèle en Russie stalinienne.

Suppression complète des libertés politiques et de réunion, à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine ; heures supplémentaires imposées par la direction ou par l’insignifiant salaire de base (norme) de la journée officielle, amendes et mesures disciplinaires à discrétion de la maîtrise qui dicte également les règlements d’usine, chronométrages et contrôles innombrables, travail à la pièce, hiérarchisation du prolétariat par les salaires et la « qualification » technique, contrats collectifs profitant uniquement au capital, accroissement continu de la productivité au détriment des producteurs, interdiction des grèves en fait ou en droit bref, tout ce qui, en Occident, transforme les centrales syndicales en institutions chaque fois plus négatives, reçut une forte impulsion de la Russie des années 30, et inspira le capital et les syndicats du monde entier. Même aujourd’hui tous les moyens renforçant l’exploitation y gardent les devants, sauf peut-être pour la Chine.

Il est bien connu, au moins de ceux qui sont au courant de la situation en Russie, que l’inégalité économique entre privilégié et exploité y est plus grande que partout ailleurs, de même qu’elle est plus importante entre les différentes catégories de travailleurs. L’inégalité entre privilégié et exploité, tout à la fois cause et effet du capitalisme, n’intéresse ici que par rapport à l’évolution et à l’avenir des syndicats. Qu’il suffise de noter pour le moment que cela pose en Russie, comme dans tout autre pays, la nécessité de l’expropriation du capital par les travailleurs, ce qui est impossible sans qu’une insurrection rase jusqu’à ses fondements l’actuel dispositif gouvernemental y compris parti officiel et législation. La bureaucratie stalinienne, mieux encore qu’aucune bourgeoisie, sait intensifier l’exploitation en accélérant le rythme du travail et en introduisant dans le prolétariat le plus grand nombre possible de catégories. C’est le moyen traditionnel du capitalisme pour « stimuler » la production, que de substituer à l’intérêt historique homogène du prolétariat une multiplicité d’intérêts hétérogènes immédiats, qui sont autant d’entraves à l’action révolutionnaire commune. Une fois de plus, les « natchalniks » [3] syndicaux et politiques russes, ont damé le pion à ceux du monde occidental [4]. En Russie, les ouvriers chefs d’équipe tirent profit de l’exploitation de leurs camarades de travail : les stakhanovistes touchent une prime proportionnelle au dépassement de la « norme » et au nombre d’ouvriers de leur équipe. Ils voient ainsi leur paie augmentée par l’exploitation des simples travailleurs, et sont ainsi poussés à l’intensifier. Les stakhanovistes sont donc convertis en ennemis de leurs camarades de travail plus nettement encore que les contremaîtres d’Occident aux appointements fixes. Rien d’étonnant puisqu’en Russie tout a été renversé. Une fois la contre-révolution substituée à la révolution, une dictature capitaliste qui se dit démagogiquement prolétarienne présente - en réalité impose - comme socialistes les plus sales mœurs et principes du capitalisme traditionnel. La Loi du Travail, approuvée en 1939, décrète :

« Les caractéristiques de la dynamique des salaires dans les pays capitalistes, c’est le nivellement des salaires entre les ouvriers spécialisés et les non-spécialisés. Dans la rémunération du travail, le nivellement petit-bourgeois est le pire ennemi du socialisme. Depuis de longues années le marxisme-léninisme lutte sans répit contre le nivellement. »

Autant d’années, en effet, où l’on a essayé de donner le change en présentant le développement industriel par le travail salarié comme l’expression fidèle de la pensée marxiste, qui se fixe au contraire pour objectif l’abolition de ce travail et le nivellement économique de la société, dans la satisfaction illimitée de tous les besoins individuels, égalité et liberté suprêmes, indispensables à tout épanouissement personnel ou collectif. Si l’on n’y aspire pas, rien de révolutionnaire ne peut se faire dans l’actuel tournant historique.

Dans les vieux pays capitalistes, la différence des salaires au sein du prolétariat est un état de fait, établi par le marché direct entre le capital et le travail. En Russie elle a acquis une valeur de principe, de loi constitutionnelle, et par conséquent la combattre est un crime relevant de la justice. La relation traditionnelle entre capital et travail, que la bourgeoisie ne sut jamais justifier en tant que relation sociale, d’homme à homme, mais seulement par le subterfuge du « droit sacré de propriété » - lequel en réalité se tourne contre elle dès qu’on considère comme propriété, non les moyens de production ou instruments de travail, mais tout ce qui est nécessaire à la consommation matérielle et au plein développement psychique de chacun - cette relation s’est transformée, en Russie, en relation naturelle et définitive entre capacités différentes. Ainsi, aux classes ou catégories sociales délimitées de fait par la richesse succèdent les classes délimitées de droit par leur capacité de production et leurs fonctions spéciales. La délimitation de fait par la richesse prend de l’importance au lieu d’en perdre. Pire encore, là pointe une justification biologique de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Signalons encore que les contrats de travail imposés par les syndicats russes ont pour principal objet de mettre la classe ouvrière, même juridiquement, à la merci du capital, « en garantissant l’accomplissement ou le dépassement du plan de production d’État dans chaque établissement donné » [5]. Il s’agit d’arracher à la main d’œuvre des taux de production chaque fois plus hauts :

