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Le pétrole et la politique étrangère américaine

PCQ, Sunday, December 3, 2006 - 21:30

Étienne Hallé

Le pétrole, combustible que nous utilisons abondamment pour le transport et comme matière première indispensable à l’élaboration de produits de synthèse, est d’une importance capitale pour assurer la continuité de notre mode de vie actuel. Comment un pays comme les États-Unis pourrait-il en effet assurer son hégémonie sur le monde sans un accès au pétrole à bon prix?

Et surtout, comment son économie intérieure pourrait-elle prospérer avec un approvisionnement limité ou à prix d’or? Il est évident que le pétrole, en ce début de 21e siècle, constitue un enjeu majeur pour le pays le plus puissant de notre planète : l’accès aux gisements pétroliers est aujourd’hui synonyme de puissance et de prospérité. Sans lui, les États-Unis seraient relégués à un rôle de second plan au niveau international.

L’usage du pétrole remonte à l’Antiquité où il était généralement découvert accidentellement en creusant des puits pour trouver de l’eau potable ou de la saumure. À cette époque, il était couramment utilisé comme produit pharmaceutique, comme cosmétique et comme huile pour lampes. Au Moyen-Âge, on s’en servait pour la préparation du « feu grégeois » utilisé lors de combats navals pour incendier les navires ennemis. Pendant longtemps, il a également été utilisé par plusieurs civilisations, dont les amérindiens, pour calfeutrer la coque de leurs embarcations. C’est en 1858, en Pennsylvanie, que l’américain Edwin Drake procéda au forage d’un puits de pétrole à des fins commerciales. Par la suite, d’autres l’imitèrent, ce qui donna naissance à l’industrie pétrolière des États-Unis. En janvier 1870, John R. Rockefeller fonda la Standard Oil et contrôla par la suite 95% du marché mondial du pétrole. La production, d’abord concentrée aux États-unis, s’orienta vers d’autres pays. En 1885, le Mexique et la Russie exportaient déjà vers l’Europe. « Dans le même temps, le hollandais Henry Deterding développa la Royal Dutch à partir de production en Indonésie tandis qu’un autre pionnier William Knox d’Arcy obtint en Perse la concession exclusive du pétrole1. »

C’est également à ce moment que les travaux du chimiste états-unien Benjamin Silliam Jr. sur la transformation du pétrole par distillation déboucha sur plusieurs produits tels que : goudrons, lubrifiants, naphta, solvants et essence, qui d’abord utilisé comme détachant, deviendra le fer de lace de l’industrie pétrolière. C’est donc à partir de 1885 que le pétrole devint un enjeu international qui s’accentua par l’essor du moteur à explosion au début du XXe siècle.

Après la Grande Guerre de 1914, les cartes pétrolières furent redistribuées au Moyen Orient entre les puissances occidentales, ce qui permit aux compagnies états-uniennes d’y consolider leurs positions. Jusqu’en 1945, la demande augmenta constamment, devenant ainsi un enjeu mondial de plus en plus important. En 1928, se signa à Achnachary la constitution du fameux cartel des « Seven Sisters » qui regroupait la Standard Oil of new Jersey, Royal Dutch-Shell, AngloIranian, Standard of California, Gulf, Texaco et Soconi-Mobil. Ces compagnies dominèrent le marché international pendant plusieurs décennies. Durant la Seconde Guerre Mondiale, conflit hautement mécanisé, l’approvisionnement en pétrole fut un enjeu majeur que tous les pays belligérants durent prioriser. En effet, l’URSS fournit à l’Allemagne près de 900 000 tonnes de pétrole de 1939 à 1941. Par la suite, en 1942 l’invasion allemande de l’Union soviétique visa entre autres l’accessibilité au pétrole du Caucase. Durant les dernières années de ce conflit, des armées se sont retrouvées immobilisées à plusieurs reprises faute d’essence.

