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Révolution culturelle: le témoignage d'une féministe chinoise

Eric Smith, Monday, January 1, 2007 - 00:45

Arsenal-express

Nous profitons de la pause de fin d'année pour présenter de larges extraits d'une entrevue avec une féministe chinoise, Wang Zheng, qui fut publiée en septembre dernier dans l'hebdomadaire Revolution, du Parti communiste révolutionnaire des États-Unis. Wang Zheng est actuellement professeure à l'Université du Michigan. Jeune femme, elle a participé à la Grande révolution culturelle prolétarienne en Chine. En 2001, elle fut à l'origine de la publication d'un livre, Some of Us: Chinese Women Growing Up in the Mao Era (Rutgers University Press), dans lequel neuf auteures, toutes d'origine chinoise, analysent l'impact de ce qu'elles appellent "les politiques d'accès à l'égalité de l'époque de Mao", à partir de leur propre expérience. Comme vous le verrez, les propos de Wang Zheng contribuent à réfuter le discours anticommuniste qu'on nous rabat habituellement sur Mao, la révolution culturelle et le socialisme. (Le texte intégral de l'entrevue est disponible, en langue anglaise, à l'adresse suivante: http://www.revcom.us/a/059/some-of-us-en.html.)

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Q: Plusieurs autobiographies ont été publiées par des auteurEs ayant vécu en Chine à l'époque de Mao, dont beaucoup s'attardent à la révolution culturelle. Qu'est-ce qui vous a poussé à rédiger cet ouvrage collectif?

Wang Zheng: En Chine, nous étions toutes étudiantes à l'université; aujourd'hui, nous sommes presque toutes enseignantes aux États-Unis. La quantité d'autobiographies rédigées par des membres de la diaspora chinoise nous a d'abord étonnées; puis, nous avons été stupéfaites de voir que celles qui ont bénéficié de la plus importante promotion, systématiquement, sont aussi celles qui décrivent l'époque de Mao comme une période terrible pendant laquelle il ne se serait rien passé d'autre que des massacres et des persécutions.

Même si je n'irai pas jusqu'à dire que leurs auteurEs ne racontent que des mensonges, je prétends qu'une bonne partie de ce qu'ils et elles affirment constituent ni plus ni moins que de la fiction. Prenez le livre d'Anchee Min, L'Azalée rouge, qui a été beaucoup cité, y compris dans les universités: quand il est sorti aux États-Unis, l'auteure a déclaré qu'il s'agissait d'une autobiographie. Mais lorsqu'elle est retournée en Chine pour en faire la promotion, devant ses amis, ses proches et d'autres gens qui la connaissent, elle a avoué qu'il s'agissait d'une œuvre fictive.

La popularité de certains de ces bouquins s'explique par la politique d'édition en vigueur aux États-Unis. De quels livres fait-on la promotion ici? Il me semble que le pattern est assez clair. La politique des grands éditeurs s'inscrit dans la mentalité de la guerre froide, qui demeure très présente aux États-Unis et dans tout l'Occident. Elle part du principe que les pays capitalistes sont de fabuleuses "terres de liberté", tandis que les pays socialistes sont des endroits terribles et que la Chine rouge était un enfer et une horreur, purement et simplement. Les livres qui reprennent ce point de vue sont ceux qui reçoivent la plus large diffusion et la plus grande attention de la part des médias.

Cela dit, je ne prétends pas qu'il n'y a pas eu de persécution en Chine. Ce que nous disons, c'est que la Chine est un si vaste pays, avec une population de plus d'un milliard de personnes, formée de groupes sociaux variés; une même période historique peut avoir été vécue de façon différente par chacun d'eux. Chose certaine, lorsque nous lisons certaines autobiographies, nous ne nous reconnaissons pas du tout dans ce qu'elles racontent. Peut-être leurs auteurs disent-ils la vérité lorsqu'ils racontent leur expérience? Néanmoins, ça ne correspond tout simplement pas à ce que nous-mêmes avons vécu.