« (...) La stipulation principale des obligations contractées doit être de demander davantage à chaque ouvrier. Sans un renforcement de la discipline du travail, sans une lutte énergique contre les transgresseurs de la discipline de l’État et du travail - tricheurs, fainéants - il ne peut y avoir un véritable accomplissement des obligations établies dans le contrat collectifs [6]. »

Le mot contrat est une marque au fer pour la classe ouvrière. Collectif ou individuel, verbal ou écrit, « libre » ou imposé, le contrat de travail est le gribouillage légal de sa condition de classe esclave salariée par le capital, d’après les propres termes de Karl Marx. Cela suffit pour mettre au pilori la supercherie des nouveaux exploiteurs russes. Ni capital ni salariat ne sauraient exister dans une économie socialiste, et par suite le contrat de travail, c’est-à-dire les conditions de location de la main-d’œuvre, n’y pourrait pas se réaliser, simplement par la disparition des parties contractantes. Les moyens de production cessent d’y être capital, et la force humaine de travail marchandise en vente. Unis en une seule entité économique et sociale, ils deviennent aussi exempts de toute obligation contractuelle que tout individu envers lui-même. Le contrat de travail russe, de par sa seule existence, s’inscrit parmi les liens sociaux caractéristiques du capitalisme. Mais dans ses « innovations », particulièrement dans le rôle éhonté de garde-chiourme que les syndicats y jouent, transparaît le lugubre contour d’une société en dégénérescence, dont les despotes paraissent plus aptes que n’importe qui à couper le souffle au prolétariat.

Effectivement, ces contrats, dont la principale clause est d’arracher à l’ouvrier la plus grande production possible, sont élaborés par les syndicats et après la formalité de l’approbation gouvernementale, c’est aux syndicats que revient l’obligation de stimuler le servilisme par la promesse d’une meilleure paie, de menacer, ou de dénoncer à la vindicte des lois les hommes indociles à l’accomplissement des impératifs de l’exploitation. La lutte ou la simple résistance pour travailler moins et gagner plus (« Le droit à la paresse » !) que le mouvement révolutionnaire mondial a toujours considéré comme un mérite du travailleur et une exigence du progrès historique, le gouvernement russe les flétrit avec mépris et les punit comme un crime, toujours par la voie syndicale.

Les syndicats apparaissent donc aux yeux du prolétariat russe, comme les organismes immédiatement responsables de son exploitation et des sévices caractéristiques de la contre-révolution. Il existe une quantité de documents probants dans ce sens, qui rempliraient facilement plusieurs volumes. Il est impossible de les énumérer ici. Une des plus grandes faiblesses du mouvement révolutionnaire mondial, peut-être la cause de son exiguïté actuelle, est de ne pas s’être levé contre cette ignominie. Dans cette brochure, il suffit largement de rappeler quelques autres faits de contenu et de portée non moins réactionnaires : les lois qui interdisent au travailleur de changer de patron sans l’autorisation du patron lui-même - actuellement inexistantes dans tous les vieux pays capitalistes - qui instaurent le salaire directement proportionnel à la production de chaque ouvrier (travail à la pièce) sans parler des primes de servilisme politique ; qui punissent par des amendes, suspension temporaire du travail, licenciement ou condamnation à des travaux forcés, le retard, les absences ou autres manquements à la « discipline » ; qui transforment, en quelque chose d’honorable et de payant tout ce que la pensée révolutionnaire considère comme ignominieux ; en somme toutes les lois, constituant l’étau qui broie le prolétariat comme nulle part ailleurs, apparaissent dans le monde russe comme l’œuvre des syndicats. Cette législation est tout à la fois proposée et appliquée par eux. Par-dessus le marché, les camps de travaux forcés - de rééducation selon le jésuitisme officiel - tombeaux de milliers d’ouvriers, et tout particulièrement des révolutionnaires, procédé délibérément choisi pour abaisser le salaire moyen et pouvoir parler en même temps de l’absence de chômage, sont aussi des « institutions », créées sur l’initiative des syndicats, qui en partagent les bénéfices avec l’État et son instrument essentiel : la police.

On pourrait arguer que les syndicats, comme tout un chacun le sait, n’agissent pas là-bas de leur propre initiative. Leur disqualification du point de vue des salariés, n’en est pas pour autant moins complète. L’expérience mondiale indique que dans leur structure organique et dans leur fonction par rapport à la classe ouvrière préexiste quelque chose de propice à leur transformation en engrenages du plus centralisé et du plus absolu des capitalismes. Certes les syndicats russes obéissent aveuglément aux ordres du gouvernement, ils n’en sont que l’instrument vulgaire, mais leurs propres chefs s’intègrent dans les plus hautes hiérarchies du Parti et de l’État, devenant ainsi, en même temps, copropriétaire du capital anonyme et dirigeants « ouvriers ». Jamais un syndicat patronal ne rêva d’un assujettissement aussi accompli des travailleurs.

En Russie la fonction syndicale est, à l’heure actuelle, entièrement confondue avec la fonction exploitatrice du capital. Le syndicat est tout à la fois patron, contremaître et police. Dans chaque usine il représente, en triumvirat avec le directeur et des techniciens - tous membres distingués du syndicat et de la cellule « communiste » - la même chose que les conseils confidentiels hitlériens (Vertrauensrat). Par-dessus le marché, la fusion complète du capital et de l’État-parti, efface jusqu’à la dernière trace d’autonomie syndicale et d’activité revendicative. Pour les travailleurs russes c’est là une notion qu’il n’est pas besoin d’apprendre, car ils en ont éprouvé durement les conséquences pendant de longues années.

