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La vieille Chine de Mao Tse-ToungAnonyme, Thursday, November 2, 2006 - 10:07 (Analyses | Guerre / War | Imperialism | Politiques & classes sociales | Solidarite internationale | Syndicats/Unions - Travail/Labor)
Steve Tremblay
Le texte ci-dessous fut publié dans Battaglia Communista (Italie) en mai 1959, Déjà en 1959, un militant de la gauche communiste voyait les ravages que faisait le maoïsme sur la classe ouvrière chinoise. Comme le dit si bien le texte de l’auteur Munis : Des communistes internationalistes, Montréal. LA VIEILLE CHINE DE MAO TSE-TOUNG Le gouvernement régnant sur la Chine depuis dix ans est né de la défaite du prolétariat et poursuit des fins contre-révolutionnaires, dont il est l’expression condensée et systématique. Cette affirmation préliminaire est indispensable pour aborder le thème, « la Chine d’aujourd’hui », sans que l’on me prenne pour l’un de ces fabricants de sirop progressiste si nombreux de par le monde actuel. La propagande nous met sous les yeux les soi-disant réalisations du nouveau gouvernement, fait miroiter les chiffres de production doublée ou décuplée, des projets gigantesques, nous offre des perspectives d’une ascension rapide vers le communisme, des photos d’hommes toujours souriants au travail, littérature malsaine grossièrement enrobée de marxisme, élucubrations de mandarins sycophantes versifiées par Mao Tsé-Toung. Laissons dire; ce n’est que de la propagande. Souvenons-nous, quant à nous, que tout régime politique, si réactionnaire et cynique soit-il, a besoin de se donner une justification morale, un masque philosophique présentable au vulgaire. Dans ce domaine, les régimes staliniens sont passés maîtres. Élaborer leur propagande et l’enfoncer dans le crâne du public mondial constitue une de leurs principales activités et un des plus coûteux chapitres de leurs budgets. Qu’au lieu de vérité et de qualité ils nous servent quantité de mensonges, est moins pour eux affaire de volonté qu’absolue nécessité. Ils font leur travail de la seule façon qu’ils puissent. L’étonnant est que leurs dires soient pris pour argent comptant parmi pour ceux qui se tiennent pour révolutionnaires, y compris des anti-staliniens. Aux yeux de la majorité de ceux-ci la Chine jouit d’un préjugé de tolérance plus grand que n’importe quelle autre des succursales de la Russie. Ceux mêmes qui nient l’existence d’une révolution socialiste en Chine accordent au nouveau gouvernement un caractère progressiste, issu, sinon de l’imagination, du moins de la propagande dudit stalinisme. À la faveur de la prostration du prolétariat mondial, la propagande dégrade les esprits et donne à sa camelote une couleur d’authenticité. Mais son empire n’est pas plus absolu qu’éternel. Les Mao Tsé-Toung de tout acabit, ne réussiront pas à se donner plus que la satisfaction passagère des marchands de vent et des réactionnaires traditionnels : celle que leur consent l’abaissement temporaire de la conscience mondiale. Le premier sursaut révolutionnaire balaiera de la scène leurs paroles, leur œuvre et leurs personnes mêmes, résultats de la plus impudente supercherie qu’ait enregistrée l’histoire. Il est impossible de bien comprendre la nature de quelque régime que ce soit sans le situer dans le cadre historique correspondant sur le plan national et international. Plus encore lorsqu’il s’agit du nouveau gouvernement stalinien chinois, dont les premiers germes, presque totalement inconnus même pour des « initiés » de l’avant-garde idéologique, doivent être dégagés de la profonde nuit qui a enveloppé le corps-à-corps de la révolution et de la contre-révolution en Russie, trente ans auparavant, et des relations étroites de cette dernière avec Tchang Kaï-Chek. Le prolétariat chinois -si l’on ne parle pas du prolétariat russe- est la première victime du développement propre de la contre-révolution stalinienne russe, tout à la fois sournoise et féroce. En 1926, un soulèvement révolutionnaire du prolétariat et des paysans avait complètement disloqué le vieux régime chinois (1). Partout, dans les villes, usines, villages, s’étaient constitués des soviets représentatifs du nouveau pouvoir révolutionnaire, tandis que l’ancien pouvoir capitaliste du parti Kuo-Min-Tang gisait désarticulé, sans autre validité que celle imposée localement par l’occupation territoriale de ses forces armées et policières. Celles-ci étaient très insuffisantes pour assurer le