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France: François Bayrou, candidat entre deux eaux et à coloration variableAnonyme, Monday, March 5, 2007 - 23:16
De ço qui calt ?
France : « Tous contre Bayrou », titre la une du Journal du Dimanche. Le candidat de l’UDF se présente comme une cible traquée. S’agirait-il d’un révolutionnaire ? Pour l’UMP, « Bayrou fait du Sarkozy en moins bien ». Le sénateur socialiste Jean-Marie Bockel n’est pas opposé à l’idée d’un gouvernement d’union nationale défendue par l’UDF. Mais le citoyen peut demander : l’union nationale, pour quoi faire ? François Bayrou s’en prend à une « guerre perpétuelle » entre le PS et l’UMP qui accablerait le pays. Cependant, la continuité de la politique française depuis trois décennies, au milieu de cohabitations et d’alternances, semble infirmer ces propos. Sur l’essentiel, les médias parlent peu de la politique que préconise vraiment François Bayrou et des intérêts qu’il représente. Y a-t-il vraiment une différence entre la « droite », la « gauche » et le « centre » ? Le candidat de l’UDF n’est, semble-t-il, ni de « droite », ni de « gauche », mais tout le contraire. Seulement, en quoi incarnerait-il une rupture avec la « politique unique » ? « Pax in nomine Domini
Fetz Marcabrus los motz e.l so. Aujatz que di... »
François Bayrou n’a pas eu besoin de quitter la Gascogne pour découvrir cet appel à la paix civile, composé par l’un des plus grands poètes du XII siècle. Mais le troubadour Marcabru, auteur du poème et de la musique qui l’accompagne, chante en réalité un devoir de guerre : celui d’une croisade pour laver nos pêchés. C’est pourquoi on appelle souvent ce texte « Vers del Lavador ». La croisade, première entreprise « européenne » ? Après l’Empire d’Occident de Charlemagne, ce fut la montée du théocratisme sous le Pape Grégoire VII et, juste après, le « Deus lo volt ! » de Clermont-Ferrand qui acclama l’appel d’Urbain II à la première croisade. Marcabru exhorte les chrétiens à participer aux conquêtes militaires du Comte de Barcelone Ramon Berenguer IVdans la « reconquête » espagnole. Les papes du Moyen-Age rêvaient d’imposer le gouvernement d’une euro-nomenklatura ecclésiastique régnant sur un troupeau de seigneurs féodaux. Mais cette euro-gouvernance médiévale se heurta à l’opposition des plus influents seigneurs de l’époque. Elle fut finalement mise en pièces par la montée de la royauté et par le développement d’une classe bourgeoise de plus en plus puissante. Quant à la « pensée unique » et à la « politique unique », l’Eglise du Moyen-Age fut bien en avance. A une époque où les idées politiques s’exprimaient principalement par des voies religieuses, le Pape Innocent III prépara, décreta et organisa la Croisade Albigeoise. Après cette implacable guerre de religion, la police politique des « enquêteurs de la perversité hérétique » (Inquisitio haereticae pravitatis), fonctionnant en même temps comme un tribunal d’exception, vit officiellement le jour et sévit longtemps dans de nombreux pays. A ce dispositif policier et judiciaire, l’Eglise ajoutait : a) la menace de l’Enfer contre tout écart de pensée ; b) une machine à broyer intellectuelle, basée sur le dogme et sur l’implacabilité du raisonnement scolastique. Ce n’est pas tout. La schéma politique théocratique mis en avant par l’Eglise du Moyen-Age n’était pas celui d’un ordre local, ni même continental. Il s’agissait bien d’un ordre mondial. Etant entendu qu’il fallait espérer que, pour leur bien, à terme tous les peuples de la planète se convertiraient au catholicisme. Encore un point où ces papes étaient « en avance » sur le plan de la stratégie des classes dominantes. On ne peut même pas dire qu’ils employaient des procédés répressifs d’une brutalité inégalée, compte tenu de ce qui s’est produit dans l’Europe du XX siècle. Raison de plus de s’inquiéter de tout signe qui puisse paraître précurseur d’un retour à la censure de la pensée ou de la diversité politique, fût-ce (ou surtout !) au nom de l’évidence.