Il y a dans la trajectoire de la société russe une nette rupture entre la période soviétique et la période syndicale. Les Soviets furent les organismes représentatifs des travailleurs, exécuteurs de leur mandat et de la révolution ; les syndicats, eux, des organismes d’embrigadement, exécutant les ordres de la contre-révolution. Les Soviets durent être paralysés et finalement dissous, alors que les syndicats gagnaient en importance et en prérogatives au fur et à mesure que la bureaucratie découvrait sa nature contre-révolutionnaire. Le prolétariat fut rejeté et bâillonné à tel point qu’aujourd’hui nulle part son assujettissement n’est aussi absolu qu’en Russie. Certes, ce ne sont pas les syndicats isolément qui ont inspiré la contre-révolution. Celle-ci est issue d’un ensemble d’intérêts et d’idées bourgeoises, scories de l’époque tsariste au sein de la révolution, sa base principale étant la haute bureaucratie administrative, politique et technique, dont le nombre et les privilèges se sont monstrueusement accrus. Mais à leur tour les syndicats - ou si l’on préfère leurs couches dirigeantes - constituent un secteur inséparable de cette catégorie de capitalistes étatiques et omnipuissants qui régissent l’immense société anonyme fallacieusement dite Union Soviétique.

L’interpénétration des syndicats et de la contre-révolution russe n’est ni imposée par celle-ci ni due au hasard. Elle résulta du devenir spontané tout mécanique, de leurs natures intrinsèques, dût le gouvernement assassiner ou « purger » certains leaders syndicaux en même temps que les anciens dirigeants révolutionnaires. Il attaquait en eux, non leurs fonctions syndicalistes, mais leur attitude communiste, réelle ou potentielle. En tant qu’organismes, et de par leur conformation même les syndicats s’ajustaient parfaitement aux visées spécifiques et à la routine fonctionnelle de la contre-révolution. Il suffit, pour s’en rendre compte clairement, de serrer de très près la notion de syndicat.

Le syndicat est tout à fait inconcevable sans l’existence universelle du travail salarié qui, à son tour, présuppose celle du capital. Aussi longtemps que celui-ci se trouve incarné dans des propriétaires individuels engagés dans la concurrence mercantile et représentés au gouvernement par des personnes ou des partis interposés, les syndicats sont tout au plus en mesure de marchander certaines conditions de l’exploitation des travailleurs. Ils ont donc pour fonction de réglementer la vente de la force de travail, fonction devenue indispensable à l’ordre capitaliste moderne. De là leur importance actuelle, partout, en tant que structures complémentaires de la société, sinon de l’État lui-même. Mais la fonction même qui permit jadis aux syndicats de donner leur maximum d’ouvriérisme, est aussi une borne signalant leur limitation et leur prédestination réactionnaire. Leur existence comme corps constitué dépend entièrement de la dualité capital-travail. Ils seraient immédiatement annihilés par la suppression de celle-ci ; par contre, ils peuvent pencher autant qu’on le voudra du côté du capital sans détruire cette dualité et en devenant, au contraire, de plus en plus indispensables à son maintien. De là vient que, plus la concentration du capital est gigantesque et anonyme, plus les syndicats s’y juxtaposent et plus ils considèrent leur rôle comme directement déterminé par les grands intérêts « nationaux ». A telle enseigne que même les leaders staliniens occidentaux, ces commis de l’impérialisme russe, ont soin de présenter leur politique syndicale comme un facteur de salut national. Ils ne mentent pas, car leur seul avenir est d’être le dernier rempart du capitalisme étatisé.

Ainsi, tous les syndicats sans exception sont en train de passer de la phase de « libre » compétition entre l’offre et la demande de force de travail - entre ouvriers et bourgeois - à la phase d’embrigadement de l’offre par la demande, c’est-à-dire des ouvriers par le capital monopoliste ou étatique. Par voie directe ou indirecte les syndicats participent d’ores et déjà, dans la plupart des cas, aux bénéfices capitalistes ou bien ils en flairent l’opportunité [7]. En Russie, cette évolution s’est accomplie au pas de la métamorphose contre-révolutionnaire du pays tout entier. La loi y octroie aux syndicats la haute main sur la classe ouvrière, sans qu’il reste aux travailleurs, ni individuellement ni collectivement, tant soit peu la possibilité de discuter, accepter ou rejeter les clauses de leur propre exploitation. Toutes les conditions du travail - et de surcroît, ce que chaque ouvrier doit penser - sont dictées par les syndicats directement, au nom du capital. Comme toujours, l’économique et le politique s’interpénètrent et ont fini par se fondre dans le plus dur des absolutismes.

Les exemples d’un syndicalisme de classe que certains pourraient soulever ont tous été le fait de l’influence des révolutionnaires et ils se situent à une époque (achevée par la révolution espagnole) qui permettait un certain jeu de la lutte de classes circonscrit dans le capitalisme. Mais les révolutionnaires qui s’obstinent, aujourd’hui, à tirer des syndicats un avantage quelconque pour le devenir socialiste, se condamnent lourdement à l’inefficacité ou à quelque chose de pire : la trahison. Les anciens combats du syndicalisme français, espagnol, italien, etc., furent entièrement l’œuvre des tendances révolutionnaires, nettement marxistes ou anarchistes. La C.N.T. espagnole n’aurait rien été sans la F.A.I. (Fédération Anarchiste Ibérique), et c’est la F.A.I. elle-même qu’il faut rendre responsable de l’alliance réactionnaire avec le stalinisme pendant la guerre civile. L’année 1936 marque la faillite du syndicalisme espagnol, en tous points comparables à celle de la C.G.T. française en 1914. Non seulement il se soumit pour l’essentiel au stalinisme (soumission toujours présentée comme politique de salut national), mais il établit, avec la centrale réformiste U.G.T., une alliance qui comportait, en termes assez explicites, le capitalisme d’État. La C.N.T. ne se relèvera jamais d’une telle chute. Tout groupement révolutionnaire né dans son sein devra mettre le cap vers d’autres horizons.