pouvoir capitaliste sur l’ensemble du territoire et, d’autre part, ouvriers et paysans armés spontanément ou organisés en milices, représentaient un potentiel militaire aussi puissant que celui du capitalisme et infiniment supérieur du point de vue numérique et moral. De surcroît, l’état des partis était exceptionnellement propice à la révolution prolétarienne, propice comme il n’a jamais été depuis dans aucun pays. De fait, il n’existait que deux partis : celui du capitalisme, le Kuo-Min-Tang, et le parti communiste. Le premier était un parti d’origine démocratico-bourgeoise, qui servit bientôt de couverture aux intérêts et à la pensée capitalistes. De son côté, le parti communiste ne rencontra autour de lui aucune autre organisation ni même fraction, qui lui disputât l’adhésion confiante des opprimés. L’action et les réalisations de ceux-ci, leurs défaites et leurs triomphes, tout le cours des évènements, en somme, dépendaient entièrement de lui. Il ne pouvait faire ce qu’il fit depuis dans bien des pays, rejeter la responsabilité de la défaite en accusant de mauvaise volonté ou de trahison d’autres partis. Il n’y en avait point. En conséquence défaite et trahison retombent pleinement et uniquement sur lui. Voyons maintenant ce qui s’est passé et pourquoi. Au moment précis où le pouvoir révolutionnaire des soviets atteint son expansion maxima, où il n’y a plus qu’à les coordonner en un pouvoir unique annulant celui du capitalisme, Moscou décide et impose au Parti Communiste : dissolution des soviets, subordination des milices révolutionnaires et des patrouilles ouvrières en général au gouvernement établi, « dissolution» du Parti Communiste au sein du Kuo Min-Tang*. Les masses, ainsi que des noyaux de révolutionnaires à l’intérieur du Parti Communiste, résistent à l’exécution de ces directives. Cependant, l’appareil bureaucratique parvient à s’imposer, et la révolution est jugulée. Tandis que les généraux désarment ouvriers et paysans, tandis que les bourgeois récupèrent « leurs » propriétés, et que les bonzes de la religion bouddhiste entonnent de nouveau leurs litanies, Mao Tsé-Toung, Chou En-Lai, tous les principaux dirigeants de la Chine actuelle, fraternisent avec eux. Tchang Kaï-Chek et Staline échangent des photographies mutuellement dédicacées. Peu après, le Kuo Min-Tang assassinait en masse les ouvriers révolutionnaires. En résumé : la révolution chinoise fut intentionnellement écrasée par le Parti Communiste, agissant sur les ordres de Moscou, et en étroite collaboration avec Tchang Kaï-Chek. Du point de vue formel, phylogénique peut-on dire, la politique suivie alors par le stalinisme en Chine était réformiste. Mais la terminologie et les événements de référence traditionnels ne sont d’aucune valeur dans le cas du stalinisme. Ils ne servent qu’à dissimuler son idiosyncrasie, quand ce n’est pas à faire son jeu. Si l’on ne veut point faillir dangereusement au substrat économique et politique de la Russie, sa métropole universelle. La révolution chinoise coïncide avec la période décisive de l’intronisation de la bureaucratie en Russie. La lutte de l’Opposition de gauche contre celle-ci, défendait en même temps, et les bases essentielles de la Révolution d’octobre, et la continuation extérieure d’une politique de révolution mondiale. L’un des plus importants ouvrages de Léon Trotzky, L’Internationale Communiste après Lénine, mit en évidence, à un degré encore supérieur à ce que proposait Trotzky lui-même, ce qu’avait de funeste pour le prolétariat international la politique que Moscou était en train d’imposer en Chine. Le conflit au sein du Parti et du gouvernement russes s’engrenait, avec la même signification et la même âpreté, sur la lutte, au sein du Parti Communiste Chinois, entre les partisans de l’alliance avec Tchang Kaï-Chek et la bourgeoisie, et les partisans du pouvoir des soviets et de la révolution prolétarienne. Le gouvernement russe et l’Internationale Communiste étaient alors beaucoup plus corrompus que ne le croyaient les révolutionnaires. En conséquence, il n’y eut de lutte idéologique loyale, validée par la participation et le vote des militants, mais une décision dictatoriale de Moscou. La corruption des hommes par les situations, l’argent ou la vanité, la falsification des nouvelles et des faits, la vile calomnie répandue contre les révolutionnaires, en même temps qu’on les empêchait d’exprimer leurs idées, furent les moyens employés; le recours suprême