Huit siècles après la Croisade Albigeoise, dans une Europe qui a connu entre autres le fascisme, le nazisme et deux guerres mondiales, deux traits médiévaux s’affirment de manière inquiétante : la banalisation des partis par la politique et la pensée « uniques », et la mise en place controversée d’un pouvoir européen où les lobbies de la grande finance ont remplacé l’Eglise toute-puissante de jadis. A son tour, cet « ordre européen » s’inscrit de plus en plus ouvertement dans le cadre d’un futur « ordre mondial » qui ressemble fort au schéma de gouvernance préconisé par des cercles d’influence comme la « Commission Trilatérale ». A savoir, une direction à trois composantes (Amérique du Nord - Europe - puissances de l’Asie) des affaires planétaires, comme déjà envisagé dans les premiers documents de travail de cette Commission ou dans les comptes rendus de ses réunions annuelles. Le monde, gouverné par une théocratie de l’argent ? C’est ce que suggèrent la composition, les objectifs et le mode de fonctionnement de ce genre d’organisations fort éloignées des citoyens mais très actives et influentes. La création de la Commission Trilatérale est d’ailleurs intervenue à un moment (1973) où les Etats-Unis venaient de se désengager du Viêt Nam dans des conditions défavorables. D’où la stratégie, de la part des milieux financiers, d’impliquer dans la « gouvernance mondiale » l’ensemble des puissances du monde capitaliste de l’époque. Une orientation incontestablement intelligente, du point de vue de la défense des intérêts de la grande finance. Dès janvier 1974, on trouve le futur premier ministre français Raymond Barre parmi les membres la Trilatérale. En même temps qu’un certain James E. Carter, Jr, gouverneur de la Géorgie. Mais François Bayrou, membre également de la Trilatérale jusqu’en 2005 et héritier autoproclamé de la tradition "centriste", ajoute un troisième ingrédient à connotation médiévale à l’actuel panorama politique : l’appel à la paix civile, dans un pays où règne d’après lui : « Perpétuellement la guerre entre le PS et l’UMP, perpétuellement en embuscade l’un contre l’autre ». Raison pour laquelle, poursuit notre homme providentiel : « J’ai vu mon pays décliner, s’appauvrir ». Rien de moins. La mondialisation, les élargissements de l’Union européenne, le méga-espace économique du Conseil de l’Europe, les exportations de capitaux, les délocalisations, le marché mondial de la main d’oeuvre, le dumping social... n’y sont semble-t-il pour rien. Toute la faute revient à la « guerre entre le PS et l’UMP »... Curieux, dans ce cas, qu’on ait tant de mal à trouver des textes d’une législature franchement désavoués par la législature suivante après une « alternance ». Le discours de l’UDF sur les "guerres" entre partis et la nécessité d’un gouvernement d’union nationale ressemble à du pipeau pour distraire les électeurs des vrais problèmes auxquels personne n’entend apporter de solution. A quoi rime de promettre un « gouvernement rassemblant des compétences et des sensibilités différentes », voire même « un premier ministre de gauche », si de toute façon, comme le reconnaît François Bayrou, il n’existe aucune différence essentielle entre les courants qui ont gouverné le pays depuis les années 1970 ? Le slogan « union nationale » fait partie depuis des mois des lieux communs de la campagne électorale. Une manière, peut-être, de tenter d’imposer un « retour au bercail » aux électeurs réfractaires en rendant la « politique unique » incontournable. Le candidat de l’UDF nage entre deux eaux, avec des propositions qui se voudraient de « gauche » et d’autres plus proches de la « droite » . Selon les cas, il changera de coloration apparente pour s’adapter de la manière la plus éclectique possible à ces prises de position. Mais, dans l’ensemble, rien de très novateur par rapport aux stratégies déjà appliquées par les autres partis. C’est qu’en réalité, dans la politique que prépare l’UDF, comme dans celles du PS et de l’UMP, l’ensemble des paramètres macro-économiques et macro-politiques est par définition intouchable. On gouverne en s’y adaptant, et les Français n’ont qu’à manger « ce qu’il y a à la maison » . Sauf que « ce qu’il y a à la maison » s’en