L’expérience des collectivités en Espagne n’est syndicaliste que par ses défauts. Ce fut un mouvement déclenché par l’impulsion révolutionnaire des militants et des masses au plus haut degré de radicalisation ; les syndicats se trouvèrent placés devant le fait accompli. L’on peut en dire autant du soulèvement contre les militaires le 19 juillet 1936 et de la magnifique insurrection en mai 1937. Lorsque, après l’action révolutionnaire, les syndicats interviennent, contrôlent, administrent, la vapeur est renversée ; l’activité du prolétariat en général et des révolutionnaires en particulier recule, c’est le prélude de la défaite. Dans le même ordre d’idée, il faut rappeler, en France, l’expérience encore fraîche de la grève de Nantes, en 1956. Œuvre de quelques militants révolutionnaires dans les syndicats locaux, elle fut livrée à l’ennemi par les syndicats nationaux. Des centaines d’exemples similaires se trouvent éparpillés dans tous les pays du monde.

Les tentatives de donner aux syndicats un contenu révolutionnaire à l’aide d’oppositions intérieures, ou même en créant de toutes pièces des syndicats nouveaux, sont vouées à l’échec. On n’aboutira par de telles « tactiques » qu’à blaser l’esprit révolutionnaire de ceux qui les appliquent, si on ne les transforme pas tout court en bureaucrates. Les syndicats portent en eux les multiples et puissantes forces coercitives et déformantes de la société capitaliste, qui agissent sournoisement sur les hommes, modifiant ou détruisant même les meilleurs par un incessant travail d’érosion. Ils sont aussi peu modifiables dans un sens révolutionnaire que la société capitaliste elle-même. Tout comme celle-ci, ils utilisent les hommes à leurs fins particulières, mais les hommes ne seront jamais en mesure de les adapter à la finalité révolutionnaire ; ils devront les faire éclater.

Cette entreprise de modification s’avère chimérique même au seul point de vue pratique. Dans la majorité des pays, les travailleurs ne sont plus dans les syndicats. Qu’ils en portent le carnet dans la poche, volontairement ou forcés par la loi, ils ne les regardent pas moins avec méfiance ou répulsion. Dans les pays de plus grande expérience, les travailleurs n’ont recours aux syndicats que s’ils voient violés de façon flagrante les droits que la loi capitaliste leur consent. Formalité fastidieuse mais indispensable, de même nature que celle de s’adresser au commissariat de police en cas de vol. Ils savent que, contre les lois capitalistes, il est vain de s’adresser aux syndicats, car ceux-ci en émanent. De là la chute des effectifs syndicaux dans de nombreux cas et dans tous la désertion des assemblées par la majorité des travailleurs. Les syndicats, qui ont une vie bureaucratique et légale propre, n’ont besoin de la classe ouvrière que comme élément docile de manœuvre et, précisément, dans le but de se pousser en tant qu’institution légale de la société où nous vivons. Syndicats et masses prolétaires ont une vie quotidienne et des mobiles entièrement différents et tout travail « tactique » intérieur, même guidé par les intentions les plus pures, entravera l’activité et la vie propres des exploités, en détruisant leur élan combatif et en leur barrant le chemin de la révolution.

La position de Lénine et de Trotzky sur le travail révolutionnaire dans les syndicats est tout à fait en dehors des réalités actuelles. Elle présupposait explicitement que le prolétariat, inexpérimenté, non organisé antérieurement, s’assemblait, plein d’illusions politiques, dans les syndicats, où la liberté de parole permettrait aux révolutionnaires de s’exprimer, de « démasquer » la direction opportuniste et d’élargir leur influence [8]. En plus des illusions des masses sur les organisations pseudo-révolutionnaires, une prémisse-clé de la tactique léniniste était la nature idéologique, réformiste de ces organisations mêmes, alors très intéressées à tirer du capitalisme des concessions démocratiques en tant qu’aile gauche d’une société non aboutie. Ces conditions ont aujourd’hui disparu et ceux qui continuent à régler leurs activités d’après elles s’agitent en vain. Le prolétariat a fait cinquante fois l’expérience des syndicats et des partis qui les dominent et ceux-ci ont changé dans un sens indéniablement réactionnaire. Se comporter à leur égard comme s’il s’agissait d’organisations encore réformistes ou opportunistes n’est qu’une niaise expression de l’opportunisme actuel.

