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Contrôle de la Toile, intérêts privés et mythe du « pouvoir internaute »usager-administré, Sunday, March 18, 2007 - 14:50 (Analyses)
Usager-administré (France)
La campagne en vue des élections présidentielles françaises étale au grand jour la course aux blogs politiques de la part des principaux partis dits « de gouvernement » et l’emprise à des degrés divers de ces partis sur des sites présentés comme citoyens, « neutres » et ouverts à tous. A cette situation s’ajoute le contrôle stratégique de la Toile par un certain nombre d’entités privées : moteurs de recherche, hébergeurs, entreprises diverses... qui offrent des services payants ou sont susceptibles de développer des intérêts politiques. Paradoxalement, l’évolution de plus en plus nette dans cette direction est masquée par une propagande sur le prétendu « pouvoir des internautes ». Ce « pouvoir » aurait même rendu réelle une démocratie que de plus en plus de citoyens considéraient de pure façade. Mais, tout compte fait, la situation est-elle vraiment si différente sur la Toile, au-delà des apparences et des discours publicitaires, par rapport à ce qu’on a connu avec d’autres moyens de communication ? S’ajoute à cette question un problème encore plus grave : de quel moyen de contrôle effectif disposent les citoyens sur les technologies de « surveillance » de l’Internet et d’intervention sous toutes ses formes que développe le secteur privé ? La Toile est-elle un service public ? Dans la pratique, il paraît de plus en plus difficile de répondre à cette question par l’affirmative, vu le rôle qu’y jouent des puissants intérêts privés. Certes, il existe une façade d’accès pas cher, compte gratuit, site gratuit... Mais cette apparence fait oublier la situation de privatisation à peu près totale du plus puissant des moyens de communication existants. A quelques exceptions près, l’internaute découvre quelques services gratuits assortis d’implications publicitaires et un nombre croissant d’offres de services payants adressées à des entreprises et à des clients riches. De surcroît, le citoyen qui accepte sur la Toile une prestation gratuite de quelque nature que ce soit, se trouve dans une situation de totale dépendance par rapport au fournisseur de ce service. Wikipédia décrit la notion de « pronétaire » introduite par Joël de Rosnay dans son ouvrage « La révolte du pronétariat ». Il est même question de lutte des classes entre « infocapitalistes » et « pronétaires ». Joël de Rosnay est l’un des deux fondateurs de la société Cybion, qui se définit comme un « pionnier dans l'intelligence économique sur Internet en France » et a été à l’origine de la création d’Agoravox dont le comité de rédaction « est... constitué de certains rédacteurs d’AgoraVox mais aussi d’experts en veille et en recherche d’information issus de la société Cybion ». Cybion offre ses services aux entreprises dans les domaines des « études », de la « veille » et de la « formation ». Avec le titre d’« irruption des internautes » dans la campagne présidentielle française, Agoravox vient de diffuser, un mois avant le premier tour de ces présidentielles, un « livre collectif » dont le choix des auteurs et le contenu peuvent être considérés favorables à l’UDF et à la candidature du « centriste » François Bayrou. Mais « centre » n’est en rien synonyme de neutralité politique. Encore moins, de point de vue « citoyen », dans un pays comme la France où le pourcentage d’adhérents aux partis dits « de gouvernement » reste particulièrement faible. La Toile est un outil puissant qui, à première vue, offre au citoyen des moyens de communication sans précédent. Mais en réalité, le « petit citoyen » qui souhaite s’informer ou pouvoir s’exprimer en détient souvent beaucoup moins le contrôle qu’il ne pouvait l’exercer jadis sur le journal qu’il achetait tous les jours ou sur une imprimerie à qui il commandait la réalisation de son propre tract, d’une brochure, d’un livre... Par conséquent, ces moyens nouveaux sont au fond précaires. Dans le cas d’une situation sociale très conflictuelle, ils pourraient être supprimés beaucoup plus facilement que des moyens d’impression classiques ou des photocopieuses. Et même sans en arriver là, celui qui détient l’outil de base dans l’Internet peut se servir en toute légalité de cette situation privilégiée pour impartir des « coups de pouce » qui lui conviennent ou faire obstacle à des démarches qui « ne vont pas dans son sens ». Les pouvoirs, sur la Toile, sont souvent discrétionnaires. Ils sont détenus par des entités privées, dans la plupart des cas des entreprises avec des intérêts économiques et politiques bien définis mais qui échappent au « petit usager ». Les patrons de l’Internet ne sont pas fondamentalement différents des patrons d’autres entreprises. Or, on sait bien qu’avant chaque élection politique les organisations patronales examinent de près les programmes des différents candidats et interviennent dans la campagne d’après leurs propres intérêts. Comme l’a fait le MEDEF à l’occasion des actuelles présidentielles françaises, jusqu’à rencontrer directement les candidats, sans compter les contacts plus discrets que les différents réseaux rendent possibles. Mais dans ce cas, que peut faire ce contingent « d’usagers, d’internautes, de « blogueurs », de citoyens comme les autres, mais qui entrent de plus en plus en compétition avec les infocapitalistes traditionnels, auxquels ils ne font plus confiance, pour s’informer, écouter de la musique, voir des vidéos, lire des livres ou communiquer par téléphone, cela en raison des coûts trop élevés des produits et services proposés et de leur accès difficile pour les moins favorisés » dont parle Joël de Rosnay, et quel est son poids réel ? En réalité, les grands groupes industriels et financiers se sont bien adaptés à l’avènement de cette Toile qui, tout compte fait, est gérée par des entreprises qu’ils contrôlent ou qui sont devenues leurs partenaires. L’avènement d’une nouvelle technologie n’a pas bousculé le pouvoir des multinationales et de la grande finance. Pas plus que les monopoles politico-médiatiques préexistants, liés à ce même pouvoir. S’il est vrai que nul ne peut ignorer les nouvelles technologies de l’information, force est de constater en même temps qu’aucun miracle ne saurait en découler en ce qui concerne le fonctionnement de la société. Le progrès technologique profite, avant tout, aux détenteurs du pouvoir. C’est précisément ce dernier constat qui paraît inquiétant. Quel contrôle peut exercer le citoyen, qui déjà doit acheter et installer dans son ordinateur des antivirus et des pare-feux qu’il ne maîtrise pas, sur la spirale de développements techniques de robots logiciels et d’autres outils d’intervention sur la Toile que mène à terme le secteur privé, sur les implications de ces développements, sur l’usage dont leurs résultats sont susceptibles... ? Quel contrôle exercent vraiment les Etats dits « souverains » ? Qu’en est-il pour l’ensemble des développements technologiques de l’actuelle période ? Au début de l’après-guerre, les gouvernements des pays occidentaux ont unanimement développé une politique d’« Etat fort », notamment pour mettre en œuvre des moyens dont le secteur privé de l’époque ne pouvait pas disposer. L’Etat a ainsi été un outil de la puissance du capitalisme et de l’accumulation de capital. Mais depuis deux décennies, la tendance s’est inversée et, dans tous les pays dits « riches », l’Etat public transfère au secteur privé l’essentiel de ses moyens. C’est un véritable Etat privé qui se met ainsi en place, sans aucun garant de sa neutralité. Un Etat que, dans la pratique, très peu de lois régulent. Et qui aurait les moyens de faire appliquer des lois en la matière ?
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