Je me suis rendue compte que le groupe de femmes d'origine chinoise avec lesquelles j'étais en contact partageait le même sentiment que moi à cet égard. C'est alors que nous avons décidé de nous faire entendre.

En outre, quand on regarde qui est à l'origine de toute cette littérature qui condamne Mao et le socialisme, on s'aperçoit que la plupart des auteurEs proviennent des classes supérieures, de l'élite. On entend rarement, voire jamais le point de vue des classes ouvrière et paysanne, de ceux et celles qui étaient à la base. Comment ces gens ont-ils vécu l'époque de Mao? Cela, on ne nous le raconte jamais, sinon par personnes interposées.

Le Parti communiste chinois était une organisation fort complexe, dans laquelle on retrouvait de multiples factions -- chacune ayant sa propre vision du socialisme et de la Chine. Mais on ne nous fait entendre qu'une seule voix: celle des gens faisant partie des classes élitistes qui ont souffert durant cette période. Le portrait global est pourtant bien plus nuancé.

Q: Pourquoi ce type de littérature suscite-t-il autant d'intérêt?

Wang Zheng: À la fin des années 1970 et au début des années 1980 en Chine, un mouvement de masse a été lancé par les autorités pour inciter les "victimes" de la révolution culturelle à raconter ce qu'elles avaient subi. Éventuellement, cette ligne a trouvé à "s'exporter", en quelque sorte, en Occident: les Chinois pouvant se réclamer de ce "statut" y ont trouvé un marché fort lucratif.

C'est Deng Xiaoping qui fut à l'origine de cette ligne visant à réfuter minutieusement la révolution culturelle. Pour lui, c'était là un moyen de paver la voie au démantèlement du socialisme et de consolider son propre pouvoir. C'était aussi une façon de détourner l'attention de ses propres crimes, et ceux de ses partenaires.

Après que Deng eut lancé cet appel, le fait de se présenter comme victime de la révolution culturelle est devenu très "hot" en Chine. Des intellectuels ont pris le train en marche et commencé à rédiger le récit de ces victimes. Ce phénomène a reçu l'imprimatur de Deng Xiaoping, dans la mesure où ça l'a aidé à préparer le terrain au niveau idéologique à la mise en scène du néo-libéralisme et du darwinisme social qui ont accompagné l'émergence d'une économie de marché de type capitaliste. À travers ce processus, ces intellectuels ont pu récupérer les pouvoirs et privilèges dont ils avaient été en partie dépossédés à l'époque de Mao, en particulier durant la révolution culturelle. Ceux et celles qui ont osé dévier des plans établis par le nouvel architecte qu'était Deng Xiaoping furent excluEs des privilèges consentiEs à cette nouvelle élite -- quand ils n'ont pas été carrément jetés en prison.

Q: Dans vos mémoires, vous racontez une anecdote amusante qui remonte à l'époque où vous êtes arrivée aux États-Unis, concernant la fille d'une de vos nouvelles connaissances qui était "meneuse de claques" pour une équipe de football.

Wang Zheng: Je suis arrivée aux États-Unis après que Deng eut lancé cette campagne contre Mao et la révolution culturelle. Mes idées étaient alors quelque peu embrouillées: tout le monde racontait avoir été victime du parti et de la révolution culturelle; mais j'avais beau me creuser la tête, je n'arrivais pas à trouver un seul exemple qui m'aurait permis de me présenter moi-même ainsi! Je n'arrivais pas à me faire un point de vue à travers tout ce que je lisais ou entendais.

Mon expérience aux États-Unis m'a toutefois beaucoup aidée à voir plus clairement la signification de la révolution chinoise et la profondeur des changements qu'elle a produits: je pouvais désormais comparer la mentalité des femmes américaines, que je côtoyais, avec celle des femmes chinoises à l'époque de Mao et du socialisme.