Le fondement le plus solide d’une critique révolutionnaire des syndicats, défendue ici, est un facteur non contingent ni tactique, mais de principe et de stratégie, qui n’avait pas été pris en considération par Lénine et Trotzky, sans doute parce qu’il ne s’est nettement dessiné que pendant les dernières décennies. Il s’agit de l’assimilation des syndicats et de leurs inspirateurs politiques par le monde du capital, non plus en qualité d’aile démocratique bourgeoise, mais comme suppôts de la société d’exploitation et de ses nouvelles exigences contre-révolutionnaires. La polémique sur les syndicats entre Lénine, Trotzky et Tomsky, avant que l’ombre sinistre de la police stalinienne n’ait ravagé la pensée révolutionnaire, trouve sa solution, à travers la longue épreuve de l’expérience, dans les conclusions de cette brochure.

Il y a encore des révolutionnaires qui refusent de voir le problème et murmurent comme un credo : « Puisque toutes les conditions qui ont engendré les organisations syndicales sont toujours là on ne voit pas comment, de nos jours, on peut nier leur « fonctionnalité ». En même temps, ils renvoient la disparition des syndicats au moment de la disparition « des caractères spécifiques de la société bourgeoise », c’est-à-dire une fois aplanie « la séparation des producteurs d’avec les instruments de production » [9]. Il s’agit là d’un faux-fuyant sentencieux plutôt que d’un argument. Ce qu’on peut y reconnaître comme vrai rebondit, après analyse, contre la tactique de modification révolutionnaire des syndicats. En effet, si on entend, par conditions qui ont engendré les syndicats, l’achat, par les accapareurs des instruments de travail, de la force humaine créatrice de richesse ou, d’une manière plus générale, les relations caractéristiques de la société capitaliste, alors on reconnaît implicitement que les syndicats forment un ensemble organique avec ces conditions mêmes et qu’ils subsistent avec elle et pour elles. A partir de là, une fonctionnalité syndicale utile à la révolution est aussi impensable que celle de la bourse des valeurs. Il s’agit également de valeurs dans les syndicats, tout au moins sur le plan de la traite et de la mise sous contrat du travail salarié, qui ne sont pas sans relation avec la cote des valeurs financières. De plus, à ces conditions de fonctionnement des syndicats, encore existantes évidemment, il faut en ajouter d’autres d’une causalité plus immédiate et plus étroitement délimitées dans le temps. Il s’agit de la période de montée capitaliste, dont la libre concurrence, y compris celle du marché du travail, permettait aux ouvriers les plus larges avantages compatibles avec le système. Réglementer et administrer ces avantages, voilà ce qui fit la principale raison d’existence des syndicats. Or, d’emblée avec l’intégration du système en grands trusts mondiaux et en capitalisme d’État, les syndicats qu’il nourrit commencent naturellement à jouer un rôle réactionnaire, car ils ne peuvent garder leur fonction sans s’adapter aux conditions du marché non libre désormais, mais dirigé, despotique, voire malthusien, puisqu’il empêche le développement possible de l’économie et de l’homme.

Ainsi, les conditions qui ont, au sens strict, donné naissance aux syndicats, n’existent plus, elles sont mortes en même temps que ce qui justifiait l’existence du capitalisme comme forme sociale historiquement progressive. Ce sont les révolutionnaires, malheureusement, qui ont un grand retard à reconnaître les faits et à en tirer les conséquences.

Le raisonnement de Il Programma Comunista, qui est la meilleure justification théorique pour toutes les tendances agrippées à un syndicalisme oppositionnel ou révolutionnaire, anarchisme compris, est cependant erroné d’un bout à l’autre. Il est dangereux au plus haut degré, surtout en cas de révolution victorieuse. L’échappatoire qui consiste à remettre la disparition des syndicats jusqu’à l’effacement des derniers vestiges du capitalisme, en fait jusqu’à l’épanouissement du communisme, donnerait à ces organismes, pendant la période de transition post-révolutionnaire, un monopole sur le prolétariat à conséquences nécessairement nocives. Loin de rapprocher la société du communisme, il dresserait un obstacle de plus, et non des moindres, qui favoriserait, tout comme en Russie, le capitalisme d’État. L’analyse de Bordiga associe la disparition des syndicats à celle de la violence dans la société, autant dire de l’État. Or le dépérissement de l’État et de toute violence sociale ne peut être que le fruit de la disparition préalable de l’exploitation, du travail salarié pour être précis, ce avec quoi les syndicats sont en contradiction d’intérêts et de principes.

Il y a un siècle, Karl Marx reprochait aux syndicats de restreindre leurs revendications à des questions de paie, heures de travail, etc., en faisant fi du problème de l’abolition du travail salarié, clé de la suppression du capitalisme. Marx serait aujourd’hui taxé de petit bourgeois égalitaire par les gens de Moscou, et d’ultra-gauchiste affolé par ceux qui aspirent à réformer les syndicats. Et il ne voyait pas cette abolition dans le lointain, bien après la révolution, mais comme concomitante à celle-ci, ou bien comme sa cause. Enfin, il croyait que, dès son époque, les pays industriels disposaient de moyens matériels plus que suffisants pour s’y attaquer. Nous, les révolutionnaires, nous sommes en mesure d’ajouter à l’heure actuelle que les syndicats nuisent à toute visée de révolution sociale, parce qu’ils sont devenus un rouage indispensable à l’exploitation de l’homme par l’homme. Leur rôle dans l’économie actuelle est comparable à celui descorporations de l’époque manufacturière. Avec cette différence cependant : tandis que les corporations se montrèrent inadaptables à la grande industrie, les syndicats s’adaptent parfaitement à la forme la plus absolue du capitalisme, la forme étatique. Ils périront par la victoire de la révolution, plus exactement leur disparition est condition de cette victoire, faute de quoi ils se gonfleront en un gigantesque appareil coercitif complémentaire de l’État-patron. Là est la plus grande menace contre-révolutionnaire de notre époque. Si l’humanité se montrait incapable de lui faire face, dans le monde stalinien aussi bien qu’en Occident, elle sombrerait dans la plus sinistre des ères.