Si en 1945 la production états-unienne de pétrole représentait encore 60% de la production mondiale, la situation n’en resta pas ainsi longtemps. Cette même année, afin de s’assurer un approvisionnement en « or noir » pour des besoins sans cesse grandissants, les États-Unis se tournèrent vers la plus grande réserve pétrolifère du globe : l’Arabie Saoudite. Dès lors, ce pays devint leur protégé. C’est également à ce moment que les États-Unis commencèrent à gagner en influence et à évincer le Royaume-Uni de cette région du globe.

Jusqu’en 1971, ce fut une période d’abondance : « la forte croissance économique qu’ont connue les pays développés entre 1950 et le milieu de 1970 n’a pu se réaliser au prix d’un très fort accroissement de la consommation d’énergie2 ». La facilité avec laquelle se trouvaient encore les gisements suivait aisément la demande sans cesse croissante. Toutefois, il est important de noter que durant cette période, les États-Unis ont eu recours à des mesures protectionnistes afin de stimuler leur production nationale.

En 1971, « [...] les pays de l’OPEP obtiennent une revalorisation substantielle de leurs revenus et des assurances de nouvelles augmentations3 ». En février de cette année, l’Algérie nationalise ses hydrocarbures, suivie par l’Irak en 1972 et la Libye en 1973. En octobre 1973, les pays arabes, mécontents de la dévaluation du dollar US, décrètent un embargo pétrolier : c’est le premier choc pétrolier. Le prix du pétrole est alors quadruplé.

En 1979, c’est le deuxième choc pétrolier, marqué par la révolution islamique iranienne et sa guerre contre l’Irak, qui fait lui aussi grimper le prix du brut. La période qui se situe entre 1985 et 2002 est marquée en quelque sorte par un retour à l’abondance. À la demande des États-Unis, les pays du Golfe augmentèrent leur production, ce qui fit baisser les prix et endommagea gravement l’économie soviétique. Ce fut même une des causes méconnues de l’effondrement de l’URSS4.

Depuis 2002, le prix du brut est environ cinq fois plus élevé qu’en 2001. La hausse de la demande causée par l’essor de la Chine, l’épuisement rapide des réserves, la faiblesse des investissements de la décennie précédente et l’incapacité des pays du Golfe à augmenter suffisamment leur production, font en sorte que cette période en est une, notamment pour les États-Unis, de grande inquiétude. Avec son intervention militaire en Afghanistan, puis en Irak, zones toutes deux stratégiques pour un approvisionnement pétrolier que l’on ne peut qualifier autrement que vital, il est légitime de se demander si elle repose uniquement sur des motifs de sécurité ou sur des raisons économiques. Se pourrait-il que le contrôle de ces régions du monde par les États-Unis soit nécessaire à sa stabilité, à son développement économique et au maintien de sa puissance?

Analyse réaliste

Depuis maintenant plus d’une centaine d’années, la question du pétrole fait partie intégrante de la politique étrangère états-unienne. Autrefois quasi autarcique en fait d’approvisionnement pétrolier, cette puissance doit maintenant s’appuyer sur des gisements extérieurs pour répondre à des besoins pétro-énergétiques sans cesse grandissants. Sa suprématie politique au proche et au moyen orient est d’une importance vitale pour conserver son statut de première puissance mondiale. À ce propos, l’invasion et le contrôle politique de l’Irak – deuxième réserve de pétrole mondiale prouvée - est sans l’ombre d’un doute la conséquence d’une politique étrangère visant à assurer la stabilité de cette région afin de pourvoir à un approvisionnement pétrolier durable.