C'est dans ce contexte qu'est arrivée cette anecdote que je raconte dans le bouquin. J'habitais dans une famille typiquement nord-américaine; un jour, une amie de ma logeuse est venue et s'est mise à parler de sa fille. Je lui alors demandé: "Que fait-elle dans la vie?" Et elle m'a répondu, visiblement fière et ravie: "Oh! c'est une cheerleader!" Ne connaissant pas la signification de ce nouveau mot, je fus bien sûr très intriguée et lui ai demandée de quelle sorte de "leader" il s'agissait... Lorsqu'elle m'a expliqué ce dont il s'agissait, ça m'a choqué. Je me suis dit: "Wow! En plus, elle en est fière! Cette femme n'a probablement jamais même imaginé que sa fille pourrait être acclamée de cette manière, par les hourras d'un groupe de gars!"

Bien sûr, ce n'est là qu'une simple anecdote; mais ce sont des petites choses comme ça qui m'ont amenée à constater le gouffre qui séparait ma propre expérience comme jeune femme ayant grandi dans la Chine rouge, de l'expérience plus générale des femmes dans une société comme celle des États-Unis. Leur mentalité, leurs espoirs et leur vision du monde: tout cela m'apparaissait tellement différent de ce que j'avais connu auparavant.

Q: La question des rapports hommes-femmes et des rôles que la société leur attribue est un thème récurrent dans la plupart des textes publiés dans votre ouvrage.

Wang Zheng: J'en traite d'ailleurs précisément dans mon propre texte. J'affirme notamment que dès sa création, le Parti communiste chinois a incorporé ce que je qualifie "d'agenda féministe" et qu'il a su attirer bon nombre de féministes -- même si à certains moments plus critiques de sa longue histoire, la question de l'égalité entre les hommes et les femmes n'a pas toujours fait partie de ses priorités.

Les recherches que j'ai poursuivies ont démontré que les féministes au sein du parti ont joué un rôle déterminant dans la promotion des politiques visant à réaliser l'égalité entre les genres. Le Parti communiste chinois n'a jamais été monolithique et il a toujours regroupé dans ses rangs des gens aux sensibilités et aux intérêts politiques variés. Chaque politique mise de l'avant par le parti fut le résultat de longues disputes et de négociations. En ce sens, les féministes communistes ont réussi à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes avec un certain succès.

Q: Donnez-nous quelques exemples.

Wang Zheng: Je pourrais parler des lois sur le mariage. Étant donné les batailles menées par toutes ces femmes dès les tout premiers jours en 1949, l'égalité entre les hommes et les femmes est vite devenue l'idéologie dominante officielle. Ce n'est plus le cas maintenant mais à l'époque, cela se reflétait dans toute la production culturelle, la littérature, le cinéma, la publicité, etc. On faisait la promotion de l'égalité dans toutes les sphères. Les femmes ont brisé les anciennes barrières et accédé à toutes les professions: pilotes, miliciennes, chauffeure de locomotive... Les femmes étaient encouragées à s'investir dans tous les secteurs qui étaient restés jusque-là des chasses gardées masculines.

Les filles de ma génération ont donc grandi dans cette atmosphère culturelle, avec cette culture politique. Au point même où nous avons pris cette question pour acquis. Nous avons connu l'accès égal à l'éducation et au travail, et l'égalité salariale -- particulièrement lors de la révolution culturelle. L'idéologie égalitaire qui caractérise le socialisme a largement profité aux femmes; au niveau économique, le système socialiste favorisait le partage équitable des ressources; et les femmes, là encore, en ont bénéficié. Les femmes qui travaillaient dans les entreprises d'État bénéficiaient de congés de maternité; il n'y avait plus de discrimination sexuelle au travail et dans l'éducation.

Je dois toutefois préciser que ce phénomène s'est surtout fait sentir en milieu urbain. Dans les campagnes, les politiques économiques étaient différentes. Même à l'époque des communes populaires, les femmes ont rarement réussi à obtenir un salaire égal pour un travail égal; dans les zones rurales, la résistance à l'égalité était si forte que les femmes ont continué à recevoir un traitement inférieur, même lorsqu'elles effectuaient le même travail.