Tous les travailleurs doivent décider des problèmes économiques que pose la marche de la société vers le communisme, sans besoin d’une affiliation quelconque. Aucun organisme ne peut être identifié à la société ni investi des attributs de celle-ci, qu’il s’agisse d’un syndicat ou d’un parti. On peut concevoir, sur les fondements matériels de la révolution, l’existence de divers courants idéologiques en compétition loyale pour la majorité. La possibilité d’intervention directe de tous dans les affaires sociales n’en serait que mieux garantie. Par contre, la gestion syndicale de l’économie s’avère forcément antidémocratique et étouffante, car elle exclut les non-membres et, en fait, s’impose à tout le monde. Certes, les idéologies peuvent dégénérer ou trahir, mais c’est seulement par l’épanouissement des idées révolutionnaires que l’homme conquerra sa liberté.

Même les revendications immédiates que le prolétariat a devant lui à l’heure actuelle échappent à toute formulation par les syndicats. En effet, face à l’exploitation accentuée par la technique, les heures supplémentaires, le travail à la pièce, le chronométrage, etc., il est indispensable de revendiquer une réduction de la journée de travail à cinq ou six heures maximum, sans diminution du salaire moyen antérieur, toutes primes comprises. Et, sur une telle base, il est urgent de réclamer un horaire de travail en décroissance constante, d’après une échelle dégressive proportionnelle aux progrès de la technique. C’est là la manière de faire face aux écrasantes journées de travail actuelles et de préfigurer une réorganisation du travail social nécessaire, par la suppression du gigantesque travail parasitaire actuel, dans l’industrie aussi bien que dans la bureaucratie gouvernementale et administrative.

Le complément indispensable de cette revendication est le refus de réaliser tout accroissement de la production, qu’il procède des perfectionnements de l’outillage ou de l’accélération du rythme de travail, si la classe ouvrière n’en bénéficie pas intégralement, car celle-ci représente l’intérêt de la société tout entière, envisagée dans son devenir civilisateur. Revendication d’une portée sans limite, non seulement contre le capitalisme et sa menace de guerre, mais comme règle ordonnatrice de la future révolution victorieuse. Derrière elle, la nécessité de déraciner le système actuel apparaît d’elle-même.

Et, politiquement, il faudrait tout d’abord imposer la pleine liberté dans les lieux de travail. Rejet de tout règlement intérieur qui ne serait pas établi par des délégués démocratiquement élus puis approuvé en assemblée générale. Pour tout problème ou conflit, des comités élus en dehors du syndicat dans chaque unité de travail et révocables à tout instant. Les accords avec la direction doivent comporter l’approbation des intéressés eux-mêmes, et non celle du syndicat ou de plusieurs syndicats coalisés, même s’ils prétendent représenter la majorité. Enfin, la liaison entre les multiples comités ouvriers permettrait de revendiquer en tant qu’objectif immédiatement réalisable, la gestion ouvrière de la production et de la distribution à l’échelle nationale et internationale.

Une étude circonstanciée de tous les problèmes immédiats que la situation actuelle du monde pose à la classe ouvrière ne ferait qu’abonder dans le même sens. Les trois ordres de problèmes mentionnés, qui résument tous les autres. montrent largement le conservatisme réactionnaire des syndicats et l’impossibilité, pour les travailleurs, de faire un seul pas en avant sans les heurter. Sans se débarrasser d’eux, le prolétariat ne se sortira pas de son marasme actuel et il n’aura plus aucune perspective révolutionnaire.

L’avenir des syndicats est indubitablement lié à celui du capitalisme, non à celui de la révolution. Leur aptitude à s’ajuster au devenir réactionnaire de la société a été largement ignorée, même des révolutionnaires les plus clairvoyants. Il faut faire une exception, cependant, pour un théoricien presque inconnu, Daniel de Léon, dont la pensée sur ce sujet s’est avérée prémonitoire. Dès 1905, Daniel de Léon vit que syndicats et partis ouvriers officiels recelaient de graves menaces contre-révolutionnaires. L’opuscule où il expose succinctement ses idées mérite la méditation de tous les révolutionnaires [10].

De Léon n’est pas un « freluquet » de l’analyse. Ses jugements sont d’excellentes synthèses historiques et, dans sa voix, retentit la passion révolutionnaire. Sur la base de l’expérience mondiale, très particulièrement celle des Trade-Unions britanniques et américains, avec leurs respectifs mentors travaillistes, il prédit que la victoire de ces organisations tuerait net la révolution sociale :

« Les leaders ouvriers actuels représentent une position masquée, un point stratégique et une force qui étaie le capitalisme, et leur véritable nature ne peut éviter de produire une désastreuse démoralisation dans la classe ouvrière. »

Il compare les leaders ouvriers et leurs organisations aux leaders de la plèbe de Rome. Tout comme ceux-ci utilisèrent perfidement la plèbe pour accéder au rang et aux droits de la classe patricienne, sans jamais concéder aux masses dépossédées plus que des miettes, les leaders ouvriers modernes et leurs organisations se servent du prolétariat pour consolider leurs positions économiques et politiques dans le système d’exploitation capitaliste :