va, avec les départs de capitaux et les délocalisations à la recherche des plus bas salaires possibles. Quels que soient les partis en litige, on a affaire à un débat politique vidé de son contenu. Ce n’est pas grave, il en restera toujours assez pour bien nourrir l’infime partie de la population que représente la composante « superieure » des appareils politiques, administratifs, gestionnaires, médiatiques... « Les gens » n’ont qu’à essayer de s’y incruster. Pour le reste, peu importe que le gouvernement soit de « droite », de « gauche » de « centre », d’ « entente nationale » ou que sais-je encore. La politique restera la même. Ce qui paraît en l’espèce très inquiétant, c’est que par le passé les appels à l’union nationale sont toujours intervenus la veille de décisions très douloureuses pour la population, ou pour gérer des situations de cette nature. Le but du consensus étant d’imposer les mesures adoptées comme étant incontournables. Autrement, on joue à la « droite », à la « gauche », au « centre » ... mais on ne parle pas d’entente nationale, d’union nationale, de rassemblement des compétences, etc... Il s’agit précisément, dans une période « normale », de faire croire à une réelle diversité politique entre les différents partis du système. Lorsque cette apparence n’est plus respectée, c’est qu’on prêche l’inéluctabilité. Mais de quoi, en l’espèce ? Touchons du bois. Pendant que les capitaux amassés avec la sueur des Français continuent de quitter le pays sans qu’aucun politique bien-pensant ne s’y oppose, François Bayrou s’écrie : « Arrêtez les promesses dont nous n’avons plus le premier sou ! ». Il ajoute que « l’effort de tous les Français » sera indispensable dans la « lutte contre la dette ». Un discours bien « barriste »... et bien « trilatéral ». Mais quel effort peuvent faire les Français pour concurrencer des salaires dix ou vingt fois plus bas, pratiqués dans des pays dont le potentiel technologique et universitaire ne cesse de s’accroître grâce aux délocalisations ? Où est, d’ailleurs, la prétendue originalité de ce candidat aux présidentielles ? On a déjà donné avec Giscard et Barre, et on peut très bien nous la refaire avec Bayrou président et Rocard premier ministre. Sauf que cette fois-ci, ce sera beaucoup pire. Et que signifie l’expression « république sociale », que même Mussolini avait employée ? On peut tout faire avec ce genre d’expressions... La politique étrangère du candidat Bayrou n’est pas piquée des vers, non plus. Sur son site intitulé « La France de toutes nos forces », où il déclare vouloir « rompre avec vingt-cinq années d’archaïsme politique », on peut lire notamment : « Nous devons construire une défense européenne. Dès lors, l’Alliance atlantique aura un tout autre visage, et les réticences françaises à son égard s’effaceront. (...) Notre continent doit devenir capable de faire face aux crises qui nécessitent une intervention au loin ». Il s’agit donc, à terme, de mettre en place une puissance militaire continentale alliée des Etats-Unis, à un moment où la puissance US éprouve d’énormes difficultés pour poursuivre seule sa stratégie d’interventions. Qui paiera les dépenses de cette « défense européenne » , alors que « nous n’avons plus le premier sou » ? Le candidat de l’UDF recherche également un maximum d’appuis parmi les lobbistes européens influents, s’engageant à « sauver la substance du projet de Constitution européenne » que les électeurs ont rejeté en 2005. Quant au caractère profondément antisocial de la « substance » de ce Traité, ce n’est manifestement pas l’essentiel pour François Bayrou. Ce ne sont que quelques illustrations du contenu réel d’un programme politique qui se veut « de centre » et basé sur l’évidence et le bon sens, mais qui en réalité constitue une défense engagée des intérêts du capitalisme pur et dur. Annonce de la poursuite de la destruction des acquis sociaux des Français, voire même avec des aspects militaires dont on mesure mal les dangers réels. Lors des élections présidentielles, le Carême sera fini. Mais une longue pénitence sociale et citoyenne risque de commencer le lendemain du second tour, quel qu’en soit le résultat.
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