Désormais, avec les écarts qui s'approfondissent entre les hommes et les femmes, entre les classes, les différentes régions, etc., il est devenu bien plus difficile de promouvoir l'égalité en Chine. Auparavant -- spécialement durant la révolution culturelle lorsque Mao a tenté de réduire les écarts entre les villes et les campagnes -- le parti avait adopté un certain nombre de mesures, qui ont maintenant été abandonnées: les "médecins aux pieds nus", notamment, et l'envoi d'enseignantes et d'enseignants dans les campagnes.

Q: On entend souvent dire que toutes les écoles ont été fermées pendant la révolution culturelle, que les livres ont été brûlés et que le niveau général d'instruction a diminué.

Wang Zheng: C'est là un des nombreux mythes qui sont entretenus. Dans les deux premières années de la révolution culturelle, les écoles furent effectivement fermées, mais ça ne veut pas dire que nous ne lisions pas! En fait, nous lisions plus que jamais, parce que les gardes rouges avaient organisé un système de distribution pour rendre accessibles les ouvrages qu'on retrouvait seulement dans les bibliothèques.

Puisqu'ils n'étaient plus forcés d'aller à l'école, beaucoup de jeunes gens ont trouvé le temps de développer leurs talents. Certains, qui avaient toujours rêvé d'apprendre le violon, en ont profité et n'ont fait pratiquement que ça, pendant deux ans. Pour d'autres, c'était l'étude des mathématiques ou des sciences physiques. On n'entend parler que de la violence des gardes rouges, mais ceux-ci n'étaient qu'une petite minorité parmi les jeunes de ma génération. Personnellement, comme beaucoup d'autres, je ne me suis jamais joint aux gardes rouges. On nous appelait les Xiao Yao Pai: des "décrocheurs", si on veut; et nous avons profité de l'occasion pour enfin faire ce qu'il nous tentait!

J'ai d'ailleurs critiqué le film Morning Sun de Carma Hinton. Je lui ai fait part de mon appréciation pour la première moitié du film; mais dans la deuxième partie, elle met beaucoup trop l'accent sur la violence des gardes rouges. Sa réponse a été que puisqu'il s'agit d'un documentaire, elle était dépendante des images disponibles et qu'il n'y en avait pas des Xiao Yao Pai. Évidemment, quand il y a de la casse, il y a toujours quelqu'un pour prendre des photos. Si tu restes à la maison pour lire ou étudier, personne ne va te photographier! Les gardes rouges qu'on voit dans le film sont toujours en train de casser quelque chose ou de battre quelqu'un! C'est vrai que plusieurs gardes rouges ont agi ainsi, mais j'ai bien peur que ce ne soit pas l'affaire de la majorité.

Q: Selon nous, les gardes rouges ont joué un rôle très positif pendant la révolution culturelle. Ils ont été une sorte de catalyseur. Les gardes rouges ont éveillé la conscience des gens sur ce qui se passait autour d'eux. Leur esprit critique et le défi qu'ils n'hésitaient pas à afficher à l'endroit des autorités réactionnaires ont incité les ouvriers, ouvrières, les paysannes et paysans à relever la tête et à dire leur mot sur les différents problèmes que la société chinoise connaissait. La violence ne constitue pas la caractéristique principale du mouvement des gardes rouges. Et une bonne partie des violences qui se sont produites ont été fomentées par les partisans du capitalisme, qui cherchaient ainsi à discréditer le mouvement. L'objectif de la révolution culturelle était d'empêcher que la révolution retourne vers l'arrière, ce qui impliquait de transformer la société encore plus profondément et de changer la façon de penser des gens.

Wang Zheng: Il était très clair pour ma génération que tout ça visait un objectif bien précis -- il ne s'agissait pas d'un mouvement inconsidéré. Nous voulions devenir des êtres humains différents; nous voulions créer une société différente dans laquelle les individus seraient motivés par des idéaux généreux, et non seulement par l'accumulation de biens matériels -- maisons, véhicules automobiles et autres produits de consommation.

