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Le sionisme : du national socialisme

Anonyme, Monday, October 30, 2006 - 20:11

Bruce Katz

Cet article intitulé Le sionisme: du national socialisme, reprend les propos essentiels mis de l'avant par Bruce Katz de PAJU (Palestiniens et Juifs unis) lors d'une présentation à l'Université du Québec à Montréal en 2003.

Le sionisme: du national socialisme
par
Bruce Katz

Bruce Katz est membre fondateur et coprésident de PAJU (Palestiniens et Juifs unis)

Depuis la Révolution française, l’on peut distinguer deux tendances générales dans le nationalisme. La conceptualisation de ces deux tendances en ce qui concerne l’opposition entre liberté individuelle et l’idée du corps collectif n’a pas vraiment changé, quoique leur champ de bataille avant 1870 ait été de nature socio-politique, et de nature culturelle à la suite de l’ascension de la Prusse et de l’unification de l’Allemagne. Il faut reconnaître que l’ultra-conservatisme contre-révolutionnaire et le libéralisme ne sont pas respectivement l’expression du nationalisme et de l’anti-nationalisme, mais qu’ils sont deux notions divergentes de la nation. Le libéralisme qui tend vers l’universalisme du Siècle des lumières et vers les droits de l’individu incarne l’idée de la nation jusqu’à la défaite de la France par Bismarck alors que l’ultra-conservatisme qui tend vers le particularisme et vers la notion du « corps collectif » incarne l’idée de la nation depuis le pangermanisme, et cela particulièrement dans l’Europe de l’Est d’où vient le sionisme en tant que mouvement idéologique et politique.

À cette dernière conception de la nation fixons le terme nationalisme « organique » car on associe non seulement à la collectivité la notion du regroupement d’individus vivant ensemble et étant soumis aux mêmes lois, mais on l’investit également d’une vie propre, parallèle et supérieure à celle de l’individu. Ainsi crée-t-on par une sorte de genèse, le corps mystique de la collectivité sociale qui devient une fin en elle-même, dotée de sa propre force motrice et omni-puissante comme Dieu. Bref, l’individu appartient maintenant corps et âme à la nation, laquelle à son tour devient le corps et l’âme de tous et toutes. En ce sens la nation devient « organique. » Le sionisme, comme tout mouvement nationaliste de droite lequel se replie sur la notion de la pureté ou de l’intégrisme ethnolinguistique, est un nationalisme organique dans le sens que l’auteur vient d’énoncer. On a « ethnisé » et sécularisé le Judaïsme afin de faire de lui la pierre angulaire de l’appareil étatique. Bref, ce qui fut auparavant une religion est devenue à la fois nationalité et religion civique, où on fait le culte devant l’autel de l’État.

Ce qui est unique au national socialisme est l’acceptation de la primauté de la nation qui assujettit les valeurs du socialisme, normalement universalistes, au service des valeurs particulières de celle-ci. Alors, le national socialisme se fonde sur l’idée de la nation comme étant l’unité culturelle, historique et biologique ou, si on veut, au sens figuré, « une grande famille étendue. » C’est alors une question du « sang. » L’individu est une partie organique de l’entier, et l’entier prime sur l’individu. Ainsi est-il du sionisme comme de tout autre nationalisme organique. Ici, le Juif en tant qu’individu n’a aucune signification intrinsèque; sa signification ne peut être appréhendée que dans la mesure où il est utile ou productif pour la nation.
Alors, pour assurer l’avenir de la nation et afin de la protéger contre les forces qui pourraient la miner, il est nécessaire de mobiliser toutes les classes sociales contre les deux grands dangers qui la menacent depuis la venue de la modernité : le libéralisme et le marxisme. C’est ainsi que le nationalisme organique ou intégriste est à la fois anti libéral et anti marxiste. Comme le socialisme démocratique s’oppose au tribalisme, il n’est guère surprenant que le national socialisme, lequel repose sur la notion biologique ou ethno culturelle de la nation, soit l’anti thèse du socialisme. Ainsi est-il pour le sionisme (l’État d’Israël interdit le mariage entre Palestinien et citoyen israélien et interdit aux agences juives comme le Fonds national juif de vendre des terres en Israël aux non- juifs) lequel prétend, par contre, qu’il se base sur les principes universalistes du socialisme.

Dans l’est de l’Europe les critères de l’appartenance à la nation n’étaient pas politiques mais plutôt culturels, linguistiques, ethniques et religieux. L’identité allemande, polonaise, slovaque, serbe, et cetera, évoluaient comme résultat des particularismes de la religion, de la langue et de la culture lesquels une fois vus comme un entier intégral et immuable, sont devenus synonymes des différences biologiques ou raciales (le sens de la « race » au 19e siècle). En ce qui concerne le sionisme, tel que le fait ressortir l’historien Zeev Sternhell dans son œuvre, Aux origines d’Israël : Entre nationalisme et socialisme, on peut faire, selon Sternhell, le constat suivant : le nationalisme organique est beaucoup plus topique au sionisme que l’idée d’un mouvement socialiste révolutionnaire. D’une certaine façon, le sionisme est la réponse à l’échec du libéralisme en Europe face aux nationalismes tribaux lesquels avaient un caractère xénophobe et anti-sémite.