« De la même manière que les leaders de la plèbe, les leaders ouvriers sont des hommes « pratiques », ce dont ils se vantent ; ils ne se nourrissent pas de « visions », ils ne « chassent point l’arc-en-ciel... »

« De la même manière que les leaders de la plèbe, les leaders ouvriers ne voient pas d’issue au système social existant », - et, comme eux,- « ils aspirent à éteindre la flamme qui dévore la classe salariée. »

« Tout comme les leaders de la plèbe dans Rome et si on ne leur fait pas face (...) les leaders ouvriers rendront certainement nulles toutes les possibilités de salut de cette époque : ils retourneront à l’envers « des actions de grande portée et vigueur », jusqu’à leur faire perdre le nom d’actions. »

L’à-propos de la comparaison entre les leaders de la plèbe romaine et nos grands bureaucrates syndicaux et politiques prend toute sa valeur dès qu’on voit le rôle joué dans toute l’histoire romaine par le parti dit de la plèbe. Apparu à l’époque des Tarquins, en contradiction apparemment irréductible avec la classe des patriciens qui dominaient la société, il acquiert de l’importance et enlève des positions pendant la République. Ce ne fut pas au bénéfice de la plèbe véritable, de la masse pauvre libre ou esclave, mais des privilégiés, qui la représentaient formellement et n’entraient dans la catégorie plébéienne que par pur atavisme des lois. César et Auguste, les fondateurs de l’Empire, ont constamment recours à la supercherie de se dire originaires ou partisans de la plèbe. Leur victoire, point culminant du parti des leaders de la plèbe, anéantit à jamais les chances de révolution dans Rome. Les usurpateurs plébéiens remplacèrent en général la vieille classe patricienne et ils n’ouvrirent pas la voie à un type supérieur de société, se bornant à prolonger la décadence du monde antique, à laquelle ils ont présidé dans sa dernière étape.

Malgré les grandes différences structurelles et idéologiques entre la civilisation gréco-romaine et la civilisation capitaliste, l’analogie est très étroite entre le rôle des leaders de la plèbe et, de nos jours, celui des leaders ouvriers. Qu’ils se disent apolitiques, communistes ou socialistes, ceux-ci ont substitué, - dans leur for intérieur et par intérêt - à la principale contradiction du capitalisme, celle qui ne peut disparaître qu’en l’anéantissant, une autre contradiction inessentielle, inscrite dans les nécessités fonctionnelles du capitalisme, et dont la « solution » les rend, eux, indispensables, à l’exclusion de toute intervention révolutionnaire des travailleurs.

La bourgeoisie et le prolétariat sont le profil humain, l’image anthropomorphique de la contradiction sociale entre capital et travail salarié. Cette contradiction est irréductible sinon par l’abolition du capital, acte qui doit supprimer, simultanément, le travail salarié lui-même. Ici prend fin le capitalisme et commence la révolution socialiste : on aperçoit l’horizon illimité d’une nouvelle civilisation.

L’esprit des leaders dits ouvriers, de même que la nature de leurs organisations, sont absolument incompatibles avec la solution de cette contradiction. Ils n’envisagent et ne s’efforcent de résoudre qu’une contradiction secondaire, interne aux intérêts de l’exploitation, celle de « l’anarchie » du capitalisme individuel, avec ses crises cycliques qui demandent un plan de production ordonné et une sévère réglementation de la main-d’œuvre, chômage compris. Ainsi concordent les intérêts des leaders « ouvriers » et ceux du grand capital qui réclame chaque jour plus de régulation économique, plus de concentration. Autrement dit, ce qu’ils aperçoivent et veulent surmonter, ce sont les difficultés que le système rencontre sur son chemin vers le monopole unique, nullement celles que le système oppose à la marche de l’humanité vers le communisme. Ceci dit, dans la concentration des moyens de production en un seul monopole d’État, le facteur travail - dont dépendent consommation, liberté, culture, vie entière de tous les humains - apparaît comme un élément aussi subordonné aux exigences du plan que le minerai de fer, le cuir ou tout autre matière première. La suppression de la bourgeoisie n’entraîne d’aucune manière celle du capital, pas plus que celle du prolétariat. Le capital est une fonction économique, non un propriétaire ; en se désincarnant, en se faisant pure fonction anonyme, il parachève son oppression de l’homme et lui barre la route grâce à des forces contre-révolutionnaires nouvelles. Ainsi la représentation purement anthropomorphique de la contradiction entre capital et salaire (bourgeoisie-prolétariat) rend aux leaders politiques et syndicaux le service de présenter la suppression du capital privé comme la suppression du capital en général et, leur propre gestion économico-politique, comme la solution des contradictions sociales. Ils savent, déjà, par l’expérience de la contre-révolution stalinienne, et en grande partie par celle des Trade-Unions yankees et britanniques, que, plus la concentration du capital sera complète, meilleure sera la part des bénéfices qu’ils empocheront.