Nous souhaitions œuvrer au bien commun; nous étions préoccupéEs par la communauté humaine dans son ensemble, pas seulement par la Chine: nous espérions que le monde entier connaisse enfin la paix et le bonheur, qu'il n'y ait plus d'exploitation ni d'oppression, sous quelque forme que ce soit. Certains diront qu'on poursuivait un rêve utopique déjà ancien... Qu'il s'agisse d'une utopie, ou pas, une chose est sûre: c'est que nous rêvions d'un monde meilleur.

Je ne voudrais jamais excuser la violence. Mais une révolution qui se propose de faire naître une société égalitaire ne peut faire autrement que d'adopter certaines mesures drastiques, comme une réforme agraire, la confiscation des terres appartenant aux propriétaires fonciers et leur redistribution aux paysannes et paysans pauvres. Bien sûr, si vous vous contentez d'interviewer les anciens propriétaires fonciers ou leurs enfants, vous n'entendrez que ça: qu'ils ont été expropriés injustement, que certains ont même été exécutés, etc. Mais si vous prenez la peine d'interviewer les anciens paysans sans terre, ou leurs enfants, à qui les communistes ont redistribué les propriétés expropriées, vous entendrez un tout autre son de cloche. Voilà pourquoi il est si important de rechercher, et de présenter, le portrait global d'une situation donnée.

Il va sans dire que les paysans pauvres ont rarement la capacité d'écrire leur autobiographie en langue anglaise... Voilà pourquoi vous ne les entendez jamais. Le pourraient-ils que vous ne les entendriez pas nécessairement plus: leurs écrits risqueraient fort de ne jamais être publiés aux États-Unis, car les gens qui contrôlent le marché de l'édition ne privilégient pas ce genre d'histoire.

Ainsi, nous rêvions de faire notre part dans la construction d'un monde plus juste et équitable. Je ne vois rien de mal dans un tel rêve - même si d'aucuns diront que je suis naïve. Je crois que l'être humain a besoin de garder à l'esprit des objectifs comme celui-là; sinon, nous deviendrons tous des animaux sauvages! À quoi ça sert de vivre dans un monde impitoyable comme le nôtre? À quoi ça sert de vivre dans un monde où l'accumulation sans fin de la richesse matérielle conduit à la destruction de la planète? Nous pourrions vivre différemment, et c'est pour ça que les rêves sont si importants!

Q: Ce que vous dites est important: il n'y a pas de fatalité qui veuille que le monde doive rester tel qu'il est! Durant la période socialiste en Chine, les choses ont commencé à changer pour vrai, justement parce que ce n'était plus seulement un rêve utopique. J'aimerais que vous nous parliez du mouvement qui a été lancé pendant la révolution culturelle, et qui est maintenant tant décrié, suite auquel la jeunesse urbaine a été envoyée dans les campagnes.

Wang Zheng: Il y a beaucoup de débats quant à savoir quelles étaient les motivations de Mao et du parti quand ils ont lancé ce mouvement. Mais si je ne suis pas certaine qu'il ait été correct de procéder de manière aussi drastique, je ne vois toujours pas ce qu'il y a de mal dans l'idée de demander à la jeunesse urbaine et éduquée d'aller apporter sa contribution dans les régions les plus pauvres. Je crois même que c'est nécessaire qu'elle le fasse, qu'elle utilise ses connaissances pour aider au développement régional.

Personnellement, je fais partie de ceux et celles qui ont été envoyéEs à la campagne. Et pendant tout le temps où j'ai travaillé sur une ferme, laissez-moi vous dire que je n'ai jamais versé une seule larme! Quand vous lisez toutes ces histoires dans lesquelles on raconte à quel point ce fut terrible pour ces jeunes femmes -- que Jung Chang, dans son livre intitulé Les cygnes sauvages, appelle les "sent down girls" (littéralement, les filles envoyées en bas, voire au bagne)... Oh là, là! Jung Chang a le sentiment d'avoir été lésée: puisqu'elle provenait d'une famille aisée de cadres du parti, comment a-t-on pu oser l'envoyer, elle, travailler à la ferme comme une simple paysanne? Quand j'ai lu le chapitre de son livre où elle raconte cette histoire, j'ai été profondément blessée par le sentiment de supériorité qu'elle exprime -- ce sentiment de faire partie de l'élite, qu'elle n'hésite pas à afficher. Comment a-t-on pu lui faire ça, se demande-t-elle? Pas surprenant que quand ses parents sont arrivés par la porte d'en arrière pour la sortir de là, elle soit devenue folle de joie. Des dizaines d'années plus tard, elle n'arrive d'ailleurs toujours pas à remettre en question ses privilèges.