fut la destitution, par l’ukase de Moscou, de membres de la direction et de comités entiers qui avaient été élus démocratiquement, alors qu’était désignée du doigt une nouvelle direction, tout comme le pape désigne ses évêques. Ainsi accédèrent aux postes clefs du Parti Communiste Chinois les Mao Tsé-Toung, Chou En-Laï, etc., une fois destituée la direction révolutionnaire de Chen Du-Siu, dont certains des participants devaient plus tard mourir assassinés par leurs successeurs vénaux. Qui ne sait depuis Darwin, depuis Linné même, que chaque espèce demeure définitivement marquée par ses caractères morphologiques originaires, par sa mutation génétique dirait-on aujourd’hui? Cette loi biologique est également valable en sociologie mais avec une transcendance qui lui est propre, puisqu’elle concerne des sociétés entières où intervient la volonté des individus représentée dans le cas des mutations régressives, comme celle qui nous occupe, par une coercition idéologique et physique qui ressortit à l’écrasement millénaire de l’homme. Tous les partis communistes subissent le remplacement dictatorial de leurs directions élues par d’autres, formées de fonctionnaires dociles mais princièrement rémunérés. Aucune cependant, n’est aussi étroitement liée à la naissance et à la consolidation de la contre-révolution stalinienne en Russie que celle qui règne en despote actuellement à Pékin. Les Moscou et Pékin d’aujourd’hui se doivent l’une à l’autre la vie. Si la révolution prolétarienne de 1926-27 avait triomphé, le renouveau qui s’ensuivait pour le prolétariat mondial aurait étouffé dans l’œuf la contre-révolution russe, et l’histoire des trente dernières années aurait suivi un cours ascendant, diamétralement opposé à l’actuel. À son tour, le parti de Mao Tsé-Toung n’aurait pas aujourd’hui droit de haute et basse justice sur 500 millions d’hommes sans le triomphe de la tendance contre-révolutionnaire en Russie. La mutation réactionnaire russe et la mutation réactionnaire chinoise se produisirent simultanément et se soutinrent mutuellement. Quiconque n’en tient pas compte en parlant de la Chine actuelle se laisse aller, qu’il le veuille ou non, vers une zone d’intérêts opposés à ceux du prolétariat : on le fait marcher. Il suffit de se souvenir que les meilleurs propagandistes de la « nouvelle » Chine sont des représentants de la bourgeoisie occidentale descendants directs, -lorsqu’ils n’en sont pas eux-mêmes- de ceux qui se jetèrent comme une meute sur les bolchéviks en 1917. Pour se réaliser dans le devenir en société humaine, le prolétariat doit acquérir le degré minimum de conscience que lui consent le déroulement de la lutte de classe mondiale. L’aspect négatif, énorme et menaçant qu’offre la contre-révolution stalinienne constitue une leçon beaucoup plus importante que celle des épisodes victorieux, trop brefs jusqu’à présent. Dans cette perspective, il est extrêmement important de rappeler aujourd’hui un document presque totalement ignoré dans le monde, intitulé Lettre de Changaï et signée, durant la période révolutionnaire des années 20, par un groupe de militants responsables de la première heure, au moment où s’appeler communiste et appartenir aux comités ne signifiait pas privilège matériel ou espoir de l’obtenir, mais danger et dévouement à la cause du prolétariat. La Lettre critique la politique pro-bourgeoise du parti chinois, déjà amputé de sa direction véritable, et croyant ingénument que les hommes de Moscou en seraient scandalisés, lance contre celui-ci ces deux accusations : 1) Les nouveaux comités ne choisissent que des fils de mandarins ou de bourgeois pour étudier dans leurs écoles, être envoyés dans les écoles russes et pour accéder aux fonctions dirigeantes, les ouvriers étant traités comme quantité négligeable; 2) La conception qu’a la nouvelle direction de sa tâche est exclusivement militaire, opposée à l’intervention directe et à l’acquisition d’une conscience politique de la part des exploités. Accusations d’une portée bien supérieure à celle que lui attribuaient leurs auteurs : elles mettent en évidence les eaux stagnantes où s’abreuvait le parti « communiste » chinois, ainsi que sa composition sociale. En effet, ses cadres politiques proviennent dans leur quasi totalité des anciennes classes dirigeantes, en particulier des classiques mandarins abrutis et des « compradores » serviles surgis du contact avec le capitalisme occidental (2). Pendant bien des années, bureaucrates, généraux