En 1973, les États-Unis produisaient 520 millions de tonnes et en importaient 280. En 1978, la production diminua à 490 millions de tonnes contre 400 millions d’importation. « Aujourd’hui, la part de leurs importations sont 50% supérieures à leur production5. » De plus, dans vingt ans la consommation augmentera d’un tiers, « la production nationale ne représentera plus alors que le quart de la consommation6 ». Les experts prévoient en effet une production de 350 millions de tonnes par an pour une demande intérieure de 1300 millions de tonnes. Ce pays, qui totalise 4% de la population mondiale, consomme 25% de l’énergie de la planète. De plus, la croissance de la demande énergétique de la Chine a de quoi inquiéter l’administration Bush. Devant un tel scénario, quelle autre alternative pour les États-Unis que de s’assurer une mainmise sur des sources d’approvisionnement extérieures à leurs frontières? Pour se prémunir d’une diminution de leur puissance au sein de l’ « anarchie » du système international, il est impératif pour eux de sécuriser les territoires riches en pétrole outre frontières.

À ce sujet, quel meilleur territoire que l’Irak? Un régime dictatorial ne respectant pas les droits de l’homme; un passé de répression sanglante contre des minorités ethniques et religieuses; des doutes « raisonnables » quant à une menace contre les États avoisinants (armes de destruction massive) : tout pour légitimer l’invasion du territoire possédant la deuxième plus grande réserve mondiale répertoriée7.

Lorsque l’on regarde de près les zones d’influence des États-Unis au moyen orient, il est aisé de voir l’importance stratégique du territoire irakien, adjacent à l’indomptable Iran. La place centrale de l’Irak au sein de ce territoire riche en pétrole ajoute une importance à son contrôle. La présence de bases militaires états-uniennes en Afghanistan, en Turquie, en Arabie Saoudite, au Pakistan, au Qatar, aux Émirats Arabes Unis, au Koweït, au Yémen, en Jordanie, en Israël et en Oman témoigne depuis longtemps d’une volonté d’exercer un contrôle sur ce territoire : l’invasion de l’Irak est simplement la continuité d’une politique étrangère de suprématie sur des zones d’influence occidentales visant un accès large aux ressources pétrolières de la région.

En mettant pied d’abord en l’Afghanistan pour faire avancer un projet de construction d’oléoducs impossible à réaliser sous le régime taliban, les États-Unis ont contribué à augmenter l’afflux pétrolier vers Karachi, ville portuaire située au pakistan. En procédant ensuite à l’invasion du territoire irakien, l’administration républicaine de Georges W. Bush a voulu sécuriser un territoire souvent caractérisé par son instabilité. Les besoins pétro-énergétiques toujours grandissants des États-Unis et la diminution de sa production intérieure justifient grandement sa politique étrangère au proche et moyen orient. La disponibilité du pétrole dans ce territoire est un enjeu majeur qui gagnera en importance à mesure que les réserves diminueront. Plus les besoins en pétrole des États-Unis augmenteront et moins ils seront en mesure de fournir à leur propre demande, plus leur implication étrangère s’avèrera nécessaire au maintien de leur puissance.

Analyse marxiste

L’invasion états-unienne de l’Irak a fait couler beaucoup d’encre depuis 2003. Les raisons énoncées par l’administration Bush faisant état d’hypothétiques armes de destruction massives (jamais trouvées) et la nature dictatoriale du régime de Saddam Hussein sont ils les motifs principaux de cette opération militaire? Nombreux sont ceux qui se permettent d’en douter... La solution à ce questionnement se trouve plutôt du côté d’une observation des rapports dialectiques à l’intérieur de ses frontières.