L’ironie, c’est que le sionisme, en tant que réaction au nationalisme organique qui rejetait a priori le Juif comme citoyen de la nation, a été conçu à la lumière de ce même nationalisme intégriste. Ici les périmètres de la nation se définissent par la « pureté du sang » et l’adhérence incontestée à l’ »organisme » de la nation . Ici l’émancipation de l’individu en tant qu’individu devient une menace à la survie collective de la « race. » Comme le dit Sternhell : le sionisme était non seulement une réaction à l’insécurité grandissante des Juifs mais aussi une réponse tribale au défi de l’émancipation du Juif en tant qu’individu. Pour David Ben-Gourion, le sionisme était non seulement une réponse à la détresse des Juifs européens, mais aussi la solution à la perte de l’identité collective des Juifs. Veut – veut pas, ce dilemme entre la vie collective conçue en termes de langue, culture et religion, et la tendance qu’a la modernité à gommer les différences, fait partie de tout débat sur la nature de la société humaine contemporaine.

Le fait que le mouvement sioniste soit au fond un mouvement colonisateur n’est guère surprenant quand on considère le rôle que remplit le sol ou la Terre dans la conceptualisation organique de la nation par le sionisme. Comme la nation est un organisme vivant, un corps comprenant des milliers d’individus, il s’ensuit que la nation ne peut exister si elle est déracinée du sol dans laquelle ses racines doivent creuser. Ce n’est pas simplement la question du sentiment commun de solidarité entre des concitoyennes et concitoyens qui partagent certaines valeurs et certaines traditions culturelles, sans quoi il ne peut y avoir le sens de nation; mais la nature organique de la nation fait que son essence prend racine dans le sol national. Il s’ensuit que le sol national ne peut être partagé avec aucune autre nation. On voit ici le concept du Sang et de la Terre qui marque les fascismes des années trente, en particulier la voie fasciste du national socialisme.

C’est aussi le concept qui soutient la colonisation des terres palestiniennes par les colons juifs; les prétentions bibliques à un droit sur la Judée et la Samarie n’en sont que la rationalisation. En ceci le sionisme montre les traits classiques du nationalisme organique : l’expérience du contact avec le sol, le besoin de légitimer l’idée du retour au sol exaltent le culte de l’histoire de l’antiquité. Cela justifie le « transfert » ou autrement dit, le nettoyage ethnique, du peuple indigène qui se trouve sur la terre convoitée.

Le sionisme en tant que nationalisme organique a aussi une composante religieuse. La conceptualisation organique-culturelle de la nation doit nécessairement inclure la religion, laquelle fait partie intégrante de l’identité nationale. Le nationalisme organique ou intégriste français n’était pas moins catholique que le nationalisme polonais; la religion fut la pierre angulaire de l’unité et de l’identité au-delà des divisions sociales et économiques. Dans le sionisme, la religion a une fonction sociale, laquelle n’a rien à voir avec le contenu métaphysique de la religion. La grande majorité des leaders sionistes voyaient la tradition religieuse comme étant une fin en soi sans aucun lien avec des rituels ou des croyances métaphysiques. Cela nous permet de mieux comprendre la nature séculaire ou non religieuse de l’idée de Judaïsme à l’intérieur du concept sioniste. Le Juif ici n’est plus le mystique, celui qui fonde son identité dans la relation de Dieu avec l’homme, celui pour qui cette relation divine prime même sur l’idée de l’État Nation. Il s’agit du Juif « national » immergé dans la nation organique laquelle a supplanté Dieu.

Bref, voici les trois piliers du sionisme : primo, que la nation est un organisme vivant dont l’être humain individuel n’est qu’une cellule ; secundo, que cet organisme requière un sol national et propre à lui dans lequel s’enraciner ; tercio, que la religion, vidée de sa spiritualité, est un facteur nécessaire pour transcender les différences sociales et économiques. Quant à la nature « socialiste » du sionisme, on peut dire que le socialisme en tant que système de valeurs universelles n’avait que peu de signification pour les fondateurs sionistes.

Comme le dit Zeev Sternhell, « La détermination des fondateurs de garder le socialisme d’Eretz Israël hors de la sphère d’influence du mouvement socialiste mondial était due à la crainte des implications internationalistes du socialisme et sa doctrine de l’hostilité des classes sociales. » Elle était due aussi, comme Sternhell le constate, à la volonté de se protéger contre la méfiance des socialistes envers des soi-disant partis socialistes indûment concernés par la religion, la culture et les origines ethniques. C’est pourquoi le mouvement travailliste en Palestine n’avait rien à dire quand la guerre civile a éclaté en Espagne ; il n’était aucunement concerné par les sujets qui ne touchaient pas directement la question nationale. Le concept de la primauté de la nation était fondamental au mouvement travailliste en Palestine et continue de l’être aujourd’hui en Israël. Les fondateurs sionistes considéraient l’autorité qu’exerce la société sur l’individu comme étant l’essentiel du socialisme, et ils ont adopté ce principe quand ils ont abandonné l’idée de bâtir une société égalitaire. À la lumière de ce constat il est plus facile de comprendre pourquoi l’Histadrut assurait sous Ben-Gourion, la primauté du contenu nationaliste dans le socialisme israélien, primant et sur les individus et sur les unités de la colonisation comme les kibboutz. Le socialisme au service de la nation. La nation qui exclut toute autre nation du sol national. L’appel à la race.

Le mur qu’Israël fait construire pour tracer unilatéralement ses nouvelles frontières en grugeant davantage les terres palestiniennes, est le symbole par excellence de l’idéologie sioniste : garder le monde non-juif, l’ « Autre,» à l’extérieur tout en gardant le Juif prisonnier à l’intérieur. De cette façon on fait d’Israël le plus grand ghetto du monde. Pourtant la quête historique du Juif dans le contexte de l’Europe chrétien fut de se libérer du ghetto pour devenir citoyen de la nation à part entière. Au fond, la libération du peuple palestinien sera à la fois la libération des Juifs du concept suffoquant du sionisme. Il appert que l’un ne pourra se faire sans l’autre.

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