L’aspect le plus menaçant de cette tendance des leaders « ouvriers » vient du fait qu’elle coïncide entièrement avec la loi de concentration des capitaux et avec le développement des coercitions matérielles et idéologiques qui est sa conséquence. Malgré tout ils ne sont réellement dangereux que par la passivité du prolétariat, que ne sauraient secouer les révolutionnaires attachés à des tactiques et idées dépassées. Enchaînés à de vieilles formules, ils sont frappés de stérilité. Il suffit pourtant de regarder pour se rendre compte que la nécessité humaine d’une transformation totale, tout à la fois heurte le capitalisme et les leaders « ouvriers », et que ce heurt ouvre un champ infini à l’action révolutionnaire. L’humanité n’a aucun besoin de plans technocratiques de production pour la production même, plans qui ne peuvent être que d’exploitation et de guerre. La crise que subit la civilisation ne trouvera pas d’issue avant que toute la production ne soit orientée, sans vente préalable, vers la consommation. Il faut que tous les individus, de par leur seule existence, soient en mesure d’user à leur gré des biens matériels et des biens de l’esprit. Le marché des uns et des autres entraîne l’insatisfaction de l’immense majorité, l’impossibilité de s’épanouir pour les individus et la vénalité de la culture. Alors seulement la suppression des propriétaires individuels ou des trusts entraînera inévitablement celle du prolétariat, c’est-à-dire de la classe qui ne consomme et ne vit qu’au prorata de son salaire. C’est donc le pôle « travail salarié » qu’il faut supprimer ; ainsi disparaîtraient nécessairement le capital comme fonction économique et les exploiteurs, qu’ils soient bourgeois ou bureaucrates de n’importe quelle espèce. Tout plan de production doit alors être établi en fonction des données non mercantiles de la consommation humaine, avec tout ce que ces derniers mots supposent de liberté politique et culturelle. Le véritable aspect anthropomorphique du problème est la suppression du travail salarié, qui donnerait à l’homme la possibilité de régir son propre destin. En lui substituant la disparition des bourgeois, dont ils occuperaient la place, les leaders syndicaux nous resservent l’anthropomorphisme fallacieux des religions, le plan de production à la place de Dieu, père et juge des hommes, les hauts bureaucrates politiques, syndicaux et techniques jouant le rôle des grands sacerdotes.

Que les révolutionnaires expulsent des usines et des organisations professionnelles les représentants des syndicats, et les Thorez, les Nenni, les Reuther de tous les pays, le Vatican blotti derrière les syndicats chrétiens, se verront paralysés ; la classe ouvrière aura récupéré sa liberté d’action et de pensée, et se trouvera vite en mesure de bouleverser de fond en comble la société. Elle prendra alors l’élan nécessaire pour arracher l’humanité au bourbier où elle piétine.

Milan, mai 1960.

G. MUNIS.

[1] Jouhaux et la majorité confédérale de 1914 ont avoué explicitement que la crainte de la répression les avait alors incités à l’acceptation de la guerre.

[2] Un ouvrier, lisant à l’intérieur de l’usine l’Unita, organe du parti stalinien, est congédié sans plus de formalité, avec l’approbation des grands chefs staliniens, qui ont contresigné cette clause.

[3] Terme péjoratif appliqué par le peuple aux maîtres actuels.

[4] Pendant la lune de miel des relations américano-russes, vers la fin de la guerre, des chefs de monopoles yankees (entre autres Johnston, alors président de la Chambre de Commerce), invités par Moscou à visiter ses entreprises industrielles, portaient aux nues les méthodes d’exploitation « soviétiques » que les ouvriers américains, se lamentaient-ils, les empêchaient d’appliquer.

[5] Trud, organe des syndicats russes, 19 février 1947, cité par Salomon M. Schwarz : Labor in the Soviet Union, Londres, 1953, page 230.

[6] La révolution de 1917 esquisse la disparition du travail salarié et du capital. C’est ainsi qu’un critique réformiste, Zagorsky, définissait l’économie de la première époque comme « une énorme entreprise de bienfaisance ». A partir de la N.E.P. (Nouvelle Politique Économique), commence nettement un mouvement inverse qui acquiert le caractère de capitalisme d’État par le fait de la contre-révolution stalinienne. Jusque là les contrats étaient individuels, même s’ils n’étaient pas écrits. La systématisation des contrats collectifs est parallèle à celle d’un capitalisme d’État qui se veut stable et définitif.

[7] Les exceptions qui existent évidemment n’infirment pas ce qui vient d’être dit. Il convient de noter cependant qu’elles ne correspondent pas aux pays arriérés, mais aux vieux pays d’Europe. Dans les pays arriérés où les syndicats sont, ou semblent, nouveaux, ils acceptent volontiers d’être soudoyés par les bourgeois ou par l’État. Souvent, les syndicats d’un même métier se livrent à une concurrence sans vergogne pour offrir au patron leur main-d’œuvre à moindre prix.

[8] C’est ce qu’on peut lire, exposé en détail, dans le livre bien connu de Lénine : La maladie infantile du communisme. Je renvoie à l’édition espagnole de la Biblieteca Nueva, pp. 11 et suivantes, Madrid (édition non datée, vers 1930).

[9] La tendance italienne de Bordiga dont nous combattons ici les arguments (Il programma Communista, 26 mai 1960) défend le conservatisme tactique syndical sous l’angle le plus révolutionnaire. Mais dans cette même erreur tombent, avec un penchant opportuniste, de nombreux groupes d’origine trotskyste ou anarchiste, pour ne pas dire tous. Ceux-là même qui se piquent d’être contre les syndicats, tel Socialisme ou Barbarie, pratiquent en fait la vieille routine.

[10] Two Pages from Roman History. I. Plebs Leaders and Labor Leaders. II. The Warning of the Grachi. New York, 1946.
Author:
G. Munis et Benjamin Péret


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