Qu'y avait-il donc de si répugnant à l'idée de vivre parmi les paysannes et paysans, à une époque où celles-ci et ceux-ci constituaient environ 90% de la population chinoise? Sur quelle base une fille comme Jung Chang ne pouvait-elle pas travailler sur une ferme? Parce qu'elle portait une couronne sur la tête? Toutes ces dénonciations, ces plaintes... "nous étions des gens éduqués, habitués de vivre en milieu urbain... mes parents étaient des enseignants... j'avais plein de talents et là, je devais travailler comme un paysan!" À cela, je réponds: mais qu'est-ce qu'il y avait de mal là-dedans? Vos talents, vous pouviez et deviez en faire bénéficier les paysannes et les paysans!

Q: Le projet "Setting the Record Straight" [NDLR - il s'agit d'une initiative des camarades du RCP,USA; voir le site Web http://www.thisiscommunism.org pour plus de détails] vise notamment à répondre aux mensonges et aux distorsions propagées contre les expériences socialistes du passé. Compte tenu de l'intérêt que vous manifestez à ce sujet, comment selon vous pourrions-nous élargir notre travail?

Wang Zheng: Les ennemis du socialisme ont toute une machine derrière eux pour promouvoir leur point de vue. C'est là un véritable problème. Nous avons pris l'initiative de publier ce livre pour faire entendre notre voix, mais nous sommes condamnées à rester dans l'ombre, étant donné les exigences du marché. C'est un grave problème que celui de vivre dans une économie de marché capitaliste!

Pour les spécialistes comme nous, peut-être serait-il important de ne pas se contenter de produire des travaux académiques uniquement destinés aux académiciens. J'arrive justement d'une conférence universitaire sur la Chine. Parmi les spécialistes qui étaient présents, la plupart considèrent que le nouveau livre de Jung Chang [Mao: l'histoire inconnue] n'est qu'une merde. Ces spécialistes poursuivent des activités de recherche; ils étudient l'histoire, ont accès à des documents d'archives, et ils savent très bien que ce livre ne répond à quelque standard académique que ce soit. Certains d'entre eux en discutent avec leurs étudiantes et étudiants (encore faut-il que ceux-ci s'intéressent à autre chose que ce qui concerne les États-Unis!) et prononcent parfois des conférences. Mais cela ne rejoint jamais un large public. Pour rejoindre un auditoire plus vaste, cela dépend de ceux qui contrôlent les moyens de promotion. Il s'agit d'un problème politique, dans la mesure où le courant dominant a intérêt à diaboliser le socialisme.

Laissez-moi seulement vous dire une chose: combien le gouvernement des États-Unis a-t-il dépensé dans la guerre contre l'Irak jusqu'à maintenant? Plus de 70 milliards de dollars, pas vrai? Alors, dans ce système, vous pouvez investir autant d'argent pour tuer des gens qui professent une autre religion que la vôtre, au lieu d'offrir la gratuité scolaire et de faire en sorte que vos propres citoyens et citoyennes soient bien informéEs. Un système comme celui-là est-il réellement meilleur que le socialisme l'était en Chine, où l'éducation était totalement gratuite? Au lieu de dépenser autant d'argent pour tuer des personnes innocentes, fait-on quelque effort ici pour offrir des soins de santé gratuits?

Si la pratique de la révolution communiste en Chine a été contrecarrée par des erreurs ou des forces hostiles, alors il faut trouver de nouvelles façons d'aller de l'avant. Chose certaine, peu importe les erreurs commises par le Parti communiste chinois, elles ne prouveront jamais la supériorité du capitalisme.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 124, le 31 décembre 2006.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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