Aux États-Unis, depuis plusieurs années, nous assistons - comme dans plusieurs pays du monde - à un accroissement des besoins en pétrole. De plus, les limites intérieures de ses réserves pétrolières et l’émergence de la Chine comme puissance industrielle mondiale viennent limiter son approvisionnement en brut et ainsi nuire aux possibilités de bénéfices des pétrolières. De plus, le manque d’investissement de la part de ces transnationales pour augmenter leur capacité de raffinage dans les années 1990 a causé des limitations à la transformation du pétrole brut en combustible8, ajoutant un problème à celui de l’approvisionnement. Comment s’assurer une accessibilité aux gisements pétroliers tout en se garantissant les fonds nécessaires à la modernisation et à la construction d’infrastructures et ce, sans affecter les dividendes des actionnaires? Simplement en effectuant les pressions nécessaires sur l’administration de George W. Bush, très proche du monde des affaires du pétrole. Ces pressions ne sont certes pas les seuls facteurs qui alimentèrent les rapports de forces conjoncturels menant à l’invasion l’Irak, mais elles ont certainement eu un rôle à jouer dans sa décision finale. Dès l’installation d’un gouvernement intérimaire pro états-unien a débuté, sous le couvert de besoins monétaires énormes pour assurer la reconstruction du pays, la privatisation de ses gisements pétroliers nationaux. « L’administration Bush sait qu’elle ne peut pas parler ouvertement de la vente des sources pétrolifères irakiennes à ExxonMobile et Shell. Elle confie cela à Fadhil Chalabi, un ancien fonctionnaire du ministère du pétrole Irakien9. » Des contrats pour assurer des services administratifs et pour reconstruire et développer les infrastructures détruites par la guerre ont étés accordés à des compagnie états-uniennes. La politique étrangère des États-Unis en matière de pétrole est à l’image de la force réelle des compagnies pétrolières transnationales au sein de son infrastructure.

Le besoin de matières premières abondantes et bon marché, mais également celui de moderniser leurs installations pour augmenter leurs profits issus de la plus value - tirée de la transformation du pétrole brut en combustible commercial - justifient leur appui aux candidats politiques proches de leur milieu, influençant ainsi la superstructure étatique et les comportements de la nation la plus puissante au monde. La puissance des lobbys du pétrole est le facteur dialectique prédominant qui guide présentement la politique étrangère états-unienne en matière de pétrole. Celle là même qui a mené à l’invasion de l’Irak.

Notes :

(1) Pétrole et politique internationale, André Pertuzio, Institut international d’études stratégiques, http://www.strategicsinternational.com/f5pertuzio.htm

(2) Le pétrole, Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9trole

(3) Ibid

(4) Le pétrole, Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9trole

(5) États-Unis: objectif pétrole, Pascal Boniface, Institut de relations internationales et stratégiques, http://www.iris-France.orghttp://www.iris-france.org/pagefr.php3?fichier...

(6) Ibid

(7) Et maintenant le pétrole!, Dante Sanjurjo, Politis, http://www.politis.fr/article530.html

(8) Le pétrole, Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9trole

(9) La reconstruction de l’Irak, une privatisation déguisée, Naomi Klein, Pax Humana, http://paxhumana.info/article.php3?id_article=183

Références

Aux origines de la nouvelle crise pétrolière, Nicolas Sarkis, Le Monde diplomatique, http://www.monde-diplomatique.fr/2004/07/SARKIS/11335?var_recherche=sark...

Deuxième choc pétrolier, Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_choc_p%C3%A9trolier

États-Unis: objectif pétrole, Pascal Boniface, Institut de relations internationales et stratégiques, http://www.iris-France.orghttp://www.iris-france.org/pagefr.php3?fichier...

Et maintenant le pétrole, Dante Sanjurjo, Politis, http://www.politis.fr/article530.html

Flambée de l’or noire, Radio-Canada, http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie-Affaires/2005/12/14/006-or...

L’après pétrole a déjà commencé, Nicolas Sarkis, Le Monde diplomatique, http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/SARKIS/13413?var_recherche=sark...

Le pétrole, Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9trole

Pétrole et politique internationale, André Pertuzio, Institut international d’études stratégiques, http://www.strategicsinternational.com/f5pertuzio.htm

Premier choc pétrolier, Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Premier_choc_p%C3%A9trolier

Hypocrisie et convoitise, Duncan Mc Laren et Ian Willmore, Les amis de la terre, http://www.amisdelaterre.org/article.php3?id_article=478

La reconstruction de l’Irak, une privatisation déguisée, Naomi Klein, Pax Humana, http://paxhumana.info/article.php3?id_article=183

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