et écrivailleurs de cette piètre lignée, que le stalinisme appelait des théoriciens, étaient continuellement interchangés, comme par une osmose naturelle, entre les quartiers généraux respectifs de Mao Tsé-Toung et de Tchang Kaï-Chek. Celui-ci a dû réfléchir plus d’une fois aux possibilités de commander la Chine à partir d’un secrétariat du parti stalinien. Il lui aurait fallu y penser plus tôt. Ne lui propose-t-on pas, aujourd’hui même, un poste élevé au gouvernement de Pékin à la condition de rendre Formose? Qu’on imagine Lénine et Trotzky proposant à Kornilov, Denikine ou Wrangel d’entrer à leur gouvernement et l’on obtiendra par l’absurde, une idée claire du caractère réactionnaire des hommes de Pékin. D’autre part, à moins de l’oublier volontairement, ce n’est un secret pour personne que, depuis la dernière guerre, une fois la Russie devenue la deuxième puissance impérialiste, les généraux de Tchang Kaï-Chek sont passés avec armes et bagages à Mao Tsé-Toung, ou bien lui ont vendu les armes récemment reçues des Etats-Unis. Le gouvernement yankee, conseillé par ses ambassadeurs et observateurs, retira à Tchang Kaï-Chek le ravitaillement en armes, le condamnant très sciemment à la défaite. Washington s’attendait, à vrai dire, à trouver dans les nouveaux maîtres de la Chine des interlocuteurs complaisants et à être aussi influent à Pékin, pour le moins, que Moscou. Cela ne s’est pas encore produit mais se produira fatalement, à moins d’une défaite de Pékin au profit du prolétariat, ou d’une guerre prochaine. Il y a pour le croire, entre autres raisons de poids, celle-ci, qui est irrécusable : le parti dictateur chinois n’étant pas une association idéologique révolutionnaire, pas plus que le parti russe, la lutte pour l’usufruit de la plus-value amènera celui-là à contrebalancer la Russie par les Etats-Unis dès que la première occasion propice se présentera. Aussi longtemps que la société est régie par les minorités exploitantes forcément tyranniques, celles-ci fondent leur « indépendance » et leur « grandeur nationale » sur un jeu de bascule entre les principales puissances. Dans le monde actuel, soumis à d’écrasantes pressions économiques, politiques et militaires, la possibilité du double jeu a diminué pour les petites et moyennes puissances, mais l’importance de sa réalisation s’est accrue d’autant. L’alliance entre Moscou et les divers gouvernements satellites ne repose pas sur des idées, moins encore sur une homogénéité économique socialiste. Rien n’est plus révoltant à cet égard que de voir des hommes et des groupes qui se disent anti-staliniens se faire partiellement l’écho des falsifications officielles, qui sont une dérision pour le prolétariat. La réalité est tout autre : tout parti ou régime dépendant de Moscou peut parfaitement s’accommoder de la soumission à Washington, sans qu’il soit besoin de changer un iota à sa prétendue base économique socialiste. Non sans raison, le précédent créé par Tito a affolé le Kremlin et c’est en vain qu’il s’est efforcé, ces dernières années, d’apparaître comme un « chef de file » impérialiste aussi souple que Washington. Néanmoins, l’accusation essentielle et la plus clairvoyante de la Lettre de Changaï est celle concernant l’abandon de la lutte des classes et sa supplantation par la lutte militaire. Elle surpasse de loin la portée que lui attribuaient ses auteurs (3). Ceux-ci croyant encore qu’il s’agissait d’une déformation particulière au Parti Communiste chinois, protestaient devant le Comité Exécutif de l’Internationale alors qu’elle était déjà devenue un bras tentaculaire du gouvernement russe, et que ce gouvernement, entièrement prisonniers des intérêts réactionnaires qui subsistaient dans la société russe, mettait en mouvement, sans ambages, sa lutte de classe contre la prolétariat. La situation politique et économique en Russie avait été retournée. Les intérêts réactionnaires, politiquement exposés par la bureaucratie stalinienne, incompatibles avec ceux du prolétariat russe, aussi bien qu’avec la révolution mondiale, ne pouvaient s’accrocher qu’à des méthodes militaires, face aux menaces extérieures, et à des méthodes policières face au péril intérieur : les masses. La « méthode » était inventée depuis les Pharaons. (1). Pour mesurer l’ampleur et la profondeur de l’assaut révolutionnaire, il suffit de lire le roman Les Conquérants, de Malraux futur transfuge.
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